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4.3. L’apothéose du 29 janvier 1601

Ghislain Tranié

Tranié, Ghislain, Louise de Lorraine (1553-1601). L’esprit et la lettre d’une reine de France.
Mémoire de maîtrise d’histoire moderne, sous la direction de Denis Crouzet,
I.R.C.O.M./Centre Roland Mousnier, Université de Paris-Sorbonne, 1999-2000.
Publié sur Cour de France.fr le 1er septembre 2010 (https://cour-de-france.fr/article1582.html).

Table des matières

4.3.1. La gloire des Mercœur (I.) : L’oraison funèbre de Thomas d’Avignon

Le 13 février 1601, le capucin Thomas d’Avignon prononça l’oraison funèbre de la reine douairière décédée le 29 janvier dernier. Son sermon, suivi d’une sorte d’apologie de la défunte, fut publié peu après. Malgré l’épuisement rapide des stocks chez les libraires, il semble qu’aucune réédition ne fut entreprise. Le 9 avril suivant furent célébrés les vigiles d’un office funèbre à Notre Dame en son honneur, en présence de la nouvelle reine Marie de Médicis. Mais l’oraison de René Benoist, prononcée le lendemain, fut peu appréciée, et ne fut donc pas retenue pour être publiée [1]. D’où l’importance de l’oraison de Moulins dans la perception immédiate de Louise de Lorraine au lendemain de sa mort, pour saisir le processus de transition entre les ‘mythes’ en mouvement autour de sa personne, et leur ‘mythologisation’ en image pieuse parmi d’autres, ce qui contribua certainement au relatif oubli dont elle fut depuis l’objet.

La dédicace d’Estienne Bournier

Lorsque Louise de Lorraine décède le 29 janvier 1601 à Moulins, elle est entourée de proches parentes : Marie de Martigues, Marie de Luxembourg et Françoise de Lorraine, respectivement belle-mère, épouse et fille unique de Philippe Emmanuel de Lorraine, duc de Mercœur. Héritières légales de la reine douairière, elles s’empressent de faire célébrer des funérailles dignes du rang de la défunte, et capables de soutenir leur gloire. S’il apparaît que le prédicateur, Thomas d’Avignon, a été choisi par Louise de Lorraine elle-même, en revanche celui qui transcrit l’oraison agit sur la commande de la duchesse de Mercœur, à laquelle il dédicace d’ailleurs son travail, bien qu’il prétende agir aussi selon la volonté de la reine défunte, ce qui semble improbable.
« Madame, l’amour de Dieu, ioint à la reverence & tres humble devoir, que i’ay à la memoire du miroir de toutes vertus, la feuë Royne Loyse douairiere de France & de Pologne vostre sœur, chere princesse du desolé païs de Bourbonnois, m’a invité vous dedier le funebre discours, prononcé par le R. P. Thomas d’Avignon, oculaire tesmoin ». [2]
En fait, la motivation principale d’une telle dédicace réside dans la part de dépouillement de l’œuvre originale du capucin, qu’Etienne Bournier avoue n’avoir pas consulté avant de publier son discours : cette insertion renforce le caractère de commande de la publication.
« La raison de l’offre que ie vous en fais, madame, est que ie vous eslis pour ma deffence envers l’autheur, qui me taxera d’indiscretion, de luy avoir osté la moisson de sa peine avec les fruicts de son esprit, pour les mettre en lumiere sans son advis, ny adveu. Et l’oubly de mon devoir n’oubliant son appuy, vous implore à secours. Mais l’esperance que i’ay en l’humeur de l’autheur, esloigné de vanité, contraire au fard des inutiles apparences, enclin au mespris de soy & de ses propres labeurs, avec la crainte que i’avois d’en estre esconduict, m’a fait obmettre un tel devoir. Et specialement l’interest particulier que vous avez avec nous de l’edition de ceste oraison funebre m’a fait croire, que vous estes beaucoup obligée à me contribuer vostre assistance. La gloire qui se rend au los de la deffuncte Royne, & les honneurs espars, comme aiguillons à esmouvoir les cœurs à la conqueste de si beaux merites, vous astreignent à ma tuition, vous l’approuverez, s’il vous plaist premiere, & l’approuvant esprouverez mon affection en la memoire de ma tres-vertueuse princesse, estimant que la necessité est requise à l’impression de ce discours, pour l’utilité renaissante : les riches traits doucement espandus dans les oreilles des auditeurs, la merveilleuse doctrine, les vives incitations à la vertu, les sainctes admonitions à l’amour de Dieu : finalement le royal exemple d’une si saincte, & religieuse Royne meritent estre gravées au burin de l’immortalité pour demeurer à iamais emprainte en la memoire des François : la consideration doncques de si grand bien me promet que sous vostre adveu, l’autheur n’ayant esgard à l’obmission de mon devoir advouera l’entreprise qu’en fait, Madame, vostre tres-humble & tres obeissant serviteur, Estienne Bournier Bourbonnois. De Moulins le 15 fevrier 1601 ». [3]
Pour se justifier, Etienne Bournier évoque la nécessité de faire connaître au plus grand nombre possible la vie sainte et la mort exemplaire de Louise de Lorraine. Mais cet argument ne tient guère : si Thomas d’Avignon ne semblait pas désireux de publier son oraison, cela dut être pour respecter la volonté de la reine douairière. Il s’agit plutôt de faire rejaillir la gloire de Louise de Lorraine sur sa belle-sœur alors en délicatesse avec Henri IV.
D’ailleurs, les louanges qui clôturent l’édition de l’oraison funèbre se mêlent presque curieusement aux tombeaux de la reine défunte, comme si l’hiver de Louise de Lorraine venait de donner naissance au printemps des Mercœur, et d’abord à la fortune de Françoise de Lorraine, héritière de sa tante :
« A Madamoiselle de Mercœur
Niepce de la feu Royne douairiere.

Jeune princesse en ce printemps,
En ce bel avril de vos ans,
Ceste chaste Royne est le temple,
Où les autels parez d’honneur,
Vous doivent eslever le cœur ». [4][62]

« A Madamoiselle de Mercœur
SONNET.

Vous qui dès le berceau d’heureuse destinée,
Esleuë avez esté pour un prince François,
Et qui de vos parents, au vœu de sainct François
Avez esté donnée, avant que d’estre née.

Contemplez ceste mort de vie couronnée
Pour avoir des vertus tousiours suivy les loyx,
Pour avoir desdaigné la couronne des Roys :
Vostre tante a du Ciel la couronne gaignée.

Soyez son heritiere, heritiere des biens,
De ses belles vertus, et suyvez les moyens,
Qu’elle vous a laissez pour memoire et pour gage.

Vous avez herité des moyens qu’elle avoit
Ensuyvant le chemin que ma Royne suyvoit :
Vous acquerrés comme elle un heureux heritage ». [5]

La gloire de Louise de Lorraine devient donc celle de la duchesse de Mercœur et celle de la princesse de Martigues. Et même un Claude Billard, anciennement attaché à la cour des Valois, fut requis pour composer son tombeau, sans omettre des louanges à l’intention des deux dames dans le style érudit et symbolique qui était en vigueur à la cour au XVIe siècle. Ce faisant, il établissait presque une généalogie culturelle de ces dames, dont l’attitude reflèterait celle des déesses de l’antiquité et, en un mot, la gloire des dames illustres et idéalisées du siècle passé.
« A Madame de Martigues.

