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15 fév. 2024, Périgueux : Représentations artistiques autour de l’imaginaire du service castral

Appel à communication pour le colloque "XXXIe rencontres d’archéologie et d’histoire en Périgord : Servir le château" qui aura lieu du 27-29 septembre 2024 à Périgueux.

Lieu de pouvoir, le château intègre un complexe jeu de relations sociales ; sphère de vie familiale et de production économique, il est le centre d’activités multiples où se côtoient des serviteurs assumant des tâches très diverses.

Depuis son apparition jusqu’à l’abolition de la féodalité, le château est un élément matériel majeur des relations entre puissants qui attache le détenteur, puis le châtelain, à servir le maître de la chaîne des rapports personnels en servant le château. Dans la sphère seigneuriale des élites médiévales et modernes, servir le château, servir tel château plutôt que tel autre, en dit beaucoup sur la position de son détenteur et des relations qu’il entretient avec son ou ses supérieurs. Pôle de pouvoir du fief dominant (ou suzerain) ou du fief servant (mais dominant pour l’échelon inférieur), le château intègre un réseau de relations interpersonnelles et, malgré son caractère rendable (en pratique comme en théorie), son intégration au patrimoine d’une lignée montre combien il sert à la fois l’expression personnelle de la puissance mais aussi celle d’une clientèle plus ou moins élargie. Quant à la domesticité, par sa profusion et sa qualité, elle sert la réputation du château et permet d’asseoir l’influence et la richesse des seigneurs, voire de mesurer la fluctuation de leur fortune et d’observer un désir croissant d’intimité en particulier au cours du XVIIIe siècle [1].

Depuis la Révolution et par-delà l’abolition des privilèges, le château s’est maintenu tant dans le paysage que comme emblème d’une position sociale héritée ou en voie d’ascension. Du côté des dépendants, le château demeure dans la longue durée un pôle à servir ; ses multiples fonctions impliquent des femmes et des hommes de statut et de qualité très divers à servir au château, mais aussi en dehors du château lui-même dans ses dépendances ou dans des lieux où s’exercent les prérogatives de son détenteur.

Il s’agira dans ce colloque d’observer le fonctionnement du service au château non seulement à partir des maîtres, mais aussi des dépendants, individus attachés au château soit à travers leurs statuts, soit par des liens familiaux, soit par des impératifs économiques. Quatre axes semblent déterminants pour saisir la complexité et l’évolution des relations de service qui se nouent par, autour et au sein du château :

1. Servir au château : fonctions et espaces de la domesticité

  • Diversité de la domesticité intégrée au service castral (serfs, hommes libres), selon une répartition différenciée des rôles. Continuité de service sur plusieurs générations en particulier de la part des tenanciers au rôle économique majeur. Gestion, contrôle et entretiens des espaces extérieurs (garde-forestier, garde-pêche, jardiniers…) ; concierges et personnels liés à l’entretien de la bâtisse et de ses dépendances (maçons, couvreurs...) ; métiers liés aux chevaux (palefreniers, maréchaux ferrants.) et autres animaux attachés au châtelain (chiens de chasse, de meute) ; service technique : fontainiers, fabrication et entretien des armes, des voitures, meuniers etc. À l’intérieur du château lui-même : métiers de bouche (cuisiniers, filles de cuisine, caviste…) ; entretien des meubles, du linge et des objets en tout genre ; service aux personnes au plus près de l’intimité des corps (femme de chambre, valet de pied…). Gens de plume : secrétaires, notaires, archivistes ; services liés à l’éducation des enfants (précepteurs et gouvernantes ; maîtres d’armes ; maîtres ou maîtresses de danse, de musique ou encore de langues étrangères) ; service de santé (chirurgiens, médecins…).
  • Hiérarchies au sein de cette domesticité castrale : de l’officier à la servante avec autorité des serviteurs de premier rang. Place des régisseurs et intendants en particulier en l’absence du propriétaire. Hiérarchie entre ces hommes et ces femmes, rapports de pouvoir, mais aussi de séduction, violence, sexualité ; qu’en est-il des couples de serviteurs ? Fidélité, transgression et désobéissance (vols, braconnages…). Punition et violence des maîtres ?
  • Espaces de la domesticité : Des traités d’architecture évoquent ces espaces domestiques, en particulier au XVIIIe siècle : « On doit toujours avoir attention que les domestiques ne puissent être troublés par leurs différentes fonctions ni s’embarrasser les uns les autres (…). L’utile doit accompagner l’agréable, et même lui être préféré [2] ». Diversité et localisation au sein même du château des espaces de travail (cuisines, caves et autres pièces de service en sous-sol ou non) ou dans les communs des demeures [3] ; espaces dévolus à la vie privée des personnels (chambres dîtes « de bonnes », logements attenants ou non…)

