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Monique Chatenet et Pierre-Gilles Girault : Fastes de cour. Les enjeux d’un voyage princier à Blois en 1501

Kathleen Wilson-Chevalier

Comment citer cette publication :
Kathleen Wilson-Chevalier, "Monique Chatenet et Pierre-Gilles Girault : Fastes de cour. Les enjeux d’un voyage princier à Blois en 1501", compte rendu, Paris, Cour de France.fr, 2011 (https://cour-de-france.fr/article1912.html). Compte rendu publié en ligne le 1er mai 2011.

Monique Chatenet et Pierre-Gilles Girault (avec une préface de Colette Beaune), Fastes de cour. Les enjeux d’un voyage princier à Blois en 1501, Presses universitaires de Rennes, collection « Histoire », 2010, 175 p., ISBN 978-2-7535-1232-0, EUR 20,00.

Monique Chatenet, grande spécialiste de la Cour et des questions de cérémonial en France à la Renaissance, et Pierre-Gilles Girault, conservateur au château de Blois, avaient déjà rassemblé leurs forces pour rédiger « Le mobilier du château de Blois au temps de Louis XII et d’Anne de Bretagne », paru en 2009 dans les Cahiers du château et des musées de Blois.

Ce texte, augmenté, constitue le chapitre 5 de leur beau livre Fastes de cour. Les enjeux d’un voyage princier à Blois en 1501, publié fin 2010 aux PUR, avec une préface de Colette Beaune.

Le livre a pour objet une rencontre au sommet entre le roi et la reine de France et les archiducs des Pays-Bas, Philippe le Beau et Jeanne de Castille. Elle se déroule en 1501, dans un contexte politique particulier puisque l’archiduchesse est depuis peu la « fille héritière apparante du roy et de la royne d’Espaigne ». Les invités se présentent ainsi comme « un couple inégal », l’épouse étant plus titrée que son mari, et le séjour à Blois n’est qu’une étape – diplomatiquement importante, certes – d’un voyage vers la péninsule ibérique, voué à bouleverser l’équilibre géopolitique européen. Car la succession d’Espagne, que Jeanne de Castille et Philippe le Beau recueilleront à Ségovie, finira par échoir à leur fils aîné, le futur Charles Quint. L’ouvrage nous aide à pénétrer dans un univers protocolaire fortement hiérarchisé, où Jeanne de Castille est reçue comme l’égale de la reine de France alors que l’archiduc son mari fait figure, lui, de vassal du roi de France. Lorsque Colette Beaune suggère que ce déséquilibre expliquerait la rédaction d’une relation par une des suivantes de Jeanne, elle s’appuie sur l’argumentation touffue et nuancée de cette très riche étude. Elle compare par ailleurs le protocole de cette réunion à deux entrevues franco-impériales ayant eu lieu en 1389 et en 1416, afin de faire ressortir ce fait, qu’elle estime constituer « la plus grosse différence » de l’accueil offert en 1501.

Dans un premier temps, les lecteurs suivent le cortège archiducal dans son périple depuis les frontières du nord jusqu’à Blois, ville de moins de 20 000 habitants promue depuis trois ans « capitale symbolique » du royaume. Du 7 au 15 décembre 1501, les visiteurs éminents logeront dans la nouvelle aile royale du vieux château féodal en cours de rénovation. Trois cartes tracent l’arrivée progressive de cette équipée, des environs de Blois jusqu’au cœur même du château, où les accueillent avec force splendeur d’abord le roi Louis XII, puis la reine Anne de Bretagne. Avant de bénéficier de l’exceptionnel privilège de descendre de leurs chevaux sous la statue équestre du roi (dont une version du XIXe siècle figure sur la couverture du livre), le couple archiducal aperçoit dans la basse cour une colonne soutenant l’Enfant de Paix (judicieusement rapprochée d’un bois imprimé cette même année dans un ouvrage de Robert Gaguin, et d’une enluminure tirée d’un ouvrage conçu par Jean Lemaire de Belges pour Anne de Bretagne onze ans après). Cette œuvre a pour tâche de signaler l’enjeu diplomatique majeur du séjour : la conclusion d’un traité de paix. Deux peintures fixées à la colonne évoquent le futur Charles Quint, qui n’a pas encore fêté ses deux ans, et la petite Claude de France, à peine plus âgée, dont le mariage devra sceller la paix entre la France et l’Empire. Un projet qui, on le sait, ne sera pas réalisé.

