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7-8 nov. 2019, : Sacres et couronnements dans l’Occident chrétien : Rite, État et société, du Moyen Âge à nos jours

Colloque organisé à Nancy les 7 et 8 novembre 2019, par deux laboratoires de l’Université de Lorraine, le CRULH (ÉA 3945, laboratoire porteur) et le Centre Lorrain d’Histoire du Droit (Institut François Gény, ÉA7301).

Les sacres en tant que rites de passage ont joué un grand rôle dans les relations entre les hommes, dans les sociétés tournées vers le monde divin, où le souverain peut intervenir dans la nature en guérissant ses sujets par des miracles, comme en France ou en Angleterre. L’évolution des sacres marque le passage des religions héritées aux religions prescrites, puis aux religions intériorisées où la laïcité se répand, suivant en cela le schéma du philosophe Marcel Gauchet (Le désenchantement du monde. Une histoire politique de la religion, 1985).

L’étude des sacres jouit d’un renouveau d’intérêt. En 2016, à l’occasion du 1200e anniversaire du premier sacre à Reims, celui de Louis le Pieux, une manifestation est organisée sur cette cérémonie par Sylvie Joye, et un ouvrage paraît sur le sacre en France (P. Demouy, 2016). L’année suivante, une manifestation est organisée sur les sacres à Reims (B. Maes et P. Demouy, 2017). Du reste, on trouve le même phénomène dans d’autres pays, comme en Allemagne (Gerd Althoff, Die Macht der Rituale. Symbolik und Herrschaft im Mittelalter, 2003, ou Stefan Weinfurter/ Marion Steinicke (dirs.), Krönungs- und Investiturrituale. Herrschaftseinsetzungen im kulturellen Vergleich, 2005). De manière plus globale, cette manifestation scientifique permet de revisiter les liens qu’entretiennent les rites avec la société et l’État.

Le sacre, ou le couronnement quand le roi n’est pas oint de l’huile sainte, est un rite de passage permettant au souverain d’exercer à son avènement un pouvoir pleinement légitime, dans un espace-temps comprenant l’Occident chrétien du Moyen Âge à nos jours. Il faut cependant ajouter la royauté israélienne de laquelle le monde judéo-chrétien tire exemple, bien représentée sur la façade de la cathédrale de Reims avec le combat de David et de Goliath. Par ailleurs, des régions longtemps indépendantes (Bretagne, Lorraine…) retiennent notre attention, et il existe pour elles des rites spécifiques. Ces cérémonies appartiennent aux « rites de passage », où A. van Gennep distingue trois étapes : les rites préliminaires quand le souverain quitte le monde extérieur (la nuit au palais des archevêques de Reims), les rites liminaires quand il entre dans son nouvel état (onction, couronnement, remise des insignes royaux…), et les rites post-liminaires (la grand-messe et le festin).

L’histoire des sacres et des couronnements reflète l’évolution de la royauté dans ses rapports avec le pays qu’elle dirige. À l’échelle européenne, cette institution montre une aptitude à la durée car elle a toujours su évoluer pour défendre un programme collectif, qu’il serait important de définir car il évolue au fil des siècles. Les monarchies présentent une large variété de styles, d’institutions et de formes de gouvernement, très différents du modèle français louis-quatorzien. Cela se reflète dans les rites qui constituent la cérémonie : roi héréditaire ou roi élu (comme Henri de Valois au trône de Pologne) ; dépôt de la souveraineté par le roi seul ou partagée avec d’autres instances (députés aux communes, magistrats, noblesse…).

L’histoire des couronnements comporte dans l’histoire plusieurs étapes successives. Au commencement était la famille avec l’autorité naturelle du père. Quand le groupe s’élargit, les hommes mettent leur confiance dans un homme-dieu dans les sociétés pré-chrétiennes (Égypte, Japon, Chine, mondes germaniques…). Quand le rite du sacre n’existe pas comme chez les Mérovingiens, les rois sont quelquefois assassinés, mais la famille de Clovis reste tabou dont la puissance virile réside dans leur chevelure abondante (reges criniti), et l’on nomme à leur place un frère ou un cousin. Dans le royaume des Francs, le premier sacre est célébré en 751 pour le père de Charlemagne, qui lui-même est couronné empereur en 800 : le souverain est investi d’une mission par Dieu pour conduire son peuple au paradis, mais celui-ci reste un personnage dont les pouvoirs sont limités par diverses institutions. Avec la Renaissance et la redécouverte du droit romain une autre impulsion se met en place pour aboutir à l’absolutisme : ainsi détaché de tout contrepoids et visant à donner le pouvoir à un seul, ce système politique a des répercussions sur les rites de couronnements. La Révolution française est le troisième moment qui modifie ces cérémonies en fonction des monarchies constitutionnelles.

Les historiens actuels présentent des synthèses qui mettent en avant plusieurs domaines, comme l’origine des sacres en France et leur évolution (baptême de Clovis), leur cadre (la cathédrale de Reims, la musique, le décor, les rituels), les objets utilisés (sainte ampoule, sceptre, main de justice), les étapes du cérémonial du début jusqu’au toucher des écrouelles.

