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Un cas d’ascension sociale à la fin du XIVe siècle : Audoin Chauveron, prévôt de Paris

Boris Bove

Comment citer cet article :
Boris Bove, "Un cas d’ascension sociale à la fin du XIVe siècle : Audoin Chauveron, prévôt de Paris", dans La Revue Historique, année 1996, janvier-mars, n° 597, p. 49-82. Article édité en ligne sur Cour de France.fr le 1er décembre 2008 (https://cour-de-france.fr/article723.html).

Cet article est tiré d’une maîtrise soutenue en 1994, intitulée Audoin Chauveron, premier prévôt de Charles VI, ou l’histoire d’une ambition au XIVe siècle, et dirigée par madame Claude Gauvard, professeur à l’Université de Paris I Panthéon-Sorbonne. Il reprend l’essentiel des première et troisième parties, mais ne traite pas de la seconde qui étudie l’activité administrative de cet officier.

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L’historiographie moderne retient deux choses de la vie d’Audoin Chauveron : qu’il succéda au célèbre Hugues Aubriot à la tête de la prévôté de Paris en 1381, et qu’il en fut chassé sous les quolibets des Parisiens comme officier prévaricateur et concussionnaire, huit ans plus tard. Cette sortie sans panache est considérée comme la conclusion de son existence puisque, selon l’hypothèse de J. Favier et F. Autrand, qui suivent une tradition historique établie depuis C. Malingre [1], il disparaît le jour de sa destitution, le 25 janvier 1389.
Cette date fatidique est le noeud de la vie d’Audoin. Comme le remarque F. Autrand, sa mort intervient "fort à propos", quelques mois après la prise de pouvoir de Charles VI, quelques semaines avant l’établissement des Marmousets aux principales charges de l’Etat. En dépit de cette disparition opportune, on juge bon de lui faire un procès... et de lui attribuer une lettre de rémission en 1390 ! En fait, nous avons la preuve qu’Audoin Chauveron a survécu à son procès, et que celui-ci marque uniquement le point d’orgue, l’aboutissement d’une carrière exceptionnelle. On le limoge en 1389 parce que c’est un suppôt de Jean de Berry, un des oncles du roi, dont la tutelle

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est désormais pesante, et parce que sa réussite est une insulte à l’ordre social. L’originalité de sa vie réside en effet dans sa fulgurante ascension sociale : parti de rien, il parvient à beaucoup. A sa mort, Audoin est un homme arrivé. Chevalier, possédant seigneuries et châteaux, il est plus qu’un notable, c’est un noble. On lui donne du "messire" et du "noble et puissant homme". Auréolé de la considération que confèrent les honneurs et la richesse, ainsi que de son passé d’officier royal dans les administrations locale et centrale où il a côtoyé les grands de ce monde, il est devenu un homme qui compte dans sa région. L’abondance des sources le concernant dans la seconde moitié de sa vie atteste ce succès. En revanche les documents se font plus rares et lacunaires lorsqu’on scrute ses origines, qui sont obscures.
Or la situation de parvenu est inconfortable au Moyen Age, tant l’idée de mobilité sociale était étrangère à l’univers mental de l’homme médiéval. Il avait en effet en tête un idéal de stabilité et hiérarchie ; la société humaine se devait d’imiter la perfection -donc l’immobilité- de la Cour Céleste [2]. Pour expliquer le scandale que représentait l’ascension sociale, les hommes du Moyen Age avaient recours à l’image de la roue de la fortune : déesse aveugle, sourde à toute loi, elle hissait les humbles et précipitait les rois au gré de ses caprices. Il serait intéressant d’appréhender le mécanisme de la promotion sociale -comment s’élever ? comment interpréter son nouveau rôle ?- à travers l’exemple d’Audoin Chauveron, puisque c’est la clef de son existence. L’analyse de ce cas doit beaucoup à Régis de Chauveron dont l’aide nous a été précieuse dans la réunion des sources concernant son ancêtre ; qu’il en soit ici remercié [3].
Dans la perspective qui nous intéresse - mesurer la porosité de la société médiévale de la fin du XIVe siècle - il s’agit de hiérarchiser les différents facteurs expliquant la surprenante promotion d’Audoin Chauveron en fonction de l’importance qu’ils ont eu dans son itinéraire, en faisant la part du déterminisme social et de l’habileté personnelle. Nous les examinerons en suivant un ordre relativement linéaire, mais pour plus de clarté nous proposons à la fin de cet article une chronologie des vies d’Audoin et Jean II Chauveron.

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Le terreau social

Indiscutablement son origine sociale, bien que modeste, a eu un rôle déterminant dans sa carrière. Ce n’est pas par son opulence économique, puisqu’il ne semble pas que le père d’Audoin, Jean Ier Chauveron [4], ait possédé un patrimoine important [5].
Reste sa position sociale. On peut en avoir une idée à travers ce que l’on sait de son métier. Jean Ier se définit, de 1342 [6] à sa mort, après 1372 [7], comme "clerc, sage en droit, procuraour de l’evesque de Limoges", ou encore comme "jurisperitus". On ne lui connaît pas d’autres professions. Ce terme renvoie à un métier, celui de conseiller juridique, au sens large. Mais R. Fedou a constaté, en pratique, qu’il correspondait aussi à un certain niveau de compétence juridique. Les jurisperiti sont supérieurs aux notaires parce qu’ils ont fréquenté une école, mais sont inférieurs aux professeurs car ils n’ont pu obtenir de grade [8]. Jean Ier est donc un clerc qui est frotté de droit civil (il ne précise pas qu’il est jurisperitus in utroque), mais qui n’a pas eu l’étoffe intellectuelle ou financière pour fréquenter longtemps l’université. On ne peut pas dire que Jean Ier Chauveron, parce qu’il n’est pas gradué, soit peu savant ou pauvre. Un homme du XIVe siècle qui sait lire et écrire, voire compter, maîtrisant à peu près le droit civil et coutumier, et qui, de surcroît, est au service du puissant seigneur de la cité de Limoges, est quelqu’un de respectable. Est-ce à dire qu’il tienne le haut du pavé, qu’il fasse partie du "tout-Limoges" ? Rien n’est moins sûr. S’il est apparemment le conseiller juridique de l’évêque, cela ne signifie pas qu’il soit le seul [9], ni qu’il soit le conseiller intime de son seigneur.
On peut donc définir le statut social du père d’Audoin comme celui d’un petit notable de la ville de Limoges, qui fait partie de l’équipe de juristes chargés d’administrer le domaine de l’évêque [10],

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mais qui offre aussi à l’occasion ses compétences de conseiller juridique à qui le veut [11].

Ce n’est donc pas sa fortune qui a permis à son fils de réussir, mais plutôt la culture juridique dans laquelle il a été élevé, ainsi que le milieu respectable des grands seigneurs locaux auquel Jean Ier a accès, bien que n’en faisant pas partie. A la base de l’ascension d’Audoin, il y a son titre de docteur en lois, et le patronage de Jean de Cros, évêque de Limoges, deux atouts qu’il doit à son père.

Les laborieuses études d’Audoin

Dans cette société traditionnelle, il est normal que le fils succède au père dans sa profession, et il était logique qu’Audoin soit juriste. Il est d’ailleurs aussi jurisperitus au début de sa carrière. Grâce à son père, il a pu recevoir la formation dont Jean Ier n’a jamais bénéficié : celle dispensée par l’Université. Le problème est alors de financer ses études. Il suit portant le cursus universitaire jusqu’à la licence à Orléans [12], où il étudie le droit civil, comme son père. Faire des études prouve que l’état de son père n’était pas si modeste qu’il hésitât à financer cette entreprise, tout au moins au début. Sa scolarité fut cependant interrompue puisqu’on le trouve au moins deux fois comme jurisperitus ou clerc à Limoges [13], ce qui ne peut être que le signe de difficultés financières. Elles s’expliquent tant par la condition paternelle modeste, que par l’absence de bénéfice ecclésiastique [14]. Il a dû probablement financer lui-même la fin de ses études en travaillant.
Après l’obtention de la licence il a tenu à payer la cérémonie des insignia doctoralia pour pouvoir prendre le titre de "docteur en lois", dont il sera si fier par la suite. Ce fait est à noter, car si les avocats licenciés sont rares au XIVe siècle [15] -on pourrait dire que la licence d’Audoin est un luxe s’il souhaite simplement succéder à son père- les docteurs en lois le sont encore davantage ; c’était en

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effet "le grade des riches" [16]. Compte tenu de la médiocrité du patrimoine de son père, Audoin n’a pu s’offrir cette cérémonie qu’en se saignant aux quatre veines ou en recourant à la générosité d’un puissant protecteur.
Ce fut un bon investissement si on en juge par l’obstination avec laquelle il brandit son titre de docteur à chaque fois qu’il le peut. Il s’agit de montrer à tous qu’il fait partie de l’élite des clercs, à défaut de faire partie de celle de la société, puisqu’il n’est au départ ni riche, ni noble. A cet égard le tableau récapitulatif de ses titulatures (document n° 5) est intéressant puisqu’il montre l’usage systématique [17] qu’Audoin fait de son titre de 1375 à 1383, date à partir de laquelle il se dit "chevalier". Autant "la titulature de prévôt de Paris [au XIVe siècle] se distingue par sa sobriété" [18], autant celle d’Audoin Chauveron étale fièrement ses succès, preuve que cela n’allait pas de soi ...
Les institutions politiques de la fin du Moyen Age n’ont cependant pas atteint un tel degré de maturité qu’elles puissent assurer d’elles-mêmes la promotion en leur sein d’agents efficaces. A la compétence, il faut allier une haute protection pour pouvoir espérer y faire une belle carrière, ou tout au moins pour s’y lancer. C’est là que la familiarité de son père avec l’évêque de Limoges s’est révélée très utile.

