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Le procès des Dumonthay, usurpateurs de noblesse (1580-1582), ou la plume contre la robe. Vers la formation d’une noblesse d’Ancien Régime dans les États de Savoie

Cédric Mottier

Comment citer cette publication :
Cédric Mottier, "Le procès des Dumonthay, usurpateurs de noblesse (1580-1582), ou la plume contre la robe. Vers la formation d’une noblesse d’Ancien Régime dans les États de Savoie", dans Études Savoisiennes, numéro 13-14, années 2004-2005, p. 93-142. Article édité en ligne sur Cour de France.fr le 1er juillet 2011 (https://cour-de-france.fr/article2025.html).

[Page 93 de la première édition]
La liasse SA 1040 des Archives départementales de la Savoie contient des dossiers relatifs à vingt-cinq « procédures pour la preuve de noblesse » distinctes, toutes fondées sur des preuves écrites et instruites par le procureur patrimonial de la Souveraine Chambre des comptes de Savoie, à Chambéry, entre 1563 et 1605 [1], soit à l’époque de la Savoie restaurée d’Emmanuel-Philibert (1553-1580), puis de son successeur, Charles-Emmanuel (1580-1630), à l’encontre d’individus résidant en Albanais, Bresse, Bugey (y.c. Yenne), Chablais, Gex, Maurienne, et Ternier-Gaillard, soit dans son ressort, mais aussi en Faucigny, qui appartient à l’apanage de Genevois-Nemours et au ressort de la Chambre des comptes d’Annecy (Genevois, Faucigny et Beaufort). Ces procédures s’avèrent d’un apport fondamental en matière de noblesse. En particulier, le procès intenté aux Dumonthay [2], de Challex (Ain, arrondissement de Gex), une paroisse dont la majorité du territoire relève alors du bailliage de Ternier (Haute-Savoie, commune de Saint-Julien-en-Genevois) et Gaillard (Haute-Savoie) [3], présente l’avantage d’être le mieux fourni en pièces de toute la liasse [4].

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Lorsque s’ouvre leur procès, les frères Dumonthay exercent publiquement le notariat, depuis de nombreuses années déjà, et possèdent l’office de châtelain du seigneur de La Corbière hérité de leur père [5]. Or, depuis la restauration d’Emmanuel-Philibert (1559), l’exercice du notariat, sous ses diverses formes, ou de fonctions châtelaines, est devenu hautement incompatible avec la condition noble. Leur mode de vie a d’ailleurs valu aux frères Dumonthay d’être inscrits comme contribuables solvables sur les rôles du « don gratuit » - une taille personnelle levée dès 1568 dans les trois bailliages restitués en 1567 par Berne -, probablement dès 1568-1569, et assurément en 1576-1577, et ils payent donc les tailles, à l’instar des roturiers. Ainsi, en 1580, les faits sont contre eux. Dès lors, pourquoi leur intenter un procès, puisque leur condition roturière est entendue ?

En fait, c’est leur persistance à revendiquer d’être nobles contre toute apparence qui leur vaut les foudres du procureur patrimonial. Au moment où débute le procès, cette revendication dure au moins depuis cinq ans - portée en marge de leur nom dans le seul rôle du don gratuit conservé pour Ternier-Gaillard (1576-1577) [6] -, et plus certainement depuis près de quinze ans, soit dès le retour effectif des trois bailliages à la Savoie (1567). D’où tirent-ils cette ténacité ? Leurs prétentions sont-elles totalement infondées ? Du moins, en dehors des critères des années 1580 ? L’étude du parcours social des Dumonthay, reconstitué depuis le XVe siècle selon une approche prosopographique, nous fournira des réponses à ces questions. Mais pour que notre compréhension du dossier soit la plus complète possible, il nous faudra encore souligner les particularismes de l’époque bernoise en matière de noblesse lors de l’occupation des bailliages de Gex, Ternier-Gaillard et Thonon (1536-1567), et leurs conséquences sur le mode de vie des frères Dumonthay.

Et finalement, plus que l’issue du procès, non indiquée mais probablement défavorable [7], l’observation des parties à l’œuvre, sur la base des preuves fournies, une fois recoupée avec les données que j’ai pu établir pour le bailliage de Gex au seuil de 1536, avec d’autres travaux régionaux ou généraux, et des sources publiées concernant Bresse, Bugey et Gex, ou plus généralement le nord des Etats de Savoie, nous permettra de saisir à quel point un tournant à été franchi, à partir de 1559, quant à la manière de devenir noble (disparition de l’agrégation « taisible » au profit exclusif de l’achat de lettres de noblesse ou de charges désormais légalement définies comme anoblissantes), de le rester (critères de dérogeance nouveaux) et de le prouver (procédures faisant appel à des preuves écrites).

1. Preuves et argumentaires

La procédure contre les frères Claude et Anthoyne Dumonthay s’engage le 16 décembre 1580, date de la « remontrance » du procureur patrimonial de la Chambre des comptes [8].

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Représentant du duc et défenseur de ses intérêts en cette cour, celui-ci est à l’origine de tous les procès de la liasse. Après enquête, il rédige une remontrance, sorte d’acte d’accusation énumérant les griefs reprochés et les peines requises. Il l’adresse ensuite à la Chambre des comptes qui, après l’avoir enregistrée, enjoint à un sergent ducal (huissier) d’informer officiellement les intéressés. Le 12 janvier 1581, les frères Dumonthay apprennent de cette manière qu’ils sont accusés d’avoir usurpé le titre de noblesse et de s’être fait passer illégalement pour nobles jusqu’à présent, contrevenant aux « édits de Son Altesse ».

Le premier plaid du procureur patrimonial, via son procureur Perrod, est daté du 15 juillet 1581 [9] ; il résulte, à n’en pas douter, d’une enquête minutieuse, probablement menée en partie sur le terrain, avec auditions de témoins de Challex [10], car, en le recoupant avec d’autres sources, il s’avère extrêmement factuel. Les frères Dumonthay « ne sont de qualité noble ny noblement vivant, ne laissant de s’attribuer ladicte quallité et se soustiennent nobles et noblement vivant (ce) qui les rend du plus fort admendable de la peyne et amande ». Pour démontrer l’absence d’origine noble, le procureur patrimonial s’appuie tout d’abord sur le fait que leur père « du temps de ses vies et trespas estoit notaire publique et commissaire des recognoissances et extentes du s(eigneu)r de La Corbière et auquel on avoit accès pour rebsepvoir tous contractz et actes publicques ». Puis, toujours dans le même but, le procureur patrimonial argumente que leur père « estoyt issu d’une rasse (race) roturière scavoire desnomméz du Montey du village de Challex où il avoit prins son origine [11]... Lesdictz du Monthey dudict villaige de Challex de la maison desquelz ledict Amed leur père ... estoyt issu et avec lesquels il avoit partagé sont tousiours esté roturiers contribuantz en touttes tallies avec les roturiers telz tenuz ».

Ainsi, leur père est issu d’une famille connue de tout temps par les villageois pour être roturière. Leur père, apprend-on aussi, a pris ses distances avec ses cousins en « partageant », c’est à dire en sortant de la communauté de biens pour poursuivre sa propre politique d’ascension, ce qui s’avère exact [12]. Quant aux tailles (au sens de subsides), il est difficile de

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préciser si et quand les ancêtres des deux défendeurs cessèrent d’être imposés, faute de pouvoir consulter de nos jours des rôles antérieurs à 1536, hormis un seul, de 1404, dans lequel les héritiers d’un Jean Dumonthay sont mentionnés comme contribuables [13] ; en 1550, le père des défendeurs figure sur le rôle établi pour Ternier, mentionné comme noble, mais de fait, nobles et non nobles contribueront à la taille bernoise.

Enfin, pour accentuer le mode de vie roturier des Dumonthay, le procureur patrimonial insiste une nouvelle fois sur le notariat, exercé non seulement par leur père, mais aussi bien par un oncle paternel de celui-ci [Pierre Dumonthay], « lequel aussi en temps de ses vies et trespas estoit notaire ayant exercé jusqu’à son décès l’art du notariat et pour tel estoit tenu notoirement », que par Anthoine Dumonthay, codéfendeur, « notaire ducal exerçant l’art de notaire et en telle qualité rebsepvant tous contratz et actes publicqs ». Et de rappeler finalement qu’eux-mêmes ont cotisé aux tailles. Pour ces diverses raisons, la peine requise doit être prononcée et appliquée, conclut le plaid.

Accusés d’usurpation de noblesse, les frères Dumonthay durent alors se défendre avec la plus grande énergie pour éviter chacun une amende élevée de 500 écus d’or au soleil [14]. Pour cela, ils sélectionnèrent parmi leurs papiers une quinzaine d’actes dans un premier temps, puis trois autres dans un second temps, dont la teneur était susceptible, à leurs yeux, de convaincre les officiers de la Chambre des comptes de l’authenticité de leur noblesse. Ils les leur adressèrent et ces dix-huit actes, tous des originaux, hormis un extrait (copie) de reconnaissance de fief, ne leur furent jamais restitués, possiblement confisqués à l’issue du procès. Analysons donc tout d’abord le contenu de ces « preuves » dont trois sont de nos jours connues uniquement par leur mention sur une liste détaillée des preuves fournies, établie en deux exemplaires.

Parmi les quinze premiers documents produits le 25 août 1581 par Me Bernard, leur procureur, pas un seul ne concerne directement les deux frères. Est-ce à dire qu’ils n’en possédaient aucun les mentionnant comme nobles ? C’est très possible, du moins aucun document « savoyard », c’est à dire postérieur à 1567, car leur noblesse est probablement contestée dès le retour des trois bailliages à la Savoie. En revanche, ils ne produisent aucun des actes émanant des républiques de Berne ou de Genève dans lesquels ils sont pourtant mentionnés comme nobles [15] – du moins, ils ne le feront qu’en dernier recours, le 26 mars 1582 -, car ils ont certainement (déjà) conscience, ou au moins leur procureur, que le concept de noblesse est différent dans ces républiques. Ainsi, par la force des choses, ou par choix délibéré, leur stratégie consiste à prouver d’abord qu’ils sont nobles car issus d’un père noble. En effet, quatorze des quinze premières preuves fournies concernent Amédée Dumonthay, leur père ; ces actes couvrent une période de plus d’un quart de siècle (1526-1552), et le mentionnent tous comme noble.

Le plus ancien de ces documents (1526) est aussi celui qui se détache le plus nettement par l’importance de son contenu. Il s’agit en effet du contrat dotal d’Amédée Dumonthay. Le 23 janvier 1526, dans la grande salle (magna stupha) du château de Divonne, en présence de neuf témoins, Claude Michaud, de Gex, clerc apostolique et impérial, notaire public, reçoit le contrat dotal passé entre « noble Amédée, fils de feu noble Jean-Jacques Dumonthay, de Challex, et noble Peronete (Pernette), fille donnée de noble et puissant François de Gingins, seigneur du Châtelard en la paroisse de Montreux (Pays de Vaud) ». Le mariage a déjà eu lieu. Compte tenu

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de l’ancienneté et du contenu de cet acte, il est hautement probable que celui-ci soit le premier dans lequel Amédée Dumonthay ait été mentionné comme noble.

D’autre part, onze actes concernent des mutations foncières, soit neuf actes notariés couvrant la période 1529-1535 (acquisitions de biens par leur père auprès de particuliers, par achats ou dons en sa faveur, avec quittances et paiements de load), et deux relatifs à la dévolution de l’hoirie de Claude Michaud (transaction après jugement, 1540, et quittance, 1543) ; il s’agit de titres de propriété permettant à Amédée Dumonthay de gérer ses biens, mais aussi divers placements financiers effectués sous forme de prêts à intérêt, sur lesquels nous reviendrons. Enfin, deux actes sont des procurations en faveur d’Amédée Dumonthay, l’une du 4 juillet 1547, par noble Claude d’Allier, seigneur du Rosey et de La Corbière, et l’autre du 29 mars 1552, par le comte Michel de Gruyère.

Le quinzième acte produit par les frères Dumonthay concerne, quant à lui, leur mère. Il s’agit d’un carnet contenant copie de plusieurs actes du greffe de la justice seigneuriale de La Corbière, relatant les démêlées de noble Pernette de Gingins avec le procureur fiscal de la seigneurie, à la fin de l’année 1550 [16]. Cette preuve est produite autant pour prouver la filiation des frères Dumonthay que pour mettre (déjà) en exergue le lignage duquel est issue leur mère, mais permet peut-être aussi de souligner un comportement d’indépendance typiquement noble de la part de celle-ci : sa velléité de placer sa maison et les siens (famille et serviteurs) hors juridiction seigneuriale – alors que son époux est lui-même le châtelain de cette juridiction ! -, est le prolongement du droit des nobles à être jugés directement par des échelons élevés de la justice princière [17].

Annexé à l’une des deux listes des quinze preuves fournies, un « plaid » signé par Me Bernard, procureur des Dumonthay, est adressé à la Chambre des comptes [18] : « feu a pr(ése)nt noble Jean Jaques du Monthey leur ayeul paternel (...) durant sa vie et jusques à son trespad inclusivement et en suivant les vestiges de ses ancêtres auparavant et dès long temps (...) tenus pour nobles auroyt tousjours vescus noblement et sans avoir jamais faict chose contreyre ou seullement préiudiciable au nom estact et quallité de noblesse. Seroyt ledict Jean Jaques ainsy décédé délaissant a luy survivant noble Amed du Monthey son filz naturel et légitime et père desdictz deffendeurs lequel (...) comme sondict feu père (...) jouit notoirement du nom et tiltre de noblesse en tout acte tant judiciaulx publicqs qu’autres ». A leur tour « les deffendeurs ses hoirs naturelz (...) comme leur feu père ayeulz et prédécesseurs auroyent tousiours jusques a

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présent paysiblement notoyrement et manifestement (...) jouy du nom de noble et pour telz tousiours esté tenuz et reputtez ». Ainsi, non seulement leur père était notoirement reconnu noble de son vivant, mais il était fils d’un homme ayant vécu noblement comme ses prédécesseurs. Il s’agit du principe déjà ancien selon lequel, pour prouver sa noblesse, il fallait prouver la noblesse de deux générations de ses prédécesseurs immédiats.

Fort de la présentation de ces quinze preuves et de ce premier plaid, les frères Dumonthay, dans un second plaid [19], répondent au plaid initial du procureur patrimonial daté du 15 juillet 1581. Ils nient formellement que leur feu père était issu de race roturière, et encore moins qu’il ait stipulé des contrats pour quiconque, hormis pour le seigneur du Rosey et de La Corbière pour lequel il aurait rendu quelques reconnaissances seulement. « Occasion de quoi ne se peut dire qu’il aye aultrement dérogé à l’estat et qualité de noblesse d’autant que l’hors [au temps de Berne] l’estat de notariat estoit exercé pour la plupart par gens nobles ainsi qu’est soubtenu par faicts ». Et de préciser que c’est encore le cas « pour le jourd’hui rière les terres et s(eigneur)ies de Berne ». « Item est sans dérogeance aucune ». Or « du temps de leurdict père, la terre de Challex estoit soubz l’obéissance des seigneurs de Berne ». « Me Anthoine Dumonthey condéfendeur havoit exercer ledict estat de notariat soubz lesdicts seigneurs de Berne et aussi pendant un temps après la restitution » ; il ne peut toutefois lui en être tenu rigueur, puisqu’il n’a exercé que durant 15 mois au-delà de la restitution, et qu’il estimait « cela ne luy devoir préjudice non plus ny moins que auparavant. Et enquoi il semblait être bien fondé et par ce entre autres choses ains par le traité fait entre sadite feu Altesse et les seigneurs de Berne était porté que les pays et terres rendues demeureraient en leurs premières coutumes. Et qu’avant ladicte restitution les nobles pouvaient être notaires ».

Ainsi, leur argumentation est centrée sur l’exercice du notariat : ils le minimisent chez leur père, qui, rappelons-le, vivait noblement selon leur argumentation, et le reconnaissent chez eux, ne pouvant nier la réalité des faits, mais se réfèrent alors à une « exception » bernoise. La durée d’exercice du notariat par Anthoine Dumonthay après la restitution des trois bailliages par Berne est d’ailleurs hautement significative. En effet, la restitution eut lieu en août 1567, et 15 mois nous amènent précisément en octobre 1568, c’est à dire au moment où débute l’établissement des rôles de don gratuit ! Les Dumonthay semblent donc avoir pris conscience seulement à ce moment – mais trop tardivement - d’une situation radicalement différente en matière de vie noble, ce qui corrobore bien le fait qu’ils se croyaient fondés à exercer le notariat tout en étant nobles. Par contre, sur leur assujettissement aux tailles ducales, les frères Dumonthay font preuve de beaucoup moins de pugnacité pour se défendre (« Le reste dudit plaid signé Perrod ne concerne en rien les défendeurs ains contient seulement certains tels quelz fait lequels pour leur impertinence ne méritent autre réponse quoy que sans préjudice ils aient répondu … »), tant il est vrai qu’ils cotisent, malgré leurs protestations lors de la rédaction des rôles.

En réponse, le procureur patrimonial, via son procureur, produit un nouveau plaid, daté du 27 novembre 1581 [20]. En résumé, Amédée Dumonthay était notaire de son vivant, et Me Anthoine Dumonthay a lui-même avoué avoir exercé le notariat à la suite de son père, tant à l’époque de l’occupation des bailliages qu’après leur restitution. Sur le fait que les nobles puissent exercer le notariat au temps de l’occupation, le procureur patrimonial estime qu’il « n’est vraisemblable que Messieurs de Berne entretiennent une telle coustume eu esgard à ce

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que leur estat est aristocratique où la noblesse par conséquent est plus respectée et mieux tenant son rang que si estoit une démocratie où il semble que ne ains acceptation de personne et toutefois en toutes les deux il y a toujours eu défense de la noblesse à ceux qui ne peuvent montrer signe quelconque de leurs ancestres pour être remarqués par dessus la population … » [21]. Enfin, les Dumonthay sont sans ancienneté [il n’est donc plus fait allusion à la race roturière], et « ne peuvent fonder leur prétendue noblesse ni sur le bénéfice du prince ou sur prescription », raisons pour lesquelles les contrats où ils sont qualifiés de noble ne leurs sauraient baillier plus de noblesse.

Le 24 janvier 1582, le procureur patrimonial fournit encore de nouveaux arguments via son procureur [22] : les Dumonthay ne tiennent aucun fief noble de Son Altesse [assertion qui dénote de nouvelles investigations], mais au contraire, ils paient les tailles ; ils ont exercé le notariat après la restitution des bailliages, alors que l’art militaire est celui entre tous qui sied le mieux à la noblesse. Ainsi l’étau se ressert sur les Dumonthay, les amenant à produire d’ultimes documents, soit deux le 15 mars 1582 et un le 26 mars suivant. Il s‘agit de leurs derniers arguments, qui montrent à la fois une prise de conscience, au moins partielle, vis à vis de la réalité judiciaire du moment (bénéfice de prince, ancienneté, mode de vie), et une tentative, au moins formelle, de s’y conformer dans leur ligne de défense. Toutefois, ils produisirent pour ce faire des pièces qui n’ont pas dû manquer d’étonner les juristes de l’Etat moderne, voire se sont retournées contre eux. Et pourtant, ne devaient-ils pas mettre toutes les chances de leur côté, surtout si, comme ils le pensaient probablement, ils avaient déjà le bon droit pour eux ? Cette tentative formelle de satisfaire aux exigences du droit présent – compréhensible du point de vue de la défense, et possiblement suggérée par leur procureur – ne traduit-elle pas une confiance absolue des Dumonthay en les fondements de leur noblesse, voire un véritable déni, refus coûte que coûte d’envisager ne serait-ce l’idée d’une remise en question du fait même de celle-ci ? Une fois condamnés comme usurpateurs, auront-ils même véritablement compris pourquoi ?

Le premier document produit le 15 mars 1582 consiste en des lettres patentes délivrées en 1474 à leur « ayeul » paternel et son épouse, par la duchesse Yolande, tutrice du duc Philibert de Savoie. Les frères Dumonthay « pour la maintention de leur qualité produisent et emploient à ces fins les lettres patentes obtenues de feu très heureuse mémoire dame Yolande que Dieu absolve en son vivant duchesse de Savoie et en qualité de tutrice (...) du duc Philibert. Lesquelles lettres avoient estées concédées a feu noble Jean de Montheolo en considération de ce que feu Aymarie femme dudict feu Jehan Dumonthay avoit nourry de son propre laict ung moment (...) Bernard de Savoye, comme appert par lesdictes lettres dattées de 1474 et du 20ème juillet ».

Qu’en est-il exactement ? Tout d’abord, ce Jean Dumonthay est plus certainement le bisaïeul des frères Dumonthay [23]. Ignorent-ils leur propre généalogie [24] ? Ou retrouve-t-on à nouveau la volonté de prouver, coûte que coûte, la noblesse de deux générations de ses prédécesseurs immédiats ? Le parchemin original nous apprend qu’Aymarie, femme de Jean Dumonthay, fut effectivement la nourrice (nutricis lactis) d’un frère du duc Philibert (1472-1482), prénommé Bernard de Savoie. Celui-ci, nous apprend Foras [25], était l’un des onze enfants qu’Amédée IX (décédé en 1472) avait eu de Yolande de France. Il était né à Pignerol le 4 février

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1467 et mourut la même année, le 3 septembre (ou novembre). De quelle manière Aymarie était-elle devenue la nourrice de l’enfant Bernard de Savoie ? Le parchemin reste muet à ce sujet. Mais pour ce qui apparaît comme la récompense d’un dévouement fidèle, la duchesse Yolande, au nom de son fils Philibert, accorde perpétuellement aux époux Dumonthay le droit de se fournir en bois de chauffage (affouage) pour leurs maison et édifices (pro uso et affogio eorum hospicii ac eddifficandi) dans les bois domaniaux situés dans le Jura, au-dessus des paroisses de Saint-Jean-de-Gonville et de Péron. Et puis aussi le droit de faire paître des troupeaux (alpage) dans cette montagne. Et c’est tout. Même si ces droits représentent un intérêt économique certain, voire peut-être même le retour en grâce de la nourrice d’un prince, plus de sept ans après le décès de l’enfant qui lui avait été confié.

Ainsi nulle trace d’un quelconque anoblissement auquel on serait en droit de s’attendre lorsque l’on déplie le parchemin pour la première fois. Ni même d’une quelconque exemption de tailles. Et pourtant, recevoir un acte émanant du prince en personne vous désignant comme ses fidèles serviteurs (delectorum servitorum) ! La qualité des huit témoins de l’acte ne diminue en rien le prestige de la chose. Parmi eux figurent un évêque - celui de Verceil - le chancelier de Savoie et un maître d’hôtel du duc ! Jean Dumonthay eut là bien plus qu’un objet de fierté à exhiber. Le prince lui-même avait daigné porter son regard sur son insigne personne et sa famille, reconnaissant les services rendus. Dès ce moment, lui et ses descendants, à leurs propres yeux comme aux yeux de leurs contemporains, étaient-ils encore des gens tout à fait « ordinaires » ? Cela ne constitue-t-il pas un « bénéfice de prince » ?

Le second document produit le 15 mars 1582 est un acte de vente de 1547, plutôt insolite par sa présence, car il concerne noble Anthoine, fils de feu François du Monthey (de Montheolo), damoiseau, de Chamoson, en Valais. Sa parenté avec les frères Dumonthay nous échappe complètement, n’apparaissant ni dans l’acte lui-même, ni dans la reconstitution de la généalogie des Dumonthay de Challex que j’ai pu effectuer. En fait, son lieu de résidence et sa qualité de damoiseau incitent manifestement à croire qu’il n’est pas de la même origine, tant géographique que sociale, que les Dumonthay qui nous intéressent ici [26]. Le document est donc produit uniquement pour signifier qu’il existe des nobles homonymes d’ancienne extraction, de façon à infirmer l’origine roturière des Dumonthay, en laissant entendre que l’on se rattache à ce lignage, car être noble, c’est aussi pouvoir prouver son appartenance à une lignée (nom, blason, ancienneté) [27].

Enfin, le 26 mars 1582, via leur procureur, Me Gesson Légier, les Dumonthay produisent un extrait (copie) de la reconnaissance passée le 13 août 1557 par noble et puissant Jean de Verdon, et sa femme, noble et généreuse dame Philiberte d’Allier, fille de feu noble et puissant Claude d’Allier, au profit de Berne, au titre du bailliage de Ternier, pour leur seigneurie de La Corbière. Cet extrait fut établi par la Chambre des comptes de Savoie [28], et porte notamment sur la partie du domaine direct reconnu par le seigneur de La Corbière au titre de Ternier où sont décrits les biens tenus de lui par les Dumonthay ; tous trois – leur frère Jean est encore en vie – sont qualifiés de nobles, fils de feu noble Amédée du Monthay, et tiennent du seigneur de La Corbière des biens en emphytéose perpétuelle soit en fief lige et franc, dont l’office de châtelain

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de La Corbière. Mais comme on le voit, il ne s’agit pas de biens tenus en fief noble et sous charge d’hommage (noble), ce qui signifie que les nobles Dumonthay ne sont pas des vassaux du seigneur de La Corbière, et donc pas non plus des vavasseurs du duc au titre du bailliage de Ternier [29].

Cet aspect n’échappe pas à l’accusation, qui retourne d’emblée cette pièce contre les Dumonthay, étant portée la mention : « un extrait … par lequel appert que lesdicts déffendeurs sont tenus et réputés de la qualité de noble, sans avoir prêsté aulcung homage à qui que se soit et aultrement que plus à plain est contenu audict extrait dheument fait par aucthorité de la Chambre et expédié le 19e mars année présente ». L’absence de fiefs nobles ne permet pas la prestation d’un hommage noble, faisant d’un sujet un vassal, et donc un homme pouvant jouir de la condition noble [30]. En définitive, cette preuve s’est retournée contre eux, comme l’aveu de l’exercice du notariat, ce qui traduit toujours, à mon sens, que les Dumonthay se débattent dans une réalité juridique qui leur est étrangère et les dépasse. Peut-être cette pièce – la seule les concernant directement – a-t-elle été envisagée aussi comme un appel à leur seigneur direct, dont ils servent la lignée de longue date, et qui sert lui-même fidèlement le duc [31]. Un tel soutien serait d’autant plus utile que leur grand-père maternel, François de Gingins, ancien baron de Divonne et La Sarraz, est décédé depuis 1578 ; mais à cette époque, les nobles de Verdon ne résident pas à Challex [32].

