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Saint-Simon ou le double « Je » du mémorialiste

Alessandra Pecchioli Temperani

Alessandra Pecchioli Temperani, Saint-Simon ou le double « Je » du mémorialiste, dans Cahiers de l’AIEF, année 1997, volume 49, n° 49, p. 281-297.

Extrait de l’article

Il existe dans la langue française une expression qui
n’existe pas en Italien, et qui explique sans doute pour-
quoi nous devons à deux critiques français, Gérard Genet-
te et Philippe Lejeune, de s’être interrogés si pertinemment à propos d’une question de narratologie bien simple
en apparence : qui parle et à quel titre. L’expression est
« se ressembler », et en particulier « votre voix vous ressemble ». De là l’idée que la personne correspond en
quelque sorte à sa voix, ou du moins que l’idée que l’on se
fait d’une personne correspond à sa voix.

Or, ce qui arrive
pour une personne physique peut aussi bien arriver — et
de fait se produit — au moment de la lecture, au moment
de la rencontre avec un auteur — autant dire d’une voix.
De qui nous parle-t-elle et à quel titre ? Il ne fait pas de
doute qu’elle nous parle du créateur, de lui-même
d’abord, et que son récit, sa représentation, son tableau,
portent les traces d’une subjectivité dans la peinture la
plus objective : « cuando se représenta el mundo el dibujo res-
tante es la propria cara », nous rappelle Jorge Luis
Borges qui nous a familiarisés avec les problèmes vertigineux des différents jeux de miroir.

Ces propos du grand
écrivain argentin nous serviront de toile de fond, de
même que la plainte proustienne : comme j’ai commencé
mon roman en disant « je », tout le monde m’a classé
comme un écrivain subjectif. Le dilemme qui se présente
pour le roman se complique davantage dans le cas des
mémoires, genre mal défini qui se place dans la ligne de
démarcation entre l’histoire et l’autobiographie, la confession et la défense du moi poussée parfois jusqu’à l’apologie. A quel titre la voix de Louis de Rouvroi duc de Saint-Simon auteur des Mémoires (1691-1723), s’insère-t-elle
dans le cheminement de l’autobiographie avant l’entrepri-
se du citoyen de Genève ?

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