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10 mars 2021, Francfort : L’échec dans la sphère politique. Circonstances, conséquences, représentations, XIe-XVIIe siècle

Ce colloque jeunes chercheurs porte sur la question de l’échec dans la sphère politique, qui n’ pas fait l’objet de beaucoup d’études historiques sur les périodes médiévale et moderne malgré l’abondance d’évènements pouvant être étudiés sous cet angle (abdications, révoltes sociales et religieuses, chute d’un favori...). Nous proposons ici de combler ce manque sur le temps long, allant du XIe au XVIIe siècle.

Argumentaire

L’Encyclopédie de Diderot et d’Alembert ne présente qu’une seule définition de l’échec, celle de jeu de société, et du côté allemand, le mot scheitern désigne à l’origine un navire qui se brise, tandis que le nom Misserfolg rappelle « einen Mangel an persönlicher Kompetenz und Ausdauer bzw. auf ein Fehlverhalten » comme les mots anglais failure et miscarriage, et est davantage associé à l’échec professionnel et économique. Mais l’échec au sens moderne du terme, résumé par Jean Lacroix, est l’inaboutissement de projets, un processus interrompu par cet évènement qu’est l’échec. Enfin, l’échec est également un phénomène anthropologique, où sont engagés des idées, des acteurs ancrés dans une société et ses représentations du moment : son étude appartient donc à raison à l’enquête historique dans la durée.
 Dans son article sur la Fronde bordelaise, Caroline le Mao revient sur le double défi posé par l’échec dans la science historique : étudier à la fois le temps long, celui de l’intention et du processus, et celui de l’échec même, du moment où tout s’effondre en un instant.
« L’échec, dans sa définition même, s’inscrit dans un certain rapport au temps. Comme le souligne Jean Lacroix, l’échec survient au terme d’un projet, qu’il vient conclure, au même titre que le succès. Il est donc, de prime abord, un moment circonscrit, a priori bref, une rupture, mais il est intrinsèquement lié à l’idée d’un processus se déroulant dans le temps. L’échec ne peut exister sans ce processus initial, de même qu’on ne peut concevoir la rupture sans la continuité. »
L’échec pour lui-même a été l’objet de très peu de recherches en histoire, et fut par contre abondamment étudié en sociologie et psychologie sociale. Parmi les rares contributions sur le sujet en science politique en dehors de la période contemporaine, l’article de Caroline le Mao, les actes du colloque « L’échec en politique » organisé par l’université Paris-Est en 2008, ou encore un livre sur das Scheitern in der frühen Neuzeit.
Cette zone d’ombre dans la recherche est étonnante eu égard aux des nombreux évènements observés durant les époques médiévale et moderne et pouvant être étudiés sous la perspective phénoménologique de l’échec. Parmi les exemples les plus évidents, on trouve les grandes révoltes populaires qui ont secoué les royaumes de France et d’Angleterre au XIVe siècle. La Jacquerie de 1358, dans le contexte de la Peste noire et de la guerre de Cent Ans, fit des ravages en Île-de-France, Champagne, Picardie et partiellement en Normandie. Les pillages et les taxes prélevées par la noblesse furent ressenties comme un droit féodal injuste et ont allumé la flamme de la révolte dans les seigneuries, sans pour autant que soit remise en question la royauté. Une révolte similaire par sa radicalité et son originalité eut lieu en Angleterre, connue comme la Peasants’ Revolt de 1381, les insurgés demandant l’abolition de la propriété. Dans tous ces cas, la révolte fut écrasée dans le sang par la noblesse qui sur le long terme consolida le régime féodal occidental. La guerre des paysans de 1524-1525 s’inscrit dans cette même veine, et surnommée la Revolution des gemeinen Mannes par Peter Blickle. La noblesse vainqueur fut ainsi en mesure de décider que les révoltes furent un échec et de transmettre cette image dans les sources.
L’histoire des favoris et des mignons et notamment leur chute rentre également dans la question de l’échec : les études se sont concentrées sur toute l’évolution en trois moments, partant de sa montée en grâce, passant par sa monopolisation des faveurs du souverain jusqu’à sa chute parfois mortelle14, mettant en lumière des pans essentiels du fonctionnement de la communication et des prises de décisions à la cour.
Ce colloque se situe dans la continuité de cette démarche, en plaçant l’accent sur une périodicité enjambant l’époque médiévale et l’époque moderne, où se multiplièrent les tentatives politiques et religieuses venant à la fois du haut, comme l’échec du pape Boniface VIII à imposer sa conception de la papauté à Philippe IV de France, et du bas. Par sphère politique sont entendues au sens large la prise de parole et la tentative d’un impact collectif dans la société comme d’un espace public. Le XIe siècle est en effet marqué par les courants religieux qui secouent l’Église et les royaumes. Ces courants porteurs d’un idéal chrétien furent violemment réprimés et jugés dans les sources, au moment même où l’Église impose une réforme de sa hiérarchie et de sa culture politique. Cette période se situe également avant les Lumières et la philosophisation de l’échec, au profit d’un colloque plus axé sur les espoirs politiques, religieux et diplomatiques marqués par une vision où l’histoire où l’échec est un instrument divin. L’espace étudié est l’Europe, en intégrant les espaces coloniaux quand cela est pertinent. Le colloque sera axé sur des études de cas d’échecs politiques, diplomatiques ou religieux. La dimension sociale ne doit pas être oubliée : les échecs des révoltes -politique et religieuses – sont autant à prendre en compte que les échecs des souverains et des diplomates. L’échec purement scientifique ou purement individuel n’est pas pris en compte dans ce colloque.

