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1 mai 2020, Montréal : Arbitraire et arbitrages : les zones grises du pouvoir (XIIe - XVIIIe siècle)

Colloque international, Université du Québec à Montréal, 5-7 mai 2021.

Dans le monde occidental contemporain régi par le droit et la loi, par les constitutions et les chartes, envahi par une normativité galopante, l’idée que le pouvoir puisse avoir une part d’arbitraire peut surprendre ou choquer. Les dictionnaires de la langue française, depuis la première édition de celui de l’Académie en 1694, donnent le ton : « On appelle pouvoir arbitraire un pouvoir absolu qui n’a pour règle que la volonté du souverain. Il ne se dit qu’en mauvaise part. » Cette mauvaise part persiste et s’amplifie même par la suite. Le dictionnaire Larousse définit ainsi l’arbitraire comme rien de moins que ce « qui dépend de la volonté, du bon plaisir de quelqu’un et intervient en violation de la loi ou de la justice ». En 1690 pourtant Antoine Furetière proposait une définition plus nuancée, reflétant une signification ancienne inspirée de la pratique du droit : « qui dépend de l’estimation des hommes, qui n’est point fixé par le droit, ni par la loi », un sens que l’on retrouve déjà chez Jean Froissart en 1397 : « qui dépend de la décision du juge », tout simplement.

L’ambivalence du mot arbitraire s’enrichit d’une connotation bien plus positive lorsque l’on introduit le terme, plus acceptable aujourd’hui, de « discrétion ». Chargé des valeurs morales d’intelligence, de compétence ou de sensibilité, on le réserve plus volontiers aux juges dans l’exercice de leurs fonctions, qu’aux hommes et aux femmes qui interviennent dans le champ du politique, dépositaires des souverainetés nationales ou simples agents chargés du maintien et de l’application des lois. C’est qu’aucune loi, aucune constitution, aucune norme ne peut prétendre régir l’intégralité de l’activité humaine ni non plus définir avec objectivité la manière dont sont appliquées l’ensemble de ces normes. Contre Accurse, pour qui « tout se trouve dans le corps du droit », Thomas d’Aquin reconnaissait que le législateur ne pouvait ni ne voulait tout exprimer dans la loi. Il reconnaissait donc l’existence d’une zone grise qui échappe aussi bien à l’interprétation juridique qu’à l’administration de preuves rationnelles. Les circonstances infinies des relations humaines ne se laissent, en outre, pas enfermer dans les codes et traités normatifs. Leur nécessaire appréciation dans les processus de régulation des relations sociales implique également de laisser une certaine latitude à ceux qui en sont en charge. Dans l’administration de la justice par exemple, l’arbitraire des juges a été défini, dès le XIIe siècle, comme la capacité d’appréciation des circonstances des crimes ou des délits afin d’arbitrer, c’est-à-dire, simplement, de choisir les peines les plus appropriées. Par ailleurs, l’arbitrage du juge, presque universellement reconnu, ne se distingue pas nettement de celui des arbitres du droit privé, « amiables compositeurs » investis par la volonté des parties d’une fonction médiatrice aussi déterminante que celle des juges dans la procédure du règlement des conflits.

Le prince, le juge et l’arbitre, chacun dans son champ d’action et dans la limite de ses capacités, répondent à un même besoin des sociétés humaines de réguler les interactions sociales (instaurer et garantir le respect des normes ou des lois) ; de combler le fossé entre les normes et les pratiques (par exemple à propos de la détermination ou de l’application des peines) ; de compenser l’absence de normes reconnues (vides juridiques ou cas de terra nullius) ; ou encore de régir les modes de dérogation à la norme (par exemple dans les cas d’exception fondés sur la nécessité). En cela, l’arbitraire se situe au carrefour de la contrainte et de la liberté, dans un clair-obscur de l’exercice du pouvoir, lieu d’insertion de valeurs morales comme la caritas, la grâce et la miséricorde. Il introduit les notions de transaction, de négociation et de contrat, abordées dans plusieurs études récentes qui proposent de revisiter les schémas encore trop linéaires qui président à notre compréhension de la construction de l’État et de la souveraineté modernes. Et si entre le temps de Froissart et celui des lexicographes de la fin du XVIIe siècle, l’affirmation du pouvoir, les transformations de la notion de souveraineté et l’évolution des modes de gouvernement ont gommé la dualité originelle du terme arbitraire, entre arbitrage et arbitraire, ils n’ont pas fait disparaître l’importance de la légitimité, de la recherche du consensus et du consentement, comme corollaire de l’exercice du pouvoir dans tout régime politique, à l’exception peut-être de la tyrannie.

