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Le roi, les légistes et le parlement de Paris aux XIVe et XVe siècles : contradictions dans la perception du pouvoir de « faire loy » ?

Sophie Petit-Renaud

Sophie Petit-Renaud, Le roi, les légistes et le parlement de Paris aux XIVe et XVe siècles : contradictions dans la perception du pouvoir de « faire loy » ?, dans Cahiers de Recherches Médiévales et Humanistes, n° 7, 2000.

Extrait de l’article :

Avant Bodin au XVIe siècle, les juristes médiévaux inspirés par le droit romano-canonique ont fait de la loi un instrument privilégié de la puissance du prince. Le pouvoir de condere legem est reconnu au roi de France dès la fin du XIIe siècle par les canonistes favorables à l’émergence de royaumes indépendants face à un pouvoir impérial déclinant. Le roi devenu lex animata, se voit attribuer la faculté de dare, solvere, condere leges par le droit romano-canonique, véhicule de l’exaltation d’une souveraineté législative. En commentant l’adage d’Ulpien, Princeps legibus solutus est, qui proclame l’indépendance du prince à l’égard de la loi et son corollaire la constitution Digna Vox des empereurs Théodose II et Valentinien III, qui affirme au contraire la soumission de l’empereur à la loi, les légistes établissent une théorie de la loi. Le prince est en principe délié des lois, les siennes et celles de ses prédécesseurs, mais s’y soumet volontairement. Les juristes tempèrent la portée de la maxime Princeps legibus solutus est par la constitution Digna vox, en recourant à un élément subjectif, la voluntas principis. Le prince, dégagé des liens de la loi, se lie lui-même, volontairement, à elle. Il faut souligner que le sens de la maxime princeps legibus solutus est se distingue de celui de la potestas absoluta, dégagée par Hostiensis à la suite des théologiens, à partir du concept de plenitudo potestatis, expression de l’omnipotence des papes. Ce que le prince ne peut faire de sa puissance ordonnée, à laquelle s’applique la Digna vox, il le peut de sa puissance absolue.

Le roi de France, empereur en son royaume, assimilé au princeps du droit romain, bénéficie des mêmes prérogatives. Le roi légifère en raison de la majestas, et parce qu’il est titulaire de l’auctoritas et de la plenitudo potestatis ou plena potestas. Sous le règne de Philippe le Bel, l’auteur de la Disputatio inter clericum et militem affirme clairement le droit du roi de France d’innover, de promulguer une norme nouvelle : le roi peut, comme l’empereur, leges condere et addere eis vel demere. Les choses sont encore plus claires dans le Songe du vergier (1378), parfaite expression de la doctrine royale. Son auteur, Évrard de Trémaugon, martèle le droit du roi de « faire loys et constitucions » qui lient les sujets, d’« adjouter aux dittes loys ou lez diminusier ou en tout revoquier et rappeler, ainssi le roy puet faire loys ou constitucions toutes novellez entre sez subjés ». Dans la Somme rural (vers 1393), Jean Boutillier pose lui aussi avec vigueur le principe selon lequel le souverain, parce qu’il est « roy et empereur en son royaume », peut « faire loy et edict à son plaisir ». On reconnaît là la formule d’Ulpien Quod principi placuit legis habet vigorem, tirée de la lex regia conférant au prince le pouvoir détenu originairement par le peuple. L’autorité du législateur est source de la loi. La volonté du prince est loi. Dans un ordre juridique où les lois divine et naturelle et le ius gentium fournissent les critères suprêmes, le roi est supra ius positivum.

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