La bienveillance d’un évêque

Il y a un tournant brusque dans la vie d’Audoin entre 1371 et 1375. On le quitte petit clerc limousin, pour le retrouver peu après à la tête d’un bailliage royal, dans le nord du royaume, alors que c’est un méridional parlant la langue d’oc [19]. On ne peut comprendre cette étape sans l’intervention d’un puissant protecteur, susceptible de souffler le nom d’Audoin Chauveron au conseil du roi, lorsqu’il s’est agit de pourvoir l’office de bailli du Cotentin. Or le seul personnage d’envergure que côtoie la famille, c’est le patron de Jean Ier, l’évêque de Limoges.

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Parmi les quatre pontifes que Jean Ier a servis, Jean de Cros, évêque de Limoges de 1348 à 1370, est le seul susceptible d’avoir "lancé" la carrière d’Audoin Chauveron. Il fut son employeur pendant onze ans au moins, ce qui lui a laissé le temps de remarquer et d’apprécier son serviteur. En outre ce prélat est influent par sa famille : c’est le cousin de Pierre Roger de Beaufort, élu Pape sous le nom de Grégoire XI en 1370 ; il est de surcroît le neveu de Pierre Ier de Cros, cardinal et évêque d’Auxerre (mort en 1361) [20]. Son frère Pierre II de Cros commença par être bénédictin de Saint-Martial de Limoges, puis finit camerlingue de la Sainte Eglise Romaine (1371) et archevêque d’Arles (1374). Jean et Pierre II de Cros eurent un rôle décisif lors du schisme de 1378 en oeuvrant pour la révision de l’élection d’Urbain VI [21]. Jean de Cros fut porté par sa famille, et sa fortune s’en ressent puisque c’est à partir l’élection de Grégoire XI que sa position s’élève singulièrement. Le fait notable est qu’il y a coïncidence entre les débuts d’Audoin vers 1375 et l’apogée de la carrière de son ancien évêque, appelé à Rome aussitôt son cousin élu (1370) pour être fait cardinal prêtre (1375), grand pénitencier de l’Eglise Romaine et défenseur des privilèges des Frères Prêcheurs, puis évêque de Prénestre jusqu’en 1378 [22].
Ainsi, au faîte de sa puissance, il a pu facilement lancer un de ses protégés dans l’administration royale française. Charles V lui est très reconnaissant de son action lors de la reconquête de Limoges : en août 1370, c’est lui qui a livré la cité, dont il était le seigneur, sans coup férir. "Les privilèges exorbitants" [23] que le roi lui attribua par la suite trahissent l’importance de ce familier. Jean de Cros est très bien en cour et les Grandes Chroniques disent même que "le Roi l’aimait" [24]. Charles V a eu d’autant plus l’occasion de l’apprécier qu’il était aussi nonce en France lors du schisme en 1378 [25]. Ainsi nulle surprise qu’Audoin ait été nommé bailli du Cotentin, bardé de son titre tout frais de docteur en lois et avec une telle recommandation, qui expliquerait la genèse de sa carrière.

A l’ombre du duc de Berry : le problème de la mort d’Audoin

Déterminer l’orbite dans laquelle il gravite au milieu et à la fin de sa carrière suppose de connaître précisément la date de sa mort : si

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c’est bien le même homme, et non son neveu homonyme, qui a été prévôt de Paris puis sénéchal du duc de Berry dans son apanage à partir de 1391, alors l’identification de son second mentor est claire. Nous avons la preuve que oui. Plusieurs arguments peuvent être avancés pour prouver qu’il a survécu à sa destitution. D’abord, le 6 juin 1389, Jean de Folleville, nouveau titulaire de la prévôté, autorise Audoin et Galiène à constituer Jean II procureur général pour administrer leurs biens pendant son procès à Paris [26] ; or, c’est bien connu, même s’il semble qu’ils puissent avoir des procès, les morts n’ont pas de procureurs, ils n’ont que des héritiers. En outre Audoin est manifestement présent à son procès, comme le montre sa lettre de rémission [27] de 1390 : à chaque chef d’accusation le greffier a scrupuleusement noté "auquel cas et article ledit Audoin a respondu que...", ce qui semble paradoxal pour un défunt. Enfin, dans les six actes le mentionnant après 1390 comme sénéchal, il est dit "chevalier" ou "seigneur du Dognon". Or son neveu homonyme, Audoin II Chauveron, est dit "écuyer" [28] encore en 1415 et la seigneurie du Dognon, d’après le testament d’Audoin, doit revenir à sa fille, et ne peut aller à son frère ou son neveu. Il est donc certain qu’Audoin est mort entre 1397 et 1399.
Le seconde partie de la carrière d’Audoin se déroule donc sous les auspices de Jean, duc de Berry. Ce relais n’est pas surprenant ; il obéit à une logique de génération. Jean de Cros est un vieillard quand il prend Audoin sous sa protection, et il meurt en 1383 alors que le prévôt de Paris a une quarantaine d’années. Ce dernier a senti la nécessité de trouver d’autres appuis pour remplacer celui qui faiblissait. Jean de Berry fut le relais cherché : non seulement il était de la même génération qu’Audoin, mais il était aussi un ami intime de Jean de Cros [29]. Audoin passe alors facilement d’un réseau de clientèle limousin mais international, à un réseau royal et ducal [30].

Son ambition a donc germé dans un terreau plutôt porteur puisqu’il l’a orienté vers des études d’avenir et lui a permi de se faire remarquer de son puissant seigneur. Il ne se serait rien passé si Jean Ier n’avait pas été un juriste, bien implanté dans la bonne société limousine.

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Il y a donc une grande part de déterminisme social dans l’ascension d’Audoin.
Sa carrière fulgurante doit néanmoins beaucoup à sa propre habileté, à la manière dont il a su user des atouts que son milieu lui offrait. Il a su à la fois se montrer digne de la confiance de ses mentors, tout en profitant de sa nouvelle position sociale pour placer sa famille, s’enrichir et s’anoblir, bref, s’établir.

La solidarité familiale

Son ascension est aussi celle de ses proches. Elle s’appuie sur une véritable stratégie familiale qui touche autant les aspects professionnels que privés. C’est l’oeuvre des deux frères et de leur père, sans qu’on puisse en attribuer la responsabilité à l’un ou à l’autre.
Il est frappant de constater le parallélisme et l’harmonie des carrières des deux frères Chauveron pendant la phase d’ascension de leur vie. La première trace qu’on ait de Jean II date du 17 mai 1378 [31] : il se trouve alors à la tête d’une compagnie de neuf écuyers, parmi les troupes assiégeant la forteresse de Gavray. Au même moment Audoin est bailli de Cotentin, où se situe ce château, et qui plus est, s’occupe personnellement, quinze jours plus tard, de la livraison à Du Guesclin de la rançon destinée aux Navarrais enfermés dans la place [32]. En 1380, alors qu’Audoin est bailli d’Amiens, il participe aux opérations de harcèlement de la chevauchée anglaise menée par le duc de Buckingam qui, parti de Calais, traverse tout le Nord de la France. Le 6 août on trouve les deux frères dans le même registre de compte du trésorier des guerres, comme chefs de montre sous le gouvernement du duc de Bourgogne [33]. De 1381 à 1389 Audoin est prévôt de Paris, tandis que son frère devient conseiller du roi au Parlement de Paris, de 1383 à 1389.
Il y a donc dans la première partie -ascendante- de leur vie un parallélisme géographique étonnant : partis de Limoges, ils se côtoient en Normandie, puis à Amiens, enfin à Paris. Non seulement leurs itinéraires sont identiques, mais encore ils semblent servir sous les ordres des mêmes grands personnages. Audoin se fait l’auxiliaire administratif du connétable, tandis que son frère est directement sous ses ordres ; ils servent tous deux comme soldat le duc de Bourgogne ; puis sont en même temps conseiller du roi à Paris du fait de leur