Axes thématiques

Nous proposons ici quatre angles de réflexion :
Axe 1 : La théorie de l’échec . Cet angle pose la question de l’historien face à l’étude de l’échec : comment étudier ce moment ? Quelle méthodologie adopter et pourquoi ? Quelles sources peuvent être utilisées ou privilégiées ? Il s’agit ici de lancer également le débat sur la définition de l’échec pour les périodes pré-contemporaines.
Axe 2 : Les dynamiques de l’échec. Un échec est la conséquence d’une intention sur une temporalité variée, un processus dont il convient de retracer la généalogie. L’accent est donc sur la genèse, pour comprendre comment et pourquoi le processus s’est terminé par un échec : diffusion d’idées qui furent réprimées, interruptions de négociations qu’elles soient anticipées, comme ce fut le cas lors de la crise entre le concile de Bâle-Ferrare-Florence et le pape Eugène IV en 1439, ou non. Des études de cas seraient ici particulièrement appréciées.
Axe 3 : L’interprétation de l’échec dans les sources textuelles et dans l’iconographie. Cet angle propose d’étudier les sources contemporaines des échecs ou plus récentes pour comprendre la perception de cet échec à un moment donné : comment les sources parlent-elle de l’échec ? Quels sont les codes culturels et sociaux de l’échec ? La Pataria de Milan, en 1045, mouvement populaire qui prit le contrôle de Milan dans un besoin de moralisation de son clergé, a été réprimée dans le sang, et fut interprétée comme le jugement de Dieu en faveur de l’orthodoxie15.Il en fut de même pour la Jacquerie et la Peasants’ Revolt déjà évoquées plus haut. Enfin, la défaite de l’invincible Armada espagnole fut considérée par les contemporains protestants et néerlandais comme une intervention divine pour protéger le protestantisme16. La question de la diabolisation, conçue comme moyen de pousser l’adversaire à l’échec peut être a posteriori reconstruite comme simple conséquence de cet échec, peut être ici posée.
Axe 4 : La transformation de l’échec en réussite. Certaines conséquences sont perçues sur le moment comme des échecs, mais se transforment au fil des années en réussite par l’évolution des mentalités, du contexte politique ou des normes culturelles. Si l’édit de Nantes consacre l’échec à restaurer l’unité religieuse du royaume de France, il permet de faire cohabiter les deux confessions jusqu’en 1685 en préservant l’économie du pays, et est en ce sens une réussite sur le long terme. Étudier quelles dynamiques et quels réseaux d’acteurs sont impliqués dans ce processus sera ici bienvenu.
De même, l’abdication d’un souverain peut d’abord être vue comme un échec : la mise en scène de l’abdication de Charles Quint, montrant son échec dans toute sa splendeur, a de fait été sur le long terme la condition de la domination habsbourgeoise entre 1555 et 1648 avec le partage de pouvoir entre son frère Ferdinand dans l’Empire et son fils Philippe en Espagne17. La mise en scène de l’échec ou de la conjuration de cet échec, ainsi par exemple l’exécution du cadavre du régicide Cromwell en 1661 par Charles II, fils de Charles Ier d’Angleterre, est également un angle d’attaque à considérer.

Dans les domaines seront inclus sans être exclusifs :
 histoire politique
 histoire diplomatique
 histoire sociale
 histoire religieuse
 histoire du droit
Ce colloque est destiné à de jeunes chercheurs et donc ouvert aux doctorants, jeunes docteurs et post-doctorants, avec la possibilité d’inclure des masterants avancés ou des chercheurs (maîtres de conférence / Dozenten) en début de carrière.

Comment candidater

Pour candidater, envoyez une réponse à cet appel à communication (à l’adresse mail : jeifra2021 chez gmail.com) avec un titre, accompagné d’un texte d’environ une page, précisant le sujet considéré, la méthode envisagée et les sources utilisées. Le texte pourra être envoyé dans une des deux langues du colloque (Français et Allemand, l’autre langue doit être au moins comprise de manière passive). Joindre également un CV. Les communications devront être d’une durée de 20 min.

Date limite : 10 Mars 2020

Informations pratiques

Le colloque est organisé par l’Institut Franco-Allemand de Sciences Historiques et Sociales de
Francfort. Il aura lieu à la Goethe-Universität de Francfort les 24 et 25 juin 2021.
L’hébergement et le trajet, ainsi que les repas pendant la durée du colloque, seront pris en charge
par les institutions organisatrices.

Comité scientifique

Roberto Berardinelli (doctorant EHESS Paris/Universität Heidelberg)
Marie-Astrid Hugel (doctorante EHESS Paris/Universität Heidelberg)
Prof. Pierre Monnet (directeur d’études EHESS Paris/IFRA-SHS Francfort-sur-le-Main)

Argumentaire et axes thématiques