Ce colloque, au carrefour de l’histoire, du droit, de la philosophie et de l’anthropologie, propose d’envisager de manière pluridisciplinaire ou interdisciplinaire et par une lecture comparative les pratiques arbitraires/arbitrales dans le champ du droit privé, du droit pénal et de l’exercice du pouvoir public. Il cherche ainsi à observer les limites posées par le droit, la coutume, la morale à la liberté de l’exercice d’un pouvoir contraignant, voire absolu, dans l’espace européen et dans ses colonies, entre le XIIe et le XVIIIe siècle. Plus concrètement, les propositions pourront se pencher sur :

 les pratiques de la souveraineté médiées par des instances de représentation ouvrant au dialogue à différentes échelles (conseils, diètes, cortès, parlements, états et assemblées) ;

 la pratique de l’exception comme la grâce, les rémissions ou les abolitions ;

 les modalités d’interpellation des pouvoirs comme la supplique, la requête ou la pétition ;

 les lieux, les moments et les modalités d’exercice et d’application : 1. de l’arbitrage proprement dits, en tant que renoncement volontaire à une marge de liberté au bénéfice d’un tiers ; 2. de l’exception dans les domaines politique (suivant l’aphorisme de Karl Schmitt, « Le souverain est celui qui décide de/dans la nécessité »), ou du droit (cas royaux, lèse-majesté, voire procès politiques)

 ainsi que les tensions et les résistances produites par l’exercice de l’arbitraire (par exemple la mise par écrit des coutumes).

Nombre de ces éléments ont fait l’objet d’études, parfois récentes et souvent exhaustives. L’intérêt de ce colloque tient plutôt à la réflexion croisée qu’il propose sur convergences et les divergences qui unissent ou, au contraire, opposent ces pratiques pour mieux comprendre la diversité des pratiques politiques de l’Europe médiévale et moderne : existence de contraintes conjoncturelles et structurelles (sociales ou institutionnelles) ; interférence de l’action humaine dans les pratiques du pouvoir (l’arbitraire/arbitrage étant par définition œuvre humaine et non institutionnelle) ; lieux de réflexion sur ces marges du pouvoir où interagissent souvent le droit et la morale (traités juridiques ou des peines comme le De pœnis temperandis de Tiraqueau, miroirs des princes ou traités de gouvernement de toute nature). Cette approche pourrait enrichir une réflexion plus ouverte encore, sur la fonction de lissage de l’ensemble de ces pratiques arbitrales dans le choc des libertés en conflit, sur la fragilité des espaces-limites entre polities et tyrannies ou sur la persistance d’un oxymore qui n’est qu’apparent : y a-t-il un lieu de normativité de l’arbitraire ?

Le colloque se tiendra à l’Université du Québec à Montréal du 5 au 7 mai 2021. Les propositions de communications (1500 caractères) accompagnées d’un bref curriculum vitae sont à adresser avant le 1er mai 2020 par voie électronique à :

Benjamin Deruelle, professeur
Département d’histoire
Université du Québec à Montréal
deruelle.benjamin chez uqam.ca

ou à :

Michel Hébert, professeur émérite
Département d’histoire
Université du Québec à Montréal
hebert.michel chez uqam.ca

Note importante. Dans toute la mesure du possible, les organisateurs chercheront à assurer le transport et le logement des participants au colloque. Cependant, tous ceux ou celles qui peuvent éventuellement assurer leur propre financement, par la voie de leurs universités ou de centres de recherche, sont invités à le faire savoir au moment de l’envoi du dépôt de leur proposition. L’existence de tels financements externes (même non encore assurés), en effet, est un important prérequis pour la demande de subvention générale qui sera déposée pour l’organisation du colloque.

Comité scientifique : Pascal Bastien (UQAM), Josep Capdeferro (U. Pompeu Fabra), Fanny Cosandey (EHESS) Benjamin Deruelle (UQAM), Jean-Philippe Garneau (UQAM), Claude Gauvard (U. Paris 1), Michel Hébert (UQAM), Olivier Matteoni (U. Paris 1), Lyse Roy (UQAM).