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office respectif. Un document les cite même ensemble comme conseillers du roi, avec quarante-sept autres, pour statuer sur le vol du sceau royal [34].
Cette conjonction n’est évidemment pas fortuite, et chaque fois Audoin obtient de son maître du moment de prendre aussi son frère cadet à son service. Seul le soutien actif d’Audoin, voire d’un protecteur plus puissant encore, a pu faire entrer si facilement Jean II au Parlement, alors que c’est un militaire et non un juriste ! Si la reconversion d’un juriste en homme d’arme est possible, l’inverse est plus improbable [35] ; en outre les carrières au Parlement tendent à se fermer aux nouveaux venus à la fin du XIVe siècle [36].
L’existence de ces binômes familiaux n’est pas rare au Moyen-Age ; elle est un gage d’homogénéité et de fidélité des serviteurs ; voilà cependant un très beau cas de solidarité fraternelle. La carrière de l’un épaule celle de l’autre. Audoin mène le jeu, mais la présence de son frère dans des fonctions proches de la sienne crée un noyau solidaire au sein de l’institution, qui lui permet de conforter une position sociale fragile, parce que trop rapidement acquise. Cela explique que leur cohésion se marque aussi dans la disgrâce, comme on peut le constater en étudiant la chronologie de leur carrière. Le 25 janvier 1389 Audoin est destitué de son office de prévôt de Paris et emprisonné pour concussion et autres malversations. Ces accusations, probablement en partie fondée, coïncident surtout avec l’arrivée au pouvoir des Marmousets et l’éviction des oncles du roi ainsi que de leurs favoris. Il est jugé par le Parlement. Or Jean II est conseiller du roi au Parlement, ce qui peut gêner les Marmousets dans leur oeuvre d’épuration. C’est pourquoi on souhaite son départ, et pour que cela se fasse dans les formes, on le nomme le 15 février 1389 [37] bailli de Mâcon et sénéchal de Lyon, c’est-à-dire aux frontières du royaume, dans une région récemment annexée. Ainsi il est éloigné du Parlement pour être destitué de son poste de bailli quelques mois, voire quelques semaines plus tard ; probablement dès juin, puisqu’il est alors à Paris pour recevoir la procuration de son frère afin de gérer ses biens, et que son successeur à Mâcon est en poste avant la fin de l’année [38].
Solidarité dans l’ascension, solidarité dans la disgrâce... mais leurs destinées se séparent à l’automne de leur vie, même s’ils sont restés

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dans la mouvance du duc : Audoin devient sénéchal d’Auvergne puis du Poitou (1391-1397), alors que Jean II devient, après une longue traversée du désert, chambellan de Jean de Berry (1395-1410) et du roi (1406 à 1414) [39].

Zèle et fidélité

Le soutien d’un grand était une condition nécessaire mais non suffisante pour faire carrière dans l’administration royale. Le succès de la carrière d’Audoin tient beaucoup à la façon dont il a su satisfaire son roi, en l’occurrence Charles V. Ce qui frappe dans son administration en temps de paix, d’après les documents épars retrouvés, c’est le fait qu’Audoin assume toutes les tâches que comporte son office, même celles dont ses contemporains tendent à ne plus s’occuper. On peut dire qu’il fait figure de "bailli d’ordonnance", selon l’expression d’A.Demurger qui qualifie ainsi le bailli idéal, tel que les contemporains le rêvent, et que les ordonnances royales le définissent. Il s’oppose naturellement, en bien des points, aux baillis tels qu’ils sont dans les faits. Audoin ne semble pas représentatif de l’ensemble des baillis puisqu’il tend à coller au modèle.
Ainsi conformément à l’esprit de son office, Audoin se fait l’agent zélé du roi en répercutant avec empressement ses ordres [40]. Il va en outre à plusieurs reprises à Paris rendre compte de ses actes à son souverain, et cela bien avant le début des hostilités contre Charles de Navarre dans le Cotentin [41]. Lorsque le Cotentin sera le théâtre de combats, Audoin ira de nouveau informer son roi de la situation [42].
En matière financière, bien que les baillis soient supposés ne plus avoir de droit de regard dans ce domaine, on constate qu’Audoin est appelé par deux fois à lever une aide sur les marchandises de Saint-Lô [43] ; il supervise la livraison de la rançon de 15 300 francs d’or, livrée au capitaine navarrais de la place de Gavray [44], et affranchit les habitants d’une petite localité de la vicomté d’Avranches de payer l’aide [45]. Enfin, il reste une trace de son rôle de payeur de gages des officiers

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royaux subalternes [46]. Non seulement le bailli a encore un droit de regard dans ces affaires financières, mais encore il lui arrive de s’acquitter ainsi de tâches qui étaient autrefois dans ses compétences et que ses collègues tendent à perdre.
Quelques traces subsistent à Amiens de son action de justicier. Conformément à l’ancienne tradition des baillis, il sillonne sa juridiction afin qu’en tous lieux la justice du roi soit présente [47]. Il pousse la conscience professionnelle jusqu’à risquer le salut de son âme ! En effet son zèle lui attire les foudres de l’évêque d’Arras qui voit d’un mauvais oeil ces empiétements sur sa juridiction ; leurs relations s’enveniment au point que l’évêque l’excommunie. L’affaire se conclut à l’amiable devant le Parlement -qui soutient discrètement l’officier royal -en mai 1380 [48]. Sa fonction judiciaire se double d’une fonction policière complémentaire. On en trouve des traces dans les deux bailliages : dans le Cotentin, il fait "coupper les testes a deux traitres qui avoient esté es guerres du roy de Navarre" [49], acte de police qui fait écho aux troubles politiques et militaires qui ont secoué la région les mois précédents. A Amiens, c’est un voleur de chevaux qui est condamné à être pendu [50]. Au même moment il est chargé par Charles V de mettre fin à une guerre privée entre deux seigneurs locaux [51]. Enfin, il fait le tour des forteresses de la frontière pour s’assurer qu’elles sont bien défendues et pourvues en novembre 1380, alors que la chevauchée de Buckingham s’est achevée un mois auparavant dans le Maine [52].
Comble de la perfection pour les contemporains, il réside dans son bailliage -ce qui est loin d’être le cas de tous les titulaires de l’office, et est un grief habituel des administrés- et le parcourt en tous sens pour mieux l’administrer. Enfin, ultime qualité, il n’est pas originaire des circonscriptions où il exerce, et n’y possède pas de biens, ce qui est un gage d’impartialité dans l’exercice de sa charge.
Il est ainsi dans son administration civile un bailli exemplaire. Charles V lui fait plusieurs fois des dons "pour lui aidier a avoir de

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quoy tenir plus honnestement son etat" [53]. Plus encore que sa compétence, c’est son loyalisme (il aurait pu profiter du conflit avec Charles de Navarre dans le Cotentin pour se vendre au plus offrant) qui lui a valu l’affection de son souverain, dans un contexte de guerre contre l’Anglais et de trahison de la société politique [54]. Le roi lui marque sa confiance en le nommant bailli d’Amiens, aux confins du royaume, dans une région souvent traversée par les chevauchées anglaises. Audoin ne le déçoit pas lorsque le duc de Buckingham traverse son bailliage à la tête de ses troupes : il participe à l’expédition militaire chargée de l’arrêter, alors qu’il a été formé à manier la plume plus que l’épée !

Son avenir est assuré en 1380 : paré de son titre de docteur en lois, il peut compter sur l’appui du duc de Berry et sur celui de Jean de Cros. Cinq années passées dans des bailliages secoués par les troubles politiques l’ont mis sur le devant de la scène, lui permettant d’être remarqué par le roi et ses conseillers. C’est pourquoi on pense à lui en 1382 pour la prévôté de Paris, malgré la mort de Charles V. Il faut dire aussi que Charles VI a douze ans et que c’est son conseil, dont Jean de Berry est membre, qui nomme les grands officiers...
La prévôté de Paris est le tournant de sa carrière. A partir de 1381 Audoin s’applique à conforter sa position politique en se créant une assise sociale qu’il n’avait pas auparavant. Mariage, enrichissement et noblesse sont des conséquences de sa carrière fulgurante, étayent sa position sociale, mais n’ont pas été des facteurs de son ascension.

De l’homme nouveau au riche hobereau : le mariage et les armoiries

Contrairement à son prédécesseur à la tête de la prévôté de Paris Hugues Aubriot [55], Audoin Chauveron n’a pu s’appuyer sur son mariage pour faire carrière. Ce fait est notable car la course à la dot était souvent le premier pas dans une stratégie d’ascension. C’est un topos en la matière. Certes Galiène Vigier était un beau parti puisqu’elle était de famille noble et de surcroît héritière du patrimoine paternel avec sa soeur, faute d’enfant mâle dans la famille. Pour être sûr que l’héritage ne lui échappe pas, la famille Chauveron s’allie doublement aux Vigier, les deux frères épousant les deux soeurs. Il est clair que ce double mariage leur permet d’acquérir à peu de frais les terres et le

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prestige de cette famille noble, ainsi que de s’agréger peu à peu au milieu des hobereaux limousin. Ce qu’ils visent ici, c’est la noblesse...
Mais cette belle union intervient alors qu’il est déjà lancé. Ce mariage est tardif pour Audoin, qui a, en 1378, entre trente-cinq et quarante ans, alors que la mariée en a quinze, soit juste l’âge légal [56]. Il est certes habituel, dans cette catégorie de la population, que les hommes se marient plus tard que les femmes [57], mais ici l’écart est tel qu’il mérite d’être remarqué. Il s’explique par le désir de faire un belle alliance, qui ne pouvait se réaliser auparavant, compte tenu de la différence de statut social entre la fille héritière d’un hobereau cossu et le fils d’un simple jurisperitus. Si Audoin ne s’est pas marié plus tôt, c’est que son rang ne l’autorisait pas à prétendre à ce genre d’union avantageuse. Soit faute d’occasion, soit calcul à long terme, il recule le moment du mariage. En 1378 il est docteur en lois et serviteur du roi comme bailli du Cotentin ; son avenir paraît prometteur, ce qui explique qu’il puisse alors avoir cette prétention. Le contrat de mariage traduit cependant cette inégalité de statut, puisqu’une des clauses dans l’article 3 précise que :

quod dictus Gaufridus de liberis suis dictae Galienae quam inalverit potest et sibi licitum est haeredem instituere suum universalem [...]
[...] idem dominus Audoynus si per ipsum [Gaufridum] requisitus fuerit, tenebitur ipsi Gaufrido unum filium suum si habuerit tradere, qui instituatur haeres dicti Gaufridi et portet nomen et arma Gaufridi ejusdem. [58]