Puis un ultime plaid signé Bernard, daté du 26 mars 1582 [33], accompagnant la dernière preuve produite le même jour, expose que « les défendeurs ont formellement protesté de la perte de plusieurs autres (de) leurs titres, ladicte perte causée par le feu, brûlement et maladie contagieuse [la peste] advenue d’ici quelques années en çà pendant l’occupation des sieurs de Berne ». Ainsi, préviennent-ils en substance, ils ne pourront pas prouver ce qui suit, à savoir qu’ils « se trouvent avoir été nobles, de plus prins alliance en maisons nobles, illustres et qualifiées » ; « feu noble Jean-Jacques Dumonthay, leur ayeul paternel, avoit esté marié à une damoiselle de la maison de Coursu » ; « que d’icelle damoiselle soit sorti feu noble Amed Dumonthay, leur père » ; « que ledict Amed se seroyt aussi marié à une autlre damoiselle de la maison de Dyvonne, maison illustre pour havoir heu cy-devant capitaynes, présidentz, et autres personnages de marque, et havoir pour le jourdhuy encour est barons, banderets et plusieurs gentilshommes ainsi que la Chambre peult savoir » ; « que ex capite materno ils sont descendants d’icelle maison Dyvonne ». Ils auraient donc au moins trois quarts de sang noble …

Et nous, que penser de cette affaire ? Quels furent les sentiments de Claude et Anthoine Dumonthay lorsqu’ils reçurent leur « assignation à comparaître » devant la Chambre des comptes. Véritables usurpateurs de noblesse, s’estimèrent-ils au plus profond d’eux mêmes découverts, ou éprouvèrent-ils au contraire un réel sentiment d’incompréhension, voire d’injustice ? Et tout d’abord, que dire des fondements de leur noblesse au regard des critères de 1580 ? C’est à dire peut-elle se fonder « sur bénéfice de prince » ou « temps surpassant toute mémoire » ?

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En 1580, leur noblesse est loin d’être immémoriale. L’origine roturière est encore dans les mémoires les plus anciennes, et des cousins Dumonthay roturiers vivent toujours dans le village - d’où peut-être l’emploi du terme « maison » faisant référence à l’ensemble des patrilignées issues d’un même ancêtre (autres termes : « race », « sang ») [34] –, en particulier une branche représentée par égrège Pierre Dumonthay, cousin issu de germain d’Amédée Dumonthay, membre éminent de la branche roturière qui poursuit sa propre politique ascensionnelle (voir généalogie n° 1). Enfin, dans les actes, la noblesse des Dumonthay s’affirme au plus tôt en 1526, exprimée pour la première fois dans un document important tant par son contenu que par le nombre et la qualité des témoins, et ce en la personne du père des codéfendeurs. Celui-ci était-il donc un noble récent, soit un « anobli », du temps de Charles III ? Reçut-il des lettres de noblesse, lui conférant l’anoblissement immédiat, contre paiement d’une finance au Trésor ?

Les frères Dumonthay ne présentèrent aucune lettre patente de noblesse émanant d’une quelconque autorité souveraine - ce qui compte tenu de l’époque eût été l’argument le plus convaincant aux yeux des officiers de la Chambre des comptes - tout simplement parce qu’ils n’en reçurent jamais, ni eux ni leurs ascendants. Leur ultime plaid, du 26 mars 1582, cite des documents détruits, mais ne mentionne pas expressément de lettres de noblesse (se contentant peut-être de laisser supposer leur existence). Par contre, il est à peu près certain que Claude et Anthoine attendaient beaucoup de l’effet que produirait la lettre patente de 1474. Il est possible en effet que dans leur imaginaire - ils doivent pourtant lire le latin, à moins que l’oralité soit encore supérieure à la connaissance écrite - elle ait pu s’assimiler à une lettre d’anoblissement. Leur père, qui passait déjà pour noble au temps de leur naissance, avait dû les élever dans l’idée que son propre père était lui aussi noble. Et enfants, combien de fois Claude, Anthoine et leur frère Jean avaient-ils dû entendre évoquer - peut-être par un vieux serviteur de la famille - le temps où leur grand-mère Aymarie nourrissait de son lait un enfant né de la fille d’un roi de France et d’un duc de Savoie ? L’imagination avait dû faire le reste.

Hormis la lettre de noblesse, l’autre « bénéfice de prince » fondateur de noblesse bientôt admis est l’exercice des hautes charges exercées au sein du Sénat et de la Chambre des comptes, cours souveraines depuis 1559 et 1560, reconnues légalement anoblissantes en 1584. Les Dumonthay, bien au contraire, exercent des fonctions châtelaines seigneuriales devenues formellement dérogeantes dès le début de la restauration d’Emmanuel-Philibert, comme nous le verrons.

Il ressort donc clairement qu’en 1580 l’origine de la noblesse des frères Dumonthay – sans plus même évoquer leur mode de vie - est infondée selon les critères du temps. A ce titre, ils furent probablement considérés comme des usurpateurs de noblesse et rejetés dans le Tiers Etat - un Tiers aisé quoiqu’il en soit -, situation qui correspondait dès lors pleinement à leur mode de vie [35]. Mais, pour autant, leur père était-il lui aussi un usurpateur de noblesse ? Celui-ci était

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qualifié de noble dans de nombreux actes publics, pas seulement au temps de l’aristocratique république marchande de Berne mais déjà avant 1536, étant alors notaire, mais aussi commissaire et procureur seigneurial, châtelain seigneurial de Divonne et de La Corbière, et même fermier du prieuré de Divonne (1531). Pouvons-nous donc nous contenter aussi de balayer d’un seul geste toute vraisemblance à cette « noblesse », à l’instar du procureur de Ville ? Ou faut-il au contraire, en historien, la comprendre et l’expliciter dans le contexte de l’époque qui vit son éclosion ?

2. Les voies de l’anoblissement au seuil de 1536

Supposons qu’Amédée Dumonthay fut réellement, en son temps, avant 1536, un noble certes très récent, un « anobli », et assurément pas un « gentilhomme » d’ancienne extraction, mais un noble tout de même, reconnu comme tel par ses contemporains. Aurait-il eu besoin impérativement d’une lettre de noblesse pour modifier son « état » ? Aurait-il pu acquérir une charge anoblissante ? A défaut, sur quels autres fondements se serait appuyée sa condition noble ? Pour répondre à ces questions, voyons quelle est, au seuil de 1536, en matière de noblesse, la situation en terre de Gex [36], limitrophe de Ternier-Gaillard et Challex.

Soulignons d’emblée un contexte de grande mobilité sociale. En 1536, la moitié des lignages ou des familles nobles de la baronnie de Gex ne voient pas leur noblesse remonter avant le milieu du XVe siècle [37]. Ce fort renouvellement s’observe en de semblables proportions en d’autres régions et vers la même époque [38]. Il est destiné à compenser les extinctions biologiques et les déchéances sociales. Plus précisément, un tiers des familles nobles gessiennes de 1536 ont accédé à la noblesse au plus tard dans les années 1480-1490 ; 15 % des familles de 1536 ont même accédé à la noblesse en la personne seulement de leur chef de feux de 1536 ; ainsi, sont dans le même cas qu’Amédée Dumonthay : Claude Favre, Jean de Crose, André Gesson, Pierre Lévrier, François Marchand, Claude Maréchal, Jean de Michaille, les frères Etienne, Claude et Claude Michaud (dont l’un d’eux, notaire, reçoit le contrat de mariage d’Amédée Dumonthay), et Nycod de Mourex [39].

La reconstitution et l’analyse des généalogies des anoblis ou nobles récents gessiens de 1536 a révélé, en premier lieu, la quasi-absence de recours aux lettres de noblesse, hormis dans un cas, celui de François Marchand, déjà secrétaire ducal de Savoie au moment de son anoblissement par Charles Quint, par lettres données de Saragosse, en Espagne, en date du 15

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avril 1529 [40]. Cela n’est pas surprenant pour l’époque, car les lettres de noblesse sont encore rares, comme nous le verrons, et ne trouvent guère preneurs que dans les villes, seules capables d’abriter les fortunes requises par un tel procédé, soit « une grosse bourgeoisie ambitieuse capable de monnayer son ambition » (J.-R. Bloch) [41]. Et très significativement, François Marchand était bourgeois de Gex, mais aussi de Genève, à l’instar de son père, et peut-être de son grand-père paternel [42]. Mais chez la plupart des candidats à la noblesse, privilégiant encore « l’œuvre de la longue durée, le lent effacement de la roture et la transformation de l’ignoble en noble au fil de trois ou quatre générations » (J.-M. Constant), la lettre de noblesse était perçue comme une « monstruosité », à laquelle on ne recourait que rarement, car elle datait trop précisément l’entrée dans le second ordre [43].

En l’absence de recours aux lettres patentes de noblesse, observable au seuil de 1536 en terre de Gex, dans un contexte extra-urbain, il a fallu comprendre en quoi étaient anoblissants les autres éléments identifiés dans les généalogies des lignages d’anoblis ou nobles récents de 1536, et quelles stratégies avaient été mises en œuvre, par eux et leurs prédécesseurs, pour leur ouvrir l’accès au second ordre.

Chez certains, l’apparition de l’avant-nom nobilis a été concomitante à la possession d’offices princiers et/ou de terres nobles ou de seigneuries haut-justicières, dont l’acquisition a eu généralement pour corollaire une alliance avec une héritière noble. Nous avons rencontré ainsi des offices de finances (Loctier – trésorier général de Savoie ; de Michaille – maître des monnaies de Nice, puis trésorier du duc de Genevois-Nemours), conduisant ensuite aux Chambres des comptes de Savoie (Loctier – maître auditeur des comptes) ou de Genevois (de Michaille – président), autorités de tutelle des finances ; des offices de ban public, châtelains ou vice-châtelains ducaux (Nycod, Vulliet, Thorens) ; des offices de secrétaires ducaux de Savoie (Michaud, Brunet, de Crose, Favre, Marchand).

Toutefois, avant 1536, aucun office n’est anoblissant, à une époque où dans les Etats de Savoie nulle charge publique n’est encore expressément définie comme telle par la loi, ni même réservée aux hommes de condition noble, comme l’observe Guido Castelnuovo [44]. Il faudra attendre la restauration savoyarde pour qu’apparaissent les premières charges anoblissantes (1584). Mais dans l’immédiat, au XVe siècle notamment, même non définis comme anoblissants, certains offices agissent comme de véritables « marchepieds » – mettant à portée, plus ou moins, des alliances dans la noblesse, avec des cadettes, ou, plus intéressantes, avec des héritières de fiefs nobles - et nous devons parler plutôt d’un pouvoir anoblissant, qui dépend directement des moyens d’action, des honneurs et du prestige que ces offices confèrent à leurs détenteurs, avec fréquemment aussi des exemptions fiscales, à l’instar de la condition noble. En

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particulier, il est ressorti que les offices de finances ou de ban public évoqués constituent la voie « royale » de l’anoblissement hors lettres de noblesse, car leurs titulaires ou leurs descendants sont apparus généralement capables de contracter – à l’extérieur de baronnie de Gex toutefois - des alliances avec des héritières nobles, qui leur ont apporté des seigneuries juridictionnelles, fiefs nobles par excellence [45].

Les offices princiers nécessitent l’acquisition préalable d’une fortune importante, généralement dans les bourgs et les cités, au moyen du négoce et de la finance. C’est le cas, en particulier, des offices de finances : le trésorier général doit être capable de consentir des avances sur ses propres deniers [46] ; le maître des monnaies est également un prêteur du prince [47]. Mais les offices de châtelains publics [48] sont également accessibles aux créanciers du prince. Sources de revenus substantiels, avant 1536, du fait de leurs attributions financières mais aussi de justice inférieure, les offices de châtelain public sont, dès le milieu du XIVe siècle, engagés ou aliénés aux créanciers du prince, et, dans le meilleur des cas, seulement affermés (loués) à leurs titulaires pour une durée convenue. Néanmoins, avant 1536, le châtelain public est aussi et avant tout le représentant direct du duc en sa châtellenie, et conserve en particulier son rôle militaire d’origine, chargé de la défense et de l’entretien du château princier ; à ce titre, il convoque aussi et commande le ban et l’arrière ban de la noblesse : on peut donc supposer qu’il n’est pas moins noble que les plus nobles de sa châtellenie.

Et ainsi, des créanciers roturiers, en plus de rentabiliser leur office de châtelain, peuvent trouver, en particulier par le biais de l’exercice des fonctions militaires et de la représentation princière, les moyens de vivre noblement, et de fréquenter les nobles de la châtellenie qui sont fréquemment aussi leurs débiteurs, au point finalement de contracter des mariages avec eux [49]. De même, si découle de ces pratiques une absence fréquente des châtelains titulaires, les pouvoirs du châtelain reviennent alors au vice-châtelain, qui habituellement se cantonne dans un rôle beaucoup plus administratif. Dans ces conditions, et surtout s’il réussit à durer dans son office – qui relève du châtelain lui-même et non pas du duc -, un vice-châtelain peut aussi devenir, de fait, le personnage-clé de sa châtellenie, comme dans le cas du roturier Jacques Nycod, vice-châtelain de Gex au milieu du XVe siècle, et fondateur du lignage.

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Enfin, nous pourrions citer parmi les offices princiers dotés d’un fort pouvoir anoblissant les offices de justice, membres du conseil résident de Chambéry (futur Parlement puis Sénat) ou juges de bailliage (futurs juges mages), dont les titulaires exercent au nom du prince une partie de ses prérogatives régaliennes ; le rôle de ces offices ne s’est pas observé dans les stratégies anoblissantes mises en œuvre en terre de Gex par les anoblis de 1536, mais ils jouent un rôle-clé dans l’ascension des Milliet notamment, dès la fin du XVe siècle, ou des Pobel, dans la seconde moitié du XVIe siècle [50], représentants éminents, un jour prochain, de la « robe ».

A l’inverse, il a été loisible d’observer que tous les offices publics n’étaient pas dotés du même pouvoir anoblissant ; celui-ci a même trouvé toutes ses limites avec l’office de secrétaire ducal : sur 13 secrétaires ducaux de la baronnie de Gex recensés entre le milieu du XVe siècle et 1536, les trois seuls qualifiés de nobles de leur vivant s’avèrent être mariés à une cadette noble (Theobald Brunet), à une cohéritière de fiefs nobles (Claude Favre), ou anobli par lettres (François Marchand) [51]. Auparavant, d’autres secrétaires ducaux avaient obtenu des lettres de noblesse de la Maison de Savoie, dès le règne d’Amédée VIII, en 1430, 1447 et 1499 [52]. Ainsi, moins que tout autre office, celui de secrétaire ducal n’était anoblissant.

En second lieu, il est ressorti des parcours anoblissants faisant appel à des moyens plus « modestes » de parvenir, observables chez certains anoblis ou nobles gessiens récents de 1536. Avant l’effondrement des Etats de Savoie, en 1536, le mode d’anoblissement le plus fréquemment employé était encore essentiellement « taisible », c’est à dire « silencieux » [53], laissant au temps le soin de faire oublier progressivement toute tache de roture.

Ainsi, des notaires [54], sans avoir détenu d’offices princiers, ni contracté initialement d’alliance noble, ont pu acquérir des fiefs par le biais du prêt d’argent à des nobles, que la nécessité de tenir leur rang rend dispendieux, et qui se retrouvent, au fil des décennies, de plus en plus endettés à leur égard, avant d’être contraints de leur céder des biens nobles, d’importance et de prestige moindre d’abord, telles les rentes nobles, puis des terres nobles. Dans certains cas, le mariage de l’héritière au principal créancier roturier du lignage permet d’éviter tout scandale lié à une faillite, d’autant plus que, compte tenu du rang moindre de l’époux, il est aisé de lui imposer l’abandon de son patronyme, à charge pour lui de relever le nom et les armes de son épouse (cas gessien des Carrier dits de Lugrin), permettant ainsi de perpétuer un lignage virtuellement en faillite sans provoquer de remous extérieurs.

D’autres anoblis de 1536, ou leurs prédécesseurs, dépourvus non seulement d’offices princiers mais possédant très peu de fiefs nobles, ont fait fructifier un capital de prestige initial que peut constituer une alliance avec une cadette noble, voire une illégitime. Moins « sensibles », car n’apportant pas de fiefs nobles, de telles alliances se sont avérées possibles à l’intérieur même des limites de la châtellenie-baronnie. Elles s’observent fréquemment au

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XVe siècle et au début du XVIe siècle dans le royaume de France également [55]. Ainsi, en terre de Gex, une alliance avec une veuve, puis une cadette, sur deux générations successives (Perrissod), une alliance avec une cadette (Janin), voire avec une illégitime puis une cadette (Gesson) ou avec une illégitime (Lévrier) [56], sont apparues aptes à conforter efficacement les futures aspirations à la condition noble émises un jour par les enfants qui en ont été issus et dont a « bleui » le sang, vecteur d’une partie de la virtus des lignages maternels.

Enfin, chez les prédécesseurs d’autres anoblis de 1536, le poids local a été consolidé par le service princier. « Même » comme tailleur (du Saix alias Septimoz) ou chambrier (Michaud), ces hommes peuvent être amenés à rencontrer personnellement le duc - encore relativement accessible avant l’instauration d’une étiquette de type royal sous Emmanuel-Philibert [57] - ou leurs épouses vivre à la cour comme nourrices des enfants ducaux (Nycod). Pour le servir, ils avancent de l’argent (ou accordent des crédits), se faisant concéder ensuite certains avantages en compensation : exemptions de subsides, albergements de biens domaniaux (Michaud, Gesson). En ce cas, la possession d’une lettre patente émanant du duc et des hauts dignitaires de son conseil peut devenir source d’un prestige inouï, y compris vis à vis des descendants de ces hommes.

Tôt ou tard, ces hommes ne manqueront pas de se prévaloir de leur parentèle ou ascendance noble, ou du prestige de la faveur ducale, notamment à l’égard des membres de la communauté villageoise à laquelle ils appartiennent encore mais contre laquelle ils doivent déjà aussi entrer en opposition, lors du passage du percepteur des tailles ducales. Ajouté à leur réel poids local, ils se sentent un jour suffisamment forts pour se faire qualifier de nobles dans un acte notarié important, affirmant publiquement leurs prétentions à vivre noblement, puis refusent désormais de verser leur quote-part de taille, usant de violence et d’intimidation si nécessaire, ou négociant, pour reporter sur le reste de la communauté le poids de leur exemption [58].

Mais en tous les cas, à terme, quelle que soit la voie empruntée, la possession de fiefs nobles, assortie de la prestation de l’hommage noble faisant d’eux des vassaux – et donc des nobles à part entière, selon une définition vassalique princière de la noblesse, concept prévalant depuis Amédée VIII assurément [59] -, est le moyen le plus sûr de pérenniser la condition noble nouvellement acquise, c’est à dire de transformer durablement des prétentions à vivre noblement

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en une véritable condition noble, en donnant une tournure militaire à son genre de vie, au moins en participant aux « assemblées de la noblesse pour le fait de la guerre », ou ban-et-arrière ban, réunissant les feudataires nobles, et en fusionnant avec la noblesse vassalique et ses valeurs guerrières et militaires mises au service du prince [60].

Or, certains de ces nouveaux nobles, faute de disposer de la puissance et de la richesse des officiers, ou de certains notaires ou marchands, restent dépourvus de ces fiefs, et leur prestige nobiliaire reste ténu (Gesson, Janin, du Saix alias Septimoz, etc.). A défaut, leur noblesse reste dangereusement sujette à critique, de la part de nobles anciens, à l’occasion d’un procès les opposant à eux, ou de la part de leur communauté d’habitants. Toutefois, avant 1536, le groupe nobiliaire est encore relativement ouvert, et pour les roturiers assujettis à l’impôt direct, la situation démographique et économique est encore supportable. Ainsi, globalement, la pression de la société et du prince sur les postulants à la noblesse est encore faible, en regard des périodes à venir, ce qui peut expliquer aussi les pourcentages relativement élevés de nobles rencontrés alors.

3. L’accession des Dumonthay à la noblesse

Pierre Dumonthay, bénéficiant de la « faveur » ducale de Jean Dumonthay – qui est plus probablement assimilable à son père qu’à son frère Jean-Jacques, prénommé parfois seulement Jacques [61] -, est possiblement le premier de la famille à accéder au notariat, à la fin du XVe siècle [62]. Dès 1513, puis en 1527 encore, il est commissaire aux extentes du seigneur de La Corbière [63]. En 1495, le 8 avril, il figurait déjà au nombre des témoins de la reconnaissance de ce dernier, au titre de Gex, pour sa maison-forte de Livron [64].

Ce même Pierre Dumonthay épouse, à une date indéterminée, noble Andrée de Civin (veuve en 1537), issue d’un ancien lignage faucignerand, originaire de la paroisse de Pers-Jussy (Haute-Savoie) [65]. Comme dans le cas probable d’Amédée Dumonthay, vis à vis de François de Gingins, des dettes des Civin à l’égard de Pierre Dumonthay sont peut-être à l’origine de cette alliance dans la noblesse, mais plus certainement aussi des liens complexes de solidarité entretenus et réitérés au cours des générations successives entre plusieurs lignages et familles (généalogie n° 2). Ce mariage l’apparente en effet aux nobles Perrissod, de la branche de Challex,

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puisque l’un d’eux épouse aussi une Civin, en 1518 [66]. Mais les Perrissod – dont la situation financière est peut-être déjà fragile - sont eux-mêmes issus de la dernière des Livron de Challex, noble Françoise de Livron. Or la branche bâtarde des Livron de Challex [67] donne également une épouse à un membre d’une autre branche des Dumonthay : en 1515, Eymard, fils de feu Mermet Dumonthay [déjà décédé en 1478], épouse Françoise, fille de feu Bertrand de Livron [arrière-petite-nièce de Françoise de Livron]. Ainsi se retrouvent sur un même pied, du moins pour quelques temps encore, ceux qui montent et ceux qui descendent dans la société, moyen de favoriser certains qui, en contrepartie, freineront la chute, par le biais d’échanges subtils de capitaux – capitaux de prestige, pour les uns, en situation de déclin économique, capitaux économiques ou relationnels pour les autres, en situation d’ascension -, dans lesquels tous doivent plus ou moins trouver leur compte.

Par ailleurs, à l’occasion du mariage de 1515, apparaît Clément Dumonthay, prêtre [68] ; en 1517, messire Claude Dumonthay est recteur de la chapelle de la Bienheureuse Vierge Marie, en l’église Saint-Maurice de Challex, dont le patron est noble Jean Perrissod [69]. L’apparition quasi-simultanée de notaires et de prêtres traduit l’accession au savoir de riches familles paysannes, via l’état commun de clerc. Ensuite, certains clercs restent laïcs, et peuvent se marier, tandis que d’autres se destinent à l’état ecclésiastique, d’où la présence simultanée, à un moment donné, de notaires - formant bientôt des lignées distinctes de celles de leurs cousins paysans – et de prêtres ; cette bicéphalité est non seulement l’expression des deux versants du savoir, mais permet une diversification des activités, une augmentation de surface sociale, contribuant in fine à renforcer le pouvoir local de ces familles [70].

Pierre Dumonthay ne semble pas avoir eu de descendance et dut former au notariat son neveu Amédée, dont il est possiblement le tuteur dès 1502, Jean-Jacques Dumonthay étant alors déjà décédé [71]. Amédée Dumonthay succédera également à son oncle dans sa charge de commissaire seigneurial [72]. Comme lui, on l’a vu, il contractera une alliance dans la noblesse d’extraction, mais dans un lignage plus prestigieux que celui des Civin.

François de Gingins, qui va devenir le beau-père d’Amédée Dumonthay, appartient à l’un des lignages chevaleresques les plus anciens de la région – attesté depuis les années 1120 - et aussi l’un des plus prestigieux. Il est fils, et héritier (1522), de François de Gingins, baron du Châtelard (paroisse de Montreux, en Pays de Vaud), chef d’une branche cadette de ce lignage originaire de Gingins (Vaud), non loin de la baronnie de Gex, en son vivant châtelain de Chillon et de la Tour-de-Peilz (Vaud) pour le duc de Savoie. Par sa mère, Bonne de Gruyère, François de

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Gingins est petit-fils du comte Jean II de Gruyère (comte de 1514 à son décès, en 1539) et le neveu du futur et dernier comte de la lignée, Michel de Gruyère (comte de 1539 à 1554, décédé en 1576). Oncle et neveu passèrent plusieurs années à la cour du roi de France, dans les années 1520 [73].

Dès 1527, à l’instar de son oncle maternel, François de Gingins sera membre et l’un des chefs de la Confrérie de la Cuiller, ligue nobiliaire ayant regroupé durant plus de huit années (1527-1535) la fine fleur de la noblesse d’extraction, pour la plupart seigneurs haut-justiciers ou barons, détenteurs des rouages du ban et arrière-ban, qui s’étaient donnés statutairement pour objectif de contraindre Genève, par tous les moyens, à rentrer dans l’obéissance du duc de Savoie. La Cuiller, agissant au nom de Charles III, avait disposé de ses propres troupes, ayant même assiégé Genève (octobre 1530), et superposé, sinon substitué, sa propre « organisation » aux cadres légaux de l’administration territoriale ducale en Pays de Vaud, Gex, Chablais, etc. Liberté (encore) de la noblesse d’avant 1536, lorsque le noble, vassal avant tout, épris de valeurs chevaleresques (recherche de la prouesse, des hauts faits d’armes, etc.), pouvait encore considérer son suzerain, le duc, comme son duc, premier des nobles de ses Etats, que l’on doit servir coûte que coûte, même contre son gré s’il le faut [74].

On ignore précisément les liens unissant Amédée Dumonthay et son futur beau-père, François de Gingins ; peut-être Amédée Dumonthay avait-il été un créancier important de François de Gingins [75], lui étant assurément précieux et utile à un titre ou à un autre pour que celui-ci lui donne une illégitime [76]. Notons que Pernette de Gingins est certainement très jeune, car son père serait né en 1506 [77] : elle aurait donc à peine une dizaine d’années à son mariage, alors qu’Amédée Dumonthay en a au moins une trentaine, étant même probablement plus âgé que son propre beau-père ! Qu’importe pour l’époque, où ces situations ne sont pas rares : le mariage sera consommé plus tard ; dans l’immédiat, il permet d’ors et déjà à François de Gingins, du fait de l’infériorité de qualité de son gendre, d’intégrer Amédée Dumonthay à sa propre clientèle, sinon à sa parentèle [78].

De même, en 1526, François de Gingins vient tout juste de réaliser un beau mariage (1525) avec sa petite-cousine Marguerite de Gingins (qui décédera en 1537). Celle-ci est l’héritière de la branche aînée du lignage, fille unique d’Anthoine de Gingins, seigneur de Divonne et ancien président du conseil ducal, fils lui-même de Jacques de Gingins, en son vivant seigneur de Gingins et de Divonne, conseiller, chambellan et maître d’hôtel du duc de Savoie. Ainsi, moins d’un an après son propre mariage – qui permet au fief de Divonne de rester en possession du lignage [79] - il devait convenir à François de Gingins de marier à son tour sa fille illégitime, peut-être pour des questions de « convenance », mais certainement aussi pour lui

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faire bénéficier du confortement de sa propre situation, en la mariant à un niveau social relativement élevé compte tenu de son origine illégitime, et avec la volonté de lui donner les moyens de conserver sa condition noble [80].

