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12 avril 2015, Paris : Le gouvernement politique de soi

L’idéal néo-stoïcien diffusé dans les cours – peut-être parallèle à une casuistique en voie de laïcisation – a fait l’objet, depuis Norbert Elias, de nombreuses études apportant un éclairage sur l’idée d’une maîtrise de soi en tant que garantie d’un exercice mesuré du pouvoir car soumis à des garde-fous multiples quoique essentiellement virtuels. Outre-Manche notamment, c’est la mise en place aussi révolutionnaire que brutale du puritanisme qui a correspondu à une tentative de borner le pouvoir par la morale tout en domestiquant la noblesse. Les travaux de Michael Walzer (The Revolution of the Saints. A Study on the Origins of Radical Politics, 1965) ont bien insisté sur l’émergence de cette éthique et de son volet politique, en l’occurrence le radicalisme. Sans exclure les tâtonnements ou les échecs de cette (ré-)éducation morale aux accents de réforme sociale, les critiques de la duplicité des puissants ou encore l’utopie séculaire d’une moralisation du champ politique, le présent appel à communication reste ouvert à tous les aspects de la question, de la période médiévale jusqu’à aujourd’hui.

Le colloque aura lieu le 25 et 26 juin 2015 à la MSH Paris Nord, 20, avenue Georges Sand, La Plaine-Saint-Denis, France (93210).

Date limite de réponse : 12 avril 2015

Argumentaire

Le thème foucaldien du « gouvernement de soi » relève autant d’une herméneutique sans âge que d’un ensemble de dispositifs particulièrement mis en avant pendant la période médiévale et moderne : le cadre monarchique, ecclésiastique et curial, de l’Italie à l’Angleterre, en passant par la France et l’Empire, semble s’être prêté à cet ensemble de normes proposées prioritairement aux hommes de pouvoir.

L’idéal néo-stoïcien diffusé dans les cours – peut-être parallèle à une casuistique en voie de laïcisation – a fait l’objet, depuis Norbert Elias, de nombreuses études apportant un éclairage sur l’idée d’une maîtrise de soi en tant que garantie d’un exercice mesuré du pouvoir car soumis à des garde-fous multiples quoique essentiellement virtuels. Outre-Manche notamment, c’est la mise en place aussi révolutionnaire que brutale du puritanisme qui a correspondu à une tentative de borner le pouvoir par la morale tout en domestiquant la noblesse. Les travaux de Michael Walzer (The Revolution of the Saints. A Study on the Origins of Radical Politics, 1965) ont bien insisté sur l’émergence de cette éthique et de son volet politique, en l’occurrence le radicalisme. Sans exclure les tâtonnements ou les échecs de cette (ré-)éducation morale aux accents de réforme sociale, les critiques de la duplicité des puissants ou encore l’utopie séculaire d’une moralisation du champ politique, le présent appel à communication reste ouvert à tous les aspects de la question, de la période médiévale jusqu’à aujourd’hui.

Au cœur de l’enquête se situe le Prince, ce personnage à la fois privé et public dont le corps et les gestes, sinon la geste, sont sans cesse problématisés sur le mode de l’idéalisation ou de la dérision. Aussi, les miroirs inspirés du Moyen Age (Fr. Lachaud et L. Scordia), les panégyriques (P. Zoberman), les programmes éducatifs (P. Mormiche, M. E. Motley), les représentations (P. Burke, A. E. Zanger) et les innombrables productions artistiques proposent autant de modèles à suivre qu’ils idéalisent et normalisent une fonction (I. Cogitore et F. Goyet). En l’occurrence, la question qui se pose est notamment celle des différents modes d’accès et de contrôle de ce corps réputé souverain qu’il s’agit de discipliner alors qu’en théorie rien, en matière de souveraineté, ne le dépasse sinon Dieu. Dans les faits, la morale antique et la morale chrétienne convergent en direction d’un modèle de Prince prudent et modéré, maitre de ses passions et gouverné, de fait, par la raison sinon le bien public (« Quand on a l’Etat en vue, on travaille pour soi » proclame Louis XIV dans ses Mémoires). Or, la situation n’est pas dépourvue d’ambiguïté puisque la « raison d’Etat » est censée conduire le Prince lui-même et limiter son pouvoir : le gouvernement politique de soi serait un avatar de la raison d’Etat accommodée avec les canons informels d’une éthique du bien public qui s’affirme de façon croissante au XVIIIe siècle et qui s’inspire aussi de Th. Hobbes. Le corps mortel du Léviathan est aussi soumis aux règles du gouvernement de soi en s’écartant autant de la tyrannie que de la débauche, ce que Louis XV semble avoir négligé, si sa légende noire a dit vrai… Les normes de cet autocontrôle, qui implique aussi une auto-surveillance, sont, par définition, incorporées.