À partir d’une confrontation minutieuse de plusieurs témoignages : français (Jean d’Auton, Fleuranges, L’entrée faicte à Paris, imprimée en 1501, une lettre royale), italien (l’ambassadeur de Mantoue), espagnol (Lorenzo de Padilla) mais surtout impériaux (Antoine de Lalaing, Jean Molinet, Jean Lemaire de Belges, Julien Fossetier, « l’anonyme de Vienne », Philipe Haneton, les lettres envoyées par la chancellerie archiducale, une lettre inédite de Pierre Anchemant, « la relation Dupuy-Godefroy ») – suggérant des faits qui se complètent et se contredisent –, Monique Chatenet et Pierre-Gilles Girault parviennent à approcher de très près non seulement la disposition et l’aménagement du château de Blois, mais aussi le cérémonial, les préséances et les codes vestimentaires des deux cours. Or c’est l’unique relation féminine du voyage, un document désigné comme la « relation Dupuy-Godefroy », car publiée avec des modifications par Denis Godefroy en 1649, qui sert de pivot à leur discours. Attribué de manière très crédible à Éléonore de Poitiers, une dame attachée au service de l’archiduchesse qui a rédigé vers 1484-1487 un traité intitulé les Honneurs de la cour, ce récit devient la pièce justificative la plus importante de l’ouvrage et est publiée en annexe avec une étude des différentes versions repérées (p. 101-135).

L’analyse détaillée de ce texte où la cour est perçue « à travers le regard d’une femme », offre, d’après les auteurs, un « point de vue inhabituel [qui] élargit considérablement notre champ de vision ». Écoutons-les encore : « [La narratrice] décrypte avec une acuité sans équivalent dans les relations masculines la signification des usages, des gestes, des rares paroles. Elle met magistralement en scène le cadre architectural, les espaces intérieurs, le mobilier, les objets et autres expressions de la magnificence princière. La reine et l’archiduchesse, si effacées, si anodines sous la plume des indiciaires de Philippe le Beau, retrouvent dans son récit leur statut et leur personnalité. La dignité que la reine partage avec le roi est minutieusement déchiffrée lors de la présentation des archiducs aux deux souverains. La prééminence de l’héritière des Rois catholiques sur son époux, qui n’apparaît nulle part dans les récits bourguignons (et pour cause), est décodée par quelques observations limpides pour tout lecteur averti. » Par ailleurs, l’analyse que font les auteurs du passage du manuscrit Dupuy au texte imprimé en 1649 nous permet de saisir au vif l’effacement historique progressif de la voix de cette dame. On voit comment les Godefroy interviennent pour tronquer son texte, en supprimant des noms, « biffant quelques phrases au ton très personnel – lorsque l’auteur avoue son impuissance à reconnaître le sujet d’une tapisserie, à décrire une pièce à laquelle il n’a pas eu accès ou le contenu d’un coffre qu’il n’a pas vu » (puisque nous apprenons très vite que « notre narrateur est en réalité une narratrice », ce choix de parler de la rédactrice au masculin complique parfois la lecture).

L’idée de compiler un index prosopographique de « la relation Dupuy-Godefroy » est excellente ; et soulignons au passage que celui-ci met en évidence toute la valeur des bases de données disponibles sur cour-de-france.fr. Un léger regret, en revanche : l’absence d’un index traditionnel des noms, lieux et objets, qui aurait facilité la vie aux chercheurs à l’affût de toute la richesse contenue dans ces pages (la fameuse « selle d’argent » de l’archiduchesse, les nombreuses tapisseries si diligemment confrontées aux inventaires et catalogues, les références à Éléonore de Poitiers elle-même…).