(…) Le Ciel qui cherit les vertus
Permit que ces raisons infus
Vous fissent astre secourable
Assister en ses iours derniers
Une Royne, où tant de lauriers,
Eurent leur abort favorable.
Si qu’avant les iours de sa mort,
Trois princesses, ainçois support
De ceste princesse mourante,
Ainsi qu’envoyées de Dieu,
Vous trouvastes en mesme lieu,
Pour charmer sa douleur cuisante.
L’un de ses discours plus saints
Enchantoit ces regrets si vains
Que l’accez de la mort apporte,
L’autre luy faisoit dans les Cieux,
Loger la pensée, et les yeux
Lors que la douleur fust plus forte.
Enfin toutes trois larmoyans,
Sembliés ces rochers ondoyans
Dont l’humeur coule, goutte à goutte
Heureuse assistance en la mort,
Son navire surgit au port,
Vous les pilotes de sa route.
Vous comme les freres iumeaux
Qui paroissent dessus les eaux,
Calmant les flotz de la Marine :
Ce luy fust heur de vous avoir,
A vous l’honneur de l’esmouvoir
D’une ame si vifve et si digne ». [6]
Avec Claude Billard, l’image de Louise de Lorraine subit une légère déformation non point tant dans la focalisation que sur la modalité de sa réputation. En effet, afin de présenter Madame de Martigues comme un « astre secourable », le poète dévoile une part mortelle et humaine qui faisait défaut à la mythologie naissante de la reine blanche : idéalisée dans sa souffrance même dans sa recherche de la justice ou dans la mise en scène de ses appartements à Chenonceau, la souffrance de Louise de Lorraine n’apparaissait pas empreinte de « regrets si vains / Que l’accez de la mort apporte ». Cette vision plus humaine de la mort que celle qu’expose Thomas d’Avignon vaut cependant moins par sa valeur intrinsèque que par sa nécessité pour mettre en exergue le rôle des trois dames. De même, le réemploi de l’image du navire conduit par les jumeaux Castor & Pollux, attachée au devenir de la fortune du royaume de France, dans une acception a priori moins politique et plus personnelle, traduit au moins l’ambiguïté entre l’importance politique du décès d’une reine et la récupération qui semble être en œuvre au profit d’intérêts plus particuliers.
Avec Jean Godard, le discours poétique prend une tonalité plus explicitement politique, et l’auteur n’hésite pas à mettre au même plan Marie de Luxembourg et la France, voyant d’ailleurs en la première une nouvelle reine pour son lustre et sa dignité.
« Stances
A Madame la duchesse de Mercœur.

Madame, vous pleurez, et repleurez sans cesse :
La France, comme vous, en fait bien tout autant.
Iustement vous pleurez vous deux une princesse :
Et si vous deux à tort la pleurez pourtant.

Madame, vous pleurez iustement son absence,
Veu l’heur que sa presence apportoit à vos yeux.
Mais vous pleurez à tort, ayant la cognoissance
Qu’elle estoit mal en terre, et qu’elle est bien aux Cieux.

La France, pour sa mort, porte une iuste peine :
Mais à tort elle pleure en voyant vos vertus.
Car sa Royne elle voit, ne voyant plus sa Royne,
Laquelle vit en vous, lors qu’elle ne vit plus ». [7]

Un morceau de rhétorique

L’oraison se présente d’abord comme un sermon sur la mort en relation avec la vanité humaine, avant d’être plus précisément dans une deuxième partie consacré à la reine défunte. Mais le style de l’oraison impose une construction rhétorique propre à générer une forme élevée et digne de la gloire de la défunte. C’est pourquoi, en guise d’introduction à son discours, le capucin glisse quelques périodes tendant à l’emphase…
« Car, bien que i’eusse une voix angelique, une poictrine de fer, la langue de sainct Chrysostome, l’eloquence de Ciceron, le beau parler de Demosthene, la subtilité d’Aristote, et la contemplation de Platon, encores ne pourrois-je avec mon discours assez dignement louer la vie de la sage et vertueuse princesse Loyse de Lorraine Royne douairiere de France, vostre bonne duchesse, ô peuple bourbonnois, ni desplore suffisamment la mort, qui la rend toutesfois immortelle entre les hommes, et dès auparavant son decedz selon la meilleure partie, et portion superieure de son ame ». [8]
« I’appeleray doncques heureuse, voire mille fois heureuse la Royne douairiere vostre duchesse, de laquelle nous celebrons ce iourd’huy les obseques et funerailles, une des plus sages, des plus vertueuses, des mieux apprises et advisées, des plus douces, des plus affables, des plus gracieuses princesses de la chrestienté, voire une des plus accomplies creatures humaines tant au corps comme en l’ame, que Dieu, et la nature mere commune des vivans ayant créé de nostre temps entre les humains ». [9]
« Royne, où quittez-vous vos vassaux ? Bonne sœur, où laissez-vous messieurs vos freres, vos parents et alliez ? Princesse, où laissez-vous vos sujets ? Duchesse, où abandonnez-vous vostre peuple bourbonnois, si affectionné à vostre service ? Mere, où laissez-vous vos filles ? Maistresse, où quittez-vous vos serviteurs, et servantes ? Dame, où abandonnez-vous vos femmes, et damoiselles ? Ame devote, et religieuse, où laissez-vous vos orateurs, les pauvres religieux, qui toutesfois ne vous abandonneront iamais en leurs sacrifices, et prieres ? O quelle perte, ô quel malheur, ô quel desastre pour tous ! ». [10]
Ces harangues préliminaires ont au moins le mérite de donner un cadre précis à l’image personnelle et royale de Louise de Lorraine au moment de sa mort : elle apparaît surtout comme une princesse puissante, influente, pieuse et remarquable, « tant au corps comme en l’ame ». Son assimilation à la souveraine idéale s’explique par conséquent par l’alliance de sa beauté extérieure, reflet de sa majesté royale, et de sa beauté intérieure, c’est à dire de son sentiment religieux et de son autorité – dont la tenue d’une maison de rang royal est la manifestation la plus visible.