Nous avons là un cas précoce de substitution héraldique [59], dans lequel la famille noble consent à cette relative mésalliance à la condition expresse qu’un descendant mâle de la damoiselle puisse relever les armes maternelles qui se seraient perdues autrement, faute de fils héritier. Ainsi Geoffroy Vigier se réserve le droit d’adopter un de ses petit-fils qu’il aura littéralement "nourri" auparavant, pour que la lignée et les armes des Vigier ne s’éteignent pas avec lui. Il est clair qu’il s’inquiète de cette éventuelle disparition, et que s’il accepte un

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(Illustrations : sceau définitif de Jean II Chauveron et sceau définitif d’Audoin Chauveron, photographies d’après les moulages des AN)

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gendre roturier et peu fortuné, c’est pour lui imposer cette clause qu’un alter ego aurait refusé. La question ne s’est pas posée puisque Audoin et Galiène n’ont pas eu de garçon, mais l’existence même de cette clause traduit bien le rapport de force qui existe entre ces deux familles à ce moment là.
Si cette union intervient trop tard pour lui servir de marche pied, elle lui fut en revanche très utile pour asseoir sa notabilité. Même si Galiène et Marie Vigier sont de petite noblesse, comme le laisse penser le titre de damoiseau de leur père qui ne s’est pas fait adouber alors qu’il est capitaine d’un château et exerce une activité militaire, elles descendent néanmoins d’un authentique représentant de la petite aristocratie militaire, marié à "Jeanne de Castanet, damoiselle, fille de feu Albert de Castanet, chevalier de Limoges" [60]. Aussi pour Audoin s’allier à des lignages (anciens ?) de l’aristocratie locale traditionnelle n’est pas suffisant pour acquérir la noblesse [61], mais crée une réputation dans le pays qui permet d’y accéder, dans les règles ou dans les faits.
De plus, Geoffroy Vigier est un hobereau de petite noblesse, mais non point pauvre : en épousant ses filles héritières, les frères Chauveron héritent aussi de son patrimoine foncier et surtout de ses "fiefs nobles" [62]. Geoffroy possédait des terres dans quelques villages, et surtout était le propriétaire de deux seigneuries, dont l’une, appelée "l’hostel des Vigier" est dite "seignorie de noblesce". Posséder des fiefs, n’est-ce pas être noble ?

En outre, les premières traces de sceaux de la famille Chauveron datent de 1378. Les armes d’Audoin sont mentionnées dans son contrat de mariage [63], et on possède un sceau de Jean II de cette année [64]. Nous n’en avons pas trouvé d’antérieurs. Certes le blason ne fait pas le noble, puisque la capacité héraldique appartenait à tout le monde [65]. Dans les faits cependant les armoiries restaient l’apanage des gens établis, et c’était un usage typiquement nobiliaire par la publicité qu’il donnait au lignage. L’adopter, c’était aspirer à cet état

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prestigieux. Le premier sceau connu d’Audoin apparaît sur un document daté du 6 août 1380 : c’est un écu d’argent au pal bandé de six pièces or et sable, supporté par deux lions rampants ; le cimier est indéchiffrable parce que trop abîmé (cf photographies) [66]. Le choix d’un cimier n’est pas innocent puisqu’il évoque une activité militaire et en fait une figure héraldique nobiliaire. Son frère Jean II a le même sceau au même moment, son cimier étant une tête de lion [67]. Les frères gardent le même blason, sans brisure pour Jean, toute leur vie, mais les cimiers et tenants se différencient dès novembre 1380 ; le heaume d’Audoin est cimé d’une tête humaine de face supportée par deux femmes nues, alors que Jean conserve les deux lions rampants, et ajoute une tête de loup en cimier [68]. Indifférenciés dans leur jeunesse, les tenants et cimiers des deux frères s’individualisent au début de leur carrière, marquant par là leur différence, à mesure que leur carrière les personnalise.

Ainsi il ne fait aucun doute qu’Audoin ait été roturier lorsqu’il assume sa charge de bailli royal. Le glissement vers la noblesse que l’on vient d’observer est progressif, il devient effectif à partir du moment où sa fortune et son office lui permettent de forcer l’accès à cette caste prestigieuse.

L’enrichissement

On a déjà vu que le patrimoine paternel semblait peu important : lorsqu’il commence sa carrière, le bailli du Cotentin ne possède que ce qu’il a hérité à la mort de son père vers 1372, date à laquelle il teste. Cet héritage se compose de deux petites terres situées à Chasseneuil et Bonillet près de Poitiers (cf carte 4).
Son union avec Galiène Vigier en 1378 ne lui rapporte aucune terre dans l’immédiat, seulement une rente de vingt livres et une dot de quatre cent. Cependant, à terme, faute d’héritiers mâles de leur beau-père, les frères Chauveron hériteront de toutes les seigneuries de Geoffroy Vigier, groupées autour de Saint-Yriex [69] (cf carte 4). Cependant ces biens ne profitent pas immédiatement à Audoin, c’est pourquoi on en a la trace seulement quarante ans après son mariage, dans le testament de son frère [70].

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L’essentiel de ses acquisitions se concentre dans un laps de temps réduit, son mandat parisien de 1381 à 1389. Audoin, "bailli d’ordonnance", n’est pas originaire des régions qu’il administre, et n’y possède aucun bien [71]. En revanche trois mois après son accession à la prévôté, il acquiert "la chastellenie de Laurière [et] touz droiz et noblesces d’icelle’’ [72], et fait reconstruire le château trois ans après. Durant son mandat parisien il achète deux autres châtellenies en Limousin [73], dont celle de La Motte pour deux mille livres [74], soit quatre ans de gages de prévôt. Il devient aussi propriétaire d’un hôtel à Paris (qu’il revend mille deux cent francs or en 1384), de deux hôtels à Villeratz, avec leurs rentes et revenus [75], ainsi que du fief du Vierger Buisson près de Limoges [76]. Il se permet l’achat de deux cent livres de rentes dans la prévôté de Paris, bien que cela lui soit interdit par son statut [77]. On estime la valeur de ses biens parisiens en 1388 à mille huit cent francs or [78]. Lorsqu’Audoin quitte la prévôté de Paris, il s’est constitué entre temps un important patrimoine foncier. La carte (n° 2) de ses possessions en 1389 est éloquente à ce propos.
De 1389 à sa mort, Audoin n’acquiert plus de seigneurie majeure, mais complète ses domaines limousins par quelques terres ou biens immobiliers de moindre importance [79]. L’étude de la chronologie de ses achats (Cf Cartes n° 1, 2, et 3) montre qu’ils se sont concentrés sur la courte période 1381-1388, alors qu’il est prévôt de Paris. L’enrichissement de son frère Jean suit la même évolution [80]. Le vaste domaine foncier dont jouit la famille au XVe siècle naît pratiquement ex nihilo entre 1381 et 1388 et ne peut s’expliquer que par les postes importants occupés par les frères Chauveron à la prévôté et au parlement de Paris. Ainsi placés, ils perçoivent des revenus importants -gages, dons du roi et de grands nobles pour services rendus, amendes, cadeaux

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(Illustrations : cartes des possessions avant et en 1389).

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(Illustration : carte des possessions d’Audoin à sa mort)

de subalternes, etc...- et sont en mesure d’arrondir encore leurs revenus en faisant du trafic d’influence, comme cela sera reproché au prévôt en 1389 [81]. On peut alors déceler une évolution entre le bailli zélé et relativement intègre qui a besoin de faire ses preuves, et le prévôt parvenu à une position qu’il juge inexpugnable parce que défendue par le duc de Berry, oncle d’un roi de douze ans. Il n’hésite pas alors à détourner quelques fonds publics pour arrondir son pécule.
Il est difficile d’estimer si ces domaines constituent une grosse fortune ou non. On pourra arguer de la comparaison avec le patrimoine de Guillaume de Murol, petit seigneur auvergnat contemporain

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d’Audoin, et vivant également dans une région troublée par les guerres [82]. Lui aussi possède trois châteaux et seigneuries principales, complétées de terres dans les environs, et P.Charbonnier remarque que ce "petit noble" se plaint de n’avoir jamais eu un sou vaillant. Cependant deux faits distinguent le cas d’Audoin de celui de Guillaume de Murol : d’abord ce dernier reconnaît que ses terres devraient rapporter beaucoup plus, mais qu’elles ont été ruinées par les routiers à la fin du XIVe, et qu’il n’en a profité qu’à la fin de sa vie. Mais la différence majeure entre ces deux seigneurs réside dans le mode d’acquisition de ces domaines ; dans un cas ils furent achetés, ce qui suppose d’importantes liquidités, dans l’autre ils furent hérités. La situation financière d’Audoin se trouve aux antipodes de celle de Guillaume de Murol puisqu’il ne vit pas de ses rentes mais de ses revenus d’officier. Il est à ranger dans la catégorie des riches bourgeois qui profitent de la crise des revenus seigneuriaux, due aux ravages de la guerre, pour acquérir à bon prix les terres possédées par des hobereaux ruinés [83]. Ce patrimoine permet de le ranger, lorsqu’il devient noble, parmi la moyenne noblesse.

