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20-21 juin 2014, Paris : L’« arbitre de l’Europe ». Fixer, penser, contester les hiérarchies politiques en Europe

Ce colloque se penchera sur la notion d’arbitre de l’Europe, du XVIe siècle à nos jours. La notion d’arbitre s’entend ici non pas au sens d’arbitrage juridique des conflits, mais au sens de médiation et de prescription, de validation, de modification des hiérarchies politiques en Europe. L’arbitre trouve sa place aussi bien dans le modèle impérial que dans les modèles plus contemporains de coopération voire d’intégration européennes, en passant par le système européen du XIXe siècle. Ce colloque se penchera sur l’identification de l’arbitre, sur sa matérialisation dans les rencontres diplomatiques, sur son acceptation ou sa contestation et sur son intégration aux modèles politiques européens.

Argumentaire

L’historiographie a accordé à un certain nombre de souverains et de chefs de gouvernement (Charles Quint, Louis XIV, Napoléon, Bismarck…) le titre d’« arbitre de l’Europe ». Ceux-ci ne rendaient pas pour autant la justice entre les Etats, mais participaient à la fixation de leur rang et de leur légitimité à intervenir dans le concert des nations. De fait, l’histoire de l’Europe, entre diversité structurelle, conflits et recherche d’unité, porte en elle la nécessité de l’existence d’un arbitrage, entendu ici non pas tant dans son acception juridique concrète de règlement des conflits que dans sa dimension politique et diplomatique de formulation des hiérarchies entre les Etats divers qui composent l’Europe. La modernité vit également émerger la notion d’un arbitrage collégial : l’abbé de Saint-Pierre, dans son Projet de paix universelle entre les nations (1713) rédigé en marge du congrès d’Utrecht, a envisagé l’établissement d’un arbitrage permanent, confédération ou tribunal suprême fondé sur le modèle de la Diète. A l’expérience ponctuelle du Congrès où se jouent et s’expriment des rapports de force issus de la guerre, il substitue une instance permanente, collective et légitime pour tous. La recherche de la paix passerait par l’équilibre et la conciliation, à l’opposé de tout modèle impérial d’arbitrage par l’expression de la force. A ce modèle autoritaire de fixation des équilibres européens et des hiérarchies des Etats s’oppose donc un modèle collectif, pacifique, légitime, qui trouve une expression dans la balance of power de Hume puis dans les instances collectives de l’Europe communautaire. Celles-ci ne sont cependant pas dénuées de toute hiérarchisation au sein des membres, même si cela ne fait plus l’objet d’un arbitrage officiel : le terme d’arbitre a pratiquement disparu du langage strictement politique et diplomatique. Or une hiérarchisation est soumise à validation et à modification par le biais d’un processus formel ou informel opéré par des instances diverses : cour de justice, chefs d’Etat, congrès, agences financières, opinion publique…

Dans le cadre de l’enquête ouverte par l’Axe 2 du Labex EHNE, « Epistémologie du politique », ce colloque voudrait interroger sous un angle politique et diplomatique la notion d’ « arbitre de l’Europe ». L’historiographie a récemment exploré l’idée d’arbitrage des conflits dans la première modernité, les prétentions arbitrales de la papauté maintenues jusqu’au XXe siècle ou, plus généralement, les formes prises par la construction de la paix en Europe. De fait, les travaux récents concernent d’une part les hiérarchies politiques persistantes entre Etats européens, d’autre part l’arbitrage et la médiation comme pratiques : il s’agit ici de relier ces deux champs de réflexion, en menant une enquête autour de la notion de fixation des hiérarchies politiques entre les Etats européens.

Celle-ci sera conduite sur le long terme, de la première modernité à nos jours, avec le souci de dégager des modèles et des évolutions, en faisant appel aux historiens mais aussi aux juristes ou aux politologues.

Il s’agirait avant tout de définir dans toute son extension ce que les contemporains comme les historiens entendent par « arbitre » et « arbitrage » dans le champ politique et à l’échelle de l’Europe, en distinguant d’emblée l’arbitre du médiateur, du pacificateur sans oublier cependant les fluctuations, dans la réalité, entre ces trois notions, particulièrement visibles dans le cas du souverain pontife. A la question de l’identité de l’arbitre, de son incarnation possible dans une institution, un Etat, un individu, se greffent celles de sa légitimité : se proclame-t-on arbitre de l’Europe ? S’impose-t-on par sa puissance ? Sa vision globale d’un équilibre et sa capacité à l’imposer aux autres ? L’arbitre est-il un chef, un leader ou un élément central, une puissance non pas dominante mais indispensable à la résolution des conflits, à l’image des « petites puissances » des années 1920 ? Est-on passé d’un arbitrage entendu comme une position de surplomb, distributrice de couronnes et de prérogatives à un arbitrage comme une forme de soft power ? L’institution de formes proprement juridiques de l’arbitrage a-t-elle renforcé le rôle de l’arbitrage politique qui a pour résultat de fixer des hiérarchies non reconnues en droit mais en fait ? Quelles sont alors les évolutions globales qui peuvent se dégager, de la Chrétienté et de l’Empire aux institutions européennes et aux agences de notation ? De nos jours, en effet, des organismes extra-gouvernementaux de droit privé s’avèrent en mesure de peser sur les orientations européennes et, par leurs jugements, de distinguer un « axe fort » constituant le moteur de l’union européenne de pays progressivement marginalisés par leur fragilité économique.