François de Gingins constitue à sa fille une dot de 1000 florins or petit poids, dont 300 payables de suite, puis 100 par an jusqu’au terme du paiement, plus son trousseau nuptial, estimé à 300 florins ; Amédée Dumonthay effectue quant à lui un augment de dot (montant non précisé) en faveur de son épouse. La dot a pour corollaire social que son montant est proportionné au rang et à la richesse du mari qui l’accepte [81]. A titre de comparaison, la dot de l’épouse de Theobald Brunet, secrétaire ducal, avait été de 600 florins en 1514, et celle de l’épouse de Jean Perrissod, de 400 florins en 1518. Les conséquences de l’entrée d’Amédée Dumonthay dans la parentèle des Gingins s‘apprécient aussi au plan social et économique.

Dans les années suivant son mariage, Amédée Dumonthay consolide sa position et sa fortune. En particulier, il acquiert deux offices de châtelain seigneurial [82]. Ainsi est-il châtelain de Divonne dès 1531 [83], et détient encore cet office en 1550 « à sa vie durant », estimé alors à 100 florins [84]. De même, Amédée Dumonthay est châtelain de La Corbière dès 1532 [85]. Il a acquis cet office auprès de Claude d’Allier qui, dans un premier temps, le lui a « albergé » (vendu) pour « sa vie durant », contre le paiement d’une « introge » [86] de 100 florins et un cens annuel de 1 sous vieux ; dans un second temps, par instrument public du 14 décembre 1541, reçu par le notaire Barbier, de Challex, et loadé par le « seigneur germain » Hensh, bailli de Ternier, l’avant dernier jour de février 1542, Claude d’Allier a fait « concession dudit premier albergement audit … du Monthay et es siens hoyrs et successeurs », ayant donc rendu l’office héréditaire, sous une nouvelle introge de 200 florins [87]. En 1550, l’office est estimé 300 florins, ce qui correspond à son prix d’achat total.

Concomitamment à l’acquisition de ses offices, Amédée Dumonthay développe sa fortune, en particulier au tout début des années 1530, époque à laquelle il est également fermier du prieuré de Divonne (1531), plaçant une partie du revenu de ses activités notariales et châtelaines, et disposant aussi des versements dotaux annuels, sous forme de terres (roturières), mais indéniablement aussi sous forme de prêts à intérêts, comme il ressort des preuves fournies par ses fils, qui sont pour la plupart des actes de vente à son profit avec droit de réachat, voire des actes de cession de biens à son profit. Au cours du temps, les débiteurs d’Amédée

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Dumonthay sont des personnages de plus en plus importants : par exemple, discret Jean-François Machon, de Pouilly, qui lui fait don de tous ses biens en 1534 (lod de 1535, du vivant du donateur), puis noble Claude Michaud, de Gex, qui lui vend la moitié de ses biens en 1534, avant que le reste de ceux-ci, à l’issue de son décès survenu entre 1534 et 1540, ne soient attribués à son créancier par jugement de la cour de Gex ; enfin, lorsque, vingt ans après son mariage, Amédée Dumonthay évolue dans l’entourage du comte Michel de Gruyère – grand-oncle de son épouse – qui lui donne procuration pour agir en son nom, le 29 mars 1552, certainement est-il un créancier de cet homme notoirement endetté dont le comté sera finalement saisi judiciairement par Berne et Fribourg, en 1554-1555.

Mais plus que tout autre chose, on peut estimer que ce mariage « apporta » la noblesse à Amédée Dumonthay. Non pas que François de Gingins obtînt une quelconque lettre d’anoblissement pour son gendre - les fils de celui-ci n’en produisirent jamais au procès - mais bel et bien parce qu’il fut considéré noble, et fils de noble comme le laisse entendre le contrat dotal de 1526, par le groupe nobiliaire lui-même, soit le lignage des Gingins, seigneurs haut-justiciers et bannerets alliés dans la noblesse titrée, leurs clients et d’autres nobles proches d’Amédée Dumonthay, tous témoins de l’acte [88].

Ainsi, au vu du contexte nobiliaire d’avant 1536 observé dans la châtellenie-baronnie de Gex, Amédée Dumonthay est bien un anobli, soit le premier noble issu d’une famille roturière s’agrégeant à la noblesse par anoblissement taisible, sans lettres de noblesse. L’idée de cette noblesse finit par s’imposer à ses contemporains après un travail de plusieurs décennies, ayant mobilisé les efforts de plusieurs générations, effort auquel il a pris lui-même une part très active, tout en les capitalisant sur sa tête. La noblesse est l’aboutissement logique d’une première phase ascensionnelle à l’intérieur du Tiers ; elle s’affirme sous Amédée Dumonthay, à l’occasion d’un acte notarié important, en 1526 [89]. Une première alliance noble, moins prestigieuse, avait déjà été contractée par son oncle, mais elle intervenait encore trop tôt en terme de parcours social pour permettre d’affirmer une quelconque prétention à vivre noblement, et a fortiori un mariage avec une descendante d’un bâtard des Livron. Mais tout est affaire de construction, et la lenteur est une garantie de durabilité, permettant l’effacement - par l’oubli - des origines un jour roturières, réduisant de plus en plus la prise aux possibles contestations de cette nouvelle noblesse par les tiers (communautés d’habitants, nobles anciens).

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En 1526, quels sont les éléments de prestige nobiliaire observables chez Amédée Dumonthay ? On ne lui connaît pas de fiefs nobles, lui permettant de donner une tournure militaire à son genre de vie : les biens vendus par Claude Michaud, en 1534, sont des biens paternels roturiers, reconnus comme tels en 1532, au titre de Gex [90] ; les biens échangés en 1540 par Etienne Michaud, pour éteindre définitivement les dettes de son frère, provenus du lignage de sa femme, les Bourdigny, semblent également roturiers, tant ceux mouvant de Gex que de Genève [91].

Par contre, l’office de châtelain seigneurial, propre aux seigneuries juridictionnelles, est très probablement calqué sur celui de châtelain public, faisant de son détenteur le représentant direct du seigneur en sa seigneurie, à l’instar du châtelain public, représentant omnipotent du duc jusqu’en 1536. Au titre de ses fonctions châtelaines, Amédée Dumonthay est amené à servir et représenter de grands seigneurs régionaux, auxquels il est déjà lié de longue date (Allier), ou par mariage (Gingins), et qui possèdent de vastes réseaux de relations, notamment vaudois, gessiens et fribourgeois.

Certes Amédée Dumonthay est notaire, mais il use désormais de son art au service de « grands noms » de la noblesse régionale ; noble Amédée Dumonthay agit comme procureur de noble et puissant Claude d’Allier, seigneur du Rosey et du mandement de La Corbière, pour sa reconnaissance au titre de Gex du 5 novembre 1532 (pièce non fournie par ses fils) [92]. Un tel service est alors honorable, et nullement dérogeant [93]. De même, au XVe siècle déjà, le notariat s’observe, de proche en proche, chez des nobles plus anciens, mais alors peu fortunés, qui trouvent eux aussi les moyens d’exercer cet art de manière honorable, au service du prince, comme vice-châtelains de Gex (Sauvage, Feissol, Fernex) [94].

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Enfin, si Amédée Dumonthay prend à ferme des biens ecclésiastiques, tel le prieuré de Divonne (1531) [95], cette activité se pratique, avant la Réforme, par les ecclésiastiques eux-mêmes.

Conséquence de ses diverses activités, en 1550, noble Amédée Dumonthay dispose d’une fortune confortable ; inscrit en seconde position sur le rôle de la taille bernoise pour Ternier-Gaillard, juste après son seigneur, il détient 5 767 florins (petit poids) d’actifs nets imposables [96]. En particulier, sa maison, grange, gerdil et vigne sont estimés à eux seuls 1 200 florins. A titre de comparaison, la maison-forte (dite de Livron) de noble et puissant Jacques d’Allier, seigneur de La Corbière, incluant grange, verger, prés, terre et cheneviers contigus, est alors estimée 3 000 florins, tandis qu’une maison ordinaire l’est à une ou deux centaines de florins.

En terme de revenus, si nous estimons ceux-ci à 5 % des biens fonciers [97], Amédée Dumonthay dispose d’environ 300 florins annuels au titre de Ternier-Gaillard, auxquels s’ajoutent 5 % de 3 500 florins des biens genevois non imposés en 1550, soit 175 florins, et donc d’un total de 500 florins de revenus annuels, soit plus de 200 livres tournois en considérant que 2,5 florins de Savoie se changeaient alors contre 1 livre tournois [98]. Il s’agit probablement d’un revenu minimum, car ces estimations s’entendent hors revenus « professionnels » (procureur, commissaire d’extentes et châtelain seigneurial, prêteur), non estimés en 1550 du fait de l’assise encore purement patrimoniale et matérielle du rôle, et hormis d’autres biens détenus éventuellement ailleurs.

Des comparaisons sont également possibles avec les fortunes des nobles gessiens de 1550 (biens nobles et roturiers comptés ensemble) [99]. Des anoblis récents de 1536, les deux plus riches sont noble Etienne Michaud, avec qui Amédée Dumonthay a transigé en 1540 au sujet des biens de son frère, qui dispose en 1550 de 6 255 florins d’actifs réalisables, sans dettes, et noble Gaspard de Crose – pas encore devenu seigneur de la Bâtie-Beauregard – détenant 6 554 florins d’actifs nets. Leurs actifs réalisables sont comparables à ceux de certains nobles d’ancienne extraction, tels les Seyturier, Rossillon, seigneur de Saint-Genis, Montchenu, seigneur de Pierre, Allier dits de Visques et Gribaldi, seigneur de Farges, détenant entre 6 536 et 6 055 florins (plus presque toujours aussi des biens hors baronnie, avec souvent, il est vrai, des dettes supérieures à leurs actifs).

Au-dessus d’eux, en matière de fortunes nobles, seuls quatre seigneurs haut-justiciers et le possesseur de la maison-forte de Tournay sont plus fortunés, mais deux sont surendettés, dont François de Gingins, beau-père d’Amédée Dumonthay, qui est le plus fortuné des nobles de la baronnie, mais aussi le plus endetté. En 1550, il disposait, avec ses seuls biens gessiens, de 17 943 florins d’actifs réalisables, pouvant donc compter sur près de 900 florins de revenus annuels ; toutefois, il est endetté de près de 28 000 florins. A Challex, dans le bailliage de Ternier-Gaillard, noble et puissant Jacques d’Allier, seigneur de La Corbière, et possesseur de la

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maison-forte de Livron, détient des actifs nets de 11 148 florins, mais ses dettes se montent à 4 572 florins [100]. En dessous d’eux, les fortunes des nobles d’extraction peuvent s’abaisser jusqu’à 740 florins d’actifs réalisables (254 florins d’actifs nets) pour Claude de Dompmartin (Greny).

Ainsi, Amédée Dumonthay est sans conteste très riche, entendons l’un des habitants les plus riches de la campagne environnant Genève, nobles et roturiers confondus [101].

Au vu de ce qui précède, on peut donc également considérer que Claude et Anthoine Dumonthay sont nés nobles, à la fin des années 1530 au plus tôt, car issus d’un père noble selon les critères du temps (anobli par agrégation), et même d’une mère noble, fille illégitime d’un grand seigneur. Eux-mêmes en sont intimement conscients, et le restent leur vie durant, ce qui explique leur persistance, depuis 1567, à se prétendre nobles alors que toutes les apparences sont désormais contre eux. Toutefois, lorsque décède leur père, entre 1555 et 1557, à un âge avancé d’environ 60-70 ans, alors qu’eux-mêmes ont déjà environ 20 ans (ce qui constitue un facteur de pérennité a priori), il leur incombait de poursuivre leur assimilation à la noblesse, en donnant une tournure plus militaire à leur genre de vie, via l’acquisition et la possession de fiefs nobles dont semble être resté dépourvu Amédée Dumonthay. Cela leur aurait été d’autant plus aisé qu’ils étaient issus d’une mère noble, quoique illégitime, et que leur sang avait donc déjà bleui ; et il aurait bleui plus encore (à l’instar des Perrissod notamment), moyennant une nouvelle alliance dans la noblesse, qui aurait pu favoriser aussi l’acquisition de fiefs nobles, sans compter la situation matérielle florissante délaissée par leur père. Mais, en matière de noblesse, le contexte avait changé dans les trois bailliages conquis par Berne en 1536, et les fils d’Amédée Dumonthay ne connurent que l’administration bernoise, dès leur plus jeune âge.

4. Particularismes des bailliages de Gex, Ternier-Gaillard et Thonon à l’époque bernoise (1536-1567)

En 1550, dans les bailliages conquis en 1536, les Bernois imposèrent tous leurs « subjectz », tant immédiats que médiats, ainsi que les hommes de l’omnimode juridiction (sauvegardes) ; c’est déjà le principe des subsides savoyards, mais la nouveauté réside dans le fait qu’ils imposèrent aussi les nobles, ainsi que les ecclésiastiques (cas des pasteurs) [102]. De même, les Bernois imposèrent non seulement les biens roturiers, ce qui est normal compte tenu précisément de leur nature roturière, mais aussi les biens nobles [103], ce qui était radicalement novateur. Sur ces bases, les assujettis furent taxés au taux de 1 % de la valeur nette de leurs avoirs exprimée en florins. Par son caractère universel, cette taille semble être la transposition directe d’un concept urbain, réalisée à l’échelle d’une contrée rurale entière. Mais en fait, sous Berne, le principal privilège de la noblesse que constituait l’exemption fiscale disparaît

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dès 1536 [104]. Dès lors, pourquoi ne pas se livrer à des activités lucratives et porteuses, dans un contexte de hausse des prix, à l’instar des roturiers, sans plus risquer de déroger ?

Sous Berne, république marchande, ayant de surcroît adopté la Réforme en 1528, l’enrichissement par le négoce n’est nullement réprouvé. Et même si la pratique d’activités commerciales ne fut peut-être pas générale chez les nobles, elle a pu tenter plus particulièrement des anoblis de fraîche date, ceux aux fortunes ténues, éprouvant des difficultés à abandonner toute activité lucrative, quant aux plus riches, ils hésitèrent désormais à risquer leur fortune en faisant le « saut » dans une vie noble, comme ce fut le cas d’Urbain Marchand ; fils de François Marchand, anobli par lettres en 1529, et de sa seconde épouse, Jeanne Vignod, issue d’un lignage agrégé de longue date à la noblesse vassalique, seigneurs de Chanay (Ain) [105], Urbain Marchand s’orienta vers « la marchandise de drap et charrette de voyture dont il perçoit gain ordinaire » (1568) [106] ; il fut également plusieurs fois cosyndic de Gex (1563, 1569), comme son père avant lui (1536) [107]. De même, si le notariat est déjà pratiqué avant 1536 par des nobles ou des anoblis, moyennant une certaine discrétion toutefois, sous Berne il n’est plus aucune raison de se cacher. Durant cette époque, Amédée Dumonthay était à la fois noble, notaire et châtelain seigneurial. A son décès, après 1555, ses fils reprirent tout naturellement l’une et l’autre de ses activités, sans déroger aux yeux de Berne, prenant également des biens nobles à ferme (vers 1565) [108].

D’autre part, les possibilités d’acquérir des fiefs nobles s’accrurent pour les roturiers. L’endettement chronique de certains nobles n’était pas nouveau mais, pour une fois, le pouvoir en place ne les a pas soutenus, ne freinant plus les ardeurs de leurs créanciers, mais les lâchant sur eux au contraire, certainement en stricte application du droit, et ce, d’autant plus qu’il ne devait pas trop coûter à Berne de voir malmener des nobles qui, lorsqu’ils n’avaient pas pris part à la Confrérie de la Cuiller, ont dû rester majoritairement attachés au catholicisme – et partant, au duc en exil – à l’instar des frères Gabriel et Aimé de Saconnex, de Vesancy, qui quitteront définitivement la terre de Gex sous Berne pour fait de religion, vendant leurs biens, en 1555, à égrège Louis d’Arbigny, marchand et bourgeois de Gex [109].

On observe ainsi, dans les terriers de la baronnie de Gex des années 1550, ce que l’on peut qualifier de « valse des fiefs ». Toutefois, les ennuis indubitables de certains de nobles, aux prises avec leurs créanciers, ne sont pas généralisables à l’ensemble de la noblesse. Certes, les biens lâchés à des créanciers locaux ne se limitent plus au simples rentes, comme avant 1536, mais lorsqu’il s’est agi de fiefs plus importants (seigneuries juridictionnelles de la Bâtie-Beauregard, Divonne ou Grillly), ceux-ci furent rachetés par des nobles d’ancienne extraction ou des anoblis plus ou moins anciens, à l’exception de la maison-forte de Vesancy, sans droit de haute justice, vendue à égrège Louis d’Arbigny. Les solidarités lignagères ont même parfois

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nettement joué, comme dans le cas de Divonne [110]. Au total, en première approche, il semble que l’on ne puisse pas parler de véritable crise de la noblesse gessienne [111]. Mais indépendamment de cet aspect, qui devrait être examiné plus avant, très symptomatique est le traitement juridique de ces mutations, au regard du droit féodo-vassalique.

En effet, bien qu’imposant nobles et biens nobles, Berne a maintenu les trois conditions juridiques des biens de la mouvance gessienne et des sujets ou vassaux de Gex : taillable, franche et noble. Partant, les pratiques juridiques antérieures, mises en œuvre lors d’incompatibilités survenant entre la condition des biens et des acquéreurs, ont continué de jouer pleinement avec, à la clé, de substantielles rentrées pour le Trésor bernois procurées par l’encaissement, outres des lods, des finances des « assuffertations », « dilations » ou « rémissions » des « charges d’hommage » requises au titre de la possession des biens eux-mêmes – soit l’entérinement de décalages entre nature juridique des biens et conditions de leurs possesseurs en différant à l’infini la prestation de l’hommage dû au titre des biens eux-mêmes, et de même nature qu’eux, gelant donc l’exécution des contreparties féodales contre le versement d’une finance compensatrice -, et des finances des « réductions de fief » - soit la modification de la nature juridique des biens, effectuée généralement dans le sens d’une adaptation de celle-ci à la condition de leurs possesseurs [112].

En particulier, de manière très significative, Berne dispensa systématiquement, contre finance, les acquéreurs roturiers de biens nobles de satisfaire à la charge de l’hommage noble attachée à la possession de ces biens, même lorsque ces acquéreurs sont qualifiés de « nobles » dans leurs reconnaissances de fief reçues par Berne. Cette pratique systématique – équivalente au droit français de franc-fief - dénote l’absence totale de volonté, de la part de la puissante république, d’obtenir de nouveaux vassaux nobles par anoblissement de roturiers acquéreurs de biens nobles : Berne dispose en effet de milices composées de ses sujets et de ses citoyens, moins nombreux, de condition libre, portant à ce titre les armes ; cela peut signifier aussi que le ban et l’arrière-ban d’avant 1536 a été supprimé. Moins systématiquement, Berne, en plus de l’assuffertation de (la charge de) l’hommage noble, a parfois procédé à des « réductions de fief noble à fief franc », leurs faisant donc perdre leur nature noble – les convertissant en censives -, avec création d’une sufferte annuelle (sufferte-cens), marquant la déchéance du fief.

Ainsi, il dut se produire une dévaluation des valeurs féodo-vassaliques, sous-tendues par la possession de fiefs nobles, qui constituaient avant 1536, au moins du point de vue du pouvoir

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princier, l’essence même de la condition noble. Sous Berne, les roturiers durent surtout poursuivre les biens nobles pour leur seule valeur économique, non négligeable (du point de vue agricole notamment), voire les avantages qu’ils conféraient, parfois exorbitants aux mains de marchands [113]. Néanmoins, l’avant-nom « noble » perdure, chez les nobles et les anoblis d’avant 1536, voire apparaît chez de nouveaux individus, dans le rôle de la taille de 1550, et / ou dans leurs reconnaissances des années 1550 au titre de Gex. Et pour mieux cerner les évolutions du concept de noblesse, il est alors intéressant d’établir un profil socio-économique de ces derniers.

Certains nouveaux nobles de la période bernoise sont bourgeois de Gex (Colognier, Comte, Tavernier). Excepté Jean de la Grave (Logras), qui exerce comme métral ou officier, soit comme huissier, ayant acquis l’office de métral de Saint-Jean-de-Gonville (fief noble), et tient taverne, tous sont notaires, issus de lignées de notaires, ayant compté parfois déjà un secrétaire ducal dans leurs rangs avant 1536 (Arbalestier, Colognier, Emeri). Une partie d’entre eux sert Berne comme châtelain de Gex [114] : Jean Tavernier (avant 1544), Jean Comte (-1543-déjà plus en 1550), Pierre Arbalestier (-1556-1565-). L’attachement politique paraissant indissociable de l’attachement religieux, et la pratique des affaires difficilement dissociable du milieu urbain, ils resteront protestants et versés dans les affaires, quitte à s’exiler à Genève après 1567 pour certains d’entre eux [115].

D’autre part, la plupart des nouveaux nobles de la période bernoise sont riches en regard des fortunes gessiennes. En 1550, le plus fortuné d’entre eux, Jean Comte (Gex), détient 10 630 florins d’actifs, sans dette ; en rajoutant les deux feux de ses cousins, Michel Comte (4 500 florins d’actifs nets), et messire François et Jean Comte (3 501 florins d’actifs nets), les Comte – issus d’affranchis de taillabilité personnelle en 1490 [116] - détiennent près de 20 % des actifs nets imposables sur les feux du bourg de Gex intra muros [117]. De même, en période bernoise (voire avant 1536 pour les Emeri), tous acquièrent des fiefs nobles (terres, artifices, rentes, dîmes et offices de basse justice) auprès de nobles d’ancienne extraction endettés à leur égard ou auprès de leurs associés (seul le cas des Arbalestier est non avéré) ; leurs reconnaissances des années 1550 font état des jugements rendus en leur faveur par la justice bernoise, ayant conduit à la subhastation (saisie judiciaire) de leurs débiteurs. Dans une moindre mesure, ces nouveaux

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nobles acquièrent des biens ecclésiastiques, sécularisées dès 1536, puis albergés (vendus) dès l’année 1539 [118].

A première vue, nous sommes donc en présence des élites intellectuelles et affairistes des bourgs, converties spontanément au protestantisme, à l’instar des artisans, décrites par ailleurs [119]. Mais ceux-là, en particulier, sont « nobles » parce que les plus en vue du régime bernois et, certainement aussi, en regard de critères nouveaux de « citoyenneté » qui ne doivent pas manquer d’émerger, sous les apports conjoints de valeurs urbaines, protestantes et « suisses ». En particulier, la noblesse civile, basée sur l’exercice de charges publiques éminentes au service de la communauté, existe déjà à Genève depuis le milieu du XVe siècle (« noblesse des syndics »), et semble faire son apparition dès 1536 dans les bourgs conquis par Berne, tels que Thonon [120] ou Gex. Cette noblesse est dépourvue d’exemption fiscale ; de même, ceux qui en sont revêtus semblent priser tout autant d’autres avant-noms non moins honorables à leurs yeux ; tel que celui de « commandable » (Tavernier, Dufour), nec plus ultra des avant-noms de la hiérarchie des honneurs de la marchandise et du labeur, apparu vers le début du XVIe siècle à Genève, puis en terre de Gex sous Berne ; il est supérieur à celui de « honorable », qui qualifie des bourgeois de Genève notamment, lui-même supérieur à « honnête », décerné à des artisans ; « commandable » peut se comparer à « spectable », avant-nom décorant à l’époque l’élite intellectuelle des docteurs, supérieur à ceux de « égrège », « discret » et « provide », attribués aux notaires ou autres « lettrés » (lisant le latin) passés par l’état de clerc [121].

Enfin, à côté des nobles de style nouveau, d’autres hommes présentent les mêmes caractéristiques socio-économiques, mais ne sont jamais qualifiés de noble de leur vie dans les documents officiels bernois de la baronnie ; c’est le cas d’égrège Pierre Poncet, bourgeois de Gex – commissaire aux extentes de la baronnie maintenu en 1536 par Berne, décédé en fonction en 1550 - puis ses fils ; égrège Louis d’Arbigny, marchand, bourgeois de Gex ; maître Durand Cornu, curial de Vanchy. Recherchaient-ils même la noblesse, si occupés à la pratique des affaires ?

Toutefois, certains nobles n’ont pas pour autant perdu de vue la valeur purement nobiliaire des fiefs. Venu s’établir à Brétigny peu avant 1527, sur des biens de sa femme, et qualifié de noble dès son apparition documentaire, avant 1536, noble Catherin du Chesne – qui dispose de 2 683 florins d’actifs nets en 1550 [122] - a payé pour obtenir de Leurs Excellences de Berne que les biens taillables provenus de feu honorable Jacquemet de Rugoz, grand-père maternel de sa femme, et riche homme taillable du prieuré de Prévessin, soient « réduictz premièrement fiefz et condition taillable en fiefz liege [francs] (instruments des 20 et 27 août

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1542) et en après dudict fiefz liege en fiefz noble (instrument du 21 juin 1544) » [123]. Or la possession de tels fiefs ne présentait plus aucun avantage fiscal à l’époque, mais ce fut une sage précaution pour la suite [124]. Noble Catherin du Chesne s’empressa aussi de faire construire une tour (mentionnée dès 1545) dans le curtil attenant à sa maison de Brétigny, lieu-dit en la Planthaz ; cette construction éminemment symbolique – certainement un pigeonnier – était destinée à affirmer hautement le nouveau statut de ses biens [125].

Les frères Dumonthay n’ont pas à proprement parler le même profil que les hommes émergents de la période bernoise que nous venons de décrire. En effet, les frères Dumonthay, en l’état des sources connues, n’apparaissent pas réellement comme des « affairistes », se « contentant » de prendre à ferme des biens nobles, sans effectuer d’opérations d’achats et de reventes sur de tels biens, ni même n’acquièrent de biens ecclésiastiques sécularisés, contrairement à leur cousin égrège Pierre Dumonthay. Et pourtant, ils en avaient les moyens financiers a priori ! S’agirait-il d’un choix délibéré, résultant d’empêchements « moraux », ou furent-ils écartés par plus ambitieux qu’eux ? Encore mineurs de 25 ans au décès de leur père - conséquence de la différence d’âge extrême entre leurs parents -, avaient-ils connus finalement des revers de fortune ?

De même, il est difficile d’établir pour eux les étapes d’une possible conversion au protestantisme, et l’on ne connaît pas leurs attaches éventuelles avec le nouveau pouvoir bernois, même si après 1567, ils ne s’établiront pas tout ou partie à Genève, ni en Pays de Vaud resté bernois, ce qui dénoterait plutôt qu’ils furent relativement peu engagés aux côtés de Berne ; toutefois, après 1567, ils ne s’orienteront pas pour autant vers le service ducal, pour ce qui est permis d’observer. Au contraire, les frères Dumonthay, - aspirant à une vie « simple », selon les préceptes de la Réforme ? -, restent attachés à des fonctions trop locales, sans effectuer le saut du renoncement aux activités (lucratives) du notariat et ses dérivés, et manquent (comme d’autres nobles récents de l’époque) de consolider la noblesse acquise par leur père en donnant une allure militaire à leur genre de vie au moyen de fiefs nobles. Mais si cela ne pose pas de problème sous Berne, malheureusement pour eux, alors qu’ils ont déjà abordé la seconde moitié de leur vie, le contexte politique change de nouveau, aussi brusquement et indépendamment de leur volonté qu’en 1536.