La ‘passion’ de Louise de Lorraine

L’oraison est cependant un récit de l’agonie, ou plutôt de la transfiguration de Louise de Lorraine : sa valeur édifiante et exemplaire se fonde sur la réitération de la souffrance ultime du Christ, transposée en toute personne qui se présente dans ses derniers moments tendue entièrement vers Dieu. Montrant dans sa harangue le courage et l’obstination de cette reine à recevoir son Dieu, Thomas d’Avignon sacralise l’image de Louise de Lorraine et prépare l’apothéose finale : l’accession à la sainteté.
« Ie discoureray maintenant sur sa maladie, & de son dernier passage à la mort. Et sur ce que i’ay veu cependant, & cogneu de sainct & religieux en elle . Il n’y a pas un d’entre vous, qui ne sçache que le premier iour de l’advent prochainement passé, elle fut passé la matinée iusques à trois heures apres midy, elle s’en vint à la predication en ceste eglise de Notre Dame, quelque mauvais temps qu’il fist, & tres contraire à sa santé, où ie recogneus qu’elle estoit agitée de quelque indisposition, ce qui m’occasionna de retrancher une partie de mon discours. Ma pensée ne fut pas vaine, car au sortir de l’eglise elle s’en alla mettre au lict, agitée de beaucoup de douleurs, coliques & hydropisie, de fluxions, catharres & autres maux, qu’elle supportoit avec une si grande patience, qu’on ne l’a iamais ouye se plaindre, (…), mais rapportoit toutes choses à la bonté de Dieu, qui la visitoit (…) ». [11]
La fougue spirituelle avec laquelle Louise de Lorraine accomplit ses dévotions donne la mesure de l’incessante représentation théâtrale dont elle est à la fois l’instigatrice et l’objet inconscient. Cette reine si calme en des temps si troubles semble inspirée par Dieu dans sa dévotion, dans l’acceptation du malheur et de la souffrance physique. Et ce d’autant plus que, duchesse de Bourbonnais, elle oeuvre en faveur de l’Hôtel-Dieu et visite de nombreuses églises. Par conséquent en assistant aux offices publics, elle se montre au cœur de Moulins comme s’il s’agissait de protéger la ville et d’attirer sur elle la faveur divine : la dévotion surpasse la souffrance comme pour sauver ce qui pourrait l’être.
« elle me respondit (…) : ‘Ie vous supplie de retarder vostre voyage (…) afin que vous m’assistiez si d’avanture il m’arrivoit quelque accident (…)’. Or ie ne sçay si ie dois appeler cecy prophetie, prediction ou comment. O chose merveilleuse & admirable, le lendemain ie fus appelé pour l’assister à ceste grande foiblesse, où elle perdit la parole & le sens. (…) Apres l’onction ie luy presentay sa croix d’argent pour la baiser, ce qu’elle fist avec beaucoup de devotion, & parce qu’aux pieds de ceste croix il y avoit du bois de la vraye Croix de Nostre Seigneur, que ie ne sçavois pas, elle faisoit signe de vouloir tousiour baiser au pied, elle le baisa avec tant de devotion, qu’elle mouvoit à pleurs les assistants ». [12]
L’acharnement dans l’oraison intérieure suscite certes le trouble chez le capucin ; mais moins encore que sa certitude de la possession de son corps par une « grande foiblesse ». « Prophetie, prediction ou comment », le pressentiment de son état physique est assurément pour le religieux la marque d’une inspiration divine. D’autant que la description, même sommaire, de ce malaise – dont les manifestations se font de plus en plus fréquentes à mesure que la reine approche de la dernière extrémité – contribuent à renforcer l’impression d’une action divine. Car à chaque fois, la « foiblesse » agit d’une manière spectaculaire en privant Louise de Lorraine de la parole et du sens. Le temps du récit devient alors durée miraculeuse : Thomas d’Avignon prend soin de présenter le « bois de la vraye Croix » comme le lieu de toutes les tensions ranimées de la reine, alors que ce geste de dévotion surprend, tant sa force contraste avec l’état physique de la malade. La présence des « assistants » en pleurs a elle aussi son importance. La communion générale autour de cette sainte en gestation impose une dynamique spectaculaire digne de l’assemblée des apôtres du Christ l’accompagnant au Mont des Oliviers : de même que les apôtres, les personnes présentes au chevet de Louise de Lorraine sont en mesure de propager cette image d’une reine allant vers son apothéose.
« ‘Helas mon Pere, disoit-elle, permettray-ie bien que mon Seigneur & Createur vienne vers moy ?’ Pour le moins que ie le reçoive à genoux, à terre aux pieds de mon lict. Apres plusieurs autres parolles & discours semblables, de pieté & d’humilité qu’elle monstroit, avec sa permission, ie m’en vays m’apprester pour celebrer la messe. Cependant on la retire du lict par son commandement, & l’assied sur sa chaire ; & lors que ie levay le Sainct Sacrement en haut, oyant de sa chambre le signe de la clochette, se prosterna tout à coup les deux genous à terre sans point de carreau ; ses dames cuidans qu’elle fust pasmée, accoururent vistement vers elle pour l’assister : ‘non, dict-elle, ce n’est rien ; laissez-moi, il n’y a point de mal, mais i’adore mon Dieu’. (…) croyant de luy porter la saincte communion en sa chambre, comme ie luy avois dit, elle s’en vient promptement en la chapelle, sans qu’on la tint, & avec une telle ardeur de devotion, que tous ceux qui la voyaient en estoient ravis, & comme hors d’eux-mesmes, l’ayant veue & laissée si malade au lict, iugeans à bonne raison que c’estoit Dieu qui guidoit ses pas , (…) & pour moy ie fus si etonné, quand ie la vis se prosterner à terre devant l’autel pour recevoir son Createur, que ie perdis le cœur & la parole ». [13]
Ayant enduré plusieurs malaises comme les stigmates da sa propre passion, Louise de Lorraine adopte un comportement déroutant, qui se traduit dans le récit du capucin comme l’accomplissement du « cycle de la durée miraculeuse », en « cycle extatique ». [14] L’ardeur dont elle fait preuve procède d’un élan d’essence divine, afin de « recevoir son Créateur » : le Corpus Christi bénéficie de la présence réelle que recherche Louise de Lorraine. Toute son énergie ne tend que vers une certaine ‘inhabitation’ de son corps par le corps mystique, vers la dépossession d’elle-même, pour vivre dans le Christ. Le brusque mouvement qui conduit la reine, épuisée, à dépasser ses forces pour recevoir l’eucharistie, ne fut peut-être pas résolu selon une volonté d’Imitatio christique, mais le récit de Thomas d’Avignon, en prenant volontairement cette dimension mimétique, donne une solution de continuité dans la succession des comportements étranges de la reine… à partir de l’Avent. L’inscription dans le calendrier liturgique du passage de vie à trépas de Louise de Lorraine est en effet remarquable. Car sa maladie se déclare au premier jour de l’Adventus, période de l’attente de la venue du Sauveur : or le paradoxe de la mort est bien celui de la venue en soi du Christ. [15] Cependant le capucin n’utilise guère par la suite ce ressort, sans doute en raison du décalage entre le décès de la reine (le 29 janvier) et le jour de Noël.
« Ie luy presentay son cordon de sainct François, qu’elle portoit tousiours sur soy ; elle le print, le baisa, & me le donna, lequel pour estre simple & sans façon, conforme à l’habit que ie porte, ie le porteray sur moy tout le reste de mes iours, pour avoir esté porté de cette devote Dame ». [16]
Introduisant des pauses dans le cours de son discours au moyen de la narration de conversations particulières entre Louise de Lorraine et lui-même, Thomas d’Avignon n’en réitère pas moins sa croyance en la sainteté de la reine, ici représentée par « son cordon de sainct François ». De même que les objets de piété de la défunte deviennent des reliques, son corps aspirerait à être identifié à une relique. Toutefois l’orateur n’évoque pas ce point, se conformant aux dernières volontés de la reine qui avait souhaité des obsèques simples, et une humble sépulture.
« mais qui pourroit iamais desduire sa pieté ? sa devotion ? son humilité, tant devant, comme apres la communion ? Durant la celebration de la messe, se faisoit tenir le crucifix au pied du lict par une de ses damoyselles, devant lequel orés ioignoit les mains, orés croisoit les bras, tantost se frapoit la poictrine, & le regardoit avec une telle devotion, & contrition, qu’elle mouvoit à pleurs & compassion tous ceux qui la voyaient (…) Les assistants pleuroient de compassion & asseuroient n’avoir iamais veu personne recevoir si devotement, pieusement, & religieusement le precieux corps de Nostre Sauveur, (…) de sorte que tous unanimement & d’un commun consentement, l’appeloyent Bien-Heureuse  ». [17]
Le spectacle dramatique de sa dévotion inaltérable prend un aspect vraiment tragique dans la réitération incessante de l’ascèse de son corps, ascèse qu’elle aurait voulu développer à l’ombre d’une cellule de capucines, alors qu’elle est entourée de l’ensemble de ses fidèles et de proches des Mercœur. Jusqu’au bout, elle suscite la compassion, mais presque à son corps défendant car, à ce moment précis, elle n’est pas en représentation publique, mais au sein de sa Maison, et son état ne nécessite pas encore l’adieu solennel à ses proches.
