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Langages politiques, modèles et métaphores corporelles. Propositions historiographiques

Gianluca Briguglia

Gianluca Briguglia, "Langages politiques, modèles et métaphores corporelles. Propositions historiographiques", dans L’Atelier du Centre de recherches historiques, année 2008, numéro 1.

Extrait de l’article

Les êtres humains agissent comme des corps. Qu’ils soient considérés comme des créatures affaiblies par un péché originel marquant leurs limites, qu’ils incarnent ces loups potentiels prêts à s’entre-dévorer ou bien qu’ils soient comme poussés par une impulsion à vivre ensemble, les êtres humains agissent comme des corps. Et comme des corps, ils sont assujettis à la corruption et à la fragilité. Selon Isidore de Séville et cette belle étymologie du viie siècle, « homo ex humo », l’homme vient de la terre et se trouve ainsi dans l’impossibilité de ne pas tenir compte de l’origine corporelle qui est la sienne, comme des limites de la boue d’où il a été tiré. Augustin avait été plus radical encore. Selon lui, l’homme a non seulement été créé à partir de rien, mais il est dans une certaine mesure pétri de ce rien. La fameuse définition de l’humanité envisagée comme « massa peccatorum » ne signifie pas seulement cette « multitude de pécheurs », mais aussi et peut-être surtout cette « matière de pécheurs », massa renvoyant en effet également à l’argile du potier et au pétrissage du vase. Cette conscience de la limite, cette exposition au besoin, constitue toujours un point de départ pour les divers auteurs qui se sont efforcés de penser le politique. Société de corps, bien sûr, mais de corps animés, de corps vivants et d’animaux rationnels ; corps animés et rationnels qui sont capables d’imiter la nature, par calcul ou par instinct ; capables enfin de se rassembler, de s’unir, de s’agréger et de s’incorporer entre eux jusqu’à devenir cet unique grand organisme, ce corps animé qui est la respublica.

Ernst Kantorowicz, mais aussi Henri de Lubac, nous ont montré combien de tels processus d’incorporation politique étaient débiteurs du thème théologique de la communauté christocentrique, du corps mystique, qui constitue le modèle d’une grande partie des métaphorisations de la respublica en tant que corps. Pour définir ainsi une des racines de cette métaphore, on peut dire avec Saint Paul : « Ce n’est plus moi qui vis, mais c’est le Christ qui vit en moi » (Gal. 2, 20). On peut également dire avec Machiavel, sans trahir en cela l’esprit du travail fondamental de Kantorowicz, « j’aime ma patrie plus que mon âme », afin d’indiquer une des issues modernes d’une telle incorporation.

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