Dans les années 1380 Audoin, alors au faîte de sa carrière et de son influence politique, acquiert une épaisseur économique sans précédent. Elle se double d’une envergure sociale nouvelle puisque ses gages s’accroissent de rentes assises sur des terres nobles [84], dotées de châteaux, ce qui lui permet de mener un mode de vie aristocratique. Il ne reste plus que son anoblissement officiel pour consacrer sa réussite.

L’anoblissement

Trois documents de seconde main d’époque moderne [85], qui ne citent pas leur source, affirment qu’Audoin Chauveron fut fait

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(Illustration : Détails des possessions d’Audoin Chauveron à sa mort (vers 1398)

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chevalier le 11 ou le 21 septembre 1383. Ces assertions sont confirmées par les documents de la pratique [86] comme le montre le tableau récapitulatif des titulatures d’Audoin (document n° 5) .Ceux-ci permettent d’établir avec certitude qu’il devint chevalier aux yeux de tous entre le 28 août et le 21 décembre 1383, sans qu’on puisse affirmer qu’il a été adoubé. Ainsi après septembre 1383 le titre de docteur en lois disparaît définitivement au profit de celui de chevalier, beaucoup plus prestigieux aux yeux d’Audoin, qui feint d’oublier les grades universitaires, dont il était si fier, pour se fondre dans l’ordre aristocratique.
On note toutefois quatre discordances dans ce tableau : en août 1380 il est qualifié d’écuyer, voire même de chevalier, dans des quittances aux trésorier des guerres [87], ce qui pourrait donner à penser qu’il est noble. Cela s’explique par la nature de ces documents et par les circonstances dans lesquels ils ont été rédigés. A cette époque, Audoin, bailli d’Amiens, sert dans les troupes royales menées par le duc de Bourgogne. Tous ces actes sont donc issus de l’administration militaire. Or le bailli d’Amiens avait un rang de chef de montre dans l’armée ; il faut donc comprendre ce titre d’écuyer, non pas comme un titre nobiliaire à valeur sociale, mais comme un rang dans la hiérarchie militaire pour déterminer le niveau de gages de l’intéressé [88]. Dans le cas d’Audoin, on comprend le problème qui s’est posé : comment incorporer cet officier royal de haut rang mais roturier et juriste, au sein de l’armée sans le mêler à la soldatesque -qu’il domine par la position que lui confère la dignité de son office -ni lui attribuer un titre qui a aussi une valeur nobiliaire. Le compromis a été de le placer au plus haut niveau pour un roturier, c’est-à-dire simple écuyer. Audoin n’ose conserver cette titulature administrative une fois revenu à la vie civile. De novembre 1380 à août 1383, alors qu’il n’a plus l’occasion de guerroyer, il reprend son ancien titre de docteur. Si la chronologie de son accession à la noblesse est établie, il reste à en définir les modalités.

Des doutes subsistent sur la nature de cet anoblissement. Juriste, Audoin n’a certes pas été anobli sur le champ de bataille, bien qu’il soit capable, à l’occasion, de mener une troupe. Les trois documents de seconde main évoquant son anoblissement disent qu’il "fut

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chevalier" ou "fait chevalier" le 11 ou le 21 septembre 1383. L’expression, ainsi que la précision de la date peuvent faire penser qu’il fut adoubé lors d’une cérémonie officielle, comme ce fut le cas pour Hugues Aubriot en 1374, suite à d’une mission menée de concert avec le connétable pour chasser les routiers du royaume [89]. Reste la noblesse. Les recherches sur une éventuelle lettre d’anoblissement sont restées vaines [90]. Il est possible qu’il se soit alors arrogé le titre de "noble et puissant homme" dont il se pare à la fin de sa vie [91]. Dès juin 1384, les moines de l’abbaye de Valence le qualifient de "nobilem virum dominum..." dans une lettre qui lui est adressée [92].
R.Cazelles, dans son étude sur la société politique sous Charles V, constate qu’on a retrouvé peu de lettres d’anoblissement de juristes -qui se disaient nobles par ailleurs- alors qu’on en a pléthore pour les marchands, par exemple. C’est probablement parce "qu’il semble qu’ait assez longtemps subsisté au XIVe siècle une opinion qui entend que les études juridiques approfondies soient équivalentes à la noblesse (...). La conjonction de la licence en droit et d’un poste d’officier du roi, ou même de simple avocat, vaut la noblesse, sans lettre d’anoblissement" [93]. Cette "noblesse parallèle", esquisse de la noblesse de robe qui n’apparaît qu’à la fin du XVe siècle, est l’héritière directe des "chevaliers ès lois" du règne de Philippe de Valois [94].
Mais il est aussi possible que son anoblissement ait été "par la renommée". F.Autrand constate ce type d’anoblissement pour les messieurs du Parlement : nombreux sont ceux qui se font régulièrement appeler "maîtres", puis qui se donnent soudainement du "messire" ou du "noble homme" du jour au lendemain, sans autre forme de procès [95]. Beaucoup ont entre-temps acquis quelques seigneuries pour donner du poids à leur nouveau titre. Ce pourrait être le cas d’Audoin. En effet si on ajoute à cette tolérance générale le fait qu’Audoin est en 1383 à l’acmé de sa carrière, maître des requêtes de l’hôtel, conseiller du roi, maître absolu de la capitale depuis le révolte des Maillotins, riche, seigneur de plusieurs fiefs et châteaux, fils de damoiselle, époux de damoiselle, son anoblissement devient une nécessité : à une position aussi éminente, il ne peut plus ne pas être noble.

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Tableau récapitulatif des titulatures d’Audoin

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Chronologies des vies d’Audouin et Jean II Chauveron

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Le cas de Jean II son frère, qui se dit aussi "chevalier" et "noble homme" dans son testament, est aussi ambigu et ne permet pas de trancher entre noblesse acquise dans les formes et noblesse par aspiration [96].

Entre anoblissement dans les formes, "noblesse parallèle" et "anoblissement par la renommée" on ne peut trancher, faute de document probant. Pour notre part, nous privilégions la dernière hypothèse. Certes le passage d’un état à l’autre s’est fait brusquement pour Audoin, en trois mois au plus ; certes il est curieux qu’Audoin ait attendu huit ans, alors qu’il était docteur en lois depuis 1375, pour prendre ce titre. Mais les exemples fournis par F.Autrand pour la fin du XIVe et le XVe siècle, comme Jean Jouvenel, Etienne de la Grange, ou Gilles de Clamency suivent une évolution similaire et se déclarent un jour chevaliers, brutalement, sans que cela choque personne. C’est l’aboutissement de la réussite sociale : c’est parce qu’ils ont fini par acquérir le pouvoir, la fortune, le mode de vie des lignages nobles, que ces nouveaux venus se sont agrégés eux-mêmes à l’élite. On peut d’autant moins qualifier cette noblesse de "noblesse de robe" ou "d’office" qu’Audoin Chauveron, comme Jouvenel des Ursins s’appliquent à faire oublier leur passé de juriste pour mettre en avant leur chevalerie toute fraîche. Ils n’ont qu’un désir, devenir et être considérés comme nobles, au sens dynastique et militaire du terme. Jean Jouvenel s’inventa aussitôt des origines et un nom Italiens, Orsini ; la famille Chauveron au XVIe siècle se plaît à penser qu’elle descend d’un contemporain de Charles Martel [97].Cette amnésie est d’autant plus notable qu’elle intervient dans un monde marqué par les défaites militaires, voire les trahisons de l’aristocratie, disent les chroniques [98]. Le jeune Audoin a seize ans lorsque son roi est fait prisonnier à Poitiers, non loin de chez lui. Pourtant son anoblissement marque les limites de ce discrédit ; le modèle chevaleresque demeure prégnant.

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L’agrégation d’Audoin Chauveron et de sa famille à la noblesse, mûrie pendant deux générations, est parachevée par son retour au pays [99], par le mode de vie des deux frères, et par les mariages judicieux de leurs descendants avec l’ancienne noblesse de souche locale.