Les recherches à venir confirmeront ou infirmeront la conviction des auteurs que « les femmes décrites dans ce récit ont un rôle limité dans le domaine diplomatique » et que « les décisions se prennent le plus souvent sans [les femmes] » (p. 98). Certes, bien que le château de Blois dispose de « logis jumelés » (voir les p. 72-76, pour une longue discussion à ce propos) avec un balcon de représentation pour la reine faisant pendant à celui du roi, Louis XII n’hésite pas à renvoyer Jeanne de Castille parmi ses semblables : « Madame, je say bien que vous ne demandez qu’à estre entre vous femmes, allez vous en veoir ma femme, et nous laissez icy entre nous hommes ». Néanmoins, et les auteurs le soulignent ailleurs, ce qui apparaît comme des « sauts d’humeur » de l’archiduchesse sont en fait des gestes calculés pour exprimer la désapprobation espagnole à l’égard de la politique francophile de son époux (p. 63-64). Et la figure 1 (a-b), qui reproduit des détails de deux volets peints par Colijn de Coter, aujourd’hui au Louvre, ne donne pas non plus l’impression que Jeanne de Castille (sur le volet entier agenouillée derrière une impressionnante Vierge médiatrice) joue un rôle de simple pion. Par ailleurs, Anne de Bretagne appuie de tout son poids le projet de mariage conclu au cours de cette rencontre – et elle continuera de ce faire jusqu’à la fin de ses jours. Une lecture attentive du chapitre sur le mobilier laisse penser que le caractère « quasi incrédible de la despence et feste sumptueulx » repose en grande partie sur les épaules de la reine de France. Ses armes, ses inventaires, ses orfèvres, son maître de la chambre et son trésorier de l’épargne jouent un rôle si prépondérant que l’archiduchesse, installée dans un logis qui l’emporte sur celui de son mari, vit à l’ombre de Charles VIII, premier mari royal de la reine Anne. Il est rappelé qu’Antoine de Lalaing a affirmé, à propos des négociations diplomatiques en cours, que « les paroles pacifiques dictes entre eulx nous sont absconsées ». Or le rôle politique des femmes ne serait-il pas, lui aussi, « absconsé » ?

Le champ de vision recadré d’Éléonore de Poitiers permet par endroits de lever très haut le voile sur les qualités politiques et culturelles des femmes. Lors de l’entrée des archiducs à Paris, des échafauds se dressent tout au long du parcours. À ce sujet, Monique Chatenet et Pierre-Gilles Girault constatent que « [c]omme souvent, la plupart des spectateurs n’y comprirent pas grand chose » (p. 30). Ils nous disent aussi que seuls le récit officiel imprimé, l’Entrée faicte a Paris par très puissant prince et seigneur l’archeduc de Austriche…, et la narration d’Eléonore nous en informent. Cette dame est visiblement la plus cultivée de tous les narrateurs du voyage, capable de transcrire un des écrits en latin, référence biblique à l’appui (p. 118). Et lorsqu’elle nous décrit l’archiduc endossant sa fonction de pair de France pour « veoir plaider les causes » au Palais de Paris, le lendemain, ces causes comprennent le « differend de la terre de Partenay d’entre madame de Vendosme et monsieur de Dunoys ».
À la manière des hommes de haut rang, la comtesse de Vendôme, dépêchée « de la part de la reine » avant le séjour à Blois pour « adsister et conduire madame l’archiduchesse », reçoit le couple archiducal dans son château de Ham (que l’archiduc prend la peine de visiter). Puis, au-delà de Blois, Louise de Savoie s’occupe à son tour de l’accueillir d’abord à Amboise, puis à Cognac, où Molinet nous apprend que « [l’archiduc] trouva les gens de madame d’Angoulesme, qui le festoyèrent et le tindrent six jours ». Si le récit d’Éléonore de Poitiers s’arrête avant le départ de Blois, d’autres narrateurs ont déjà la future régente dans leur champ de vision.

Fastes de cour, avec sa fine analyse de la réception et du cérémonial liés à cette impressionnante rencontre franco-flamande, a le grand mérite de nous aider à mieux envisager les espaces du château de Blois en ce début de Renaissance, à un moment crucial de son histoire. Et grâce aux auteurs, les balcons jumelés de la façade offrent de jolies fenêtres sur une Histoire où hommes et femmes se côtoient.

Kathleen Wilson-Chevalier, The American University of Paris [1]

Notes

[1Je tiens à remercier Eugénie Pascal pour sa relecture de ce texte.