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À propos de Pierre Bourdieu et de la genèse de l’État moderne

Jean-Philippe Genêt

Genêt, Jean-Philippe, « À propos de Pierre Bourdieu et de la genèse de l’État moderne », Actes de la recherche en sciences sociales, 2014/1 (n° 201-202), p. 98-105.

Extrait de l’article

Face à un livre aussi sincère et dénué d’artifice que ces cours de Pierre Bourdieu sur l’État, les notes qui suivent sont celles d’un historien qui ne se prétend nullement un expert ou un connaisseur de sa pensée, mais qui a toujours été inspiré et aidé par son œuvre dans son travail, et entend faire preuve de la même sincérité dans ses réactions. Il se trouve que Pierre Bourdieu a bien voulu s’intéresser aux programmes sur la genèse de l’État moderne et a fait un large usage (dans ce cours mais aussi dans Raisons pratiques) des travaux publiés dans leur cadre. Faute de temps, je n’ai pourtant pu suivre son cours et c’est le plus souvent l’amitié de Remi Lenoir qui a nourri nos contacts et permis de le tenir au courant des publications au fur et à mesure de leur sortie. Pour toutes ces raisons, la lecture du Cours a donc été pour moi une véritable découverte. N’oublions cependant pas qu’il s’agit ici d’un cours, qui donne à voir une pensée en train de se construire, et non d’un ouvrage achevé donnant « la » vision définitive de son auteur.

Il m’a fallu un peu de temps pour comprendre la visée du cours et m’installer dans sa lecture : je ne m’attendais pas à ce qu’après être parti de la temporalité et avoir annoncé « que cette période où se constitue l’État révèle des choses intéressantes », Pierre Bourdieu fasse ce qui m’est d’abord apparu comme un détour par le marché de la maison individuelle et la commission Barre. J’ai vite réalisé qu’il n’y avait là aucun détour et qu’il s’agissait pour lui de démontrer un point essentiel, à savoir que l’État est un champ : cela rappelle à l’historien que la prise en compte du temps par un sociologue qui donne le primat au concept sur le temps est différente de celle de l’historien, quand bien même le sociologue est prêt à assumer le rôle de l’historien tout en prônant, une fois de plus, le dialogue avec lui. L’historien et le sociologue peuvent avoir un même objet, le reconnaître comme un objet historique, ils ne l’aborderont pas de la même façon. De fait, le cours, presque par nature, est plutôt un soliloque. C’est là ce qui le rend passionnant : la parole de Bourdieu provoque l’historien et le conduit, plutôt qu’au dialogue proprement dit, à une lecture dialoguiste, pendant laquelle il est sans cesse interpelé et poussé à mettre en question ce qui d’ordinaire lui paraît aller de soi. Chaque page pourrait prêter à commentaire, mais je m’arrêterai sur trois points : le problème de la définition et de l’approche de l’État où les attitudes de Pierre Bourdieu et des historiens en général paraissent antinomiques, puis ce qui me semble cependant être l’apport fondamental de Pierre Bourdieu, et enfin sa lecture critique des travaux des « sociologues généralistes » et de ceux des historiens.

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