5. Des temps nouveaux

A ce stade, il convient de mettre en exergue les multiples innovations, en matière de noblesse, apparues sous le règne d’Emmanuel-Philibert, dès qu’il fut restauré en ses Etats.

En premier lieu, on observe une très nette augmentation du nombre de lettres de noblesse délivrées par le duc de Savoie. Apparues au début du XVe siècle dans les Etats de Savoie, soit

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aussi tardivement qu’en d’autres principautés territoriales [126], les lettres de noblesse restent relativement rares avant 1536, comme il ressort clairement de l’évolution du nombre de patentes délivrées par les comtes puis ducs de Savoie pour raison de noblesse (anoblissement, confirmation, déclaration, réhabilitation ou relief) à leurs sujets des bailliages de Bresse, Bugey et Gex [127]. On dénombre en effet trois lettres de noblesse (1408 [128], 1430 et 1437) sous le règne d’Amédée VIII (1391-1440), une (1447) sous celui du duc Louis (1440-1465), deux (1499 et 1502) sous le règne de Philibert II (1497-1504), et cinq (entre 1511 et 1525) sous celui de Charles III (1504-1553) ; par contre, quatorze sont délivrées (entre 1561 et 1580) sous le règne d’Emmanuel-Philibert (1553-1580) et vingt-neuf (entre 1582 et 1600) sous celui de Charles-Emmanuel (1580-1630). Ainsi, dans les bailliages d’outre-Rhône cédés à la France en 1601, le nombre de patentes décernées par les ducs de Savoie pour raison de noblesse explose littéralement dès la restauration d’Emmanuel-Philibert (1559), et leur délivrance double sous le règne de son fils [129]. De telles observations valent aussi pour la Savoie propre [130].

Des besoins financiers sans précédent, résultant du fonctionnement de l’Etat, devenu plus onéreux qu’avant 1536, et d’une diplomatie ruineuse [131], ont conduit Emmanuel-Philibert, dès le début des années 1560, puis son successeur, dès les années 1580, à pratiquer à grande échelle les aliénations du Domaine ; sont ainsi vendus les derniers fleurons du domaine princier, c’est à dire des châtellenies qui en faisaient partie fréquemment depuis plusieurs siècles, tel qu’on l’observe au moins dans les bailliages de la rive droite du Rhône [132], ainsi que des droits de haute justice, des titres de dignité ou des charges publiques [133]. Dans ce contexte, on peut supposer que l’essor des lettres de noblesse ou de réhabilitation de noblesse, délivrées parfois gratuitement pour services rendus, mais surtout contre finance, procède aussi de la volonté princière de se procurer

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des fonds ; même la prestation du serment de fidélité au duc par ses feudataires et ses vassaux est assortie du paiement d’émoluments, variables selon le rang des prestataires du serment et l’importance de leurs fiefs (1576) [134].

Divers signes traduisent l’instauration d’un monopole du duc en matière de renouvellement du groupe nobiliaire. Il s’agit d’un monopole à l’égard des autres princes : dès les années 1570, le duc reste le seul souverain à délivrer des lettres de noblesses à l’intérieur des limites des Etats de Savoie [135] ; même les lettres de noblesse accordées par l’Empereur doivent être confirmées par le duc [136]. Mais il s’agit aussi d’un monopole à l’égard de la société et des nobles (fin de l’agrégation taisible).

Ce monopole épouse des contours juridiques multiples. Alors que jusqu’au règne de Charles III n’avaient existé que des lettres patentes de noblesse, comme on l’observe du moins dans les pays de la rive droite du Rhône, une typologie de patentes tout à fait nouvelle fait son apparition dès le règne d’Emmanuel-Philibert, puis de Charles-Emmanuel Ier : en particulier, les plus anciennes lettres de réhabilitation de noblesse délivrées en Savoie proprement dite semblent dater de 1561, et de 1587 pour les Pays de la rive droite du Rhône, en Bugey. Elles semblent décernées essentiellement à des anoblis par lettres éprouvant des difficultés à vivre noblement, et auxquels les critères de dérogeance sont appliqués plus strictement qu’aux nobles plus anciens [137] ; d’autres sont décernées à des anoblis taisibles, qui trouvent ainsi les moyens de « légaliser » de manière plus honorable une noblesse d’agrégation, façon d’anticiper les difficultés à venir. Dans les deux cas, ces lettres n’empêchent nullement certains d’entre eux de déroger à nouveau [138]. De même, apparaissent des lettres de confirmation de noblesse, délivrées notamment suite à la perte ou pour l’absence de titres (dès 1563) [139] ; de noblesse et de légitimation (dès 1563) [140] ; de déclaration de noblesse (dès 1565) [141], de déclaration et

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confirmation de noblesse [142] ou de confirmation et approbation de noblesse [143]. Cette diversité exprime autant de nuances dans la façon de concéder la noblesse (notamment constat d’une situation nobiliaire régulière ou régularisation d’une situation incertaine), preuve aussi d’une réflexion et d’une jurisprudence active qui n’a d’ors et déjà rien à envier à l’Ancien Régime [144].

Mais le contrôle de l’accès au groupe nobiliaire doit comporter nécessairement celui aussi de ses exclusions, ne serait-ce que pour faire de la place aux anoblis nouveau style, sans quoi le nombre de nobles augmenterait trop ; or le duc souhaite le maintien de la cohésion de l’ordre [145], sinon l’ordre lui-même. Ainsi, dès la restauration d’Emmanuel-Philibert, le pouvoir princier entreprend-il de juger, sur la base de leur mode de vie, qui de certains nobles, ou se prétendant tels, doivent être effectivement reconnus nobles – et recevoir des lettres de réhabilitation de noblesse - ou, au contraire, être considérés désormais comme roturiers. Pour ce faire, avant même que n’existent légalement de charges anoblissantes (1584), un certain nombre d’activités professionnelles sont décrétées dérogeantes, c’est à dire incompatibles avec la condition noble, au point d’entraîner chez les nobles qui les exercent la perte de leur condition et de leurs privilèges, dont l’exemption fiscale [146].

De fait, la rédaction des rôles d’imposition constitue généralement le cadre duquel surgissent les contestations portant sur la condition noble d’un individu, émises par les communautés d’habitants qui espèrent ainsi répartir le montant de l’imposition, fixé à l’avance, sur le plus grand nombre de contribuables possible ; or, les nobles reconnus tels étant exonérés, il peut être utile, en revanche, d’essayer, en intentant une procédure judiciaire, de faire renvoyer dans le Tiers Etat des nobles dont le mode de vie donne prise aux contestations [147]. De son côté, le pouvoir princier n’est pas en reste pour intenter de lui-même de telles procédures contre certains individus. En effet, peu de temps après l’apparition des premières lettres de réhabilitation, dès l’année 1563, s’ouvrent les premières procédures pour usurpation de noblesse connues par la liasse SA 1040, basées sur des preuves écrites, qui sont peut-être aussi les premières de l’histoire des Etats de Savoie, en l’état des recherches actuelles. Ces procédures furent confiées, dans un premier temps du moins, à la seule Chambre des comptes, suivant donc une approche purement fiscale.

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La compétence de la Chambre des comptes en matière de noblesse [148] est logique à plus d’un titre. Dès sa création, cette cour centrale a reçu la direction des finances et la défense du domaine [149], cette seconde attribution s’étendant non seulement au plan militaire, mais également aux aliénations ou aux usurpations des droits princiers, qu’il convenait de contrôler ou de sanctionner. En particulier, pour connaître et préserver les droits réels et personnels de la Maison de Savoie, la Chambre des comptes a supervisé le renouvellement des extentes princières, puis des reconnaissances de fief individuelles (dès le début du XIVe siècle), tant pour la mouvance rurale que noble, renouvellement réalisé en pratique par les commissaires aux extentes, à l’échelon de chaque châtellenie princière, sous la responsabilité et avec l’appui direct du châtelain princier ; les minutes des reconnaissances, compilées ensuite sous forme de grosses dans des registres terriers, étaient conservées en la Chambre des comptes, qui connaissait donc précisément la nature des biens mouvant du fief ou de l’arrière-fief du duc et la condition juridique de ses sujets médiats ou immédiats [150].

Un premier tournant, décisif pour la suite, s’était opéré sous François Ier. Dans les territoires relevant de la nouvelle Chambre des comptes fondée à Chambéry, plus aucune reconnaissance ne fut désormais reçue pour les fiefs nobles par les commissaires aux extentes des châtellenies publiques, mais des aveux et dénombrements, portés et rendus par les feudataires eux-mêmes en la Chambre ; du moins avons-nous connaissance d’un seul et unique aveu et dénombrement concis, tel qu’usité dans le royaume de France, reçu le 4 juillet 1543 par la Chambre des comptes de Savoie pour la seigneurie de Rougemont, en Bugey, mais il est difficile d’imaginer qu’aucun autre aveu et dénombrement ne fut alors reçu à l’époque pour le roi de France [151]. Ainsi, en matière de fiefs nobles et de vassaux nobles, la Chambre des comptes ne laisse plus le pas aux administrateurs territoriaux locaux, comme cela avait été le cas durant plus de deux siècles. En Bresse et Bugey, seul le renouvellement des ultimes terriers princiers du rural incombera encore, entre 1542 et 1582, aux commissaires d’extentes royaux puis ducaux.

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Ce rôle nouveau de la Chambre des comptes, imprimé par la France, ne disparaît pas par la suite. Dès sa création par Emmanuel-Philibert, en 1559, en remplacement du Parlement de Chambéry instauré par François Ier – qui avait remplacé lui-même l’ancien conseil résident de Chambéry -, le Sénat de Savoie est décrété cour souveraine, puis, en 1560, la Chambre des comptes de Savoie (devenue ambulatoire depuis 1536, ayant suivi Charles III dans son exil, alors que François Ier en avait établi une nouvelle à Chambéry, Emmanuel-Philibert l’avait confirmée dès 1559), pour lui éviter les empiétements du Sénat. Ainsi, les deux cours participent à la Majesté Souveraine : dans leurs domaines d’attributions respectifs (Justice et Finances), ces deux corps moraux tiennent la place du souverain qui s’exprime à travers eux [152].

Compte tenu de sa nouvelle nature souveraine, et de sa connaissance précise des possesseurs de fiefs nobles, la Chambre des comptes de Savoie est chargée d’organiser le premier serment prêté au duc, depuis sa restauration, de la part « tant des Prélats et Magistrats que la Noblesse » du nord des Etats de Savoie. La cérémonie a lieu le 18 février 1563, dans le château de Chambéry, en présence du duc lui-même, qui a franchi les Alpes pour cette occasion, et donne lieu également à réception de dénombrements de fief. Au cours des années suivantes, la Chambre reçoit la foi et l’hommage des nobles n’ayant pu se rendre à Chambéry en 1563, toujours assortie du dénombrement de leurs fiefs [153].

Puis dès le mois de mai 1563, soit trois mois à peine après le serment de fidélité au duc, s’ouvrent à la Chambre des comptes de Savoie les premières procédures pour usurpation de noblesse, qui donnent corps à l’application des critères de dérogeance : on en compte pas moins de sept cette année, et une en 1564 ; ensuite, on note un espacement – hormis 1571 (deux) et 1573 (une) – jusqu’aux années 1580, qui voient une seconde vague d’importance supérieure à celle de 1563-1564 : 1580 (deux dont Dumonthay), 1583 (une), et surtout 1588 (six), 1589 (une), puis encore en 1591 (une), 1594 (une), 1600 (une), 1603 (une). La Chambre des comptes de Savoie est compétente y compris dans le ressort de la Chambre des comptes d’Annecy (apanage de Genevois-Nemours), à l’instar du Sénat d’ailleurs, auquel ressort le Présidial d’Annecy [154].

Par la suite, moins de dix ans après le début des premières procédures pour usurpation de noblesse, le Sénat et son degré de justice immédiatement inférieur, la judicature-mage, là où elle existe, apparaissent compétents en matière de noblesse. En janvier 1572, le juge-mage de Ternier-Gaillard statue en matière d’assujettissement ou non aux tailles, et peut donc apprécier la qualité noble ou roturière des individus dès cette époque au moins [155]. En 1576, le rôle du don gratuit établi pour Ternier-Gaillard mentionne que Philibert et Pierre Volland, seigneurs de Compoys, se disent nobles, puis, dans un rajout en marge, qu’a été « détraict le feu desdicts Volland pour estre nobles suivant que apert par le procès-verbal de Monsieur le président du Châtelard ce Xe may 1578 » [156]. Le même document mentionne, à Humilly, « Pierre d’Humilly se disant estre noble, contre lequel sur ce il y a procès pendant par devant le Sénat » ; à Germagny, « Claude Dumilly se disant noble, contre lequel pour ce regard y a procès pendant au Sénat » [157]. Par Foras, nous avons connaissance aussi d’un procès intenté par le Sénat à Pierre

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Rapin – déjà en possession de patentes de noblesse soit de réhabilitation données par le duc en 1561, puis confirmées par patentes de 1576 - qui, par arrêt du 16 décembre 1577, le reconnut noble [158].

Ces aspects dénotent un autre transfert (partiel) d’attributions. En effet, sitôt la suppression des assemblées des trois ordres en Savoie (réunis une dernière fois en juillet 1560), le Sénat fut considéré comme étant la seule représentation populaire, et reprit à son compte les prérogatives des Etats provinciaux en matière d’impositions, alors que les finances ressortent traditionnellement de la Chambre des comptes [159]. Ainsi, en 1576, pour l’établissement du rôle du don gratuit, les lettres de commission sont délivrées par René Lyobard, seigneur du Châtelard, conseiller d’Etat de Son Altesse et président du Souverain Sénat de Savoie, au juge-mage des trois bailliages, qui passe en la Chambre des comptes de Chambéry récupérer le précédent rôle [160], alors que celui de 1568 avait été établi directement par des représentants de cette cour. Toutefois, ce transfert de compétences fiscales, avec ses conséquences en matière de noblesse, n’exclut pas la Chambre des comptes, dont les procédures pour usurpation de noblesse se poursuivent au moins jusqu’en 1605. Et notamment, en 1576, alors que le Sénat apparaît déjà clairement impliqué en matière de noblesse, à Malagny, paroisse de Veigy, est compté comme noble Etienne de Bemié, « exempt par authorité de la Chambre pour estre noble » [161].

Voyons encore de plus près quels sont les critères de dérogeance retenus par le pouvoir princier. Le contenu des lettres de réhabilitation de noblesse nous donne à connaître des motifs de dérogeance [162], au même titre que les procédures de la liasse SA 1040 [163]. Ainsi, très rapidement, dès 1561, apparaissent dérogeants les offices de châtelains et le notariat, ainsi que les offices ou commissions traditionnellement détenus par les notaires, à savoir les greffes des cours de justice châtelaines ou seigneuriales, et les commissions aux extentes ; dès la même époque, les prises à ferme de biens nobles sont considérées également comme dérogeantes [164]. Peu après, la marchandise (négoce) apparaît dérogeante, dès 1573 au moins [165], ainsi que d’autres activités lucratives [166].

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La dérogeance des offices châtelains et du notariat constitue une véritable innovation. Plus précisément, les offices châtelains dérogeants sont les offices seigneuriaux ; il s’agit désormais des plus nombreux, incluant notamment tous les offices châtelains des anciennes châtellenies princières maintenant inféodées. Mais Emile Dullin, qui a bien noté ces tournants, estime que l’office de châtelain public finit lui-même par devenir dérogeant [167], et donne de nombreuses explications à ce sujet : le rôle du châtelain princier a été complètement déprécié par la pratique des prises à ferme ; de même, l’évolution des techniques militaires a rendu obsolètes les anciens sièges castraux, souvent déjà ruinés ou en mauvais état. Et lorsque Emmanuel-Philibert fut restauré, le châtelain princier perdit officiellement tout rôle dans l’organisation de la défense du pays (édits de 1560, 1561 et 1566) [168] ; seules subsistèrent ses attributions de justice inférieure, ce qui valut aux châtelains princiers d’être soumis à un étroit contrôle de la part du Sénat, qui se défiait de leur probité [169].

De fait, des lettres de noblesse données à Nice, à Vincent Julliard, de Colomieu en Bugey, en date du 1er janvier 1564, mentionnent que celui-ci fut autrefois châtelain de Rossillon [170], pour bien rappeler qu’il ne détient plus cette charge au moment de son anoblissement. Dans les patentes du 1er janvier 1573 qui le nomment châtelain ducal de Gaillard, Pierre de Civin est qualifié de noble, succédant à Aymé de Bellegarde, décédé, membre d’un grand lignage [171] ; or, trois ans plus tard, dans le rôle du don gratuit de Ternier-Gaillard établi en 1576, bien que toujours châtelain de Gaillard pour le duc, le même est désormais roturier, dénommé « maître Pierre Sevin » [172].

En revanche, toujours au plan princier, l’office de capitaine de château, qui reprend désormais les attributions militaires du châtelain, n’est pas dérogeant, comme l’observe également Emile Dullin [173]. Et en effet, à Gex par exemple, le capitaine du château en exercice en octobre 1568, Gabriel du Fresnay, est un noble, qualifié ainsi [174]. De même, le 16 août 1569, des lettres de noblesse sont données à Jacques Gabet, alors capitaine du château des Echets, près de Montluel [175] ; plus tard encore, le 22 décembre 1591, des lettres de noblesse seront décernées à Antoine Dantin, capitaine des Echets et châtelain de Montluel [176], une des rares châtellenies publiques de la rive droite du Rhône alors non inféodée, avec Bourg, Seyssel et Gex.

Par ailleurs, on peut tenter d’expliquer la dérogeance non moins nouvelle du notariat en regard de celle de l’office de châtelain. En effet, la Savoie était un pays où le droit romain

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constituait, à la fin du Moyen Age, le fondement de la justice, et le notariat public en était une des institutions fondamentales. Le notaire public avait le pouvoir de conférer la forme authentique aux documents par la simple apposition de son seing manuel (déposé lors de son investiture au siège de l’autorité au nom de laquelle il instrumentait, soit la Maison de Savoie en l’occurrence) [177]. Cette autonomie des notaires publics a permis de constituer un véritable substitut d’administration princière, d’où notamment leur omniprésence dans les rouages de l’institution châtelaine, tant princière que seigneuriale, aux fonctions de vice-châtelains, de curiaux (greffiers de justice) et de commissaires aux extentes, qui, par les compétences requises, représentaient le débouché « naturel » des notaires locaux les plus importants.

Mais dès lors que l’administration territoriale châtelaine achève de disparaître quasi-complètement au profit de son autorité de tutelle, la Chambre des comptes, et que, dans le même temps, celle-ci est décrétée cour souveraine, en 1560, le paysage de la représentation princière se modifie profondément, touché par un retrait centralisateur qu’incarne parfaitement, à mon sens, la déchéance de l’office de châtelain, jusqu’alors doté de très importantes prérogatives. Dans ce contexte, les notaires, du fait de leurs attributions publiques très anciennes, mais aussi de par leurs attaches traditionnelles avec l’institution châtelaine, ont dû immanquablement se retrouver en « porte-à-faux » avec la Chambre des comptes, soit plus généralement les institutions centrales. Et ainsi, déclarer l’exercice du notariat public dérogeant, c’était tourner une page multiséculaire en terme de représentation princière. Plus encore, la dérogeance nouvelle des offices de châtelains et la pratique du notariat public, à l’origine de nombreux anoblissements avant 1536, contribuait à réduire fortement l’accès au groupe nobiliaire, sinon à le réserver désormais en grande partie aux officiers des cours centrales et souveraines, préparant peut-être ainsi la voie à l’édit de 1584.

Ainsi, de réels tournants – voire des innovations - se produisent dès les premières années de la restauration d’Emmanuel-Philibert en matière de noblesse. Artisans et bénéficiaires de ces transformations, les officiers de la Justice (Sénat) et des Finances (Chambre des comptes) - deux fonctions-clés de l’Etat moderne [178] - qui reçoivent désormais les aveux et dénombrement des vassaux nobles, instruisent les « procédures pour la preuve de noblesse » en traquant les « usurpateurs » selon les critères de dérogeance qu’ils ont eux-mêmes défini aux yeux de la loi plus que de la coutume, entérinent les lettres de noblesse ou refusent de le faire, ou encore jugent, sont pour la plupart des anoblis par lettres (puis par charges dès 1584) : dès lors, il n’est plus question de considérer celles-ci comme des « monstruosités » ! Le procureur patrimonial au centre de la procédure, dénommé de Ville, incarne bien cette réalité nouvelle, étant lui-même un anobli par lettres (1567) [179], faisant de lui un fervent défenseur de ce mode d’anoblissement.

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6. Restauration de la taille personnelle dans les trois bailliages

Dans les bailliages restitués par Berne en 1567, l’établissement des rôles destinés à percevoir le « don gratuit » [180] - une taille personnelle levée sur les sujets roturiers (médiats ou immédiats) du duc possédant plus de 300 florins de biens de la mouvance ducale, et exemptant les nobles « noblement vivants », les ecclésiastiques et les non-sujets du duc - fournit aux officiers des deux cours souveraines une occasion très importante d’appliquer strictement les critères de dérogeance évoqués plus haut. L’imposition du don gratuit consacrait le rétablissement des privilèges fiscaux de la noblesse, supprimés par Berne. Néanmoins, ce choix, dicté aussi par un souci de légitimité, celui de rétablir une situation ayant existé avant 1536, intervient tardivement, à la fin des années 1560, alors que les populations commencent à être en proie à de sérieux problèmes de subsistance de type « malthusien » et à leurs cortèges de maux associés (maladie, endettement, misère, etc.), comme il ressort de la lecture des mentions portées dans les rôles du don gratuit par leurs rédacteurs [181]. Et dans ce contexte, il est donc d’autant plus difficile, pour les populations, de supporter le report sur elles des parts d’imposition n’incombant plus aux nobles. Comment procédèrent donc les envoyés de la Chambre des comptes de Savoie (1568), puis du Sénat (1576), chargés de la rédaction des rôles ?

A Gex, la première version du rôle de 1568 (octobre) (ADS, SA 1588) est rédigée par Me Pierre Delaporte, viclavaire (archiviste) en la Chambre des comptes, accompagné de Me Louis Michaud, commissaire ducal des extentes de Gex, et de Me Balthasard Olard, curial (greffier) de la châtellenie. Pour la seconde version de 1568 (dès novembre) (ADS, SA 1590), c’est Humbert de Ville lui-même, futur procureur patrimonial en charge des procédures pour usurpation de noblesse, et alors émolumenteur et receveur pour Son Altesse en sa Chambre des comptes de Savoie, qui se déplace ; il se fait accompagner de Me Gabriel Sibillion, châtelain ducal de Gex, détenteur encore de pouvoir de police, et de Me Balthasard Olard, curial de la châtellenie. En 1576-1577, le rédacteur du rôle (octobre 1576, puis janvier 1577) (ADCO, B 11 599) est le juge-mage des trois bailliages de Gex, Ternier-Gaillard et Chablais, Jean-Claude de la Roche, docteur en droits, conseiller de son Altesse – futur sénateur au Souverain Sénat de Savoie (1584) [182] -, assisté de Me François Millet, procureur fiscal auprès des trois mêmes bailliages [183], et en partie par le châtelain ducal de Gex (le même qu’en 1568). Chaque fois, leurs interlocuteurs sont les

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syndics, les conseillers, ou les procureurs des communautés villageoises, rencontrés paroisse par paroisse.

Ces hommes ont tout pouvoir pour apprécier la qualité noble ou roturière des sujets, immédiats ou médiats du duc. Or, à l’issue de leur travail, on observe une réduction drastique du nombre des nobles ; lesquels d’entre eux ont-ils été « maintenus », ou « rétrogradés » au contraire, et pourquoi ?

En 1568 et 1576, les nobles d’extraction ancienne (XIIe siècle - première moitié du XVe), possédant des fiefs nobles, dont des seigneuries haut-justicières, représentent à eux seuls près de deux tiers des feux nobles du bailliage de Gex (environ 23 feux sur 34 à 37 feux) [184]. Les autres nobles comptés comme tels sont des descendants d’anoblis du XVe siècle, ou du début du XVIe, ayant pour caractéristique commune d’avoir pu acquérir, à un moment donné de leur parcours, puis conserver, des fiefs nobles, avant 1536 ou en période bernoise, et tout particulièrement des seigneuries juridictionnelles, fiefs nobles par excellence [185]. Ainsi, il ressort nettement que la possession avérée de fiefs nobles est essentielle pour rester noble ; cet élément est aisément vérifiable par la Chambre des comptes, sur la base des anciennes reconnaissances de fief ou des lettres d’investitures de fief conservées en cette cour. De même, les nobles comptés comme tels dans les deux rôles ne pratiquent manifestement pas d’activités considérées comme dérogeantes, disposant de fiefs leur procurant des revenus suffisants. Les deux conditions doivent être réunies. Si c’est le cas, la noblesse est reconnue, indépendamment de son ancienneté et de ses fondements premiers, voire des confessions religieuses (même si le duc est quant à lui très catholique).

Des seigneurs gessiens sont effectivement toujours ouvertement protestants en 1568-1576 : Pompée Gribaldi, coseigneur de Farges (il servira dans la cavalerie genevoise en 1589-

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1593) [186] ; les Martine, seigneurs de Sergy [187] ; Jean de Brosses (1508-1595), seigneur de Tournay, « jadis trésorier de feue madame [la duchesse de Savoie, épouse d’Emmanuel-Philibert], réside pour la plupart du temps à Genève » (1576), où il s’est retiré après sa conversion au protestantisme ; il avait au préalable servi le roi de France, dont il était toujours conseiller et maître d’hôtel [188] ; noble Jean Philippin, seigneur de Pierre (1568), appartient quant à lui à l’élite urbaine de Genève, dont il fut plusieurs fois syndic [189], et la possession d’une seigneurie en terre de Gex doit se comprendre comme un investissement ; citons également, comme protestant, Claude d’Orlier (1576) [190].

A l’opposé, quelques rares nobles gessiens de 1568-1576 servent le duc directement dans ses compagnies d’ordonnance, et peuvent donc se vouer totalement à une vie militaire, critère de vie noble par excellence, en tant qu’officiers appointés, alors que la plupart des autres nobles ne peuvent réaliser de carrière au service de leur prince, faute de places suffisantes dans les armées régulières, et doivent se contenter de la convocation du ban et de l’arrière-ban, au titre de leurs fiefs. Mais à la différence de la possession de fiefs nobles, l’appartenance aux compagnies d’ordonnances du duc ne transcende pas les clivages confessionnels : ces nobles sont catholiques, voire ultra-catholiques.