Loin de mépriser ces cérémonies, la monarchie des XVIe et XVIIe siècles, commandite des enquêtes car elle les considère comme des affaires publiques : le roi Henri II demande à Jean du Tillet de garder mémoire des sacres, et en 1649 les Godefroy publient le Cérémonial françois.

Les historiens de la fin du XIXe siècle, marqués par le positivisme, utilisent peu ces ouvrages. Il faut attendre Marc Bloch et son ouvrage sur Les rois thaumaturges publié en 1924 pour voir l’apparition d’une manière anthropologique de concevoir l’histoire, dans le mouvement de l’histoire dite des Annales, mais son succès est restreint dans le public, bien que l’ouvrage soit très novateur. En réalité, c’est Bernard Guenée qui met en œuvre plus tardivement cet intérêt pour l’histoire des rites politiques, avec la publication en 1968 des Entrées royales françaises de 1328 à 1515. L’intérêt pour l’étude du fait politique sous l’angle de l’anthropologie connaît un grand intérêt aux États-Unis avec l’école cérémonialiste américaine, où Richard Jackson étudie les sacres. Ceux-ci ne sont pas une fête à laquelle chacun participe de la même manière : les autorités définissent un programme rigoureux en fonction de l’objet de la cérémonie et en fonction des solennités précédentes. Il y a des acteurs qui ont le pouvoir et des spectateurs qui accomplissent des séquences : tout cela fait partie du langage de la représentation.

Plus tard, dans les années 1980, l’image idéale du roi, telle que la population se le représente, devient un thème prisé par les travaux des historiens. Yves-Marie Bercé se consacre à cette étude dans Le roi caché (Fayard, 1990). Il montre comment, en 1595, alors qu’Henri IV n’est reconnu que par une partie de la France, un usurpateur, François III La Ramée, qui se prétend fils de Charles IX, se rend à Corbeny, où il guérit une fillette des écrouelles.

Enfin, pendant les cérémonies du sacre, le roi devient un personnage à part. Beaucoup d’éléments y contribuent, en particulier l’aménagement de la cathédrale, qui demande un an de travaux pour une cérémonie d’un jour. Dès lors, la cathédrale est transformée pour la cérémonie, ce dont les gravures nous rendent compte, et ce nouveau décor mérite l’analyse des historiens. De même, l’évolution des vêtements des sacres est révélatrice, ou la musique des cérémonies, qui tient un grand rôle, objet d’étude par les musicologues. Enfin, la presse rend compte dans l’opinion de ces jours uniques, par des occasionnels ou des livres destinés aux élites.

Cet objet d’étude pose un certain nombre de questions.

Tout d’abord, les sacres et couronnements produisent des normes. Celles-ci sont souvent regardées comme un élément juridique, quelquefois figé, jusque dans les années 1980, avant qu’on ne porte sur elles un regard anthropologique. Dès lors, il faut regarder les sacres comme un élément modifiable, et pouvant créer des tensions entre les différents acteurs qui les produisent. Par exemple, la fin du pèlerinage au prieuré de Saint-Marcoul à Corbeny, qui donnait des pouvoirs de médecin au roi après son sacre : avec Louis XIV, ce n’est plus le roi qui se rend dans ce village, mais les reliques du saint guérisseur des écrouelles qui viennent à Reims, comme si le futur roi soleil devenait le centre de l’univers. Ainsi, chaque souverain, chaque société, chaque époque, apporte sa griffe au déroulement du sacre, ce qui constitue un objet d’étude.

Par ailleurs, la liturgie du couronnement ne crée pas une seule représentation du roi, mais plusieurs, et elles peuvent même s’opposer entre elles. Par exemple, on peut mettre en regard l’image du roi thaumaturge qui court sur le long terme du XIe siècle à 1825, à celle du roi dormant des XVIIe et XVIIIe siècles révélatrice d’un absolutisme grandissant. De même, tous les publics ne sont pas sensibles aux mêmes images : les scrofuleux comme le rémois Gilles Caillotin du XVIIIe siècle sont sensibles aux vertus thaumaturgiques du souverain, alors qu’en 1825 Charles X ne voulait pas sacrifier à ce rite jugé trop médiéval.

Les axes de ce colloque pourront être abordés sous plusieurs regards.

Tout d’abord les pensées politiques qui expliquent le rite (Aristote, Cardin Le Bret…). Ensuite le déroulement de la cérémonie et les images du roi qui en découlent : le roi justicier, le roi chevalier, le roi gardien de l’ordre du monde. Enfin il faut s’interroger sur la réception des sacres par le public.

Comité scientifique  : Franck Collard (Université de Paris10-Nanterre-La Défense), Patrick Demouy (Université de Reims), Jean-François Gicquel (Université de Lorraine), Catherine Guyon (Université de Lorraine), Sylvie Joye (Université de Lorraine), Bruno Maes (Université de Lorraine), Thomas Nicklas (Université de Reims).

La manifestation se tiendra à l’Université de Lorraine, Campus Droit (cours Léopold), les 7 et 8 novembre 2019.

Contact : jean-francois.gicquel chez univ-lorraine.fr, catherine.guyon chez univ-lorraine.fr, bruno.maes chez univ-lorraine.fr