Epilogue : la descendance et l’enracinement au pays

Audoin marie sa fille Marguerite à Jean II d’Aubusson le 23 octobre 1394 [100]. Il est encore probablement sénéchal d’Auvergne puisque le mariage se déroule à Riom. Agé d’une cinquantaine d’années, vivant dans l’aisance et bénéficiant du prestige d’une carrière brillante, ainsi que de la protection du duc de Berry, il peut prétendre à une union avantageuse pour sa fille héritière. A cet égard, la comparaison de son propre acte de mariage avec Galiène Vigier, fille d’un hobereau local, et celui de sa fille avec l’héritier des d’Aubusson, puissante famille de la Marche, est symptomatique du renversement des rapports de force. Autant la clause de substitution héraldique dans le contrat de mariage d’Audoin trahit la supériorité sociale de la famille Vigier, autant le contrat de Marguerite Chauveron et plus encore le testament d’Audoin , montrent qu’il traite en position de force avec la famille d’Aubusson. Il lègue en effet ses plus belles terres à son frère même si Marguerite a des enfants. En compensation, elle est richement dotée de deux mille cinq cent francs d’or, montrant ainsi l’opulence de son père.
C’est l’ultime étape de la reconnaissance d’Audoin par ses pairs. Elle est double, à la fois régionale et sociale. Régionale parce que Jean II est le dernier rejeton de la branche aînée des d’Aubusson, descendante des vicomtes d’Aubusson, puissants vassaux du comte de la Marche au XIIIe siècle, famille solidement ancrée en Limousin et de bonne renommée puisque toujours restée dans la région et remontant en filiation continue depuis le IXe siècle [101]. Reconnaissance sociale aussi parce que cette alliance est flatteuse pour le descendant d’un simple jurisperitus. Elle traduit la promotion de la famille à

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travers Audoin pour qui ce mariage vaut toute les lettres d’anoblissement. Plus qu’un titre, il marque la reconnaissance par ses pairs de son appartenance à l’aristocratie. Mais le nom et les armes des Chauveron sont portés par les descendants de Jean II Chauveron, qui eut au moins six garçons.
Nous ne détaillons pas ici le devenir de la descendance des frères Chauveron, notons cependant que l’on trouve parmi eux trois chevaliers de l’ordre de Camail ainsi qu’un chevalier de Rhodes à la première génération, et à la seconde trois chambellans de Charles VII et Louis XI et un chevalier de l’ordre de saint Michel. La constante de ces unions est la fidélité au parti du duc d’Orléans, puis aux Armagnacs et au parti du dauphin Charles. Ainsi la cohérence sociale et régionale des alliances se double d’une cohérence politique forte qui leur permet d’accéder à l’entourage immédiat du roi à la suite de la victoire. L’intégration de la famille Chauveron est donc réussie au XVe siècle. Il est à noter qu’ils sont alors de dignes représentants de l’aristocratie militaire, et que l’on ne trouve pas de juristes parmi eux, alors que ce sont précisément les études de droit qui permirent à Audoin de percer. L’ascension sociale de ce dernier a profité à l’ensemble de la famille qui sut se maintenir parmi l’élite.

Par ailleurs, l’évolution et la localisation du patrimoine foncier d’Audoin nous donne des indices sur la manière dont cet homme nouveau envisage son avenir durant sa carrière, et sur la façon dont il manifeste sa réussite à la fin de sa vie.
Bien que son horizon mental et géographique soit large, il est manifeste qu’Audoin n’a jamais songé à s’établir définitivement ailleurs qu’en Limousin. Aussitôt que ses moyens le lui permettent, il y acquiert des terres (cf carte 2). Il achète l’importante châtellenie de Laurière quelques mois après sa nomination à la prévôté. Puis c’est la seigneurie du Vierger-Buisson (revendue avant sa mort), et surtout les deux châteaux et châtellenies du Dognon et de La Mothe-Palluau. Ces trois châtellenies limousines sont les principaux domaines d’Audoin -c’est eux qu’il cite dans sa titulature- et il est significatif qu’il les ait acquis alors qu’il était prévôt de Paris. Déjà à ce moment, alors qu’il ne pense pas immédiatement retourner dans son pays natal, il investit massivement en prévision d’un retour certain, mais lointain à Limoges. Acheter des seigneuries, c’est une mesure de prudence, pour parer à une éventuelle disgrâce et assurer sa retraite, mais c’est aussi afficher ostensiblement, du haut des murs de son château, sa réussite aux yeux de ceux qui l’ont vu grandir. Ces achats au pays n’obéissent pas à une logique gestionnaire, puisque des domaines éloignés profitent peu à leur propriétaire, mais à une logique sentimentale et idéologique. Cela s’explique d’abord par l’originalité

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(Illustration : La famille Chauveron du XVe siècle)

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culturelle et linguistique des provinces médiévales qui sont pour leurs ressortissants la seule et unique patrie ; ensuite par la volonté d’Audoin de manifester sa réussite sociale : toute ambition n’a de sens que par rapport à un univers familier qui seul peut en donner la mesure.
Il confirme l’enracinement présagé par le début de sa carrière, à la fin de sa vie en renonçant à ses possessions en Ile-de-France pour les convertir en biens fonciers à Dun le Palestel, Ségelai et Gouzon, à 30 et 70 Km de Laurière.
On a ainsi la preuve de ce que l’on avait auparavant pressenti : non seulement il est difficile pour un méridional de s’implanter dans la société parisienne, du fait de différences linguistiques et culturelles fondamentales, mais cette intégration n’est même pas souhaitée par Audoin Chauveron qui, bien qu’ambitieux et s’installant confortablement en Ile-de-France, pense à sa vieillesse en termes de retour au pays natal. Cet attachement affectif est d’autant plus paradoxal que lui-même aura été physiquement peu présent en Limousin : il fait carrière pendant quinze ans dans le Nord du royaume, en pays étranger. Mais on ne peut dire que ce lien ait limité son horizon géographique et mental, puisqu’il a parcouru tout le royaume en vingt ans d’activité.
Cet enracinement territorial dont Audoin se soucie depuis qu’il a quitté Limoges est éclatant après sa mort. Il lègue à sa fille et surtout à son frère ses terres et ses châteaux, ainsi que sa tombe dans l’abbaye de Grandmont, située dans une de ses châtellenies, Le Dognon (cf carte n° 4). Jean II confirme cette volonté dans son testament en fondant un hôpital pour les pauvres et les pèlerins à Laurière, et en précisant son lieu de sépulture :

Item je vuilh et eliz ma sepulture au monastere de Grantmont, empres celle de feu messire Audoin Chauveron mon frere, que Dieu absolve. Vuilh et ordonne que soient faitz quatre petits pilars, les deux a l’entrant dudit moustier, la ou est mondit frere enterré, et les autres deulx a la porte ; sur lesqueulx seront mises les quatre ymages de mondit frere, de moy, de ma seur, et de ma tres chere compaigne a l’usage de Dieu, et non pas de humaine creature, et a la decoration de l’eglise et moustier susdit. [102]

Plus qu’un attachement personnel à une région, ces dispositions marquent la volonté de fonder une dynastie familiale. Cet épilogue funéraire est l’ultime avatar de l’ambition et de la stratégie familiale des frères Chauveron. Il reflète aussi son intégration idéologique au monde nobiliaire puisque ce choix dénote une spiritualité marquée par l’ascétisme et l’érémitisme. Il est alors en osmose avec son milieu qui a une prédilection pour les Chartreux ou les Célestins.

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Conclusion

Au terme de cette étude on peut décomposer l’ascension d’Audoin en deux temps : une première phase de montée en puissance qui s’achève en 1381 quand il est nommé prévôt de Paris, et une seconde phase d’établissement. On note l’importance du déterminisme social dans la genèse de ce succès. Sans le père jurisperitus de l’évêque, pas de soutien d’un grand ni d’études de droit, et sans études de droit, pas d’office royal d’envergure. Ce self made man n’en est peut-être pas complètement un puisque son tremplin fut plus social que personnel. En revanche il faut reconnaître la part de mérite qui revient à notre personnage durant cette période où il fait preuve de compétence. Dans la seconde phase de son ascension, celle qui actualise les potentialités, son habileté prime. Cependant son mariage, son enrichissement et son anoblissement sont des conséquences de son ascension, et non des causes, puisqu’ils lui servent à s’établir une fois qu’il est arrivé. Cette phase est certes essentielle pour maintenir sa position durablement et, au-delà d’un rejeton, hisser toute la famille à une condition plus enviable. Cet itinéraire, qu’on pourrait juger exceptionnel, obéit donc malgré tout à une logique sociale de mobilité.

Si on doit tirer une conclusion générale sur la société médiévale tardive à partir du cas d’Audoin, c’est la spécificité sociologique des hommes de lois. Ce groupe modeste, ni particulièrement riche, ni socialement très valorisé, n’appartenant pas à l’élite de la société a de fortes potentialité de mobilité. D’abord parce qu’ils sont indispensables à tout seigneur soucieux de préserver son patrimoine grignoté par de multiples procès, ce qui leur ouvre les portes de la bonne société ; ensuite parce qu’ils sont les premiers bénéficiaires de la croissance de l’Etat royal, ce qui leur donne des possibilités d’ascension par faveur royale ou princière.
Notons, à ce propos, que lorsque l’ascension est entamée (grâce aux études juridiques) et que le relais est pris par la protection d’un grand, elle demeure fragile car il est manifeste dans le cas d’Audoin qu’il n’a pas pu s’émanciper de cette tutelle. Il ne réussit pas à tisser des liens suffisamment forts et diversifiés au sein de l’entourage royal [103] pour pouvoir rester en place après la chute de son mentor. L’ascension sociale médiévale telle qu’on peut la percevoir à travers

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cet exemple se fait donc au sein de la mouvance d’un grand et est tributaire du destin de celui-ci. Cela n’empêche cependant pas les intéressés de se constituer un patrimoine qui est la plus sure garantie du maintien de leur position sociale, au-delà des vicissitudes du patronage et de la carrière.
Ainsi la société médiévale offre-t-elle une faille structurelle dans laquelle s’engouffrent de nombreux hommes de lois, à l’ombre d’une protection princière. En dernière analyse néanmoins, c’est la proximité d’un grand qui autorise la promotion sociale : le parvenu, c’est le familier du prince.