« D’un costé Madame de Mercure, qui l’a tousiours assistée en sa maladie, qui ne bougeoit iour & nuit d’aupres d’elle, la supplia les genoux à terre & la larme à l’œil, de la vouloir benir avec Monsieur de Mercure, son mary, ce qu’elle fist avec beaucoup d’humilité ; d’autre costé Madame de Martigues avec sa sœur, & niepces feirent de mesme : lesquelles elle beneist toutes avec beaucoup de pieté. Sur cecy arriva Madamoiselle de Mercure, sa niepce, qui accreust les pleurs, & gemissements, & l’humilité, l’innocence & la pureté accompaignée de larmes, avec laquelle ceste ieune & honneste princesse luy demanda sa benediction, fendoit les cœurs de pieté (…). Toutes ses dames, filles, damoyselles, & femmes de chambre, ne voulans estre frustrées de ce bien, se prosternent à terre avec la mesme humilité requerans sa benediction : lesquelles toutes beneist, avec un discours aussi piteux & plain de compassion, que digne d’estre remarqué ». [18]
« Ie luy dis, ‘Madame, voyla vos gentilshommes, & officiers, qui vous crient mercy tres humblement & vous demandent pardon, s’ils ne vous ont servy comme ils devoyent, & comme Vostre Majesté le meritoit, & vous prient de les vouloir benir’. ‘Helas, dit-elle, mes amis ie vous rends grace du service que vous m’avez faict, ie me suis tousiours bien fort contenté de tous vous autres, vous m’avez tousiours bien servie, priés Dieu pour moy, que si ie vous suis encores utiles & necessaire, qu’il me laisse en ce monde, sinon sa volonté soit faicte, & ie le prie qu’il vous benisse. (…) N’est-ce pas imiter sainct Martin, qui à l’heure de sa mort fist à Dieu la mesme priere pour son peuple ? Domine, si adhuc populo tuo sum necessarius, non recuso laborem, fiat voluntas tua ». [19]
Mais l’état de la reine empirait, et le temps de la bénédiction arrive comme pour signifier la transmission solennelle de son héritage à ses proches, et sa position personnelle, déjà plus céleste que personnelle. Mais il est aussi remarquable que Thomas d’Avignon confonde en un même corps les officiers particuliers de Louise de Lorraine et ceux de la ville de Moulins. Ainsi s’immisce l’idée de la reconnaissance de « son peuple », à la fois pour l’exemplarité de sa dévotion et la conduite de ses affaires en tant que reine douairière, mais également duchesse. La référence à saint Martin est elle aussi porteuse de sens ; car si celui-ci évangélisa les campagnes et fut reçu dans les palais impériaux, Louise de Lorraine voulut en revanche évangéliser la cour, et fut aimée de ses sujets.
« Apres tout cecy, elle appella Madame de Mercure, à qui elle presenta deux croix d’or, dans lesquelles il y avoit du bois de la vraye crois : ‘tenez ma sœur, voilà que ie vous donne, une pour vous, laquelle garderez en souvenance de moy, & l’autre pour mon tres cher frere vostre mary, lequel vous saluerez de ma part ; helas ! ie desire luy escrire un mot de ma main, car ie l’ayme de tout mon cœur’, & se fit apporter son escritoire, & du papier, mais à peine eut-elle la main à la plume pour escrire, qu’elle dit à Madame de Mercure, ‘helas ma sœur ie ne sçaurois escrire, pour la douleur que i’endure à la teste’ ». [20]
Le pathétique où confine la narration du capucin visait assurément à émouvoir la foule des assistants, en montrant le geste inutile et presque désespéré d’amour fraternel. Et si cette ultime référence au duc de Mercœur peut s’entendre comme un appel – politique – à suivre la reine dans son amour envers son frère : quittant le monde, elle ne rejoint pas son époux, elle abandonne son frère.
« ‘Ie croy que les Capucins auront souvenance de moy en leurs prieres : car ie les affectionnois beaucoup. O ame pieuse ! ô ame devote ! » [21]
Les Capucins, dans l’esprit de la reine, durent incarner un ordre digne de sa confiance. Car l’implication des Jacobins dans l’assassinat du roi avait entamé sa confiance envers les ordres monastiques. Or les Capucins avaient été encouragés dans leurs œuvres à la fois par la maison de Lorraine, Catherine de Médicis et Henri III : Louise de Lorraine leur était redevable dans la mesure où ils unissaient tous ses proches dans une même tension pénitentielle. Et d’ailleurs, il est remarquable qu’elle se soit réconciliée avec les Joyeuse en 1594, dont l’un des membres fut un ligueur zélé et capucin, Frère Ange.
« Elle sentoit desià les semonces divines, & les attraits plus violents de l’amour de Dieu, vray espoux de son ame, qui bucquoit à l’huys de son cœur, & l’appeloit à soy, pour iouïr de luy, & l’esmouvoit interieurement à proferer telles paroles » [22]
« Mais helas ! ie ne sçay comme ie dois appeler le discours qu’elle tint à Madame de Martigues la nuict suyvante, prediction ou prophetie, ou inspiration divine, quand elle luy demanda où estoit sa niepce, laquelle luy respondit qu’elle dormoit. ‘Helas’ dis-elle, ‘ie la voudrois bien voir auparavant que de mourir’, & quand Madame de Martigues luy dist qu’on la feroit lever, ‘non’ dist-elle ‘ne faictes pas cela ma cousine (…) cela est faict, ie ne la verray plus en ce monde : car ie mourray demain ». [23]
Les idées mystiques et la rhétorique du capucin se rejoignent en cet endroit pour célébrer la mort miraculeuse, en forme d’extase suprême de Louise de Lorraine ; car il n’est question ici que de « semonces divines », du « vray espoux de son ame ». Le paroxysme du discours est certainement atteint dans cette idée de jouissance divine qu’inspire l’âme de la reine, et qui se vérifie dans ses propos prophétiques. Inspirée de Dieu, sa bouche devient l’instrument des pensées divines : car le Verbe « l’esmouvoit interieurement à proferer telles paroles ».
« & pendant que les prestres autour de son lict prioient pour elle, les uns à genoux, recommendant son ame, les autres debout avec l’eau beneiste, mon compagnon d’un costé, et moy de l’autre qui l’exhorte à se resouvenir du nom sacré de Iesus, la force duquel gravé dans son cœur, força & violenta tellement sa langue, qu’elle le prononça à haute voix, ‘IESUS’, & (…) puisqu’elle, contre toute nature, le profera avec tant d’efficace qu’on iugeoit assez ouvertement que c’estoit le mesme Iesus qui remuoit sa langue, qui ouvroit ses levres & luy donnoit la force de le prononcer. Car un Pater & un Ave Maria apres fut surprinse d’une autre grande foiblesse laquelle passa bien tost, & dressant sa veue en haut vers le Ciel (…) bailla trois fois, à chascune desquelles ie luy faisois le signe de la croix avec de la chandelle beniste, que ie tenois allumée entre mes mains, invoquant le nom de Iesus, & à la troisiesme rendit l’ame à son Createur ». [24]
Possédée de Dieu, Louise de Lorraine a en fait acquis au long de sa lente agonie tous les symptômes de cette possession dont la re-présentation ne fait que dévoiler la part du mystère divin. Le théâtre de la mort de la reine est une scène divine où la puissance de Dieu occupe le premier rôle. Ainsi les ‘faiblesses’, qu’elles témoignent de convulsions ou d’une arythmie cardiaque, manifestent l’état de transe physique qu’inspire la présence de Dieu. La dernière parole n’est pas exhalée, elle éclate dans la démesure de la vision de « Iesus », ce qui constitue un signe évident de ce que « c’estoit le même Iesus qui remuoit sa langue ». Autre indice d’une possession « contre toute nature », l’hostie qui précédemment la sortait de sa langueur pour la précipiter vers la présence divine : nourrie du Christ, elle se fond dans sa divinité. Ce spectacle extraordinaire expliquerait alors la sainteté de Louise de Lorraine, telle que Thomas d’Avignon s’évertue à la définir tout au long de son discours : drame mystique, la mort de la reine douairière offrait un exemple édifiant de la nouveauté des temps, en cette année de « Iubilé ». [25] Car dans cette description, Thomas d’Avignon s’appuie d’une manière implicite sur la narration de possessions. Mais ces possessions là sont assurément l’œuvre de démons, et du premier d’entre eux, Belzébuth, et elles interviennent dans le cadre d’un âge de fer où l’hérésie pullule. Or avec la conversion d’Henri IV sonne dans l’esprit du capucin le glas de l’hérésie, et une nouvelle sorte de possession assure aussi prodigieusement le renouveau de l’Eglise : cette possession est en effet l’œuvre de Dieu et consacre les idées mystiques d’un Benoît de Canfeld – source de nombreux capucins et religieux de cet ordre lui-même – dans lesquelles la recherche de l’essence divine par delà toute apparence sensible apparaît comme l’un des buts ultimes. Et si la ‘passion’ de Louise de Lorraine emprunte largement au registre du ‘sensible’ afin de captiver l’assistance, sa profondeur atteint Dieu dans son essence à la fois divine – les signes extérieurs de sa présence – et humaine puisque la scène se déroule au moment de la mort, dimension suprême de l’homme et ‘inaccessible’ à Dieu.
Le récit de Thomas d’Avignon, certes repris et peut-être amélioré par Estienne Bournier pour ce qui touche à la gloire des Mercœur, s’attache donc à peindre d’une manière réaliste les derniers jours de Louise de Lorraine ; mais en raison de la personnalité extrême dans les aspects de sa dévotion de la principale protagoniste, le discours se transforme en narration du retour de Dieu, ou dans un langage plus profane et symbolique, du retour d’Astrée : l’ultime paradoxe de Louise de Lorraine n’en est pas moins le plus fascinant du point de vue de la représentation.