Ainsi, noble Michel-Alexandre de Jotemps, héritier des Sergy de Pregnin, en terre de Gex, a été un compagnon d’exil d’Emmanuel-Philibert, qui le nommera capitaine du château de Montmélian (1560-1573), et chevalier de l’Ordre des Saints Maurice et Lazare (1573) [191]. En 1568, noble Claude Sauvage (Greny), est « de présent au château de Montmélian », où commande Jotemps ; en 1576, il est « au service de monsieur le comte de Montmayeur à Gex », qui est alors lieutenant-général et gouverneur pour le duc en Chablais et dans les trois bailliages restitués par Berne. De même, en 1568, noble Claude Moine, du Crêt de Pougny, est gendarme (cavalerie lourde) dans la compagnie du sieur d’Aix [192]. Il descend de bourgeois de Genève anoblis par lettres ducales de 1430, appartenant à une branche établie sur ses terres de Crache, en bailliage de Ternier-Gaillard, après son exil de la cité, probablement dès 1526, comme Mamelu (tenant le parti ducal) [193]. Il épouse quant à lui noble Amblarde, fille de noble Etienne

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Goyet, seigneur de Copponnex, et sœur de Marc Goyet [194], seigneur de Copponex en 1576, dont l’un d’eux, le père probablement, est ce « seigneur de Copponnex » qui avait pris part, vers 1559-1560, au projet d’assassinat de Calvin, fomenté par l’évêque de Mondovi, Louis Alardet [195]. Enfin, noble Gaspard Nycod, frère cadet des deux coseigneurs de Maugny (Chablais), sera tué au service de Son Altesse le duc de Savoie, après 1578 [196].

Intéressons-nous maintenant aux nobles gessiens déclassés. D’emblée il ressort que, dès 1568, sont comptés parmi les roturiers solvables, et quasiment sans exception, tous les feux originaires de la terre de Gex qui s’étaient vus qualifier de nobles en période bernoise ; parmi eux, François et Léger Dufour, de Collonges-la-Cluse, enfants de feu Jean Dufour, feront par la suite l’objet d’une procédure pour usurpation de noblesse, la même année que les Dumonthay (1580), et seront condamnés à payer 1 000 livres fortes d’amende comme usurpateurs de noblesse, et à la saisie de leurs fiefs et biens nobles (1586) [197]. Pour ces feux, on pourrait être tenté d’avancer, pour motif de leur déclassement, le fait de religion, c’est à dire une chasse aux sorcières motivée par leur attachement au protestantisme et donc à Berne ; d’autant qu’ils avaient presque tous acquis des fiefs nobles comme on l’a vu plus haut. Toutefois, même en possession de fiefs nobles, la grande majorité des nouveaux nobles de la période bernoise ne vit pas noblement, trop acquise aux valeurs nouvelles évoquées plus haut [198]. Aucun ne conteste son inscription comme solvable sur le rôle, hormis les frères Jean et Mermet de La Grave (Péron, Logras), en 1568 et 1576 [199].

D’autre part, à l’instar des Dumonthay, sont comptés comme solvables, dès 1568, une dizaine d’anoblis d’avant 1536. Chez beaucoup, on note une quasi-absence de fiefs nobles de longue date, liée à une vie restée structurellement non noble : Gesson (Gex, Ferney) [200] ;

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Maréchal (Collonges) [201] ; de Mourex (Tutigny) [202]. Certains ont dû connaître des revers de fortune, tels les Michaud (Echenevex) après le décès de leur père Etienne, très riche en 1550. L’engagement pro-ducal, ou le service du duc, a pu engendrer lui aussi une perte de moyens, conduisant irréversiblement à une vie non noble, et à l’assujettissement aux tailles, sans que ne soient pris en considération les services passés, comme c’est le cas des de Fernex (Gex, Ferney) [203] et d’une partie des Favre (Saint-Jean-de-Gonville) [204]. Chez d’autres, il y a eu changement d’objectif de vie noble : Marchand (Gex) [205] ; Lévrier (Cracier), résidant en pays de Vaud, à Nyon, après 1567 [206] ; Claude Perrissod (Gex), ancien châtelain pour le compte de Berne, compté comme solvable en 1568, puis comme noble en 1576 après un procès au sujet de sa noblesse intenté contre lui par la communauté de Gex [207]. Chez d’autres enfin, la possession de fiefs nobles provenus d’un mariage avec une héritière d’un ancien lignage, avant 1536, n’empêche pas le déclassement ; il ne s’agit néanmoins pas de seigneuries haut-justicières, mais

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de biens produisant peu de revenus nobles ; leurs possesseurs sont par ailleurs des nobles récents, tels les de l’Allée (Logras) [208] ou les Vuarrier (Sergy) [209].

A la différence des nouveaux nobles de la période bernoise, les nobles d’avant 1536 déclassés contestent très fréquemment leur inscription comme contribuables ; ainsi en est-il des Favre, de Fernex, Lévrier, Marchand et de Mourex, ou, à Challex, des Dumonthay et Perrissod, dont les protestations sont mentionnées par écrits dans les rôles de 1568 ou 1576. Leurs prétentions à la noblesse n’étaient pas infondées en regard de leur propre histoire, mais leur situation effective de non-vie noble l’emporte alors sur toute autre considération.

Globalement, il ressort donc que les rédacteurs des rôles du don gratuit, officiers de la Chambre des comptes, puis du Sénat, ont fait preuve d’une grande cohérence dans leurs choix, appréciant de manière rigoureuse, mais correcte, les situations de dérogeance selon les critères qu’ils avaient remis « au goût du jour » ou nouvellement instaurés depuis le début des années 1560, en l’absence de parti pris, faisant apparemment abstraction de la religion, de l’ancienneté de la noblesse et du mode d’anoblissement, même taisible : les « déclassés » le sont avant tout parce qu’ils ne vivent pas noblement, soit par absence de fiefs nobles ou, lorsqu’ils en possèdent, ceux-ci leur procurent des revenus nobles trop insuffisants, et / ou ils sont ouvertement aux antipodes d’une vie militaire par leur genre de vie.

On note seulement quelques rares « passe-droits ». Ainsi, le cas de Pierre de La Mare, marchand et citoyen de Genève possessionné à Merlingue, dans le bailliage de Ternier-Gaillard, tend à montrer que des relations peuvent bien arranger les choses en l’absence de vie noble – mais Pierre de La Mare possède néanmoins des fiefs nobles importants -, notamment pour obtenir du juge-mage une sentence le reconnaissant noble (1572), non astreint aux subsides ; cela choque Foras du reste, qui considère néanmoins les de la Mare comme nobles du fait de cette sentence, et à ce titre, les traite dans son Armorial, malgré ce qu’il considère comme étant une « noblesse très relative » [210]. De même, quelques rares nobles d’ancienne extraction, nettement plus pauvres que les de l’Allée, Vuarrier ou Favre (possesseurs de fiefs nobles déclassés), et assurément incapables de tenir leur rang, ont néanmoins été comptés comme nobles, mais probablement du fait de l’ancienneté de leur noblesse, ou suite à l’intervention de leurs

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apparentés, portant même nom et même blason qu’eux, et dont la situation de vie noble était sans équivoque, solidarité lignagère et honneur obligent [211].

Si la probité des rédacteurs des rôles envoyés par les cours souveraines ne fait pas de doute, leur rigueur et leur zèle ont en revanche bien fait les choses, car la réduction drastique du groupe nobiliaire des bailliages restitués par Berne, provoquée comme elle le fut par le rétablissement de la taille personnelle, assorti de l’application stricte des critères de dérogeance, profite clairement à la noblesse d’ancienne extraction, restée très probablement fidèle au duc, et qui possède toujours des fiefs nobles en nombre important à l’issue de la restitution, malgré les vicissitudes bernoises évoquées ; cela ressort clairement du cas gessien : en 1536, les nobles d’ancienne extraction (noblesse antérieure au milieu du XVe siècle) représentaient 60 % des feux nobles de la baronnie [212] ; or, malgré les extinctions biologiques ou les départs survenus en l’espace de trois décennies, cette catégorie représente désormais environ les deux tiers des feux nobles de 1568-1576.

En second lieu, compte tenu du contexte économique et social en nette dégradation au moment de la restauration savoyarde, et en l’absence d’un recours aux tailles réelles, inusitées en ces régions, qui auraient fait au moins cotiser les nobles pour leurs biens roturiers, la réduction du nombre de nobles a dû constituer une soupape à la restauration du système de taille personnelle, d’autant qu’étaient aussi exemptés les non-sujets du duc, tels les Genevois en particulier, pour leurs biens gessiens détenus parfois en nombre important. Imposer les déclassés revenait à leur faire supporter, au pro rata de leur fortune, une quote-part de l’impôt total (d’un montant forfaitaire fixé d’avance) levé sur la communauté des roturiers, allégeant la part de celle-ci ; cela était d’autant plus profitable que certains déclassés étaient riches. Et ainsi furent tout particulièrement concernés les nobles dont le mode de vie donnait prise à contestation par la vox populi.

Dans ce contexte de rupture à bien des égards, l’année 1567 – année de restitution effective des trois bailliages par Berne - fut le signal, tant pour Claude et Anthoine Dumonthay que pour d’autres notaires nobles, ou nobles notaires, mais aussi nobles taverniers et marchands, des premières tracasseries administratives annonciatrices d’ennuis ultérieurs, irrésistibles et insurmontables.

Les Dumonthay auraient peut-être pu jouer la « carte » de la demande de réhabilitation de noblesse, moyen de légaliser leur noblesse acquise taisiblement en reconnaissant implicitement une vie noble précédente, et donc de loin plus « acceptable » que le recours aux lettres de noblesse. Mais les Dumonthay ne le font pas. A la différence d’autres, ils n’ont ni servi la cause ducale, ni ne possèdent de fiefs nobles. Pour autant, une telle lettre leur aurait-elle été refusée, ayant a priori les moyens de payer la finance ? Ou, comme nous avons pu le supposer en observant les parties du procès à l’œuvre, les Dumonthay, croyant fermement aux fondements de leur noblesse et, « légalistes », comptant sur le respect du modus vivendi bernois après le traité de Lausanne, refusent-ils plutôt d’accepter les nouvelles règles en matière de noblesse, et plus encore d’entrer dans le jeu, en payant pour se maintenir noble ? Mais quelle que soit la réalité du fondement de leurs prétentions à la noblesse en regard de leur propre histoire, l’acquisition de

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lettres de réhabilitation les aurait-elle empêchés pour autant de déroger à nouveau, en l’absence de changement de mode de vie ?

Il est possible aussi que les Dumonthay se sentirent plus enhardis, pensant pouvoir compter sur des relations (les Gingins notamment). En tous les cas, ils persistent à se dire nobles, alors que déjà, en 1565, un Pobel avait obtenu des lettres de déclaration de noblesse, par lesquelles il était porté que « quoyque le Sr Pobel aye tenu en ascensement les émoluments des greffes du Faucigny, il n’a fait acte qui déroge à sa noblesse » [213]. Ainsi, si des membres de familles éminentes du Sénat ou de la Chambre des comptes montrent l’exemple, c’est à dire appliquent à eux-mêmes les règles nouvellement édictées par eux, qui d’autre ne serait tenu désormais de s’y plier ? Et en particulier, les autres candidats à la noblesse, ou anoblis récents, souvent de manière taisible, qui éprouvent déjà des difficultés à vivre noblement, et dont la fortune ou les appuis sont sans commune mesure [214] ?

Dès lors, il conviendrait de faire un exemple avec les Dumonthay, dont les protections sont amoindries, car les nouveaux seigneurs de La Corbière, soit le lignage des Verdon, ne résident plus à Challex [215]. En revanche, l’appui des Gingins devait être toujours réel, car les liens créés en 1526 ne s’étaient pas démentis, preuve en est une nouvelle alliance, en 1570, entre Jeanne-Anthoinette Dumonthay, probable sœur des futurs défendeurs, et François, seigneur de Gingins. Or à l’époque de ce mariage, leur grand-père maternel, François de Gingins, est toujours en vie (il décédera en 1578). Chef de la branche la plus éminente du lignage des Gingins, on peut lui attribuer l’organisation de ce mariage. C’est en effet un moyen pour lui de créer une « relation de solidarité particulièrement étroite » entre sa branche et celle des seigneurs de Gingins, en lui donnant une de ses descendantes, via sa fille illégitime, tout en s’affranchissant du délai de quatre générations d’interdits canoniques (voire trois par dérogation) du fait que l’on passe par un autre lignage [216]. Mais ce faisant, cela prouve aussi à quel point François de Gingins considère les petits-enfants issus de sa fille illégitime comme membres à part entière de sa parenté.

Pour cet homme très âgé pour l’époque (il a près de 70 ans en 1570), aux portes de la mort, il s’agit aussi d’une ultime marque d’affection et de soutien à l’égard des Dumonthay de Challex, déjà en butte à l’administration chambérienne depuis 1568, à qui il avait entrouvert les portes de la noblesse, un demi-siècle plus tôt, étant sur le point de prendre part à une ligue nobiliaire exceptionnelle par sa durée ... Lui aussi devait penser que les temps avaient bien changé !

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Conclusion

A travers une approche contextuelle, basée sur des sources à la fois territoriales et centrales, originales ou publiées, et en mettant en perspective l’analyse de cas et le plan général, il a été possible de cerner les nombreux points de non-retour survenus dans la seconde moitié du XVIe siècle en matière de noblesse savoyarde ; moyennant encore d’établir une perspective comparative avec le royaume de France, et d’avoir pu disposer de profondeur historique, il est ressorti quatre aspects principaux, qui tiendront lieu de conclusion en autant de points.

Premièrement, sous Emmanuel-Philibert, puis sous son successeur, les innovations en matière de noblesse sont bien réelles, points de non-retour que se doit d’identifier l’historien : essor véritable des lettres de noblesse, apparition des premières lettres de réhabilitation de noblesse, application stricte, voire définition, de critères de dérogeance, et procédures pour usurpation de noblesse dès 1563. Ces faits sont révélateurs de l’instauration d’un monopole princier en matière de renouvellement du groupe nobiliaire, au moyen des institutions judiciaires.

Dans ce processus, dicté probablement en grande partie par des besoins financiers, mais peut-être révélateur en partie de la force nouvelle de l’Etat qu’entend instaurer Emmanuel-Philibert, les officiers des deux cours de Justice (Sénat) et Finances (Chambre des comptes), jouent un rôle central. Artisans et bénéficiaires, sinon promoteurs, de ce système, eux-mêmes acquièrent des lettres de noblesse, avant de voir reconnue la spécificité de leur rôle, au moyen de l’anoblissement de leur charges : par édit du 27 mars 1584, Charles-Emmanuel Ier reconnut aux conseillers en ses deux cours souveraines du Sénat de Savoie et de la Chambre des comptes de Savoie - à savoir les présidents, sénateurs, maîtres et auditeurs, avocats et procureurs généraux installés dans leurs charges -, la qualité d’anciens nobles, transmissible à leurs descendants, au premier degré [217].

Il s’agit d’un fait sans précédent en Savoie (hormis sous François Ier [218]), car auparavant nulle charge publique n’était expressément anoblissante en elle-même ou réservée à la noblesse. De cette manière, sont honorés (ou récompensés) ceux-là même qui ont légiféré durant 20 ans – le temps d’une nouvelle génération - en matière de noblesse, forgeant leurs armes juridiques sur le terrain, à l’occasion notamment des procédures pour usurpation de noblesse, ou lors de l’établissement des rôles de taille personnelle, relayant fréquemment les plaintes des communautés d’habitants. Mais ce fait entérine-t-il aussi une séparation de la noblesse de robe et de la noblesse d’épée ? Dans les Etats de Savoie, comme en France, les gens de robe – descendants spirituels des « chevaliers qui ne portent pas les armes » - se considérèrent-ils aussi comme un « quatrième ordre » [219] ?

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Deuxièmement, à beaucoup d’égards, la Savoie va plus vite et plus loin que la France. Dans le royaume, l’ordonnance d’Orléans (1560) est le premier texte répressif en matière d’usurpation de noblesse [220]. La Savoie lui emboîte le pas dès 1563, année du serment prêté au duc par les prélats, les magistrats et les nobles, à l’issue duquel s’ouvrent les plus anciennes procédures pour usurpation de noblesse connues à ce jour.

D’emblée, ces procédures, conduites sous la houlette de la Chambre des comptes, font appel à la preuve écrite, alors qu’en France ce recours se développa au XVIe siècle, et ne s’imposa qu’à l’extrême fin de celui-ci (1599) [221]. Les critères retenus pour apprécier les situations de vie non noble sont, pour certains, identiques à ceux ayant cours alors dans le royaume de France, comme c’est le cas pour les prises à ferme de biens nobles (les ramenant à un rôle purement économique, soustrayant les fermiers aux obligations féodales), ou de revenus et d’impôts, même si en France de successives interdictions - ordonnances d’Orléans, 1560, puis de Blois, 1579 - faites aux nobles d’agir ainsi dénotent une difficulté du pouvoir royal à s’imposer à eux, malgré les menaces de dérogeance. En revanche, la Savoie fait preuve d’originalité, rendant formellement dérogeant le notariat public dès le début des années 1560 - alors qu’en France, au XVIIIe siècle, la situation est loin d’être aussi tranchée, malgré certains textes de Loyseau (1613) – ainsi que les offices de châtelains (ex-princiers ou seigneuriaux). Dans ces deux cas, nous avons pu voir l’entérinement du transfert définitif de la représentation princière depuis la périphérie (administration territoriale châtelaine) vers le centre (Chambre des comptes), entraînant aussi la perte de puissance des notaires publics, véritables substituts d’administration princière durant plusieurs siècles, et jusqu’alors bien implantés dans l’administration châtelaine. Enfin, la dérogeance de la marchandise semble s’imposer seulement quelques années plus tard, à la fin des années 1560, peut-être parce qu’elle était moins évidente à faire admettre, compte tenu de la situation « italienne » de la moitié des Etats de Savoie.

Ainsi, des tournants assez similaires, initiés vers la même époque en France et en Savoie (années 1560), deviennent effectifs quasi immédiatement en Savoie, et seulement à la fin du XVIe siècle – début XVIIe en France. Cet écart est imputable aux quatre décennies de guerres de religion qui épargnèrent la Savoie. En France, les guerres civiles n’empêcheront pas, toutefois, les officiers de Justice et des Finances de prendre définitivement le dessus sur les feudataires et les roturiers acquéreurs de fiefs, devenant les hommes tout puissants de l’Etat [222], ce en quoi les Etats de Savoie ne font pas exception, même si l’appareil administratif qui s’y développe reste probablement plus simple et plus léger que celui du royaume [223].

Troisièmement, nous avons souligné l’intermède particulier de Berne, provoquant une modification, sinon une « altération » du concept de noblesse dans les territoires occupés, qui est au cœur des problèmes rencontrés par les Dumonthay étudiés ici.

Conséquence de la dévalorisation des valeurs féodo-vassaliques, et de la suppression du privilège noble par excellence que représentait l’exemption des tailles, sous les effets conjoints de pratiques « urbaines » (communales et marchandes) et « suisses » (démocratiques), dans un

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contexte économique favorable à la pratique des affaires, sous obédience d’une république marchande et protestante, certains nobles récents de la période savoyarde ont perdu la volonté d’acquérir des fiefs nobles, chose déjà difficile avant 1536 [224], et renoncé à faire le « saut » dans la vie noble, qui impliquait l’abandon de toute activité professionnelle lucrative. Peut-être, à long terme, cette « tolérance » de Berne aurait mené à la disparition de la noblesse, sans effusion de sang, à tout du moins à un glissement de ses valeurs vers celles de la bourgeoisie, à l’instar de ces nouveaux « hommes nouveaux », notaires ou marchands affairistes, convertis de la première heure à la religion réformée. La réponse pourrait venir du Pays de Vaud, resté bernois après 1567 [225].

La restauration de la taille personnelle dans les bailliages rendus en 1567, assortie d’une application stricte des critères de dérogeance définis ou remis au « goût du jour » au début des années 1560 dans les territoires restitués à Emmanuel-Philibert dès 1559 par le roi de France, conduira à une véritable « réformation » de la noblesse avant l’heure – sorte d’avant-goût « colbertien » ? -, qui semble être aussi la réponse la plus directe, dans un contexte malthusien, aux particularismes de la période bernoise en matière de noblesse. En 1536, les 78 feux nobles gessiens de 1536 correspondaient à 4,3 % de la population de la baronnie, estimée à 9 000 feux (ou 45 000 âmes) [226]. Le pourcentage des nobles de la terre de Gex amorce une baisse durant la période bernoise (3,2 %) ; la population noble augmente de quelques feux en comparaison de 1536, mais le reste de la population augmente proportionnellement plus vite : la noblesse fait-elle moins recette ? Ensuite, le pourcentage des nobles gessiens chute de manière spectaculaire sous la restauration savoyarde (entre 1,5 % en 1568, et 1,8 % en 1576), atteignant dès lors plus ou moins son niveau des XVIIe et XVIIIe siècles [227], tandis qu’en 1560, les pourcentages des nobles de l’apanage de Genevois-Nemours, non conquis par Berne en 1536, et n’ayant donc pas connu d’altération du concept de noblesse, restent importants : 5 % à Annecy, et de 3 à 5 % en Faucigny, avec même, dans ce bailliage, des pointes à 8 % dans les bourgs [228].

Ces pourcentages élevés – qui accréditent la vision « traditionnelle » d’une noblesse des Etats de Savoie numériquement importante [229] - correspondent à ceux observés en terre de Gex au seuil de 1536, montrant, à l’évidence, que cette même vision doit être relativisée, dès la seconde moitié du XVIIe siècle, au moins, dans les bailliages restitués en 1567. En outre, cette disparité géographique traduit l’attention toute particulière dont les bailliages restitués par Berne ont fait l’objet ; un second indice est tout aussi révélateur en ce sens : les effets de cette réformation sont profonds et durables, affectant structurellement la composition du groupe nobiliaire. Jean Nicolas observe qu’en 1702 la proportion des familles nobles antérieures au XVIe siècle est la plus élevée en

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Faucigny (66,3 %), dans les (deux) bailliages (59,9 %) (Gex n’est plus inclus), et en Chablais (57,4 %), contre 44,3 % en Genevois et 41,2 % en Savoie propre ; en Tarentaise et Maurienne, moins du tiers des nobles de 1702 remonteront leur noblesse avant 1501. Comme le souligne l’auteur : « Ces écarts s’expliquent en particulier par l’existence de deux foyers urbains actifs, Annecy et surtout Chambéry, qui polarisent les énergies bourgeoises et encouragent les ambitions des aspirants à la noblesse résidant dans le sud du duché. Plus isolé, le Chablais et le Faucigny restent à l’écart du mouvement d’ascension sociale et conservent des structures plus stables » [230].

Or, les mouvements d’ascension n’étaient certainement pas moindres dans les campagnes au seuil de 1536, comme nous l’avons vu pour Gex au moins. Par contre, comme à Genève, les bourgeoisies d’Annecy et de Chambéry eurent elles aussi les moyens de leurs ambitions, achetant des lettres de noblesse, alors que dans les campagnes on privilégiait encore l’anoblissement taisible ; s’ajoute à cela une nette différence d’assises financières, permettant aux riches bourgeois anoblis par lettres de conforter plus durablement leur nouvelle condition en achetant des biens nobles. Toutes choses qui feront la différence d’ici peu, dès les premiers procès de 1563, ou lors de la restauration de la taille personnelle dans les trois bailliages.

Enfin, quatrième et dernier point : les nombreuses transformations observées sous le règne d’Emmanuel-Philibert apparaissent, avec le temps, comme autant de points de non-retour. En effet, dès le XVIIe siècle, on n’observe plus d’innovations en matière de noblesse ; bien au contraire, celles opérées dans la seconde moitié du XVIe siècle servent désormais de références en la matière ; de ce point de vue, on peut alors considérer qu’elles jettent les fondements de la noblesse d’Ancien Régime.

La dérogeance du notariat public est une chose jugée au temps du président Favre (début du XVIIe siècle), qui admettait celle-ci à contrecœur, mais ne partageait pas l’avis de ceux qui trouvaient la profession vile ou ignoble, considérant au contraire les notaires publics comme des hommes extrêmement vertueux, auxquels on confie sa fortune, sa réputation et sa vie [231]. Toutefois, le même estimait que les notaires du duc étaient nobles, car « tout ce qui environne le prince porte un reflet de sa grandeur, son cuisinier a lui aussi une part de dignité » [232]. Mais c’est aussi la seule raison invoquée par le président Favre qui, « le plus grand magistrat du monde », n’aurait pas manqué de se référer à un édit, et en particulier à celui de 1584 qui fait toujours référence par la suite, si avait existé un acte princier définissant comme anoblissant l’office de notaire-secrétaire du duc, par ailleurs déjà doté d’un faible pouvoir anoblissant avant 1536.

Qu’entendait donc démontrer le président Favre ? Il souhaitait certainement conforter le principe d’une noblesse découlant de la proximité de la souveraineté princière, sinon de la participation à celle-ci, permettant à bon escient d’illustrer ou d’évoquer les fondements de la noblesse même des sénateurs ; et aucun risque que les cuisiniers du prince ne revendiquent la noblesse à la suite de cette déclaration ! Mais cette citation du président Favre est peut-être à

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l’origine de la croyance d’un office de secrétaire ducal anoblissant, reprise par Foras [233], qui était certainement imprégné aussi d’une vision typiquement « française » [234].

Autre argument plaidant en faveur d’une vision nouvelle qui s’imposa en cette seconde moitié du XVIe siècle, et déjà totalement entérinée et admise au XVIIe, en 1662, François Capré, maître et auditeur des comptes, écrit, dans son Traité Historique de la Chambre des comptes : « Les chastelains [du prince] estoient donc deçà et delà les monts gouverneurs des chasteaux, terres et places du domaine, et convoquaient les nobles et les roturiers aux occasions de la guerre et d’autres services importants. Ils faisoient aussi la recepte de tous les revenus desdits chasteaux et places, en sorte que ces offices estoient possédés par les gentilhommes des principales familles … », donnant ensuite de nombreux cas de nobles de grandes maisons ayant été châtelains princiers entre 1242 et 1483 [235]. Là aussi, un tournant avait donc été franchi, bien avant 1662, époque à laquelle le constat était déjà établi, poussant peut-être François Capré à écrire pour que ne soit porté atteinte à l’estime de nombre de nobles anciens dont les ancêtres avaient recherché, et eu la chance d’obtenir, de tels offices.

A l’extrême fin du XVIIe siècle, l’année 1563, qui avait vu la prestation du serment du 18 février au duc, suivi quelques mois plus tard par les premières procédures pour usurpation de noblesse, et dont la trace était naturellement conservée dans les archives ducales, fut reprise pour définir la catégorie la plus ancienne des nobles d’alors : la noblesse d’épée ou de charges antérieure à 1563 ; les anoblis par patentes et par charges depuis cette date ; enfin, les nobles dont l’origine était inconnue [236]. Cela constitue la preuve indubitable que les événements de 1563 – le serment, puis les procédures pour usurpation de noblesse - avaient été fondateurs pour les générations ultérieures de juristes princiers. A contrario, lorsque de véritables recherches de noblesse furent enfin organisées, au moins dès 1631 en Genevois [237], on peut se demander si cette année 1563 ne servit pas de date buttoir, au-delà de laquelle il était inutile de prouver sa noblesse, à l’instar de l’année 1560 en France (ordonnance d’Orléans) [238] ?