Annexes : titulatures et chronologie

Notes

[1C.Malingre, Antiquités de la ville de Paris, Paris, 1611. J. Favier, Nouvelle Histoire de Paris, Paris, 1974, t V, p 141. F. Autrand, Charles VI, Paris, 1986, p 228.

[2"Le devoir de l’homme médiéval était de rester là où Dieu l’avait placé. S’élever était signe d’orgueil, s’abaisser péché honteux. Il fallait respecter l’organisation de la société voulue par Dieu, et celle-ci répondait au principe de hiérarchie" (J. Le Goff, L’homme médiéval, Paris, 1989, p 41).

[3R. de Chauveron, Des Maillotins aux Marmousets, Audoin Chauveron, prévôt de Paris sous Charles VI, chez l’auteur, 1992.

[4Dénommé Jean Ier pour le différencier de Jean II Chauveron, frère du prévôt de Paris.

[5On suppose qu’il est de valeur négligeable puisqu’on n’en trouve plus trace dans le patrimoine des frères Chauveron à leur mort : tous les biens mentionnés dans leurs testaments respectifs ont été acquis de leur vivant (exceptées deux petites terres situées près de Poitiers), et nous en possédons les traces.

[6Arch. Pyr.Atlant. E 740, fac-similé dans R. de Chauveron, op. cit., p 17.

[7idem, 15 G 8.

[8R. Fedou, Les hommes de lois Lyonnais à la fin du Moyen-Age, Paris, 1964, p 28, 81.

[9Il est mentionné tantôt avec 7 autres jurisperiti (1356), tantôt avec 3 autres (1359).

[10Comme le précise A. Rigaudière (Saint-Flour, village d’Auvergne du Bas Moyen-Age, Paris, 1982, p 155), l’effectif des procureurs autour d’un riche seigneur peut aller jusqu’à dix ou vingt juristes. On ne connaît pas le nombre exact de procureurs que comptait l’évêché de Limoges, mais compte tenu de son étendue, ils devaient être nombreux. Jean Ier Chauveron a beau avoir plena potestas dans ses actions, il n’est qu’un serviteur parmi d’autres.

[11Les jurisperiti ont souvent plusieurs clients, dont un principal qui se réserve leurs services en leur allouant une petite rente. R. Fedou, Les hommes de lois... p 247-248.

[12H.Denifle et E.Chatelain, Auctarium Chartularum universitatis Parisiensis, Paris, 1894, p 299-300.

[13BN : Fr. 75 703, 301.

[14C.Vulliez, dans sa thèse Des études de l’Orléanais à l’Université d’Orléans (Paris X, 1994), appréhende les étudiants à travers leurs demandes de bénéfices, or il n’a jamais rencontré Audoin. On suppose donc que celui-ci n’en a pas eu.

[15B. Guénée, Tribunaux et gens de justice dans le baillage de Senlis à la fin du Moyen-Age, Strasbourg, 1963, p 350.

[16R.Fedou, Les hommes de lois..., 302.

[17Une étude comparative des titulatures des témoins cités dans le registre du notaire Pierre Royer (BN : Fr 31912, 84), notaire attitré de la famille, a permi de confirmer cette singularité. Alors que les témoins donnent en moyenne 1,9 renseignements par personne sur leur identité (nom, lieu de résidence, métier, grade universitaire, titre de maître, ou titre nobiliaire), Audoin, lui, en donne 5, c’est à dire qu’il remplit toutes les cases sauf celle du titre nobiliaire. De plus, il est le seul clerc, à donner son grade universitaire.

[18J.M.Roger, "La prévôté de Paris (1262-1383)", Position des thèses de l’école des Chartes, 1968, p 169.

[19Voir la limite de la langue d’oc sur la carte placée au début du livre d’E.R.Labande, Histoire du Poitou, du Limousin et des pays Charentais, Toulouse, 1976.

[20J.Balteau (dir), Dictionnaire de biographie française, IX, 1280, notice T. de Morembert.

[21R. Delachenal, Charles V, Paris, 1931, t V, 228-256.

[22Bulletin de la société archéologique et historique de Limoges, t. 40, p 151.

[23R. Cazelles, Société politique, noblesse et couronne sous Jean le Bon et Charles V, Genève, 1982, p 487.

[24R. Delachenal,Charles V, V, 153.

[25U.Chevalier, Répertoire des sources historiques du Moyen Age. Bio-Bibliographique, New York, 1960.

[26BN : Coll Dupuy 231, 16.

[27AN : JJ 138, n° 98, f° 117-128.

[28BN : Coll Périgord 128, 19.

[29F.Lehoux, Jean de France, duc de Berry ; sa vie, son action politique, Paris, 1968, I, p 239, 426, 427. Si le pontife de Limoges est au mieux avec le roi après la reddition de la ville, il est aussi l’ami du duc qui lui avait toujours gardé une profonde reconnaissance pour avoir convaincu la cité de Limoges de se remettre entre ses mains en 1370. A partir de cette époque, Jean de Cros devient un "ami personnel" du duc, qui n’est pas ingrat.

[30Sur le problème des clientèles, voir Genèse et début du grand schisme d’Occident (1362-1394), Avignon, colloque du 25-28 septembre 1978, ed. C.N.R.S.

[31BN : PO 723, 9.

[32BN : Fr 26 015, n° 2212.

[33BN : Clair 30 2241, et Clair 30, 118. Ou, Nouv. Acqu. Fr. 20 528, f° 28, 70, 112.

[34L.C. Douët d’Arc, Choix de pièces inédites relatives au règne de Charles VI, Paris, 1863, p 70.

[35F.Autrand, Naissance d’un grand corps de l’Etat : les gens du Parlement de Paris, Paris, 1981, p 74 et suiv.

[36Ibid., p 196 et suiv.

[37BN : Fr 23 271, 409, et Fr 21 405, 30.

[38G. Dupont-Ferrier, Gallia Regia, Paris, 1942, IV, 10.

[39AN : JJ 167, n° 242, f° 363 v°.

[40L. Delisle, Mandement de Charles V, Paris, 1874, § 1 327.

[41BN : PO 723, n° 3 et 4.

[42BN : PO 723, n° 8. Même empressement à voyager pour son roi quand il est bailli d’Amiens : par exemple, BN : PO 723, n°4 (don royal pour "les grans frais qui lui a convenu soutenir en plusieurs voiages qu’il a fait pour nous et nos besoings, tant à Paris comme ailleurs").

[43BN : Fr 25 703, n°345 ; et Fr 25704, n° 466, d’après R. de Chauveron, op. cit. p 55.

[44BN : Fr 26 015, n° 2212.

[45Faite sur la vicomté pour financer le siège de Cherbourg. BN : PO 723, n°14.

[46BN : PO 1247, Fresnoy, 27 912, n°4.

[47A Amiens il visite les forteresses de son bailliage à la fin de l’été 1380, "chevauchant [entre autres] pour le bien de justice", et reçoit un don du roi pour le dédommager des frais supportés( BN : PO 723, n°13). On trouve des réper-cussions de ce voyage, et de son activité judiciaire en général, dans les appels envoyés au Parlement de Paris, de con-damnés contestant le jugement du bailli d’Amiens (AN : X 2a, 9, le 29 mars 1380 après Pâques ; et X 2a, 9, f° 222 v°).

[48BN : Coll Moreau 1079, 2593 ; voir aussi R. de Chauveron, op. cit., p 65.

[49BN : PO 723, n°12.

[50Arch. de la Somme : AA I, 92 ; d’après R. de Chauveron, op. cit., p 66.

[51C.Ducange, Observation sur Joinville (1668), p 346, d’après Régis de Chauveron, op. cit., p 66.

[52BN : PO 723, n°13.

[53BN : PO 723, n° 16504, 6.

[54On peut parler à ce moment de "fidélité érigée en système", selon l’expression de M.T.Caron, Noblesse et pouvoir royal en France, XIIIe-XVIe siècle, Paris, 1994, p 127-128.

[55A.Perier, Un prévôt à Paris sous Charles V, Hugues Aubriot, Dijon, 1908.

[56P. Ducourtieux, Histoire de Limoges, Limoges, 1975, p 336. On peut calculer l’âge approximatif d’Audoin grâce à ses grades universitaires. Il est bachelier ès lois en 1368, si on compte cinq ans pour le devenir, et six à huit ans de faculté ès art, que l’on commence au plus tôt à douze ans, on peut le faire naître au plus tôt vers 1344. Mais comme ses études ont été entrecoupées de phases d’activité, elles ont dû durer plus longtemps, il a donc dû naître vers 1340.

[57R. Fedou, Les hommes de lois.... p 205-206.

[58"...que ledit Geoffroy, sur ses descendants qu’il aura eu de ladite Galiène, il peut et il lui est permi d’instituer son héritier universel celui qu’il aura élevé (...) ledit Audoin, s’il en est requis par Geoffroy, sera tenu de donner à Geoffroy un de ses [son] fils s’il en a, pour qu’il soit institué héritier dudit Geoffroy et porte le nom et les armes du même Geoffroy". (BN : Lat. 9197, f° 369).