4.3.2. La gloire des Mercœur (II.) : Antoine Malet hagiographe

Antoine Malet est l’auteur de deux ouvrages au début du XVIIe siècle : une Institution du couvent des Capucines en 1608 et une Œconomie de la Royne Loyse en 1619 – probablement commandés par les bons soins de Marie de Luxembourg, duchesse douairière de Mercœur. Antoine Malet était en effet attaché au service des Mercœur depuis longtemps : conseiller (ou plutôt directeur spirituel ?) et confesseur de la duchesse et de sa fille Françoise de Lorraine, duchesse de Vendôme, ce théologien de la Faculté occupait aussi la charge honorifique de chancelier du duché de Mercœur. Son attachement à la maison de la duchesse justifie assurément l’entreprise qu’il forma d’écrire une vie de Louise de Lorraine, mais selon une perspective exemplaire et pédagogique pour la noblesse et les grands du monde, comme le stipule son titre : Oeconomie spirituelle et temporelle de la vie et maison, noblesse et religion des nobles et grands du monde, dressée sur la vie, piété et sage oeconomie de Louyse de Lorraine Royne de France et de Pologne.

« Cette oeconomie composée sur la vie de la reyne est divisée en neuf traictez.
1. Le premier contient plusieurs raisons qui doivent gaigner un cœur noble au service de Dieu.
2. Le second enseigne selon la philosophie, la théologie et l’histoire d’où vient la vraye noblesse. D’où son origine, si c’est de l’âme ou du corps, ou de tous les deux. Qu’elle est la vraye, qu’elle est la fausse. Qu’elles sont les utilitez que la vraye noblesse porte au monde, quels les degrez de ses dignitez.
3. Le troisiesme comprend les observations utiles à eslever les enfans des nobles et des grands depuis leur naissance iusques à dix ans, tant au fait de la religion que de la civilité.
4. Le quatriesme est des moyens propres pour les eslever depuis dix iusques à vingt ans.
5. Le cinquiesme estalle six moyens pour faire connoistre et reconnoistre aux grands la souveraineté d’un seul Dieu et l’immortalité de l’âme.
6. Le sixiesme descouvre plusieurs bons advis pour apprendre de bien-heurer leur mariage.
7. Le septiesme montre des exemples aux plus grands de bien user de l’estat de viduité.
8. Le huictiesme apprend aux princes et seigneurs les moyens de gouverner selon Dieu leur maison, et leur subiects.
9. Le neufiesme leur donne une pratique de ce qu’ils ont à traicter avec Dieu chacun iour. » [26]

Les sources d’Antoine Malet, bien qu’imprécises, sont dans l’ensemble dignes de créance : les anciennes dames qui avaient accompagnées Louise de Lorraine à Chenonceau paraissent avoir été consultées de nombreuses fois. Le capucin Thomas d’Avignon s’impose comme une des sources majeures pour Antoine Malet qui se trahit par endroits, recopiant d’un peu trop près les formules qu’il avait apprécié dans l’oraison de 1601 et sans craindre de faire passer le religieux pour « historien » :
« elle estoit la plus belle qu’on eust sceu voir, et afin d’en dire ce que c’en est icy, en peu de parolles, les Grands du royaume parlent de sa beauté en tels termes que si cet ancien peintre lequel au dire des historiens emprunta de la beauté de plusieurs pour faire une parfaite beauté eust eu le portraict de Loyse, ni sa main ni son pinceau n’eussent eu besoin d’emprunter l’autre visage pour le bien achever un visage parfaict ». [27]
L’empreinte de la duchesse de Mercœur est aussi visible, dans la mesure où les informations sur son défunt époux abondent sans pour autant engendrer de confusion dans le récit, car Philippe Emmanuel de Lorraine était le frère préféré de la reine. Par contre, le contexte d’écriture est particulier. Marie de Luxembourg n’était alors guère dans une grande faveur royale, et en se présentant comme l’héritière de sa belle-sœur, elle pensait peut-être regagner une position politique enviable, et un rang semblable à celui qu’elle tenait sous les règnes d’Henri III et d’Henri IV – du moins jusqu’en 1598.
« La vie de Louyse Reyne de France et de Pologne est un parterre si justement compassé, où paroissent tant de fleurs de diverses vertus qu’il n’y a rien qui n’arreste l’œil de ceux qui ont quelque sentiment du vray bien et qui ne mérite d’estre proposé pour un exemple de bien vivre, pour une idée de la vie chrestienne, et pour un droict chemin de Paradis, principallement à vous qui estes dessus les autres hommes (…). A ceste cause m’a semblé faire chose digne de l’amour que ie porte à la vertu, de l’office que i’exerce et de la charité qui me presse de desirer à tout homme la felicité, de recueillir l’histoire des grandes et admirables actions de ceste princesse pour la consigner entre voz mains et de vostre posterité, à ce que la memoire en soit eternelle (…) ». [28]
Certes, sa vie durant, Louise de Lorraine avait été assez appréciée de ses contemporains, bien que sa profonde piété gênait un certain nombre de courtisans. Et en 1601, si les louanges avaient été unanimes, ils n’avaient cependant pas atteint l’intensité que leur donne Antoine Malet.
« En la premiere (saison) ie decouvre d’où Louyse est sortie, fais voir le berceau de sa grandeur, sa premiere nourriture, la conduitte de son inclinaison et de son enfance iusques à l’âge de dix ans (…). En la seconde, i’estalle en veüe du monde et dans la cour de Lorraine iusqu’à l’âge de vingt ans qu’elle fut mariée, et sur ce qu’elle a faict de memorable en cette saison (…). En la troisiesme ses belles actions la font admirer depuis l’âge de vingt ans qu’elle fut eslevée sur le throsne de royauté et mariée avec Henry III durant l’espace de quinze ans. (…) En la quatriesme i’expose à tous les François le portrait d’une sainte vesve, d’une saincte vie, d’une belle fin, (…) ». [29]
La démarche hagiographique entreprise par Antoine Malet s’insère dans la diffusion des idées du concile de Trente dont les canons venaient d’être promulgués dans le royaume de France en 1615 : l’actualité de ce ouvrage lors de sa publication promettait à la reine défunte sinon une immortelle renommée, du moins, une réputation de sainteté conforme à la Contre Réforme, mais selon des modalités plus conformes à l’esprit du premier quart du XVIIe siècle que de l’époque où vécut Louise de Lorraine.