Enfin, en 1717, fournissant ses preuves pour intégrer l’Ordre de Malte, un membre de la maison d’Allinges, pourtant antique, croit nécessaire d’apporter des précisions sur les offices

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détenus par ses ancêtres (s’adressant il est vrai à des autorités « françaises ») ; l’un d’eux ayant été maître auditeur en la Chambre des comptes, il se fait délivrer par cette cour une attestation de la qualité anoblissante de cette charge ; or cette attestation délivrée en 1717 se réfère au seul édit de 1584. A l’inverse, nombre de ses ancêtres du Moyen Age ayant détenu des offices de châtelains princiers, il cite à l’appui François Capré : « la charge de chastellain du prince a tousjours esté en très grande considération dans les Estats de la royale maison de Savoye ». Le fait du prince, en matière de noblesse, était donc définitivement admis.

Cet article a bénéficié de la relecture et des remarques de MM Jean Nicolas, Robert Descimon et Guido Castelnuovo, auxquels j’exprime mes plus vifs remerciements.

Généalogie n° 1 : du Monthay / Dumonthay de Challex, baillage de Ternier-Gaillard, aujourd’hui dans l’Ain

Généalogie n° 2 et 3 : alliances "chalaisiennes" et parentèle des Du Monthay (2), resserrement d’alliance entre les Gingins via les Du Monthay (3).

Notes

[1Dossiers n°s 12 et 13 : même procédure ; n° 15 : demande de paiement de la finance de lettres de noblesse (1584) ; acte isolé (n° 1) : « Lettres d’inhibitions sur Remontrance du Procureur fiscal pour le Duc Charles (III) de Savoye, contre les usurpateurs du titre de Prince à l’occasion des sauvegardes par eux accordées » (1509) ; enquêtes de vie et mœurs menées sur des officiers (n° 27 à 29). L’inventaire turinois n° 85 analyse très sommairement chaque dossier, dont la numérotation semble contemporaine aux procédures ; celui des du Monthay porte le numéro 13 bis, et figure en page 3. Cet inventaire est aujourd’hui scanné (IR 119), avec pour intitulé Procédures pour la preuve de noblesse, 1509-1695. L’intitulé de l’inventaire original comprend les dates extrêmes de 1563 et 1695, rayées ensuite au profit de celles de 1509 et 1695, réécrites à la main. Or, la date de 1695 est erronée, la lecture du dossier en question (n° 29) montre qu’il s’agit de 1605.

[2J’emploie dans le texte l’orthographe des documents de la procédure : la particule « du » a été volontairement rattachée au nom par les hommes de la Chambre des comptes, à une époque à laquelle des nobles d’extraction qui en étaient dépourvus jusqu’alors commencent à la faire apparaître devant leur nom. Dans les actes antérieurs au procès, l’orthographe courante est dou Montey (1447, 1478, 1495), en français, ou de Montheolo (1532), en latin ; cette particule exprimait l’origine géographique cf. infra, n. 11.

[3Les principaux fiefs de la paroisse sont alors la seigneurie et château de La Corbière, relevant du bailliage de Ternier-Gaillard qui appartenait initialement au comté de Genevois mais resté hors des successifs apanages de Genevois dès la constitution du premier d’entre eux, en 1440, et la seigneurie de Challex proprement dite, scindée depuis fort longtemps en deux co-seigneuries relevant de souverainetés distinctes : le fief dit de Confignon (République de Genève, ayant-cause de l’évêque), et le fief dit de Livron (bailliage de Gex).

[4Le cas des du Monthay est évoqué en quelques lignes par Réjane Brondy, Chambéry, histoire d’une capitale, vers 1350-1560, Lyon, 1988, p. 250 ; l’auteur s’appuie manifestement sur la seule analyse de l’inventaire turinois n° 85, mais évoque « les frères Monthey, de Genève ».

[5La remontrance à l’origine de la procédure cite Anthoine comme notaire ducal et Claude comme co-châtelain de La Corbière.

[6ADS, SA 2029 (6 MI 8), f° 67, Challex, le 20 janvier 1577 : « Me Claude du Monthay qui se dit être noble » ; « Anthoine du Monthay, de même » ; « Les hoirs de Jean du Monthay, de même ».

[7Cf. infra, n. 35.

[8Les Dumonthay sont initialement des sujets immédiats de la Maison de Savoie, au titre de La Corbière (acquise définitivement en 1401, en même temps que le comté de Genève dont elle dépendait), apparaissant comme contribuables d’un subside princier levé en 1404 en cette châtellenie. Lors de son inféodation avec droits de haute justice (1406), les Dumonthay sont probablement devenus des sujets immédiats du nouveau seigneur de La Corbière, vassal lui-même de la Maison de Savoie, et donc des sujets médiats de celle-ci.

[9Cahier principal, f° 6-9v.

[10Cas d’auditions préalables et secrètes de témoins (ADS, SA 1040, IR 119, dossiers n°s 3, 7).

[11Des reconnaissances de 1554-1555 mentionnent l’emplacement de la maison d’Amédée Dumonthay, e.a. : « faict audict Challex sus le pellet soit sus les loges de la maison de noble Amyedz du Monthay assise vers les maisons des Blans » cf. AEG, Titres et Droits, Pa 43, f° 167v. Au XVIIe siècle, cf. ADCO, E 36, cote 132, ce lieu-dit est appelé également « en la Craz ». Ce toponyme existe encore de nos jours et englobe le flanc nord-ouest de la colline de Challex. Non loin de là, légèrement plus au nord et à flanc de pente - soit dans la montée, d’où l’origine probable du toponyme - un lieu-dit s’appelle toujours « Montet » (parcelles A 221 et A 223 du cadastre communal du 10 août 1992). Il s’agissait d’un îlot de peuplement (aujourd’hui disparu), situé sur l’axe reliant anciennement le Genevois à la terre de Gex, soit depuis l’ancien pont de La Corbière sur le Rhône, via Challex, et redescendant depuis là vers la terre de Gex, en direction du Jura, par le Montet. Les du Monthay peuplaient ce lieu dont ils prirent le nom.

[12En 1495, la reconnaissance du seigneur de La Corbière, au titre de Gex, pour sa maison-forte de Livron et les biens et droits en dépendant (ADCO, B 1115), cite, tant pour des confins que comme tenanciers, les enfants de Jean et Jean Dumonthay (f° 67, 68, 72v, 78v, 79), preuve d’une absence encore de partage ; l’un d’eux, provide homme Pierre Dumonthay, est mentionné à titre individuel uniquement en tant que témoin à la reconnaissance (f° 83). Dans la reconnaissance de Claude d’Allier, passée en 1532 au titre de Gex (ADCO, B 1169), cette mention commune (enfants de Jean et Jean Dumonthay) apparaît encore (f° 265v, 268v) mais sont également mentionnés Jean et Mermet Dumonthay (f° 266v, 267, 293v), ou Mermet seul, fils de feu Jean Dumonthay (f° 293), ou encore égrège Pierre Dumonthay (f° 269, 274, 293v). Ainsi, entre 1495 et 1532, des partages ont déjà eu lieu entre les deux branches issues des deux frères Jean Dumonthay, mais sont inachevés. Par la suite, les enfants d’Amédée Dumonthay ne partageront leurs biens paternels qu’entre les années 1550 et l’année 1577, où ils constituent trois feux distincts pour le don gratuit.

[13Le seul rouleau de compte de subside conservé pour la châtellenie de La Corbière (ADS, SA 15 187), fait état, en 1404, de 34 feux contribuables, dont les patronymes de quatre d’entre eux sont effacés par l’eau.

[14Plus la saisie de leurs biens nobles, s’ils en avaient eu, comme on l’observe par ailleurs en cas de condamnation cf. ADS, SA 1040, IR 119, dossiers n° 11 (1573), 13 (1586), 16 et 17 (1588).

[15Par exemple, AEG, Titres et Droits, Fa 29, grosse du 16 janvier 1577.

[16Carnet intitulé Procès de noble Pernette de Gingins contre le procureur patrimonial de monsieur de Rosey et de La Corbière, copies d’actes du greffe de la justice seigneuriale de La Corbière datant de la fin de l’année 1550, (f° 1-1v), l’officier (métral, sergent ou huissier) de La Corbière ayant voulu « quérer Beney Callier en la maison de noble Amyed du Monthey par le commandement de la justice pour icelui conduire en prison sus une pacilie ( ?) contre lui faicte par égrège Pierre du Monthay », se vit répondre par noble Pernette de Gingins « que lui ny aultres officiers de monsieur ny de madame n’avoyent puissance de fere acte d’officier en ladicte maison, en le menassant de lui ballier de la pallecte et de l’eau chaulde. En luy disant plusieurs injures et oultrages mesme qu’il havoyt desrobé une goge ».

[17De telles revendications s’observent aussi à l’occasion d’inféodations du domaine princier, avec droits de haute justice, devenues très fréquentes à l’époque : les nobles vivant sur le territoire concerné veulent rester des vassaux directs du prince, jugés directement par lui, à la différence des autres feux, dont les liens de sujétion sont généralement compris dans l’inféodation, et qui deviennent ainsi des sujets immédiats et des justiciables du nouveau seigneur haut-justicier (exemple d’opposition à la création de la baronnie de Pierre, en terre de Gex, au profit de Claude (de) Pobel, par lettres du 1er janvier 1580 ; par arrêt de la Chambre des comptes, les nobles et leurs maisons furent maintenus hors juridiction de la nouvelle baronnie de la Pierre cf. ADCO, E 36, cote 39).

[18Cahier principal, f° 1-5v. Seule nous est parvenue une copie car l’original, est-il précisé, a été égaré dans la Chambre des comptes !

[19Feuillets « volants » débutant au f° 12 par un plaid, qui précède le détail des preuves donné dès f° 13 ; contient une référence à un plaid précédent signé Bernard.

[20Cahier principal, f° 14-20v, sans date ; un acte du 16 décembre 1581 fait référence à un plaid produit par Perrod le 27 novembre 1581 cf. ibidem, f° 21-21v.

[21Naturellement, cela prête à sourire, compte tenu de la situation que nous évoquerons plus loin.

[22Cahier principal, f° 22-23v.

[23Compte tenu des dates, et du fait que Jean-Jacques est parfois nommé Jacques mais pas Jean cf. infra, notes 62, 71 et 91.

[24Cas encore fréquent au XVIe siècle cf. (M.) Nassiet, Parenté, Noblesse et Etats dynastiques, Paris, 2000, pp. 41-42.

[25Foras, Armorial, t. IV, art. « Maison de Savoie », p. 438.

[26Il s’agit de l’acte notarié d’une vente faite à révérend seigneur Romain de Riedmatten, évêque de Sion et comte du Valais. Les frères du Monthay se le seraient-ils procurés sur les conseils de leur procureur ? Pour ces du Monthey valaisans, voir notamment (Louis) Junod, Mémoires de Pierrefleur, Lausanne, 1933, p. 115, n. 6.

[27(M.) Nassiet, Parenté, Noblesse et Etats dynastiques, pp. 29-31. Mode de preuve identique utilisé par les du Port, de Termignon (Maurienne), réhabilités en noblesse par patentes de 1608 cf. Foras, Armorial, t. IV, art. « Port (du) ou Duport », p. 464-465.

[28Où est conservé alors le registre de Ternier-Gaillard établi pour Berne, aujourd’hui perdu.

[29La reconnaissance ne mentionne pas même de lien de sujétion à l’égard du seigneur de La Corbière, par exemple « homme lige et franc » ou « bourgeois (juré) de La Corbière ».

[30Cf. infra, n. 59.

[31(M.) Labouré, Eglise de Challex et son château, Lyon, 1972, pp. 6-7 ; engagement des frères Roland et François-Marin de Verdon, coseigneurs de La Corbière, contre les ennemis du duc dès juin 1589, soit au début de la guerre de 1589-1593 contre Genève ; capturés, ils faillirent être jetés au Rhône.

[32Cf. infra, n. 215.

[33Cahier principal, f° 26-27v.

[34(M.) Nassiet, Parenté, Noblesse et Etats dynastiques, p. 67.

[35Les descendants des enfants d’Amédée du Monthay ne sont plus qualifiés de nobles dans les actes - hormis dans une reconnaissance passée en 1584 au profit de l’Ordre des Saints Maurice et Lazare (AEG, Pa 44, f° 197v), par noble Valentin, fils de noble Claude du Monthay ; ils restent notaires et tiennent des biens nobles à ferme cf. ADA, 3 E 30 562, notaire Jean-Louis Marchand, 3e volume, 1617-1618, acte concernant Me Louis du Monthay, de Challex, fermier de la baronnie de Pierre, en terre de Gex, avec Me Pierre Dufour, de Collonges (1618) ; ibidem, discret Michel du Monthay, fils de feu Me Anthoine, de Challex, vivant en 1618. ADCO, E 36 cote 132, reconnaissance (1755) de messire Jean-Joseph de Bourgeois, seigneur de La Corbière, à noble Charles Lullin, seigneur de Châteauvieux et de Confignon, (folio 1), reconnaissance antérieure aux années 1640 par discret Jean, fils de feu maître Louis Dumonthay. Jean Dumonthay sera ensuite notaire royal à Collonges cf. infra, n. 63. Je n’ai pas suivi plus avant cette famille.

[36(C.) Mottier, Typologie sociale du groupe nobiliaire de la terre de Gex au seuil de l’invasion bernoise de 1536, 318 p. hors annexes, dactylographié, Dijon, 2001 [version augmentée du mémoire de diplôme de l’Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales de Paris obtenu en décembre 2000, sous la direction de Robert Descimon]. Les sources utilisées en principal pour ce travail sont les reconnaissances de fief de la châtellenie-baronnie de Gex (1355-1561), conservées aux Archives départementales de la Côte d’Or (série B).

[37(C.) Mottier, Typologie sociale, p. 146.

[38(J.-M.) Constant, La noblesse française aux XVIe et XVIIe siècles, Paris, 1994, p. 94 ; en 1523, 43 % des familles de l’élection de Bayeux (Normandie) étaient « récentes », citant J.-B. Wood ; ce taux de renouvellement semble progresser fortement tout au long du XVIe siècle. Cas apparemment identique en Bretagne, Touraine, Maine, Anjou, Provence et Auvergne.

[39(C.) Mottier, Typologie sociale, pp. 146-148, et tableau n° 20.

[40ADS, SA 1588, f° 20v ; lettres produites en 1568 par son fils Urbain Marchand. Auparavant, les Dunant, originaires de Saint-Jean-de-Gonville, en terre de Gex, éteints avant 1536, avaient été anoblis par Amédée VIII de Savoie, en 1409 ou 1410 cf. (C.) Mottier, Les intérêts domaniaux de la Maison de Savoie dans les anciens Pays de l’Ain. Etude sur les reconnaissances de fief reçues au titre des châtellenies des bailliages de Bresse, Bugey et Gex (XIVe-XVIe siècles), Archives départementales de l’Ain, Bourg-en-Bresse, 2004, à paraître.

[41(Jean-Richard) Bloch, L’anoblissement en France au temps de François Ier, Genève, éd. 1976, rééd. de Paris, 1934, p. 194.

[42(C.) Mottier, Typologie sociale, pp. 223-224 et notes.

[43(J.-M.) Constant, op. cit., pp. 97-100, évoquant le « système de renouvellement à l’ancienne mode », lorsque « la société s’autorecrutait » sans que n’intervienne le prince.

[44(Guido) Castelnuovo, « Centres et périphéries : les châtelains en terre savoyarde (moitié XIVe - moitié XVe siècle) », dans Savoie et Région alpine, actes du 116e congrès national des sociétés savantes, Chambéry-Annecy 1991, Comité des travaux historiques et scientifiques, Paris 1994, pp. 97-108 ; p. 105 et n. 49.

[45Cf. infra, n. 185.

[46(C.) Mottier, Typologie sociale, pp. 233-234.

[47(Guido) Castelnuovo, « Dynasties seigneuriales, lignages urbains et parentés d’officiers de part et d’autre des Alpes : l’exemple de la principauté savoyarde (début du XIVe – milieu du XVe siècle) », dans Mélanges offerts à André Palluel-Guillard, Mémoires et Documents de la Société Savoisienne d’Histoire et d’Archéologie, t. CIV, Bibliothèque des Etudes Savoisiennes – Université de Savoie, t. X, Chambéry, 2002, pp. 49-60 ; p. 55 et n. 31.

[48(Emile) Dullin, Les châtelains dans les domaines de la Maison de Savoie en-deçà des Alpes, Chambéry, 1911 ; chapitres II, III, IV, V et VIII de la première partie. Complété par l’étude plus récente de Guido Castelnuovo, « Centres et périphéries : les châtelains en terre savoyarde (moitié XIVe-moitié XVe siècle) », dans Savoie et Région, actes du 116e Congrès national des Sociétés Savantes, Chambéry-Annecy, 1991, Paris, 1994. A paraître : actes de la table ronde De part et d’autre des Alpes. Les châtelains des princes à la fin du Moyen Age, tenue à Chambéry les 11 et 12 octobre 2001, organisée par l’Université de Savoie et l’Université de Paris I Panthéon-Sorbonne.

[49(Giulia) Scarcia, « Une intégration possible : le cas des « lombards » en Suisse romande. Les villes de Morat et Moudon aux XIVe et XVe siècles », dans Etudes Savoisiennes n°s 5-6, Université de Savoie, Institut d’Etudes Savoisiennes, Chambéry, 1996-1997, pp. 47-84 ; en particulier, pp. 66-68, 74-75, 82-84. (Luisa) Castellani, « Amédée V et les « lombards » piémontais en Savoie. Relations politiques et économiques », dans Etudes Savoisiennes n°s 7-8, Chambéry, 1998-1999, pp. 27-49 ; p. 46. (G.) Castelnuovo, « Dynasties seigneuriales, lignages urbains et parentés d’officiers de part et d’autre des Alpes … », pp. 54-55 et notes.

[50Généalogies dans Foras, Armorial.

[51(C.) Mottier, Typologie sociale, p. 237.

[52(Albert) Albrier, « Les anoblis de l’Ain de 1408 à 1829 d’après des documents authentiques », dans Revue du Lyonnais, Lyon, 1873 ; p. 2, lettres données à Thonon, le 10 mai 1430, à François Guigonard, de Pont-de-Vaux, secrétaire du duc ; p. 4, lettres données à Genève, le 7 mars 1447, à Jean Pelletrat, de Treffort, secrétaire du duc ; p. 6, lettres données le 9 août 1499 à Jean Aymon, secrétaire du duc.

[53(G.) Huppert, Bourgeois et Gentilshommes. La réussite sociale en France au XVIe siècle, Paris, 1983, p. 10.

[54Quel que soit le parcours anoblissant suivi, la quasi-totalité des anoblis gessiens de 1536 est passée initialement par le notariat, à plus ou moins de générations antérieures.

[55(M.) Nassiet, Parenté, Noblesse et Etats dynastiques, pp. 165-166 ; cas en Bourgogne, Anjou, Bordelais, Quercy ; ce type d’alliance permet notamment aux lignages nobles d’intégrer des clientèles.

[56(C.) Mottier, Typologie sociale, voir notamment le tableau D en annexes. Depuis : alliance probable entre un Janin (Pierre ?), de Farges, avec noble Andrée de Livron, de Challex, bien avant 1447, soit au début du XVe siècle ( ?), cf. ADCO, B 1103, f° 223v ; Léger Lévrier (sans postérité connue, frère du premier noble) épouse, vers 1533, Michière de Gingins, illégitime du chanoine Aymon de Gingins, évêque élu de Genève en 1513 (mais non installé par le pape), et oncle de Marguerite de Gingins, héritière de Divonne cf. (Maxime) Reymond, « Gingins », dans Recueil de généalogies vaudoises publiées par la Société Vaudoise de Généalogie, t. II, Lausanne, 1935, p. 66.

[57(Marie-José) de Savoie, Emmanuel-Philibert duc de Savoie, éd. Slatkine, Genève, reprint, 1995, p. 177.

[58(J.-R.) Bloch, op. cit., pp. 195-199 ; à Gex, en 1515, sont bien exclus du rôle des tailles ducales levées sur le bourg et ses dépendances (AMGex, 6G1) les anoblis tels les Nycod, Perrissod, Michaud, de Thorens et de Michaille ; François Marchand (anobli en 1529) y figure encore en revanche.

[59Sur le lien, nettement observable en terre de Gex dès Amédée VIII, entre vassalité princière effective (du point de vue des armes, mais également de services très divers rendus au prince selon une conception étendue du consilium) et reconnaissance par le prince de la condition noble avec la garantie de ses privilèges, voir (C.) Mottier, Typologie sociale, notamment pp. 185-191, 197-200, 299-302 ; l’origine de cette réflexion doit beaucoup à Guido Castelnuovo, « Les noblesses et leurs pouvoirs dans les Pays de Savoie au Moyen Age », dans l’Histoire en Savoie, nos 132-133, Société Savoisienne d’Histoire et d’Archéologie, Chambéry, 1998-1999, pp. 65-81.

[60Cas typique des Cohendier, cf. Foras, Armorial, t. II, pp. 110-113. Sur l’anoblissement des Cohendier, voir aussi (G.) Castelnuovo, « Les noblesses et leurs pouvoirs », p. 71.

[61Cf. supra, n. 23.

[62ADCO, B 1231, f° 80v, reconnaissance de discret Pierre Dumonthay et son frère Jacques, au profit de la cure de Challex (sans date, probablement fin du XVe siècle) ; Pierre Dumonthay est qualifié de provide dès 1495.

[63ADCO, E 36, cote 132, copie d’une reconnaissance du 25 avril 1513 reçue par Pierre du Monthay, au profit de Bernardin d’Allier, seigneur de La Corbière ; la copie est établie par Jean Dumonthay, notaire royal à Collonges, probable détenteur des protocoles de Pierre du Monthay. ADCO, E 36, cote 132, reconnaissance des enfants de feu Charles Dépéry (1743) au seigneur de La Corbière, citant deux reconnaissances antérieures au profit de Bernard(in) d’Allier, seigneur de La Corbière, reçues en février 1527 par Pierre du Monthay, commissaire.

[64ADCO, B 1115, f° 83.

[65Noble Andrée de Civin, relaissée de feu égrège Pierre du Monthay, notaire, dit le Vieux cf. AEG, Notaires Latins, Thibaud de La Corbière, vol. I, acte de 1537. Foras, Armorial, t. I, « Cevins (de) », pp. 325-326 ; château de Cevins à Pers-Jussy (Haute-Savoie) ; lignage remontant au XIIIe siècle au moins.

[66AEG, Notaires Latins, Thibaud de La Corbière, vol. I, contrat dotal du 3 juin 1518 entre noble Jean Perrissod, de Challex, et noble Nicolette, fille de feu noble Pierre, seigneur de Civin. La dot est de 400 florins, constituée par les frères de la mariée.

[67Issue de noble Pierre de Livron, frère de noble Françoise de Livron, décédé certainement avant elle sans héritier légitime.

[68AEG, Notaires Latins, Thibaud de La Corbière, vol. I, acte d’obligation (dette) des époux envers Clément du Monthay, prêtre ; contrat dotal du même jour.

[69AEG, Ad4, visite pastorale de 1516-1518, f° 316.

[70(C.) Mottier, « L’accession à la noblesse d’une famille de notaires gessiens : les Brunet. Etapes et mécanismes d’une stratégie à long terme (1366-1514) », dans Les Nouvelles Annales de l’Ain, année 2000, Société d’Emulation de l’Ain, Bourg-en-Bresse, 2001, pp. 7-25, et en particulier pp. 10-14.

[71ADCO, B 1235, reconnaissance (1502) au profit de la cure de Challex par provide Pierre Dumonthay, notaire, pour lui et son neveu, Amédée Dumonthay, fils de feu Jean-Jacques Dumonthay, frère dudit Pierre.

[72ADCO, E 36, cote 132, reconnaissance (1755) de Bourgeois à Lullin, (f° 1), reconnaissance antérieure passée le 1er février 1544 au profit de Claude d’Allier, seigneur du Rosey et de La Corbière, es mains des égrèges Amédée du Monthay et Jacques Martin, commissaires aux extentes dudit seigneur.

[73Le père de François de Gingins avait rendu d’éminents services au roi de France, comme ambassadeur auprès des Confédérés, en 1512 et 1514 notamment cf. (M.) Reymond, op. cit., pp. 73 et 75. De même, Jean II de Gruyère prit part (en 1522) aux côtés de la France à la bataille de la Bicoque cf. Dictionnaire historique et bibliographique de la Suisse, t. III, « Gruyère (comtes de) », p. 658.

[74(C.) Mottier, Typologie sociale, pp. 282-291.

[75François de Gingins est fortement endetté en 1550 pour le moins cf. infra, n. 110, mais Amédée Dumonthay n’apparaît pas parmi les créanciers cités dans la taille bernoise.

[76(M.) Nassiet, Parenté, Noblesse et Etats dynastiques, p. 84 ; le mariage des filles illégitimes « avait la grande utilité de permettre au père de resserrer une relation avec un proche d’un statut trop inférieur pour qu’on pût lui donner une fille légitime ».

[77(M.) Reymond, op. cit., p. 75.

[78(M) Nassiet, Parenté, Noblesse et Etats dynastiques, p. 166 et suivantes.

[79Les oncles paternels de Marguerite de Gingins avaient d’abord essayé de l’écarter de la succession cf. (M.) Reymond, op. cit., p. 68.

[80(M.) Nassiet, Parenté, Noblesse et Etats dynastiques, pp. 82-86.

[81Ibidem, pp. 143-144.

[82Les seigneurs haut-justiciers ont le droit de créer divers offices : juge, châtelain, curial (greffier de la cour de justice), métral (sergent ou huissier de justice), voire messelier (garde-champêtre) cf. (Eugène) Burnier, Histoire du Sénat de Savoie et des autres compagnies judiciaires de la même province, t. I, « Période de 1329 à 1630 », Paris, 1864, pp. 49-50, 291-292. Il leur appartient aussi de les alberger (vendre), les inféoder ou les affermer (louer). En terre de Gex, au début du XVe siècle, cas de fonctions de châtelain et de curial seigneuriaux exercées par des notaires locaux, sujets ou vassaux du seigneur haut-justicier cf. ADCO, B 1110, dès f° 19. L’inféodation d’une châtellenie publique - qui comporte en général des droits de haute justice – est une opportunité supplémentaire, pour ces hommes, d’accéder notamment à l’office de châtelain devenu seigneurial, car le bassin de recrutement semble nettement plus réduit que pour un châtelain princier, tant au plan géographique que social.

[83Un des actes produits au procès le mentionne comme tel, en 1531, alors qu’il prend à ferme les revenus du prieuré du même lieu.

[84Cf. infra, n. 96.

[85AEG, Notaires Latins, Thibaud de La Corbière, vol. I.

[86Somme forfaitaire versée pour l’entrée en possession d’un bien albergé, correspondant au prix de vente.

[87Extrait de reconnaissance pour Berne par les seigneurs de La Corbière en date du 13 août 1557, à cause de Ternier, produit au procès, non folioté (9v-10v).