[59M.Aurell, "La substitution héraldique du testament de Guilhem Porcelet (1311)", dans Revue française d’héraldique et de sigillographie, 1990-91, p 13.

[60BN : Lat 9197, f° 369, § 1.

[61Le père d’Audoin s’était marié à Marguerite, damoiselle (soeur de Jean du Boschau, damoiseau lui aussi) sans que lui-même ou ses fils deviennent nobles. En outre son mariage était moins prestigieux dans la mesure où sa femme était issue de petite noblesse pauvre, comme le laisse supposer le titre de "damoiseau" de son frère, de son cousin et de son oncle. Cependant épouser des femmes nobles sur plusieures générations ne peut que servir leur prétention à la noblesse. Cette constance dans les mariages nobles nous fait dire que la stratégie d’ascension sociale de la famille ne date pas d’Audoin, mais de son père.

[62BN : Carré d’Hozier 181, p 84.

[63BN : Lat 9197, f° 369, § 5.

[64BN : PO 3032.

[65M. Pastoureau, Traité d’héraldique, Paris, 1979, p 60.

[66BN : Clair. 30, 118.

[67BN : Clair. 30, 2241.

[68BN : Clair 216, 9733 ; Clair 2392 et 2393, PO 3032 (Demay).

[69BN : Carré d’Hozier 181, f° 84. Il faut y ajouter le legs du témoin de mariage de Galiène qui lui laisse son hötel à Saint Yriex (BN : Lat 9197, f° 369).

[70BN : PO 723, n° 16504, § 8 et 11.

[71Il en acquiert néanmoins lorsque, pour le récompenser de ses "bons et agréables services" Charles V lui accorde, en 1378, 100 livres de rentes à prendre sur les biens confisqués d’un collaborateur pro-Navarrais de l’évêque de Coutances. On n’a pas d’autres traces d’acquisition durant son activité de bailli de Coutance ou d’Amiens.

[72BN : Carré d’Hozier 181, p 81, § 2. Haute Vienne, ar. Limoges, ch-l-c.

[73Ibid. Le Dognon et La Motte.

[74AN : X lc 91, 53 ; et P. Guérin, "Archives historiques du Poitou", Recueil de documents concernants le Poitou, 1881-1909, XXI, p 234. BN : Carré d’Hozier 181, p 81, § 2.

[75Seine et Oise, ar. et c. Palaiseau ; BN : Coll Dupuy 231, 15, 17, 18 et d’après R. de Chauveron, op. cit., p 125, 138.

[76R. Corbier, Le comté du Dognon..., p 75 ; d’après R. de Chauveron, op. cit., p 123.

[77R. de Chauveron, op. cit., p 125.

[78BN : Coll. Dupuy 231, 15, 18 ; ibid.

[79A Ségelai, Dun-le-Palestel et Bourges ;BN : Carré d’Hozier 181, p 81, § 1 et 2.

[80Il attend lui aussi d’être en poste à Paris pour acheter sa belle seigneurie du Riz (1384) qu’il complète dans le années 1380 par de nombreux achats dans les châtellenies environnantes du Dorat, de Magnac-Laval et de Montmorillon. Il fait fortifier le Riz d’une grosse tour qui lui coûta 800 livres et 100 setiers de froment.

[81Voir sa lettre de rémission (AN : JJ 138, n°98, f° 117 à 128). Ce procès est en grande part politique car il intervient juste après la prise de pouvoir de Charles VI qui congédie ses oncles (dont Jean de Berry) et leurs suppôts afin de placer ses fidèles. Audoin et Jean font partie de la charrette. Cela n’exclue pas cependant des malversations de la part du prévôt, car il est évident que ses revenus légaux sont insuffisants pour expliquer l’ampleur de ses acquisitions foncières.

[82P. Charbonnier, Guillaume de Murol, un petit seigneur Auvergnat du XV° siècle, Clermont-Ferrand, 1976.

[83Le fait est avéré pour deux châtellenies achetées par les frères Chauveron. Lorsqu’Audoin achète Laurière, il n’y a plus de château parce que celui-ci a été détruit par les Anglais, preuve que la terre, suite aux destructions et à la fuite des paysans, a perdu beaucoup de sa valeur, contraignant ainsi son propriétaire à la vendre. Notons qu’Audoin en reconstruit un à ses frais. La châtellenie achetée par Jean II Chauveron et baptisée par la suite "Le Riz" était constituée de la réunion de la terre dite du "Chastel-Abatu" et de la châtellenie de Forest. Le toponyme de "Chastel-Abatu" évoque lui aussi des destructions, et son acquisition nous paraît relever du même phénomène.

[84Son premier achat foncier d’envergure est la seigneurie de Laurière, et il intervient deux ans avant qu’Audoin se déclare chevalier.

[85J. Le Féron, dans son Catalogue des très illustres ducs, connétables, ... prévôts de Paris depuis leurs origines, Paris, 1555 ; une liste d’officiers dans un manuscrit de la BN (Clair. 990, f° 53) ; ainsi que le registre Doulx Sire du Châtelet, cité par D.F. Secousse, "Mémoire sur le procès criminel fait vers 1389 à Audoin Chauveron, prévôt de Paris et des marchands", dans Mémoire de l’académie des inscriptions, t. XX, p 490.

[86Notamment BN : Coll. Joly Fleury 958, f°153.

[87BN : Nlles Acq. Fr. 20 528, f°70 ; BN : Clair. 30, 118, 124 ; BN : Clair. 31, n°20.

[88P. Contamine a constaté dans son étude du milieu social des soldats que "déceler les non-nobles parmi les hommes d’armes n’est pas pour autant une vaine tentative car si les trois premiers de ces qualificatifs [écuyer banneret, chevalier bachelier, chevalier banneret] ne furent attribués qu’à des nobles, il n’en va pas de même pour le quatrième [écuyer], qui a pu ne correspondre qu’à une dénomination dépourvue de valeur sociale, ayant un caractère simplement administratif et financier." ( La guerre au Moyen-Age, Paris, 1972, p 174).

[89A. Perier, Un prévôt sous Charles V..., chap. 5.

[90Dans le Trésor des Chartes, dans les registres du Châtelet ainsi que dans la série M.

[91Par exemple, AN : X 1c 91, n°53.

[92AN : JJ 125, n°134, f°79 v°.

[93R. Cazelles, Société politique, noblesse et couronne sous Jean le Bon et Charles V, Genève, 1982, p 82.

[94R. Cazelles, Société politique et crise de la royauté sous Philippe de Valois, Paris, 1958, p 297.

[95F. Autrand, Naissance d’un grand corps de l’Etat..., p 185.

[96La première trace que l’on ait de lui le mentionne comme écuyer, et chef de montre à la tête de 9 autres écuyers. L’année suivante il est toujours écuyer sous le commandement d’Hutin d’Aumont Mais dans une quittance du 6 août 1380, il se dit chevalier. Faute de lettre patente on ne peut établir avec certitude ni la date ni la nature de son anoblissement. Car il a pu s’arroger ce titre abusivement, rédigeant l’acte lui-même. Il est conseiller du roi au Parlement de 1383 à 1389, sans préciser un titre nobiliaire. Il n’ajoute à son titre de conseiller du roi celui de chevalier qu’à partir de 1388 !. Il le garde jusqu’à sa mort, vers 1421. Noblesse militaire ou noblesse par "aspiration" ? Il nous plaît à penser qu’il a suivi le même parcours que son aîné, avec quelques années de décalage ; il attend lui aussi d’avoir l’étoffe sociale et financière d’un aristocrate.

[97C’est J. Le Féron, dans son Catalogue des connétables de France, etc.. de 1555, qui affirme que :
"il est d’une ancienne lignée, comme i’ay veu par une charte en datte de l’an sept cens un, VI° iour de novembre."

[98M.T.Caron, op.cit., p 111-112.

[99Après son procès de 1389, il obtient une lettre de rémission de Charles VI et se retire probablement sur ses terres jusqu’en 1391, date à laquelle il réapparaît dans nos sources comme sénéchal d’Auvergne, puis du Poitou (1394) pour le compte de Jean de Berry.

[100BN : Chérin 58, dossier "Chauveron".

[101M.Prevost (dir), Dictionnaire de biongraphie française, IV, p 302, notice J.Balteau. La famille répond à l’appel du roi Jean le Bon, et s’illustre dans les guerres contre les Anglais au XIV° siècle. Certains membres de la famille d’Aubusson auront même une envergure internationale, tel Pierre d’Aubusson (1423-1490), futur neveu du jeune marié, grand maître des Hospitaliers de saint Jean de Jérusalem et principal artisan de la résistance chrétienne à l’avancée arabe en Méditerranée au XV° siècle.

[102BN : PO 723, n° 16504, § 3 et 4.

[103Ce n’est pourtant pas faute d’essayer, comme le montre l’étude des réseaux de clientèle dans lesquels le prévôt évolue. Il semble que son intégration se fasse exclusivement au sein des partisans limousins -émigrés comme lui- du duc de Berry à Paris, comme les frères Bournazel ou Jean Tabari. D’où une intégration réelle mais fragile parce que partisane.