L’introduction de l’ordre des Capucines (1608)

En 1608, la duchesse de Mercœur procéda à l’inauguration solennelle du premier couvent de capucines à Paris, et réalisa les vœux de Louise de Lorraine. Cependant cette venue de Marie de Luxembourg à Paris sonnait comme une renaissance pour cette dame reléguée depuis quelques temps en ses terres : la pompe de la cérémonie en fut d’autant plus grande. Antoine Malet intervint là aussi pour assurer la publicité de cet événement et il rédigea une Sommaire narration du premier establissement qui as esté faict en France de l’ordre des Capucines dites filles de la Passion. Fidellement rapportée par M. Antoine Malet, bachelier en théologie, de la Faculté de Paris, et Confesseur ordinaire de Madame la duchesse de Mercœur, publiée à Paris en 1609. Par une bulle de septembre 1603, injonction fut faite de construire le couvent à Paris et d’y inhumer Louise de Lorraine. Douze religieuses y furent reçues et formées en deux ans. Pourtant, aucune des sœurs ne reçut comme nom de baptême celui de Louise, alors que sœur Marie avait pour marraine Madame de Martigues, sœur Françoise Mademoiselle de Mercœur, etc. Cependant le corps de la reine douairière arriva à Paris le 20 mars 1608, et fut rejoint dans son nouveau sanctuaire par les cœurs de son frère le duc de Mercœur, et celui du P. Ange de Joyeuse.
« Sur la fin du siecle passé, et au commencement du present, Dieu a fait cognoistre qu’il continuoit sa promesse, son amour et son assistance à l’un et à l’autre sexe, ayant voulu que l’ordre des Peres Cappucins monstre un admirable exemple par l’observance de l’estroite vie de la saincte pauvreté, et inspire à un grand nombre de vierges par toute la chrestienté, particulierement en France et en la ville de paris la volonté et l’amour à icelle ». [30]
Toute la France void encore en tableau public les vertus de ceste princesse, qui la porterent au trosne de la souveraineté (…) encore qu’elle ne peust eviter de se trouver parmy les pompes et les vanitez estant Royne, si est-ce qu’elle portoit tousiours Iesus Christ, vray espoux de son ame en son cœur (…). Elle ouït parler qu’en Italie il y avoit certaines religieuses appelées Cappucines, lesquelles depuis quelques années avoient repris la premiere observance de la regle de saincte Claire ». [31]
Antoine Malet a beau recentrer son discours sur la véritable introductrice de l’ordre des Capucines en France, la duchesse de Mercœur occupe par la suite la meilleure place dans les louanges de l’auteur. Si « Dieu a fait cognoistre qu’il continuoit sa promesse », il semble que ce Dieu là soit fort politique…

