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5-6 juin 2014, Nantes : Thémis en diplomatie : L’argument juridique dans les relations internationales de l’Antiquité tardive au début du XIXe siècle

En 1779, le comte de Vergennes écrit à l’ambassadeur de Louis XVI à Madrid :« L’intérêt est le grand mobile des nations comme des hommes »[1]. Si la satisfaction des intérêts de puissance anime bel et bien les relations qu’entretiennent les entités politiques, elle est pourtant rarement avancée en tant que telle dans les échanges diplomatiques. La culture chrétienne, à laquelle s’ajoute l’humanisme anti-machiavélien, fondent la langue de la négociation, contraignant à bâtir l’argumentation sur la défense de la juste cause et la promotion de l’intention droite ce qui, de ce fait, convoque un discours de droit. L’idéal juridique en diplomatie s’inscrit dans l’horizon d’attente d’une scène internationale qui ne serait pas régie par le jeu des intérêts particuliers des puissances ne reconnaissant d’autres lois que celle du plus fort, mais par une cohabitation, sinon harmonieuse, du moins pacifique des États.

Dans le domaine des relations entre États et des négociations diplomatiques, le droit est un langage commun permettant l’échange d’arguments, générant et réglant des contentieux entre interlocuteurs qui en acceptent le modèle et en partagent les références. La parole juridique permet de justifier les prétentions qui sont avancées ou de rejeter celles qui sont présentées. L’épreuve juridique doit donner de la force à l’argumentation du négociateur en légitimant sa position. Par conséquent, le droit peut être utilisé, dévoyé, et manipulé à dessein donnant ainsi la mesure des rapports de force entre les parties en présence. L’instrumentalisation du droit dans le discours diplomatique invite à questionner l’argument juridique comme prétexte à la contrainte et à la force.

Mais encore faut-il se demander quel droit est mobilisé, car cette matière n’est pas monolithique. L’histoire des relations internationales montre que plusieurs dimensions du droit entrent en jeu dans les rapports entre les États[2]. Au milieu du XVIIIe siècle, le juriste danois Martin Hübner propose une classification des différents droits des gens régissant les rapports entre les États : le droit coutumier basé sur l’usage ; le droit conventionnel, aussi appelé positif, qui s’appuie sur les traités ; le droit universel fondé sur le droit naturel[3]. De ces ensembles dérivent d’autres droits particuliers, droit de conquête, droit de saisie... qui animent les prétentions, les protestations, les résistances des acteurs de la scène internationale. La confrontation de situations originales, d’exigences, ou de coups de forces provoquent des« décrochages » entre la réalité et le modèle juridique devant régir les relations entre les États ou leurs représentants. Il en découle des tensions, des incidents, voire des conflits, dont certains ont déjà été l’objet d’études qui n’épuisent cependant pas la matière mais engagent à poursuivre l’enquête[4].

Les situations produites par la vie internationale amènent les contemporains à penser le droit, à le préciser, à le corriger et à l’adapter, à l’occasion de contacts avec d’autres civilisations ou lorsque surgissent, à l’époque moderne, des contentieux coloniaux. Il s’agit de se poser la question de la jurisprudence générée par les relations entre États et de s’interroger sur sa remise en cause. L’évolution des principes du droit des gens, puis du droit international, doit être mise en regard de l’apparition de nouveaux enjeux, de situations inédites, notamment à l’extérieur de l’Europe, de remises en cause qui contribuent à faire la réalité de la vie diplomatique. Il faudrait ainsi se demander comment la diplomatie soulève des questions de droit, et examiner les réponses qu’elles appellent. Il faudrait aussi s’intéresser à la culture juridique des hommes de la diplomatie en se penchant sur leur formation dans ce domaine, ainsi que sur les outils à la fois intellectuels et pratiques dont ils disposent pour remplir leur mission.

Ces pistes de réflexions sont à envisager dans une perspective de longue durée, de l’Antiquité tardive au début XIXe siècle, pour saisir, au-delà des contingences d’une époque ou d’un événement particulier, les évolutions et les permanences profondes de l’argumentation juridique en relations internationales qui relèvent autant du champ des pratiques diplomatiques que de la culture de la négociation. L’objectif du colloque n’est pas de faire une histoire théorique et doctrinale du droit mobilisé par les relations internationales, mais d’en faire en quelque sorte une histoire appliquée à la diplomatie et au cadre de la négociation. Les questionnements sur le modus operandi juridique en relations internationales conduisent à renoncer à une approche par le haut pour voir comment, par la nature même de leur activité, les diplomates sont non seulement des praticiens du droit, mais encore ses artisans s’appropriant une matière qu’ils mettent au service de leur mission et de leurs objectifs.

Comité scientifique : Marc Belissa, Nicolas Drocourt, Stéphane Péquignot, Eric Schnakenbourg

Contact :
Nicolas Drocourt : nicolas.drocourt chez univ-nantes.fr
Eric Schnakenbourg : eric.schnakenbourg chez univ-nantes.fr

[1] A.A.E., C.P., Espagne, vol. 596, fol. 405, Vergennes à Montmorin, 17 décembre 1779.
[2] Et ce dès l’Antiquité tardive et le haut Moyen Âge, comme le suggère une étude récente : Antonio Padoa-Schioppa, « Profili del diritto internazionale nell’alto medioevo », dans Le relazioni internazionali nell’alto medioevo, Settimane di Studio della Fondazione Centro Italiano di Studi sull’Alto Medioevo,58, Spolète, 2011, p. 1-78. Le ius gentium tel qu’il est défini au VIIe siècle par Isidore de Séville recouvre du reste des éléments très divers pouvant être invoqués comme autant d’arguments juridiques, cf. Salvatore Puliatti,« Incontri e scontri sulla disciplina giuridica dei rapporti internazionali in età tardo-antica », dans Le relazioni internazionali nell’alto medioevo, op. cit., p. 109-157, avec les remarques finales de Cl. Moatti.
[3] MartinHübner, De la saisie des bâtimens neutres, ou Du droit qu’ont les nations belligérantes d’arrêter les navires des peuples amis, 2 tomes, La Haye, 1759, p. 40-42.
[4] Lucien Bély et Géraud Poumarède (dir.), L’incident diplomatique XVIe-XVIIIesiècle, Paris, Pedone, 2010.