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Les logements versaillais de Madame de Maintenon : essai d’interprétation

Hélène Himmelfarb

Himmelfarb, Hélène, Les logements versaillais de Madame de Maintenon : essai d’interprétation, Albineana, Cahiers d’Aubigné, 10-11, 1999. Autour de Françoise d’Aubigné, Marquise de Maintenon. Tome II. Actes des Journées de Niort 23-25 mai 1996, sous la direction de Alain Niderst ; p. 305-335.

Extrait de l’article

Le profane, si cultivé soit-il, demeure souvent perplexe devant la minutie passionnée que mettent les spécialistes des maisons royales à établir l’histoire de leur topographie interne ; on peut le comprendre ; et la minorité même d’élèves de l’Ecole du Louvre qui ont choisi de suivre son enseignement optionnel et hors cycle sur les grandes demeures, leur décor et leur mobilier, n’abordent pas sans effroi ces cours qui consistent, selon leur mot malicieux et résigné, à « déplacer des cloisons », inexorablement et ad infinitum, au fil des transformations subies d’année en année par des appartements dont plus rien ne rappelle aujourd’hui les états anciens, sinon des plans, coupes, profils et élévations enfouis dans les archives de la Direction générale des Bâtiments du Roi, des rubriques énigmatiques dans leurs comptes, et des mouvements de mobilier consignés dans les fonds du Garde-Meuble de la Couronne.

Heureux encore si le palais même qui les abrita n’est pas à présent réduit à l’état de fantôme : la disparition du Château-neuf de Saint-Germain, de Marly, de Saint-Cloud, de Meudon, des Tuileries, de Clagny, de Sceaux, de Madrid, de la Meute, de Choisy ou de Saint-Hubert n’a jamais empêché nos maîtres d’en rêver, voire d’en imposer l’étude pièce par pièce, et d’y suivre jusqu’au vertige les arrivées, départs, nouvelles ventilations, et changement de garniture des sièges. Quand par bonheur pour la science et par malheur pour l’étudiant, l’histoire a même permis que fussent prises de tel salon ou de telle chambre quelques-unes de ces vues stéréoscopiques chères au Second Empire, dont les contours flous, les dimensions ténues et les noirs et blancs excessifs font à l’oeil novice des combats de nuages un soir d’orage plutôt que des documents analytiques (nous en avons de bien émouvantes, souvent signées Disdéri, pour les Tuileries, Saint-Cloud et même Versailles dans les années 1850 et 1860), alors l’ivresse du savant ne connaît plus ni bornes ni scrupules, et il n’est pas un tabouret en X, réduit sur le cliché à une tache grisâtre, qui ne soit identifié avec un cri joyeux, traqué dans les registres du vieux Garde-Meuble et du Mobilier National, poursuivi depuis sa commande par Louis XVI, sa livraison par Jacob, ses passages de la dorure en plein à la peinture blanche à rechampis d’or et vice-versa, ses vingt garnitures successives, ses voyages de palais en palais, et qui, si les dieux sourient à l’historien ce jour-là, ne vienne finir sa course triomphale et dérisoire jusque... dans l’incendie de l’ambassade de France à Berlin sous les bombes de 1945. On le sait du reste, il n’est de recherche qui vaille sans un peu de folie monomane.

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