Par ricochet, ce mode de gouvernement de soi semble avoir marqué des couches sans cesse plus basses de la société : après le modèle wébérien associant l’éthique protestante à l’émergence d’une société capitaliste et bourgeoise, la « société policée » décrite par R. Muchembled transpose le modèle curial tout en l’adaptant à une économie pré-industrielle et à un mode de vie marqué de façon croissante par l’urbanisation donc la promiscuité. L’interdiction du duel, la condamnation des justices privées et des idéaux nobiliaires reposant sur l’honneur relèvent autant d’une extension - sans précédent ?- du champ étatique que de l’ambition d’inventer et d’appliquer une nouvelle gouvernance saturée de règlementations, de formes de surveillance et d’autocontrôles. La période contemporaine déplace les problèmes sans les modifier totalement : jusqu’à la fin de la Guerre froide, certains régimes démocratiques se sont transformés en régimes autoritaires voire totalitaires en laissant l’hybris du dirigeant prendre le dessus pendant que la population devait réduire, de façon drastique, ses aspirations et ses exigences de liberté sinon de confort. Dans les régimes démocratiques, le rôle des grandes idéologies, des syndicats et des partis politiques ont quelque peu modifié le rapport à l’autocontrôle en canalisant les passions au sein de groupes ou de mouvements fortement encadrés. Grèves, manifestations et meetings fonctionnent alors à la manière d’exutoires des frustrations quotidiennes. Par définition, l’action politique publique implique un certain nombre de codes et de normes qui identifient immédiatement, et souvent de façon négative, le discours ou la gestuelle de l’ « énarque » ou du « technocrate ». En outre, l’image des hommes politiques contemporains demeure un sujet délicat, médiatisation et débat démocratique obligent, et les « dérapages » (vie privée, « affaires », petites phrases, etc.) s’avèrent plus ou moins sanctionnés par l’ « opinion » ou les résultats électoraux en cela qu’ils témoignent d’une perte (très relative) de contrôle de soi. Pourtant, le « tribunal de l’opinion » ne se limite pas aux systèmes démocratiques et représentatifs puisque la réprobation à l’égard du tyran ou du souverain indélicat a toujours pris, par le passé, des formes multiples. Précisément, bien des révoltes, voire des révolutions, ont été justifiées par les égarements d’un pouvoir ne connaissant plus ses propres limites : l’article « Autorité politique » de l’Encyclopédie, et plus tard le manifeste de Thomas Paine (1776), entendaient contester la légitimité de systèmes politiques jugés hors de tout contrôle et incarnés par des individus ne représentant et ne défendant que leurs propres intérêts. Peut-on gouverner un gouvernement qui ne se gouverne pas sans se sentir obligé de le remplacer ?

Ainsi, sur la longue durée, le colloque abordera notamment la notion d’incorporation en suivant les traces du volume collectif ayant fait date, From the Royal to the Republican Body. Incorporating the Political in Seventeenth- and Eighteenth-Century France (University of California Press, 1998). Si la généalogie intellectuelle de la notion de « maîtrise de soi » semble acquise, qu’en est-il de ses relais concrets ? La résistance à la douleur et aux servitudes de la maladie (Charles Quint, Louis XIII ou Louis XIV), l’état de santé psychologique supposé ou avéré (Don Carlos, Charles II d’Espagne), la question de l’enfance et du grand âge relèvent autant des épreuves du pouvoir que les séditions, les guerres et les intrigues de palais (les remarques de J. Bodin à propos des souverains trop jeunes ou trop âgés semblent toujours exactes sur la longue durée). Or, ces apprentissages sont moins connus que le contenu des textes classiques alimentant l’encomiastique royale. L’acquisition de la maîtrise de soi et le profil des acteurs censés l’encourager ou la valider reste à préciser. Enfin, en suivant la lecture de Melzer et Norberg, peut-on transposer, par une simple variation d’échelle, les normes valables pour un groupe dirigeant à toute une population ? Cette hypothèse revisiterait à profit l’historiographie classique tout en interrogeant, sous une lumière nouvelle, des archives exploitées par les intervenants sélectionnés.
Conditions de soumission

Les projets de communication, accompagnés d’un CV et d’une bibliographie des travaux publiés ou en cours, devront comporter au maximum 2500 signes.

Comité scientifique

Michelle Bubenicek, université de Bourgogne
Martine Clouzot, université de Bourgogne
Dominique Le Page, université de Bourgogne
Bruno Lemesle, université de Bourgogne
Stanis Perez, MSH Paris-Nord, université de Paris XIII-Villetaneuse

Contact

stanis.perez chez mshparisnord.fr
brunolesmesle chez cegetel.fr