Une autre série de questionnements tient aux manifestations concrètes et aux formes d’expression de cet arbitrage. L’enjeu sera ici de saisir, à travers le cérémonial, le protocole, plus récemment la médiatisation, les signes qui distinguent l’arbitre en cherchant aussi à le légitimer mais aussi ceux qui matérialisent les hiérarchies mises en place : couronnes, préséances diplomatiques, portée de la voix de chacun dans le concert des nations, enjeux commerciaux et financiers constituent autant de marques issues des arbitrages plus ou moins ritualisés. La fixation des hiérarchies entre Etats aujourd’hui ne serait plus visible officiellement, mais par des signes, une différence de statut décisionnel de fait, un marquage moins institutionnalisé ? La permanence réside sans doute dans la notion de leadership, mais aussi dans celle d’arbitrage comme formulation, à un moment donné, d’une sorte d’ordre des puissances, en fait sinon en droit, implicite sinon visible dans l’espace d’une salle de réunion ou d’une cérémonie officielle, dans un ordre de préséance qui a résisté, tout de même, à la fin des prétentions des uns et des autres à la monarchie universelle et à l’impérium.

Un troisième axe de réflexion consistera à analyser l’attitude des populations et des opinions face à ces changements de leadership, ces arbitrages imposés ou souhaités, brutaux ou patiemment négociés. Dans la mesure du possible, on se demandera comment un arbitre cherche à légitimer sa position et son action, à l’échelle de son pays comme à l’échelle de l’Europe, via la maîtrise de l’information par exemple. Réciproquement, comment ce rôle et ces choix sont-ils perçus, acceptés, refusés, discutés dans chaque pays, chaque région ou chaque catégorie politique, sociale, culturelle ou économique ? Sans s’interdire de poser la question déjà bien débattue d’une opinion publique européenne dès la première modernité, on se demandera également si l’on peut identifier des cultures politiques différentes ou divergentes sur ce point, plus aptes à accepter tel ou tel modèle d’arbitre, sensibles à l’imperium ou à la collégialité, à un concert des nations, au fédéralisme. La résistance récente d’une partie des populations à un arbitrage extérieur lié aux agences de notation et aux hiérarchies qui en découlent pourra ainsi faire l’objet d’une étude, de même que la façon dont les populations acceptent ou contestent l’ordre politique des Etats, le leadership de tel ou tel ou le déclassement de leur pays.

Ceci conduira à un dernier type d’enquête, autour des modèles et des théories politiques. Quelle culture de l’arbitrage et de la collégialité le fédéralisme met-il par exemple en avant ? Quelles filiations peut-on tracer entre le modèle conciliaire de la chrétienté et l’idée fédérale en Europe, entre l’imperium et la notion de leadership politique, entre le fonctionnement de la Diète au sein de l’Empire et sa modélisation comme instance supra-nationale ? Dans la rhétorique utilisée pour justifier le choix d’un arbitre ou le fait de se proclamer tel, quels sont les arguments juridiques, les références historiques et conceptuelles mis en avant ? De Jean Bodin à Jacques Delors en passant par l’abbé de Saint-Pierre, comment pense-t-on ces équilibres et la nécessité, ou pas, d’un arbitrage permanent ?

Organisation
Anne-Sophie Nardelli (Agrégée, docteur de l’Université Paris Sorbonne)
Albane Pialoux (Maître de conférences, Université Paris Sorbonne, Centre Roland Mousnier)
Christian Wenkel (Chargé de recherches, Institut Historique allemand, Paris)

Comité scientifique
Rainer Babel (Professeur d’histoire moderne, Institut historique allemand), Lucien Bély (Professeur d’histoire moderne, Université Paris Sorbonne), Stanislas Jeannesson (Professeur d’histoire contemporaine, Université de Nantes), Georges-Henri Soutou (Professeur d’histoire contemporaine émérite, Université Paris Sorbonne)

Le colloque international aura lieu à Paris, Université Paris Sorbonne - Institut historique allemand.