[88Ainsi, énumérés selon la préséance des trois ordres de la société, trouvons-nous successivement vénérable messire Guillaume Lambert, curé de Divonne ; Claude Michaud, de Gex, chapelain ; frère Claude Chappuis, prieur du couvent des Carmes de Gex ; les nobles hommes Jean, seigneur de Gingins [il décèdera en 1531 ; chef de nom d’une branche des Gingins, il avait été armé chevalier par le roi de France Charles VIII sur le champ de bataille de Fornoue (1495) cf. (M.) Reymond, op. cit., pp. 66-67] ; Claude de Confignon, seigneur de Corsier (Suisse, canton de Genève) [il est aussi seigneur d’une partie du village de Challex (fief de Confignon) cf. Foras, Armorial, t. II, art. « Confignon (de) », p. 144] ; Amédée de Greires (Degrieyro) [il est frère de vénérable messire Amblard de Greires, alors curé de Challex depuis 1496 cf. AEG, Notaires Latins, Thibaud de La Corbière, vol. I, vente de 1529 par les divers de Greires, dont ces deux frères, et (Matthieu) de La Corbière, « Le prieuré et les églises Saint-Félix et Saint-Maurice de Challex (Ain) », dans Les Echos Saléviens n° 7, La Salévienne, 1998, pp. 7-56 ; p. 43 et note] ; Etienne Michaud ; honnête homme Michel de Pane, apothicaire, de Genève, et maître Alexandre Charoli, barbier (barbitonsor). La présence de toute la fratrie Michaud, si elle ne s’explique pas par des liens de parenté, peut être la conséquence des dettes de Claude Michaud à l’égard d’Amédée Dumonthay ; des trois frères Michaud, l’un est ecclésiastique, l’autre exerce le notariat, activité provenue de leur père et délaissée par Etienne, leur aîné, soucieux de s’agréger durablement à la noblesse.

[89A contrario, Amédée du Monthay est mentionné comme égrège et notaire cette même année 1526, et en 1535 encore, dans des actes de son confrère challaisien cf. AEG, Notaires Latins, Thibaud de La Corbière, vol. I et II.

[90ADCO, B 1170 (terrier du rural). Chez les anoblis récents, l’absence de caractère militaire de leurs biens ancestraux ne justifie pas un anoblissement de ceux-ci cf. (C.) Mottier, Typologie sociale, pp. 200-201.

[91ADCO, B 1180, carnet de queues de reconnaissances, f° 90v-92 ; le 4 novembre 1532, reconnaissance au titre de Gex par les nobles Jeanne et Aymée de Bourdigny, épouses des nobles Claude de Bruel et Etienne Michaud, d’une maison (domus cum fondo casale platheis curtilli et curtinis) et pré contigu, à Bourdigny, reconnue précédemment [vers 1507-1517] par leur feu père, noble Hugonin de Bourdigny, et tenue en fief taillable et sous la charge d’un hommage taillable. AEG, Ca 39, f° 705v-708v ; le 1er mai 1545, noble Amédée Dumonthay, de Bourdigny (sic), fils de feu Jacques Dumonthay, reconnaît à la République de Genève, au titre du chapitre Saint-Pierre, quelques biens fonciers à Bourdigny provenus de l’échange réalisé en 1540 avec Etienne, frère de feu Claude Michaud (acte de donation produit au procès) et tenus en emphytéose perpétuelle, n’englobant pas la maison du confessant où est reçu l’acte. Les autres biens des Bourdigny cédés en 1540 à Amédée Dumonthay, non décrits dans ces deux reconnaissances, étaient situés à Peney, Satigny …, cf. preuves fournies au procès, soit des localités relevant de la mouvance de la Seigneurie de Genève ; mais quand bien même il y aurait eu des biens nobles parmi ceux-ci, ils relèvent désormais d’une république certainement aussi peu sensible aux valeurs vassaliques que celle de Berne.

[92ADCO, B 1169, f° 264 ; procuration reçue par égrège Thibaud de La Corbière (4 juillet 1532).

[93Par exemple, le notariat est pratiqué à l’époque par les nobles Moine, descendants d’un anobli par lettres du duc de 1430 ; ainsi, en 1531, les nobles Louis et Amédée Moine [père et fils] sont témoins à la reconnaissance de noble Marin de Montchenu – maître d’hôtel du roi de France et futur bailli du Bugey pour celui-ci -, passée au profit du duc de Savoie, au titre de Gex, pour sa seigneurie de Pierre cf. ADCO, B 1177, f° 478v. En 1549, ce même noble Amédée Moine est procureur de noble et généreuse dame Marie de Montchenu, dame de Pierre, fille du précédent, et châtelain du Vuache, autre château des Montchenu cf. ADCO, B 1187, f° 452-455. Grâce au produit de ces activités, les Moine ont pu conserver, sinon donner, une tournure militaire à leur genre de vie en acquérant des fiefs nobles cf. Foras, Armorial, t. IV, art. « Moyne ou Moène ».

[94(C.) Mottier, Typologie sociale, p. 228.

[95Preuve fournie par ses fils.

[96ACV Bs 6/2, Challex dès f° 155. S’ajoutent 370 florins au titre du bailliage de Gex, comptés sous Collonges, dont l’office de « la chastellanie de Dyvonne à sa vie durant » estimé 100 florins cf. ADCO, B 11 598, f° 424v.

[97Taux utilisé pour les biens roturiers par (A.) Jouanna, Le devoir de Révolte. La noblesse française et la gestation de l’Etat moderne, 1559-1661, Paris, 1989, p. 36. Les biens nobles valent plus, mais rapportent moins.

[98(J.-P.) et (J.-F.) Pollier, « Calculs sur les monnaies des Etats de Savoie et des pays voisins », dans Revue Savoisienne, Annecy, 1965, p. 132.

[99(C.) Mottier, Typologie sociale, tableaux Ia et Ib en annexes. J’avais alors estimé les revenus annuels à 10 % des actifs réalisables, estimation que je considère maintenant comme trop élevée.

[100ACV, Bs 6/2, f° 155.

[101A titre comparatif, toutefois, ses revenus, estimés plus haut à 200 livres tournois environ, le placeraient au même plan que le normand Gilles Picot, sire de Gouberville, son contemporain, « petit gentilhomme campagnard » cf. (A.) Jouanna, op. cit., p. 32.

[102Il existe à ce sujet un travail de recherche de (J.-C.) Cuenin, La taille bernoise dans le bailliage de Gex en 1550, Mémoire, Faculté des Lettres, Université de Lausanne, décembre 1963 (non consulté à ce jour).

[103Les « châteaux » apparaissent dans les biens évalués, preuve indubitable de l’imposition des fiefs nobles.

[104Les nobles du bourg de Gex sont imposés par Berne au même titre que les roturiers dès le mois de mai 1536, à l’occasion de la taille levée sur le bourg et ses dépendances « à cause de la Cluse de Gex » cf. AMGex, 6G1.

[105ADCO, B 1220, reconnaissance (1558) de leur fils, noble Urbain Marchand, par ladite noble Jeanne, sa mère et tutrice. Elle-même est fille de noble Richard Vignod, coseigneur de Chanay, et de noble Jeanne de Menthon, cf. (Samuel) Guichenon, Histoire de Bresse et du Bugey, t. II, Roanne, 1976, rééd. de Lyon, 1650, art. « Vignod », pp. 243-245 ; p. 245.

[106ADS, SA 1588, f° 20v.

[107AMGex, 6G1.

[108ADA, 3 E 30 527, notaire Jean Marchand, 1564-1566, f° 48, Anthoine Dumonthay, égrège Amed du Ponthoux et honnête Claude Mestral dit Berthier, de Challex, fermiers du château de Farges.

[109Foras, Armorial, t. V, art. « Sacconay », p. 302.

[110François de Gingins, qui était apparu surendetté dans le rôle de taille établi pour Gex en août 1550, dut céder sa seigneurie de Divonne dès la fin de la même année, acquise par son oncle maternel, le comte Michel de Gruyère, pourtant déjà fortement endetté lui-même, puis par Charles de Challant, en février 1555 déjà, en vertu d’une « judicielle adjudication en sa faveur faicte » par le bailli de Gex cf. ADCO, B 1204, f° 2v-3. Michel (Ernst) Diener, « Grafen von Greiez », dans Manuel généalogique pour servir à l’histoire de la Suisse, publié par les soins de la Société Suisse de l’Héraldique, t. I, « Les dynastes », Zurich, 1900-1908, p. 98, n° 86 : Françoise de Gruyère, sœur du comte Michel, est déjà mariée à Charles de Challant en 1540, puis elle en est dite « relicte » (veuve) en 1544 ; le possesseur de Divonne de 1555 était donc certainement leur fils. Ces faits laissent entendre que François de Gingins a pu emprunter à des nobles de sa propre parentèle, sans devoir s’adresser à des roturiers : à l’issue, le résultat a été le même d’un point de vue patrimonial (cession de fiefs), mais l’honneur était sauf, avec probablement aussi des possibilités accrues de négocier le rachat des biens cédés, car Divonne fera retour aux fils de François de Gingins avant 1568.

[111Cet aspect devrait être étudié davantage, mais j’adhère, pour ma part, à l’opinion d’Arlette Jouanna, qui relativise fortement le déclin économique de la noblesse au XVIe siècle, à l’issue d’une vaste synthèse des avis sur la question cf. (A.) Jouanna, op. cit., pp. 92-98.

[112(C.) Mottier, Les intérêts domaniaux de la Maison de Savoie …, à paraître. (C.) Mottier, Typologie sociale, pp. 68-79, et synoptique n° 1 en annexes.

[113Cas de l’office de maréchal de Gex, acquis par égrège Louis d’Arbigny, dont l’une des prérogatives attachées consistait en un droit, pour son détenteur, de vendre toute marchandise sur le marché de Gex sans devoir aucune leyde (impôt indirect). Or Louis d’Arbigny était marchand !

[114Sous Berne, l’essentiel des pouvoirs du châtelain de Gex, dont les pouvoirs militaires, sont passés au bailli bernois, également en charge d’attributions judiciaires ; ce dernier se recrute parmi les grandes familles patriciennes de Berne, tandis que le châtelain de Gex est devenu son lieutenant baillival, ravalant ainsi cet office au rang de celui de l’ancien vice-châtelain de Gex, disparu en 1536.

[115A Genève s’établissent des descendants directs des Dufour, habitants dès 1559, puis bourgeois en 1604, ou des Tavernier, habitants dès 1572, ou encore des parents à eux, comme les de Choudens, bourgeois en 1540, ou les Arbalestier, bourgeois en 1597 ; en 1561 déjà, Pierre Arbalestier, châtelain de Gex, vend à un citoyen de Genève une maison sise en cette ville, près de la rue de la Juiverie, où pend l’enseigne l’Arbaleste cf. AEG, Analyse des minutes des Notaires Genevois, t. III, p. 607, qualifié de noble et égrège.

[116Dès le XVe siècle, la taillabilité personnelle n’est plus une entrave sociale cf. (L.) Binz, « Le servage dans les campagnes genevoises à la fin du Moyen Age », dans Genava, Mélanges Louis Blondel, Genève, 1963, pp. 439-461 ; p. 451, et la fortune est fréquemment le lot des familles taillables, pratiquant l’indivision pour éviter l’échute de leurs biens, remembreuses de terres depuis la Grande Peste. Exemples de riches taillables gessiens, notaires, prêtres, voire alliés dans la noblesse, et futurs anoblis pour certains d’entre eux, dans (C.) Mottier, Typologie sociale, pp. 239-243 ; (L.) Binz, op. cit., p. 461.

[117ADCO, B 11 598 ; Comte (f° 29v-30v, 36, 36v) ; de Choudens (f° 305-305v) ; Tavernier (f° 198v-199) ; Arbalestier (f° 566v) ; Emeri (f° 180v) ; Colognier (f° 174v-175) ; Dufour (f° 425v) ; de la Grave (f° 362-362v).

[118ADCO, B 1179 ; Tavernier (f° 711-713v) ; Comte (f° 697v-700v) ; de la Grave (f° 720-722v).

[119(Emmanuel) Le Roy Ladurie, Les paysans de Languedoc, Paris, 1969, p. 171 : « les noyaux réformés des bourgades, composés d’intellectuels (notaires, juges, médecins), et d’artisans » ; pp. 201-205, « calvinisme d’affaires » et typologie des acquéreurs de biens ecclésiastiques en Languedoc, 1563-1591. En terre de Gex, la typologie des acquéreurs de biens ecclésiastiques peut être précisée à partir des reconnaissances du terrier ADCO, B 1179, mais semble révéler, à première vue, une part importante de marchands, dont des genevois.

[120(A.) Dufour, « De la bourgeoisie de Genève à la noblesse de Savoie », dans Mélanges d’Histoire Economique et Sociale en hommage au professeur Antony Babel, Genève, 1963, p. 229. Pour la contribution des écrits de l’Antiquité à l’évolution du concept de noblesse en France, voir (E.) Schalk, L’épée et le sang, une histoire du concept de noblesse (vers 1500-vers 1560), version française, Seyssel, 1996, pp. 37-56 (chap. III).

[121(C.) Mottier, Les intérêts domaniaux de la Maison de Savoie …, à paraître.

[122ADCO, B 11 598, f° 471-471v.

[123ADCO, B 1203, extrait (copie) de sa grosse de reconnaissance passée le 1er mai 1545 au titre de Gex, à cause du prieuré de Prévessin (sécularisé par Berne), f° 1-1v. ADCO, B 1148, f° 393v ; en 1527, noble Catherin du Chesne est déjà marié à honnête Claudia, fille de feu égrège Jean Rogier [de Grilly, notaire et l’un des commissaires aux extentes de la baronnie de Gex en 1507-1517] et reconnaît en son nom, au titre de Gex, des biens provenus de Jacques de Ruys (de Rugo), grand-père maternel de Claudia.

[124Noble Catherin du Chesne sera exempté du don gratuit comme noble dès 1568.

[125ADCO, B 1203, f° 1v-2, f° 7v.

[126En comté de Bourgogne, les plus anciens anoblissements par lettres connus datent de l’extrême fin du XIVe siècle et tout début du XVe siècle cf. (Jules) Gauthier, Inventaire sommaire des Archives départementales du Doubs, série B, t. I, Besançon, 1883, p. 31, B 54 (liasse) ; le montant de la finance est déterminé à l’issue d’une enquête sur la fortune des anoblis. En duché de Bretagne, aucune lettre de noblesse n’est connue entre 1365 et 1420 ; en revanche, au moins 350 anoblis ont bénéficié de lettres ducales entre 1420 et 1488 cf. (Michel) Nassiet, Noblesse et pauvreté. La petite noblesse en Bretagne, XVe-XVIIIe siècle, Rennes, 1997, p. 72 et p. 92.

[127(Albert) Albrier, « Les anoblis de l’Ain … ».

[128Ibidem, p. 2, données du Bourget, le 10 janvier 1408, à Pierre Prévôt de Brossia, du bourg Saint-Christophe en Bresse.

[129On pourrait se demander si une telle vision n’est pas due, tout simplement, à une conservation moindre des lettres les plus anciennes. Il ne semble pourtant pas que cela soit l’explication, car Albert Albrier a analysé les trois registres (ADCO, B 548 3, B 548 4, B 548 5) de copies de lettres patentes diverses, relatives aux pays cédés en 1601, que réalisèrent à Chambéry, en 1692, les envoyés de la Chambre des comptes de Dijon, à partir des registres d’enregistrement du Souverain Sénat de Savoie cf. (Jean) Rigault, « Le fonds de Savoie aux archives de la Chambre des Comptes de Dijon », dans Bulletin philologique et historique (jusqu’à 1610), année 1960 (volume I), Ministère de l’Education Nationale, Comité des Travaux Historiques et Scientifiques, Paris, 1961, pp. 401-419 ; p. 409, n. 1. Il n’y a donc pas lieu de douter, a priori, de l’exhaustivité du travail de transcription effectué à l’époque, compte tenu de l’importance juridique de ces documents. De son côté, ayant consulté les originaux des documents transcrits en 1692, conservés depuis à Turin, Foras, Armorial, t. I, art. « Bellossier ou de Bellossy dits Bernard », p. 175, n. 1, constate que : « Bien certainement quelques familles ont été anoblies, par patentes, avant cette époque [XVe siècle] ; mais les centaines de volumes des Protocoles que j’ai compulsés aux archives de Turin, ne contiennent pas de lettres de noblesse remontant plus haut que le XVe siècle, et elles sont fort rares, tandis qu’elles pullulent dans les deux siècles suivants ».

[130(Jean) Nicolas, La Savoie au 18e siècle, Noblesse et bourgeoisie, Paris, 1978, t. I, p. 23 et n. 48 ; pp. 28-29.

[131Ibidem, p. 27. (M.-J.) de Savoie, op. cit., pp. 225-226 : 60 000 écus de revenus annuels « suffisaient » aux prédécesseurs d’Emmanuel-Philibert, contre 450 000 en 1561 et 800 000 en 1574.

[132(C.) Mottier, Les intérêts domaniaux de la Maison de Savoie …, à paraître.

[133(J.) Nicolas, op. cit., p. 27, n. 58, ode du poète chambérien Marc-Claude de Buttet sur la mise à l’encan des charges et des emplois vers le milieu du XVIe siècle.

[134ADS, IR n° 17, édits-bulles, soit B 1431, f° 164v° ; le plus faible tarif s’applique aux gentilshommes ne possédant aucun fief, mais devant le serment au titre de leur personne (prise en compte du seul lien vassalique). Sont concernés aussi les ecclésiastiques.

[135Le duc de Genevois-Nemours eut initialement, semble-t-il, des prérogatives d’agir ou de juger en matière de noblesse dans son apanage (Faucigny, Beaufort et Genevois) cf. Foras, Armorial, t. IV, art. « Paquelet », p. 340, citant des lettres de noblesses accordées le 18 juin 1562 par celui-ci, confirmées le 21 octobre 1565. Mais assez rapidement, cet attribut souverain fut réservé au duc de Savoie cf. (Nathalie) Herlemont-Zoritchak, « Les ducs de Genevois-Nemours, entre soumission et rébellion », dans Etudes Savoisiennes n°s 5-6, Institut d’Etudes Savoisiennes, Chambéry, 1996-1997, pp. 85-121 ; pp. 87-92. De même, en Maurienne, terre épiscopale, l’évêque aurait concédé anciennement des lettres de noblesse, dont une en date du 18 août 1489 cf. le chanoine Truchet, Récits Mauriennais, 2e série, p. 108, et Travaux de la Société d’Histoire de Maurienne, 1re série, t. II, p. 207, cités par Foras, Armorial, t. V, art. « Rapin », p. 66.

[136(A.) Albrier, « Les anoblis de l’Ain … », p. 11, lettres confirmatives de noblesse pour un anobli par Charles Quint (1562).

[137(J.) Nicolas, op. cit., pp. 45-46.

[138A l’exemple des Coppier (Foras) ou des Brunet, (C.) Mottier, « Les Brunet d’Oyonnax-Marchon-Arbent : de la roture à la noblesse, du second ordre au Tiers Etat (1537-1746) », dans Les Nouvelles Annales de l’Ain, Société d’Emulation de l’Ain, Bourg-en-Bresse, 2005, à paraître.

[139(A.) Albrier, « Les anoblis de l’Ain … », p. 12, lettres confirmatives de noblesse pour Pierre Polliat, archer des ordonnances du roi très-chrétien, anobli lui-même par le duc Charles (III), mais ayant perdu ses lettres de noblesse (1563) ; ibidem, p. 19, lettres de noblesse accordées à un noble d’origine, mais sans titres, étant né en France (1593).

[140Ibidem, pp. 11-12, pour Humbert et Jean Bernard, de Treffort, fils d’Eustache Bernard, prêtre, et Jeannette Daboret (1563).

[141Ibidem, p. 13, pour noble Jacques Bernard, fils de feu Calixte Bernard, de Treffort, noble de toute ancienneté et originaire de Belley (1565).

[142Ibidem, p. 16, pour les nobles François et Louis de Saint-Sulpis, frères, de la paroisse de Saint-Jayet en Bresse, issus de la maison de Saint-Sulpis, près Bâgé, et ayant été qualifiés de roturiers quoique nobles d’ancienneté (1587).

[143Ibidem, p. 17, pour Gabriel de Bérald, seigneur de Meronna, natif du comté de Bourgogne et fixé en Bresse (1588).

[144(Alain) Texier, Qu’est-ce que la noblesse ?, Paris, 1988, pp. 523-525 (cas français).

[145(J.) Nicolas, op. cit., p. 29.

[146Ibidem, pp. 45-46 : « Les quelques cas de dérogeance relevés en Savoie remontent pour l’essentiel au 16e et au début du 17e siècle et concernent surtout des anoblis qui renonçaient difficilement à leurs activités lucratives antérieures » ; ibidem, n. 142, cas de réhabilitation de noblesse (dès 1561) tirés de Foras.

[147Exemples de procès intentés par les syndics : aux Ollières, peu après 1563, aux Coppier (Foras) ; à Gex, en 1568, à Claude Perrissod (ADS, SA 1588) ; à Merlingue, peu avant 1570, aux de La Mare (Foras) ; à Arare, en 1576, est solvable « noble Philibert de la Croix, pour raison duquel Mauris de la Croix [couturier] et Humbert Janin d’Arare nous ont rapporté qu’il y a procès pendant et indécis entre la commune et ledict Philibert sur l’exemption prétendue par iceluy. Et partant, n’entendent le qualifier noble » (ADS, SA 2029) ; à Humilly, procès par les syndics de Viry contre les Humilly (ADS, SA 1040, IR 119, dossier n° 14 (1583), soit postérieurement à un procès devant le Sénat, en cours en 1576). En d’autres cas, des nobles plus anciens peuvent mettre en cause la noblesse de certains nobles récents ou réhabilités en noblesse, notamment lors d’un procès les opposant à eux, comme dans le cas des Coppier qui, après l’obtention de lettres de réhabilitation en 1563, ne parvinrent pas à abandonner le notariat et dérogèrent de nouveau, au tout début du 17e siècle, leur noblesse ayant notamment été contestée publiquement, en juillet 1594, par un noble d’ancienne extraction, révérend messire François de Lornay, curé de leur paroisse, au cours d’un procès entre eux (Foras).

[148Dans le descriptif du rôle des deux cours, ni Eugène Burnier, op. cit., p. 59, ni Laurent Chevailler, Essai sur le Souverain Sénat de Savoie, 1559-1793, organisation-procédure-compétence, Annecy, 1948, pp. 58, 61-62, n’évoquent d’attributions du Sénat ou de la Chambre des comptes en matière de noblesse. Jean Nicolas, op. cit., p. 18, et n. 27-28, cite des dispositions prises dès 1561, dans les terres restituées en 1559, pour que la Chambre des comptes oblige les roturiers à renoncer aux biens nobles dont ils s’étaient rendus acquéreurs ; en 1563, un nouvel édit permet à la Chambre des comptes de délivrer aux roturiers, contre finance, des lettres de capacité à détenir des biens nobles ; de même, Jean Nicolas, op. cit., p. 29, n. 69, cite des lettres du 10 octobre 1575, par lesquelles le duc enjoint à la Chambre des comptes de faire reprendre les poursuites contre ceux qui usurpent la qualité de noble, et pour la vérification des lettres d’anoblissement.

[149(E.) Burnier, op. cit., p. 58.

[150Ainsi, la Chambre pouvait vérifier d’autant mieux, aux fins de les entériner ou non, les lettres patentes portant modification des natures juridiques des biens de la mouvance princière (lettres de « réduction de fief ») et des conditions juridiques des sujets du prince (lettres d’affranchissement de taillabilité personnelle, lettres de noblesse : par exemple, Foras, Armorial, t. V, art. « Quisard », p. 46, cite des lettres de noblesse 1571 entérinées en 1572). De même, la connaissance des liens de sujétion, immédiats ou médiats, ainsi que les sauvegardes, mentionnés dans les reconnaissances de fief, justifiant de la participation des feux concernés aux subsides princiers, permettait à la Chambre des comptes de rédiger les rôles d’impositions princières (par exemple, rôle des tailles ducales à lever sur le bourg de Gex par les syndics, réactualisé en 1515 par Heynard Oddinet, secrétaire ducal, député par les receveurs de la Chambre des comptes cf. AMGex, 6G1, cahier souple ; à relier avec ADS, SA 1863 cf. (Roger) Devos et alii, La pratique des documents anciens, pp. 271-272, puis à recevoir les « comptes de subsides » rendus par les hommes chargés du recouvrement des sommes imposées, soit les châtelains princiers avant 1536.

[151ADCO, B 865 (liasse).

[152(E.) Burnier, op. cit., pp. 60-61, 309-311, 314. (L.) Chevailler, op. cit., pp. 11, 13, 58-59. (Roger) Devos, (Bernard) Grosperrin, La Savoie de la Réforme à la Révolution française, Rennes, 1985, pp. 49-51.

[153(François) Capré, Traité historique de la Chambre des comptes de Savoie, Lyon, 1662, 406 p., pp. 345-346.

[154(L.) Chevailler, op. cit., p. 59.

[155Foras, Armorial, t. III, art. « Mare (de la) », p. 332.

[156ADS, SA 2029, f° 8.

[157Ibidem, f° 45-45v.

[158Foras, Armorial, t. V, art. « Rapin (de) », p. 67 et n. 1.

[159(E.) Burnier, op. cit., p. 269 ; (L.) Chevailler, op. cit., p. 58.

[160ADS, SA 2029, f° 1.

[161ADS, SA 2029, f° 46v.

[162Cités in extenso par Foras, Armorial, et de manière résumée par Albrier, « Les anoblis de l’Ain … » (pourrait en ce cas se compléter de la relecture systématique des trois registres de transcriptions de 1692 conservés aux Archives départementales de la Côte d’Or cf. supra, n. 129).

[163Sur la base de l’inventaire turinois n° 85 (IR 119), peu détaillé toutefois dans ses analyses.

[164En 1561 (19 janvier), lettres de réhabilitation de noblesse suite à l’exercice de fonctions de châtelain, commissaire d’extentes, greffier, et prise à ferme de revenus (Maurienne) cf. Foras, Armorial, t. V, art. « Rapin (de) », p. 67, n. 1 (cité par Jean Nicolas, op. cit., p. 46, n. 142) ; en 1564, suite à l’exercice du notariat cf. Foras, Armorial, t. V, art. « Sautier », p. 406 (cité par Jean Nicolas, ibidem) ; en 1565, suite à l’exercice de l’art de notaire, et d’offices de châtelains, curiaux et commissaires d’extentes (Genevois) cf. Foras, Armorial, t. II, art. « Coppier », pp. 163-166 ; en 1571, dérogeance par l’office de « carrier » (curial ?) cf. ADS, SA 1040, IR 119, dossier n° 10 ; en 1587, lettres de réhabilitation de noblesse en faveur de Claude Rubat, de la ville de Saint-Rambert en Bugey, qui avait dérogé en exerçant les fonctions de châtelain de Saint-Rambert (pour le duc, ou les Genevois-Nemours, auxquels la châtellenie est inféodée dès 1561 ?) cf. (A.) Albrier, « Les anoblis de l’Ain … », pp. 16-17 ; en 1591, à Jean et Anthoine Brunet, d’Oyonnax, avec autorisation d’exercer encore dix ans le notariat sans déroger cf. ibidem, p. 19.