4.3.3. Une lune s’éclipse, une autre s’avance : rien de neuf sous le Soleil

En 1601, le ‘règne de paix’ du roi Henri IV se manifeste déjà depuis quelques années, et les noces du nouveau Soleil [32] de France avec Marie de Médicis n’en sont pas le moindre indice. Si le monarque ne connaît pas alors une popularité immense, néanmoins ses sujets lui accordent leur confiance pour faire entrer le royaume dans une nouvelle ère, dont la conversion de 1593 serait l’annonce religieuse.
La propagande henricienne, soucieuse de la gloire du roi agencée comme source et impulsion d’un nouvel âge d’or – le retour d’Astrée – fit du mariage avec la ‘banquière florentine’ en décembre 1600 à Lyon un moment de légitimation supplémentaire pour le nouveau couple royal. En effet, vers la fin de l’automne, Henri IV prit le chemin de Moulins afin de visiter la reine douairière, comme pour solliciter son accord. En retour, cette dernière comptait remercier le roi et saluer la nouvelle reine au printemps, au Louvre : l’ancienne reine passait ainsi le témoin à la nouvelle et contribuait à renforcer le Bourbon dans son lien aux Valois. Le décès de Louise de Lorraine compromit ce programme, mais l’idée de transition entre les deux reines en sortit renforcée. La mort se métamorphosait ainsi en l’annonce d’un nouveau temps, celui des Bourbons, après celui des Valois.
L’oraison du P. Thomas d’Avignon a une origine et un contexte géographiques précis, et sa diffusion dans les librairies parisiennes eut un certain succès puisque tous les stocks furent écoulés dans l’année. Cependant il n’y eut aucune réédition. Quant à l’autre oraison, prononcée à Notre Dame par le P. Benoist, elle ne fut guère appréciée malgré la renommée de l’orateur, ce qui expliquerait l’absence de publication. Un avocat au Parlement, François Méglat, éprouva le besoin de composer une Apothéose ou harangue funèbre de la Royne douairière en 1601. Son « Epistre au Roy » enracine dès le début son propos dans la perspective de cette ‘propagande’ henricienne.
« Sire, voicy la mort d’une Royne, qui par sa vie, s’est rendue immortelle. I’appens à vostre calme, le bris de son naufrage, & la fin de ses iours, à l’infinité de vos mérites. Le panegirique de ses royales actions, & l’histoire de ses heroïques vertus, se presentent, soubs vostre protection , au temple de Memoire. (…) Elle n’aspire qu’à ce repos & ie ne demande pour comble de ma gloire, que le consentement de paroistre quelque iour en l’obeyssance de vos commandemens. » [33]
L’éloquence du parlementaire se construit, malgré le sujet, dans son rapport au roi, et acquiert une valeur ‘civique’ (politique), reflet de la fonction de l’auteur : « Elle (l’éloquence) peut se déployer plus librement dans la bouche de l’Avocat du Roi dont l’autorité est celle de la Loi, du Roi, et donc de Dieu et de la Vérité » [34]. Cet élément justifie la présence de Henri IV au cœur de l’Apothéose, même si l’avocat y trouve d’abord un bon argument afin de faire l’éloge du monarque.
« Sire, vous estes l’unique motif, de ces dignes effects. Les lauriers qui ceignent vostre chef, rendent, fidelle tesmoignage de vos victoires. Dieu qui a carracteré en vostre vaillance, la plus haute et la plus signifiante marque, de la felicité de l’Europe, vous conserve pour signal, & sainct Elme de nostre sauvement. » [35]
Le discours de Méglat affecte des tournures et une érudition propre aux beaux discours que cultivent les avocats du roi. Or cette éloquence, que Marc Fumarolli nomme « rhétorique des citations » prend position dans un débat tentant au début du XVIIe siècle de définir une éloquence française [36]. La science de François Méglat n’est cependant guère originale puisqu’elle se déploie autour de l’image d’Astrée :
« Ainsi le Genethliaque d’Astrée, ne nous asseuroit pas des funerailles de Mars : mais le traine coulant, & l’accroist continu de celle-là nous promettent bien à ce coup tout à fait, le declin de cesty-cy. Chacun est esgallement occupé aux sacrifices de ces deux deitez à l’une de peur que comme Veioues elle ne mesface ; à l’autre à fin que comme propice, elle nous face bien. » [37]
Pourtant cette évocation mythologique – miroir de l’état des mentalités en France à l’aube du XVIIe siècle – offre une introduction contextuelle pertinente à la harangue suivante. La perception de la mort de la reine douairière expose ce qu’en 1601 l’on espère être la dernière réminiscence des âges de fer : elle emporte dans la mort des souvenirs tragiques qu’elle n’incarne pas, mais dont elle fut l’une des protagonistes obligés.
« Voyant une princesse si parfaite, en temps si imparfait  : qui n’eut estimé que c’estoit un signe de changement en bien envoyé d’en haut (comme les Dieux, qu’on faisoit descendre par engins, ès tragedies anciennement) pour nous guarantir des escueils, sauver des dangers, & reparer nos pertes. Mais ô vayne & trompeuse esperance des mortels ! quand nous pensions tenir de pres, c’est lors que [comme à Ixion au lieu du corps de la belle Iunon] on nous a supposé des nuages. A ce coup elle repose au sein d’Abraham, au tabernacle du Tout Puissant, en la maison des anges. Là elle recueillit le fruit de ses semences & perçoit le loier, & la coronne deuë, à ses mérites. Que reste t-il donc plus ? Sinon que d’apprendre les tableaux de nostre naufrage, à l’autel de Neptune : & rendre à ceste nouvelle deité les mesmes honneurs, que l’on doit aux bien-heureux ».
Le paradoxe entre la mort de la reine et la vitalité du royaume se dédouble en paradoxe entre la personnalité de la reine et l’époque où elle vécut. De cette superposition se dégage une réponse presque prophétique à la question de sa ‘place’ dans l’imaginaire de la monarchie : Louise de Lorraine serait la personnification de la bonne étoile annonciatrice d’un roi restaurateur de la paix et de l’âge d’or.
« Nos pluies passées, se tournent maintenant en beau temps, les vents qui n’agueres ne vomissoyent que guerre, orage & discorde ont pris routte à cest heure, pour nous laisser la paix, le calme & la tranquilité. Enfin la nuict de nos ennuis, est suyvie de ce beau midy, que nous attendions avec tant d’impatience. Le flot qui nous cuidoit esbranler, malgré luy nous a ietté à bord. Ce ne sont pas les premiers rays du Soleil levé, qui font foy de la serenité de toute une iournée. L’espurée continuation de leur splendeur, en est le seul simbole. » [38]
La contemplation littéraire du navire de France ballotté au gré des vents ne doit pas masquer la vision historique qu’implique cet éloge funèbre : elle participe plutôt à enlever toute personnalité réelle – résultant dans ce cas de la narration d’une individualité – à l’événement pour mieux l’imbriquer dans un incessant travail de légitimation du Bourbon. Ce point de vue est encore plus explicite chez Brantôme, pour lequel ce n’est pas seulement Henri III qui a désigné le roi de Navarre pour successeur, ni même les lois du royaume, mais la reine elle-même, en s’abstenant d’avoir des enfants.
« En quoi de roy d’aujourd’huy luy est bien redevable, et l’en doit bien aimer et honorer ; car si elle eust fait le trait, qu’elle eust produit un petit enfant, le roy, de roy qu’il est, n’eust esté qu’un petit regent en France. » [39]
Néanmoins, après un long préliminaire, l’avocat reconnaît que le décès de Louise de Lorraine porte un juste ombrage sur le ciel du royaume :
« Le Ciel a bien soudain changé de face : & nostre douceur s’est tost convertie en amertume. Partant si d’un costé nous donnons nos armes à la ioye, contribuons de l’autre nos yeux aux larmes. Admirons une nouvelle déité : pleurons la perte d’une pretieuse humanité. (…) La fleur des princesses, s’est flestrie en terre, pour reverdir au Ciel, & n’estant née que pour mourir, est morte pour revivre ; l’astre qui brille avec tant d’esclat au gré des François, s’est ecclypsé à la France. C’est le brouillard funeste, qui ternit le lustre, de ce beau temps de paix » [40].
L’ambiguïté sur le terme de « Ciel » contribue à ce mouvement de divinisation en « déité » qui cerne l’ensemble du discours, concernant aussi Astrée, … et le nouvel Hercule, Henri IV : car comme le héros, la reine doit sa couronne divine à sa « pretieuse humanité ». L’apothéose de Louise de Lorraine est en fait une didactique de la sacralité – presque une sainteté – des rois et des reines de France, dont les vertus sont l’image vivante :
« Les Roys, les Roynes, les Princes, sont l’exemplaire & le moule, où s’engrainent les actions de tous leurs vassaux. » [41]
Les qualités dont le parlementaire pare la défunte concourent à la rendre immortelle : sa harangue est une modélisation de la reine idéale, très impersonnelle et qui pourrait s’appliquer à ses devancières comme à celles qui lui ont succédé. Le recours continu aux références de l’Antiquité l’érige de fait en statue divine :
« Apres la mort deplorable d’une grande, un peuple s’escria, qu’on enterroit les Graces, la Modestie, la Sagesse, la Pudicité & la Beauté. » [42]
Antoine Malet ne donne donc pas le premier un versant hagiographique à la vie de Louise de Lorraine ; mais François Méglat semble aussi disposer de bonnes sources. Il se comporte assurément en lecteur de Nicolas Houël lorsqu’il compare la reine à Catherine de Médicis – « ce qu’on raconte d’Arthémise est fable, au pres de la verité que ie vous veus reciter » [43]. De même la métaphore de la main du pauvre comme « une banque, où Dieu reçoit nostre argent à usure » se retrouve dans l’Advertissement.
Quant à la description morale de la défunte souveraine, l’avocat se contente d’égrainer quelques images signifiantes, mais également révélatrices de son peu de connaissance de la reine, puisqu’il ne cite que des faits de renommée publique, ou supposés tels :
« Il me suffit de parler legerement de sa vie, en recueillent les traits les plus remarquables, & dignes de memoire  » [44]
Filant la métaphore de la navigation, le parlementaire envisage la reine comme le pilote de la cour, veillant à la fortune du royaume et à celle des grands : d’où son courage, sa magnanimité, sa libéralité, mais pareillement son humilité, sa modestie et sa pudeur qui sont autant de « preservatifs & antidots si salutaires (…) de ce pernicieux poison [les flatteries des courtisans] » [45].
« Le pilote s’asagit parmi les tempestes : elle pareillement en l’escolle d’infortune, avoit appris la fortune des grands ».
« & se resouvenant de la prudence des ruzez navigeans, qui au dangereux passage des Syrenes, boucherent leurs oreilles de cire, de peur d’estre surpris par les trompeurs appas d’une cauteleuse melodie, elle s’estoit perpetuellement montré sourde aux flatteries de ceux qui (comme Crocodiles) n’aplaudissent que pour decevoir ».
« Ainsi plus les bouffées de prosperité boursoufflèrent ès voiles de ses desseins, moins en retire elle d’orgueil » [46].
Plutôt que d’une reine de France, François Méglat évoque la reine de France, l’émanation de la personne royale dont les vertus trouvent leur accomplissement dans la conduite des affaires politiques. Ainsi le corps de la reine est indissociable du corps du roi, et la relation singulière qui exista entre Henri III et son épouse devient le symbole de la monarchie comme idéal d’harmonie : le corps politique procède dans la démonstration de l’avocat du corps féminin en tant que blason, c’est à dire allégorie d’une harmonie – « simphonie – entre un corps humain et un corps ‘réel’ – dans son acception néoplatonicienne :
« Les anciens peignoyent le portraict de Suadelle aupres de celuy de Venus, afin de bailler à cognoistre, que l’honneste amitié se paissoit de parolles d’honneur. Par l’entremise d’un parfait bien-dire elle conciloit si accortement la volonté du Roy avec la sienne, qu’on pouvoit croire d’eux, ce que les poëtes feignent de Castor & Pollux : C’estoit une ame en deux corps . Et bien que l’un fust moindre que l’autre, néantmoins (ainsi qu’en la musique de divers tons) la simphonie en estoit delectable » [47].
La rhétorique inspirée du néoplatonisme se déploie lors de rapprochements qui ne sont pas exempts d’une certaine hardiesse métaphorique et où les citations valent surtout par leur distorsion :
« Dieu qui par miracle, avoit abregé & racourcy comme en une Pandore, toutes les perfections de l’univers en la royne Louyse, ialoux de l’honneur qu’elle meritoit icy-bas, en a fait come du iuste Noé, il l’a retiré dans son arche » [48].
La Pandore, modèle maniériste revient ici à contre emploi, et au lieu d’être le germe de tous les maléfices, est l’abrégé des « perfections de l’univers ». Cette difficulté dans la définition du corps féminin et de ses attributs trouve toutefois une solution dans sa correspondance avec l’image royale. Et la beauté de Vénus, la musicalité des paroles de la reine expriment un début de réponse bien vite développée selon le thème de la concordance entre la physiognomonie et la capacité à assumer le pouvoir. C’est pourquoi la « cognoissance & l’experience des affaires, tant privées que publiques », ornements de la reine, résultent de plusieurs critères :
« l’élegance d’un entendement, aigu en discours, prompt à comprendre, & iudicieux en ses imaginations ; la candeur d’une ame aussi zelée & pieuse, que devote & debonnaire ; et la beauté du corps, eminente par dessus toutes les autres » [49].
Mais l’argument essentiel qui plaide en faveur de la reine – comme femme – rejoint l’idée de l’influence informelle. Car l’avocat cite à propos l’épisode de la clémence d’Auguste à l’encontre de Cinna ; clémence qui lui fut conseillée par son épouse Livie…
« La propriété essentielle des heros consiste en la douceur : plus on approche de la clemence, plus on a de conformité avec Dieu (…). Les vieux Germains adoroyent le conseil des femmes ; les Romains comme chose utile & profitable en firent de même : la France est bien plus superstitieuse à l’endroit de ceste princesse, a respecté ses advis, approuvé ses deliberations, & gousté les favoureux effects de tous deux » [50].
Cette description idéale d’une reine illustrant le prestige de la royauté et de son détenteur en 1601 n’évite pas la représentation de mythes déjà fortement ancrés sur le veuvage de Louise de Lorraine, « mieux cogneu de tous, que son visage ne l’estoit de ses familiers » [51]. Mais cette harangue ne vise pas à forger l’histoire de la défunte ; au contraire elle la considère comme établie et s’en sert à d’autres fins : la gloire du roi et celle de la nouvelle reine, Marie de Médicis.
« Heleyne, appres qu’elle a raconté une Iliade de maux à Thelemache, pour reconfort luy donne ce divin Nepenthe, dont parle Homere : Dieu a choisi pour Nepenthe & allegeance à nos ennuis, la tant accomplie, & renommée princesse, Marie de Médicis, vif surgeon, de la source imperiale d’Austriche, & pourtraict racourcy de toutes les perfections du monde : belle comme Venus, chaste comme Diane pour temperer par sa beauté la solitude de nostre Roy, vrai Phoenix des monarques : adoucir les fatigues par le miel de sa grace ; & etayer seurement nostre crainte, par une ample & digne posterité. Cette espérance et le seul breuvage narcotique, qui doit stupefier & endormir nos maux. Benissons le nœud d’un si sainct mariage : & prions Dieu que ses liens nous durent tout un siècle » [52].
Une telle conclusion renforce l’idée selon laquelle Louise de Lorraine ne serait qu’un prétexte, et que plusieurs niveaux de lecture se croisent dans cet opuscule. La louange de la reine douairière est celle de la Reine : le discours serait alors l’augure du règne de Henri IV et de Marie de Médicis, leur prédisant même une union de « tout un siècle » !

