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Histoire de femmes. À propos de quelques ouvrages récents

Jenny Jochens

Jenny Jochens, "Histoire de femmes. À propos de quelques ouvrages récents", dans Le Moyen Âge, année 2004, tome CX, numéro 2, p. 377-381.

Extrait de l’article

Voici quatre ouvrages qui attestent de la bonne santé de l’histoire des femmes du haut Moyen Âge. Dans Des femmes éplorées ?, E. Santinelli présente la plus grande partie de sa thèse de doctorat sur le veuvage, soutenue à Lille en 2000, sous la direction de R. Le Jan. Le point d’interrogation dans le titre principal suggère que, de l’avis de l’A., les veuves de l’aristocratie ne sont guère des femmes éplorées. Son champ d’étude se situe entre l’embouchure du Rhin et celle de la Gironde, de la Flandre au Poitou, régions où elle recherche les veuves sur cinq siècles, de la fin du VIe à la fin du XIe siècle. S’appuyant sur un dépouillement minutieux et astucieux d’un vaste corpus de textes narratifs, y compris les Pères et les vies des saints, des lois civiles et ecclésiastiques, des traités de moralité, des formulaires et des actes diplomatiques, E.S. constitue un dossier de près de 500 veuves contemporaines pour lesquelles elle construit un modèle de comportement. Elle étudie les sources selon une perspective juridique, religieuse, sociale (la notion de sexe ou gender) et anthropologique, analysant en même temps les transformations que subissaient ces femmes pendant la période parcourue.

Le corps du travail est structuré logiquement en trois parties suivant la carrière d’une femme dont le mari vient de mourir : la première traite de la vraie rupture que cause la mort d’un mari, y compris le rituel du deuil, qui se traduit non seulement par la perte de son protecteur le plus proche mais aussi par la suppression de son propre statut d’épouse. La deuxième examine les trois possibilités offertes à la veuve au moment de sa réintégration dans la société : une minorité d’entre elles consacrent leur vie à Dieu en menant une existence chaste, soit chez elles, soit dans un cadre monastique. Conformément à l’idéal prôné par l’Église, la première solution fut possible pendant l’ère mérovingienne et reprise au Xe siècle, alors que les Carolingiens tentent de légiférer sur la retraite monastique. D’autres veuves continuent de vivre dans le monde, s’occupant de leurs enfants et de leurs propriétés. Toutefois, la plupart des veuves se remarient, surtout si elles sont jeunes, sans enfant ou avec des enfants en bas âge. Dans ces trois voies – qui peuvent être entreprises de manière séquentielle – les veuves continuent à se comporter avec l’autorité que donne la richesse, le prestige de la famille et l’éducation. Ensuite, la troisième partie analyse le triple rôle de la veuve aristocratique dans la société : la création et le maintien, avec l’aide de l’Église, de la mémoire de son défunt mari et de sa propre famille, ses activités dans de multiples transferts patrimoniaux, et, dans les cercles royaux et au sein de l’aristocratie, son travail en qualité de mère du futur roi ou comte pour assurer la continuité dynastique, ce qui peut l’amener à assumer la régence.

Comme il n’est pas possible ici de suivre le cheminement intelligent et subtil de l’A., je retiendrai surtout les résultats les plus significatifs. Il convient avant tout de souligner l’approche anthropologique. Les problèmes tels que le désir d’une veuve de mener une vie religieuse ou de se remarier ne doivent plus être vus seulement d’un point de vue individuel, qu’il soit religieux ou moral, mais plutôt comme étant liés aux stratégies définies par la parenté qui utilise les veuves pour créer ou renforcer les alliances avec d’autres familles et institutions. D’une façon convaincante, E.S. démontre que grâce aux propriétés qu’elles ont acquises de leur propre famille et de leur mari, les veuves servent de maillons essentiels dans la création des liens sociaux entre les familles et avec l’Église, qui sont cimentés par les donations issues des propriétés placées sous leur contrôle. Naturellement, étant donné le caractère de la documentation, il est rarement possible d’être sûr que la veuve a été d’accord avec ces dispositions.

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