[165Lettres de réhabilitation de 1573, suite prise à ferme de biens et revenus nobles, et négoce de marchandises cf. Foras, Armorial, t. V suites, art. « Viollon », p. 645 (cas cité par Jean Nicolas, op. cit., p. 46, n. 142) (pour partie dans ADS, SA 1040, IR 119, dossier n° 9). Lettres de relief de 1597, à des fils et petit-fils de gens ayant dérogé en faisant trafic de marchandises cf. (A.) Albrier, « Les anoblis de l’Ain … », p. 21.

[166Lettres de réhabilitation, confirmation et concession de noblesse de 1588 : le père avait eu train d’apothicaire, et avait été pour cela déclaré roturier cf. (A.) Albrier, « Les anoblis de l’Ain … », p. 17. ADS, SA 1040, IR 119, dossier n° 25 : en tenant logis et fermes (1600). ADS, SA 1040, IR 119, dossier n° 26 : en faisant actes mécaniques (1605).

[167(E.) Dullin, op. cit, p. 249 et suivantes.

[168Ibidem, p. 229.

[169(L.) Chevailler, op. cit., pp. 59-60, Styl de 1560.

[170(A.) Albrier, « Les anoblis de l’Ain … », p. 12 ; sic par l’auteur.

[171ADS, IR 17 (édits-bulles), f° 140 (soit B 1430, f° 130v). Pour les Bellegarde, voir Foras.

[172ADS, SA 2029, f° 12.

[173(E.) Dullin, op. cit., pp. 250-252.

[174ADCO, B 1230 (liasse), pièce n° 10, inventaire des meubles et effets du château de Gex, 22 octobre 1568.

[175(A.) Albrier, « Les anoblis de l’Ain … », pp. 13-14.

[176Ibidem, p. 19.

[177(R.) Brondy, op. cit., pp. 233-234.

[178(J.-R.) Bloch, op. cit., p. 91.

[179Les actes du procès ne mentionnent pas son prénom, mais il s’agit très probablement de Humbert de Ville ; ADHS, B 28, « Etat des Magistrats de Savoye faits par nos Souvferains dèz lheureuse restitution des Estats faite en 1559 » (liste rédigée au début du XVIIIe siècle), f° 14v, noble Humbert de Ville est institué procureur patrimonial de la Chambre des comptes de Chambéry par lettres patentes du 28 janvier 1584 (sic) : s’agit-il d’une lettre de confirmation ? Il ne faut pas le confondre avec son frère – cf. Foras, Armorial, t. V, art. « Ville (de) », p. 627 - Bartholomé de Ville, secrétaire émolumenteur de la Chambre des comptes (vers 1565), notaire et secrétaire (vers 1576), puis conseiller et secrétaire ordinaire de Son Altesse (patentes de 1584), et enfin maître auditeur en la Chambre des comptes (patentes de 1589) cf. ADHS, B 28. Selon Foras, ibidem, pp. 626-627, les deux frères et leur père, Etienne de Ville, bourgeois de Chambéry, furent anoblis par lettres patentes du 1er janvier 1567. Humbert de Ville décède le 18 février 1611, sans alliance ni descendance connue. Un autre de Ville, Charles-Emmanuel, petit-fils de Barthélémy, nommé sénateur au Souverain Sénat de Savoie par patentes du 14 décembre 1658, sera l’auteur du traité Estat en abrégé …, où il considérera (f° 249) les membres du Sénat et de la Chambre des comptes comme étant la fine fleur de la noblesse cf. (J.) Nicolas, op. cit., p. 20, et Foras, Armorial, t. II, art. « Chollet », p. 65, n. 1.

[180(R.) Devos et alii, La pratique des documents anciens, pp. 250-251 ; l’imposition du « don gratuit » – qui donna lieu à deux dénombrements (établissement de la liste des contribuables) en 1568 et 1576 – est spécifique aux trois bailliages de Gex, Ternier-Gaillard et Thonon, tout juste récupérés en 1567, suite à l’application effective du traité de Lausanne de 1564, et à la partie du Chablais rendue par les Valaisans en 1569 (traité de Thonon).

[181Voir aussi (J.) Nicolas, op. cit., pp. 26-27 et n. 52.

[182(E.) Burnier, op. cit., p. 7 ; patentes du 2 avril 1584.

[183Probable cousin des ceux du lignage de robe, considéré par ailleurs comme noble malgré ses fonctions cf. Foras, Armorial, t. IV, art. « Milliet », p. 16 ; François Milliet, « qualifié maître et notaire ducal en 1565 », « plus tard noble », a notamment pour frère noble Jean Milliet (ibidem, p. 17), seigneur de la Chapelle, bourgeois et châtelain de Rumilly par patentes du 20 août 1559, confirmées par patentes du 14 décembre 1561 ; toujours châtelain en 1581. Leur père était François Milliet, bourgeois de Rumilly, « qualifié noble et marchand de Rumilly » en 1528 et 1530, possesseur de fiefs nobles.

[184Il s’agit des Bourgeois (Gex / Vernier) ; de Bruel (Greny / Logras) ; de Bruel, veuve de Greires (Saint-Jean-de-Gonville) ; de Dompmartin (Greny) (oublié dans la première version de 1568 ; second rôle, f° 114 : noble Claude de Dompmartin, « fort vieulx et ancien » ; en 1576 : « a absenté ») ; de Gingins (seigneur de Ferney / baron de Divonne) ; de Grailly (Grilly) (oublié dans la première version de 1568 ; second rôle, f° 13v) ; de Saconnex (Grand-Saconnex / Pregny) ; Sauvage (Greny, 2 feux) ; Seyturier (Pouilly) ; de Livron (Tougin / Thoiry / seigneur d’Allemogne ; plus Gex en 1576) ; de Pougny (Sergy) ; de même, comptons les nobles de Rossillon (seigneurs de Saint-Genis, mentionnés uniquement dans le rôle de Ternier-Gaillard, car résidant habituellement à Gaillard). Venus de l’extérieur de la baronnie, par ordre d’entrée dans la noblesse gessienne, il s’agit encore des Malvand (Chambésy) ; Gribaldi (seigneur de Farges) ; de Jotemps (Pregnin) (oublié dans la première version de 1568 ; second rôle, f° 78v ; ses biens sont admodiés, non résident) ; de Wattevile (dame de Crassier, non résidente en 1576 ; marquis de Versoix, en 1576 seulement) ; de Brosses (seigneur de Tournay) (en 1576 seulement).

[185Par ancienneté croissante d’accession à la noblesse (1430-1530), il s’agit des Moine, seigneurs des Rippes ; d’Arerex (Sergy), seigneurs de Troches en Chablais, de la Tour et de Foras en Genevois, de la Tour près de Belley, etc. ; Nycod (Gex) (en 1576 seulement), seigneurs de Maugny (Chablais) ; Perrissod (Gex), quoiqu’en procès plusieurs années avec la communauté de Gex au sujet de leur noblesse et comptés comme nobles seulement dans le rôle de 1576 cf. infra, n. 207 ; Loctier (Vesegnin) (en 1576 seulement), seigneurs de Bellecombe (Tarentaise) ; Goyet (venus s’établir à Pougny vers les années 1470), seigneurs de Copponex (Genevois) ; de Thorens (Grilly), seigneurs de Rougemeont (Bugey) et de Grilly ; de Michaille (Villeneuve), seigneurs d’Outrechaise (Savoie) ; de Crose (Ornex), barons de la Bâtie-Beauregard ; Favre (Saint-Jean-de-Gonville) en partie. Citons encore, en 1568-1576, des nobles « récents », mais dont l’ancienneté de la noblesse ne m’est pas précisément connue, tels les du Chesne (Brétigny) ; les Martine, originaires du Pays de Vaud, devenus seigneurs de Sergy, vers 1560, par héritage ; « Me Claude d’Orlier, advocat », originaire de Chambéry, compté en 1576 comme noble à Gex où il a acquis des fiefs nobles à titre de placements (sur lui, voir infra, n. 190).

[186Fils du théologien protestant Matthieu Gribaldi, originaire de Chieri, en Piémont. Dès 1606 au moins, Pompée Gribaldi s’être reconverti au catholicisme cf. Foras, Armorial, t. V, art. « Sauvage », p. 414.

[187Sur Jean-Louis de Martine (décédé en 1575 ou 1576), puis Anthoine, son fils et successeur, voir (Hermann H.) Borel, Généalogie des Sergy, dactylographié, [sans date], pp. 26-30.

[188Sur Jean de Brosses, voir (Albert) Albrier, « La famille de Brosses, notes historiques et généalogiques », extrait des Mémoires et Documents publiés par la Société Savoisienne d’Histoire et d’Archéologie, t. XV (article daté de Dijon, février 1875), pp. 8-9.

[189Dictionnaire historique et biographique de la Suisse, t. V, Neuchâtel, 1930, p. 284, art. « Philippin » : Jean Philippin, décédé en 1581, fut syndic de Genève (1535, 1540, 1544), premier syndic (1548), châtelain de Peney (1558). Aucun noble n’est mentionné en 1576 à Pierre. Dès 1580, au moins, la seigneurie appartient aux Pobel. De même, Pierre Grangier, compté comme noble à Pregny en 1576, est peut-être bourgeois de Genève.

[190Sur ce personnage complexe, décédé entre 1587 et 1597, voir (R.) Devos, (B.) Grosperrin, La Savoie de la Réforme à la Révolution française, p. 284, et notamment ADS, B 1425, f° 99v ; B 1429, f° 158v ; B 1434, f° 225 ; B 1435, f° 204 ; ADHS, B 28, f° 4.

[191(Auguste) Dufour, (François) Rabut, « Montmélian, place forte. Sièges qu’elle a soutenus. Série de ses gouverneurs, etc. D’après des documents officiels et inédits », dans Mémoires et documents publiés par la Société savoisienne d’histoire et d’archéologie, t. XX, Chambéry, 1892, pp. 9-18.

[192N’apparaît que dans la seconde version du premier rôle établi pour Gex, ADS, SA 1590, f° 95. Foras ne cite pas de charges militaires chez cet homme.

[193Ces Moine sont mentionnés par Foras, mais pas par Galiffe, Notices Généalogiques Genevoises, t. I, pp. 524-526, qui ne traite que d’une branche restée à Genève et éteinte à la fin du XVIe siècle.

[194Parenté dans Foras, Armorial, t. III, art. « Moine », p. 231.

[195(Lucien) Cramer, La Seigneurie de Genève et la Maison de Savoie de 1559 à 1603, t. I, Le règne d’Emmanuel-Philibert (1559-1580), Genève-Paris, 1912, pp. 44-46 et notes.

[196Foras, Armorial, t. III, art. « Nicod », p. 261.

[197ADS, SA 1040, IR 119, dossier n° 12, dont remontrance du procureur patrimonial du 15 novembre 1580, et documents datés jusqu’au 20 août 1584 ; ibidem, dossier n° 13, arrêts, lettres et subhastation, 26 novembre au 21 décembre 1586. Voir aussi ADS, B 1412, f° 62 (IR n° 17, p. 197).

[198Seuls certains des de Choudens, originaires de Thoiry, en terre de Gex, sont comptés comme nobles en 1576, dans le bailliage de Ternier-Gaillard, à Vullionnex, près de Confignon, dont Louis de Choudens cf. ADS, SA 2029, f° 20 et f° 57 ; cela est très certainement dû au fait qu’ils possèdent des seigneuries haut-justicières : Bâtie-Mellié (aujourd’hui Bois de la Bâtie, quartier de Genève) en partie ; Aire-la-Ville, seigneurie que Louis de Choudens s’était constituée progressivement à partir de fiefs nobles acquis auprès des Sallenove-Viry, notamment peu avant 1546 cf. Foras, Armorial, t. V suite, art. « Sallenove et Viry », p. 360. En bailliage de Gex, en 1568-1576, les neveux de Louis de Choudens – tous qualifiés de nobles ou nobles et égrèges dans les grosses bernoises des années 1550 – sont comptés comme solvables à Thoiry, qualifiés de « maître » (notaires), bien que possesseurs de fiefs nobles (fief du Rosey, rentes nobles essentiellement), hormis l’un d’eux, Pierre, reçu bourgeois de Genève en 1540 et non imposé à ce titre. Sur Louis de Choudens, dont le parcours présente de nombreuses similitudes avec celui d’Amédée Dumonthay, voir notamment Galiffe, Notices généalogiques genevoises, t. VII, art. « de Choudens », p. 48 et suiv., et ADHS, 7J (fonds Marlioz).

[199En 1568, Jean de la Grave (Péron), hôte et sergent, a néanmoins dit être noble, ainsi que son frère Mermet, possédant tous deux plus de 1000 florins de biens ; en 1576, les deux se disent toujours nobles. Le rôle ne donne pas de détail sur leur argumentation, mais il est probable qu’ils fondent leurs prétentions à la condition noble sur la persistance, purement formelle, d’un très ancien lien vassalique à l’égard de la baronnie, comme deux autres feux alors dans le même cas qu’eux, à savoir les de Mourex, à Tutegny (infra, n. 202), et les Gaillard, à Chevry ; à ce sujet, voir (C.) Mottier, Typologie sociale, pp. 177-185, 188-191.

[200Sont comptés notamment comme solvables Me Marc Gesson, de Ferney, procureur au bailliage de Gex (1568) et Me Claude Gesson, châtelain de Ferney (1576) ; en 1576, parmi les feux misérables de Ferney figurent les hoirs d’Etienne Gesson.

[201Des « sires » (sieurs) Jean et Roland Maréchal, le second exerce toujours l’activité de leur père, feu Claude Mareschal, soit « chevaucheur et poste de son Altesse », tenant le relais postal (et auberge) de Collonges.

[202Les petits-fils de Nycod de Mourex « font reconnaissance noble suivant la condition de leurs ancestres et toutefois vivent en laboureurs travaillant à la charrue et autres œuvres champêtres » et « se disent nobles » (de même en 1576, alors particulièrement misérables, en prison pour dettes, aveugles, mendiants).

[203Sur ces Fernex, voir (C.) Mottier, Typologie sociale, pp. 268-269, 280-282. A Ferney, en 1568, sont comptés comme solvables Claude et Pierre de Fernex (seconde version du rôle) ; en 1576, Pierre, fils d’André de Fernex, a succédé à Claude son frère et « se dit être noble » ; autre Pierre de Fernex, fils de Guillaume, de Genève, habitant régulièrement en ce lieu depuis trois ans. A Gex, en 1576, sont comptés comme solvables Michel et Jean, fils du syndic genevois Pierre de Fernex, exilé en 1526 comme tenant du parti ducal, qui ne se sont pas remis de la perte de la fortune genevoise de leur père, hormis un de leur frère, François de Fernex, devenu seigneur de Bessinge, compté comme noble en 1568 (ADS, SA 1588, f° 75) et 1576 (ADS, SA 2029, f° 19v).

[204En 1568, François-Michaud Favre [fils de Claude Favre et de Pernette de Bourdigny] est compté comme pauvre de Saint-Jean-de-Gonville, car détenant 300 florins de biens, du fait que ne sont pas comptés 500 à 600 florins « pour le rachet de ses biens que son frère avoit vendu en son absence du temps qu’il a demeuré au service de son altesse » ; en 1576, la grâce de réachat ayant dû jouer en sa faveur, il est désormais compté comme solvable, et se dit noble. En revanche, dès 1568, puis en 1576 encore, son cousin germain, François Favre, est compté comme noble.

[205ADS, SA 1588, f° 20v ; « Combien que ledict (Urbain) Marchant fasse fidélité noble comme a déclairé ledict commissaire [aux extentes de la châtellenie de Gex] Michaud l’avoir reçu à la forme de la fidélité faicte par feu François Marchant son père et suivant les lectres impériales de sont (sic) anoblissement icy désignées [présentées par la suite à Me Delaporte et détaillées en marge] ».

[206En 1568, Pierre Lévrier, de Cracier, réside à Nyon (Vaud), dont il est bourgeois, et trois quarts de ses biens dépendent de Berne, pour lesquels il a prêté fidélité noble à Berne à cause de Bonmont (Vaud), abbaye sécularisée. En 1577, son fils François Lévrier « se dit être noble ».

[207ADCO, B 11 599, f° 4v : « Le sieur Claude Perrissod a été déclaré pour noble par accord de la ville après sentence rendue, et pendant l’appelation interjetée sur icelle » ; Claude Perrissod avait été châtelain de Gex pour le compte de Berne, mais vivait peut-être en partie du commerce, comme c’était déjà probablement le cas de son père, qualifié d’honorable, fils de feu égrège, dans sa reconnaissance de 1518, au titre de Gex – mais noble, fils de feu noble dans l’intitulé de la grosse - cf. ADCO, B 1129, f° 483.

[208Jean, fils de Claude de l’Allée, possède la maison-forte dite de Folliet, à Logras, qu’il reconnaît en 1544 avec son père, tous deux qualifiés de nobles, et qui provient de sa mère, noble Jeanne, fille de feu noble Amédée de Ville cf. ADCO, B 1173, f° 542v-544v. Sous Berne, Jean de l’Allée semble se consacrer à la construction de moulins sur la rivière de l’Annaz cf. AEG, fonds de Bons, accord de 1558 avec le seigneur de Farges ; durant l’année 1555, il est admodiateur du prieuré sécularisé d’Asserans, avec noble Jean Dufour, de Collonges, et égrège Claude Cusin, d’Ayrens (un de ses fils doit l’être à son tour cf. AEG, Pa 43, terrier d’Asserans des années 1550 sur la première page duquel est écrit : « Appartient à moy, n(oble)e Loys de l’Allée ») ; avant 1558, il l’avait été aussi pour les biens gessiens sécularisés de l’abbaye de Chézery cf. AEG, fonds de Bons. Dans la première version du rôle de 1568, Jean de l’Allée est compté comme noble, puis comme solvable dès la seconde réalisée par Humbert de Ville ; en 1576, ses enfants sont comptés comme solvables et se disent nobles.

[209En 1568 est compté comme solvable Michel Vuarrier, fils et héritier (avant 1544) du nom et d’une partie des fiefs nobles des Lugrin, provenus de sa mère, noble Gasparde, fille de Michel de Lugrin, en son vivant écuyer du duc de Savoie.

[210Foras ne mentionne pas la lettre de noblesse accordée en 1513 par le duc à Etienne de La Mare et à son frère (décédés sans postérité), cousins il est vrai, et non pas ascendants directs, du bénéficiaire de la sentence du juge-mage de 1572, ni l’engagement pro-ducal d’Etienne de la Mare, entre 1519 et 1526, avec pour prix l’exil de Genève cf. (Henry) Deonna, « Lettres de noblesse et d’armoiries de familles genevoises », extrait des Archives Héraldiques Suisses – 1917 n° 1 à 1919 n° 1 -, pp. 1-74 ; pp. 6-7 ; ces lettres – provenant des archives de la seigneurie de Merlingue - étaient sûrement en possession de Pierre de la Mare.

[211C’est le cas de Marie de Bruel, veuve de noble Angelin de Grières (Greires), de Saint-Jean-de-Gonville, et de Claude de Dompmartin, de Greny, en bailliage de Gex, ou encore de François Moine, de Crache, en bailliage de Ternier-Gaillard, compté comme noble seulement après avoir prouvé sa noblesse en exhibant les patentes de 1430, preuve que sa qualité n’était pas immédiatement perceptible.

[212(C.) Mottier, Typologie sociale, graphique n° 6 en annexes.

[213ADS, IR 17 (édits-bulles), f° 120 (soit B 1427, f° 127) ; accordées le 11 janvier 1565 à Francois, fils de feu noble Catherin Pobel, en son vivant seigneur d’Asnières, en Faucigny.

[214Cas de tolérance chez des cousins des Milliet cf. supra, n. 183.

[215ADS, SA 2029, rôle du don gratuit pour Ternier-Gaillard, f° 66v, Challex, 20 janvier 1577.

[216(M.) Nassiet, Parenté, Noblesse et Etats dynastiques, p. 169 et suiv., « mariage restreint et immédiat ». Sur le rôle de ce mariage cf. (M.) Reymond, op. cit., pp. 66-69. La branche des seigneurs de Gingins est nettement moins riche, mais aussi moins prestigieuse car, bien que possédant la seigneurie éponyme du lignage, elle est représentée, en 1570, par les bâtards légitimés de Jean, seigneur de Gingins. Mais surtout, depuis le décès de leur père (1531), les seigneurs de Divonne contestent à ces derniers la possession de cette seigneurie, soit dans un premier temps Marguerite de Gingins et son époux, François de Gingins, puis leur descendance, notamment en 1568. Or, en 1569, un arbitrage était intervenu, que le mariage de 1570 était donc amené à sceller durablement (malgré cela, les contestations reprendront jusqu’en 1591).

[217(E.) Burnier, op. cit., p. 312 ; pp. 636-637, pièce n° 18, donnant le détail des charges concernées (pièce datant de 1717). (L.) Chevailler, op. cit., p. 28. (J.) Nicolas, op. cit., pp. 20-21, et notes, en particulier n. 38.

[218Par édit royal du 24 novembre 1549, François Ier avait reconnu la souveraineté du Parlement de Chambéry, et aux membres de cette cour, président et conseillers, une noblesse transmissible au premier degré cf. (E.) Burnier, op. cit., pp. 122-123, 311-313. Par contre, sitôt restauré, et bien que reconnaissant souverains, à son tour, le Sénat et la Chambre des comptes (1559 et 1560), Emmanuel-Philibert ne décréta aucune charge anoblissante en ces cours, ni même ne les réserva aux nobles durant son règne ; au contraire, il souhaitait que les sénateurs se recrutent parmi les trois ordres de la société, de manière à affirmer une compétence supplémentaire du Sénat, celle d’incarner la représentation des trois ordres, après qu’il ait lui-même cessé de convoquer les Etats provinciaux, dès 1560 cf. (E.) Burnier, op. cit., pp. 254-255, 259 (clergé).

[219La fusion entre ancienne et nouvelle noblesse, issue des lettres et des charges, ne se produira que plus tard, vers 1620 (époque du président Favre), avant que les descendants des anoblis par lettres ou par charges ne ferment à leur tour l’accès à la noblesse à ceux qui voulaient y parvenir de la même manière que ne l’avaient fait leurs prédécesseurs cf. (J.) Nicolas, op. cit., pp. 28-38, et en particulier pp. 29-30, 32-35, 37-38.

[220(A.) Texier, op. cit., p. 533, art. « noblesse d’agrégation ».

[221(A.) Jouanna, op. cit., p. 23. (M.) Nassiet, Parenté, Noblesse et Etats dynastiques, pp. 41-42.

[222(J.-R.) Bloch, op. cit., p. 91.

[223(Emmanuel) Le Roy Ladurie, L’Etat royal de Louis XI à Henri IV, 1460-1610, Paris, 1987, pp. 248-249, synoptiques de l’administration générale du royaume de France (milieu XVIe siècle).

[224(C.) Mottier, Typologie sociale, pp. 205-206.

[225Thèse de doctorat en cours à l’Université de Lausanne par Marianne Stubenvoll, sur la noblesse vaudoise aux XVIe et XVIIe siècles.

[226(C.) Mottier, Typologie sociale, pp. 129-131.

[227Soit respectivement (70 X 5 ) / 11 000 ; (34 X 5) / 11 500 ; (37 X 5) / 10 100 ; chiffres de la population gessienne dans (C.) Mottier, Typologie sociale, pp. 128-129. (J.) Nicolas, op. cit., p. 12, estime les nobles à 1,06 % de la population du duché de Savoie pour le début du 18e siècle. Pour la même époque, ce taux est par ailleurs estimé à 1,5-1,9 % pour le Piémont par Stuart J. Woolf , à 2 % pour la Bretagne par Jean Meyer et à seulement 0,55 % pour le Dauphiné par M. Léon. (A.) Texier, op. cit., p. 79 ; en 1789, pour le royaume de France, le poids démographique de la noblesse est estimé à 1,3 % de la population d’après l’étude de M. Guérin.

[228D’après Roger Devos, cité par Yves Thyl, « La noblesse savoyarde au XVIe siècle », dans l’Histoire en Savoie nos 132/133, Société Savoisienne d’Histoire et d’Archéologie, Chambéry, 1998-1999, p. 8.

[229(Daniel) Ligou, L’intendance de Bourgogne à la fin du XVIIe siècle. Edition critique du mémoire « pour l’instruction du duc de Bourgogne », Comité des Travaux historiques et scientifiques, Paris, 1988, pp. 128-129.

[230(J.) Nicolas, op. cit., p. 25.

[231Favre, Cod. Fabr., tit. XXVIII. Def., IV, v, cité par Foras, Armorial, t. II, art. « Coppier », p. 166.

[232(L.) Chevailler, op. cit., p. 28. Foras, Armorial, t. II, art. « Coppier », p. 166.

[233Foras, Armorial, t. II, art. « Coppier », p. 166, « Le notaire du prince était secrétaire comital ou ducal » ; ibidem, art. « Michaud », p. 10. Plus récemment, Alain Dufour a repris cette idée d’une charge de secrétaire ducal anoblissante cf. « De la bourgeoisie de Genève à la noblesse de Savoie », p. 230.

[234(J.-R.) Bloch, op. cit., pp. 82-85 ; dans le royaume de France, des lettres patentes de février 1484 – confirmées plus tard par des lettres en forme d’édit de septembre 1549 - avait conféré officiellement la noblesse immédiate et héréditaire aux notaires et secrétaires du roi, maison et couronne de France, alors au nombre de 120. Toutefois, ces droits reconnus explicitement par le roi ne purent pas être pleinement appliqués, faute d’un enregistrement officiel qui ne vint qu’un siècle après pour les lettres de 1484, et trente ans après pour l’édit de 1549, d’où un statut resté longtemps ambigu pour les secrétaires de la couronne. Après 1601 (traité de Lyon), ce concept semble s’appliquer dans les territoires cédés à la France par la Savoie ; ainsi, des lettres de réhabilitation de noblesse, données à Reims, le 6 juin 1654, par Louis XIV, feront référence à « la charge noble de secrétaire du duc » dont était pourvu, en 1485, Etienne Ferra, ancêtre du bénéficiaire des lettres - cf. (A.) Albrier, « Les anoblis de l’Ain … », p. 33 -, même si alors ce raisonnement sera fondé uniquement par analogie avec la situation typiquement française des notaires et secrétaires du roi, hors de tout contexte historique originel, et rétroactivement.

[235Foras, Armorial, t. I, art. « Allinges », p. 31 (Archives départementales du Rhône, fonds de la Langue d’Auvergne de l’ordre).

[236(J.) Nicolas, op. cit., pp. 21-23, et n. 45 et 46.

[237Foras, Armorial, t. II, art. « Coppier », p. 164 (archives Thuyset).

[238(A.) Texier, op. cit., p. 533, art. « noblesse d’agrégation ».