Notes

[1[59] Jacqueline Boucher, op.cit., p.342.

[2[60] Thomas d’Avignon, op.cit., Epître à Madame de Mercœur, p.1.

[3Ibid., Epître à Madame de Mercœur, p.2-3.

[4[62] Ibid., p.59. Par Estienne Bournier.

[5Ibid., p.62. Par Estienne Bournier.

[6Ibid., p.59-61. Par Claude Billard « Bourbonnois ».

[7Ibid., p.58. Par I. Godard P.

[8Ibid., p.2.

[9Ibid., p.3-4.

[10Ibid., p.5.

[11Ibid., p.35.

[12Ibid., p.37-38.

[13Ibid., p.39-40.

[14Denis Crouzet, op.cit., p.266-277, note 2. Dans un contexte différent, Denis Crouzet montre comment la théâtralisation de la possession de Nicole Obry et l’exorcisme qui s’en suit est exemplaire d’un processus actif de contre offensive catholique caractéristique des années 1560. L’hostie devient pour Nicole Obry la seule nourriture qu’elle est en mesure d’absorber, cf. p.274-275. « Le fait nouveau, qui rythme cette sainteté nouvelle, est que Nicole Obry se refuse à recevoir aucun aliment. Les évanouissements se succèdent dès qu’elle tente de portée à sa bouche une cuillerée de potage, et à chaque fois, seul le Corpus Christi la ranime. Il lui est impossible de manger autre chose que le Saint Sacrement, comme si sa vie n’était, après le départ du démon, plus supportée que par la présence réelle du Christ en elle, comme si elle n’appartenait plus qu’au Christ. Seul le fils de Dieu, dans ce théâtre qui oppose le temps de la mort et le temps de la Rédemption, veille sur elle, la faisant bénéficier de son sacrifice qui libère du prince des ténèbres. (…) Elle est portée dans la basilique [de Liesse], devant l’image de la Vierge Marie, inanimée. Le scénario préréglé auparavant se répète, la vertu mystérieuse de l’eucharistie rappelant à la vie la jeune femme. Et cet épisode paraît composé selon une mimétique certaine : Nicole Obry, alimentée uniquement par le corps du Christ, semble dépossédée d’elle-même, et, en cette première semaine de la Passion, son parcours reproduit celui du Rédempteur jadis rejeté par son peuple ».

[15Ibid., p.268.

[16Thomas d’Avignon, op.cit., p.42-43.

[17Ibid., p.43.

[18Ibid., p.44.

[19Ibid., p.46.

[20Ibid., p.47.

[21Ibid., p.48.

[22Ibid., p.48.

[23Ibid., p.49.

[24Ibid., p.50-51.

[25Ibid., p.37.

[26Antoine Malet, op.cit., Introduction.

[27Ibid., VI, 2.

[28Ibid., I, 8.

[29Ibid., I, 9.

[30Antoine Malet, Sommaire narration…, Paris, 1609, p.1217.

[31Ibid., p.1218.

[32Sur l’image de Henri IV, voir « Astraea et l’Hercule Gaulois », in Frances Yates, Astrée…, p.397-407. Si l’image solaire n’est pas la plus utilisée pour désigner Henri IV, elle n’en est pas moins attestée.

[33François Méglat, « Epistre au Roy », in Apothéose ou harangue funèbre de la Royne douairière, Paris, Prevosteau, 1601.

[34Marc Fumaroli, op.cit., p.467.

[35François Méglat, op.cit.

[36Marc Fumaroli, op.cit., p.473.

[37François Méglat, op.cit.

[38Ibid.

[39Brantôme, op.cit., « Louise de Lorraine », p.334.

[40François Méglat, op.cit.

[41Ibid.

[42Ibid.

[43Ibid.

[44Ibid.

[45Ibid.

[46Ibid.

[47Ibid.

[48Ibid.

[49Ibid.

[50Ibid.

[51Ibid.

[52Ibid.