2. Cas particuliers et mutations du service domestique

  • Service des gens de guerre : convocation du ban et de l’arrière-ban ; garnisons locales y compris en l’absence du seigneur ; maisons militaires des princes (servir une lignée ou un domaine ?)
  • Service religieux : le chapelain assure le service religieux du château, il bénéficie de la protection de son hôte tout en étant d’abord au service de Dieu. Avec la réforme protestante, des pasteurs trouvent refuge auprès de châtelains (par exemple, auprès de Marguerite de Navarre, sœur de François Ier, à Pau). Le culte de fief, instauré en 1563 par l’édit d’Amboise et accordé aux seigneurs de haute et moyenne justice, installe au sein de la noblesse protestante des pasteurs qui résident et instruisent. Malmené au cours des guerres de religion et supprimé par la Révocation, il instaure un parallèle avec les chapelains catholiques.
  • Cas particulier du « service sexuel » : servantes qui assurent de gré ou de force les besoins sexuels des maîtres, jeunes et plus vieux (harcèlement, viols) ; abstinence avec l’épouse pour réduire la descendance ; naissances illégitimes et légitimées. Dans les maisons royales ou princières, domestiques de confiance qui « approvisionnent » le prince, le roi ; une voie d’accès à la position enviée de favorite ?
  • Mutations du service au fil des transformations techniques et économiques : passage de la voiture à cheval à l’automobile ; modernisation du château, du bois au charbon… qui créent de nouvelles formes de service (cocher, palefrenier vers le chauffeur et mécanicien…).

3. Le service castral au prisme des transformations sociales et politiques

  • Service castral et ascension sociale : le service du château est-il une voie possible de sortie de la pauvreté rurale, ou au contraire un facteur de déclassement social ? Comment évolue le recrutement des serviteurs ? est-il local ou s’effectue-t-il par le réseau et les recommandations de la famille ou de châtelains, voisins ou non, voire par les annonces qui se développent dans la presse à partir de la seconde moitié du XIXe siècle ?
  • Certaines catégories de personnels attachés au château tirent profit au XVIIIe siècle du détachement de leurs possesseurs appelés à des fonctions curiales ou militaires. Tocqueville évoque cette désertion des campagnes par les nobles : « Il ne restait guère dans les campagnes que le gentilhomme que la médiocrité de sa fortune empêchait d’en sortir [4]. » Le château est alors laissé à la charge de personnes de confiance (régisseurs, intendants...) dont les descendants, au siècle suivant, deviendront des notables. Quand le châtelain revient dans sa demeure pour des séjours champêtres, le personnel des résidences parisiennes et versaillaises vient souvent augmenter l’effectif local (femmes de chambre, valets…) et conduit à la confrontation de deux mondes.
  • Quelles sont les évolutions de la condition ancillaire attachée à un château pendant la Révolution ? D’anciens tenanciers deviennent acquéreurs de biens nationaux. À l’inverse, des pratiques de conservation du château, au service des anciens possesseurs, se mettent rapidement en place, de la part de certains domestiques – souvent intimes de leur maître ou maîtresse (femme de chambre, notamment – concernant les biens nationaux de « seconde origine » appartenant à des émigrés condamnés. Quels témoignages en a-t-on, par exemple dans des dossiers judiciaires ou dans les écrits du for-privé ?
  • Au XIXe siècle, s’opère un mouvement de retour de la noblesse dans ses terres, phénomène accentué après 1830 : volonté de renouer le lien entre la possession du château et le gouvernement des hommes (liens de patronage, devoir de protection du château en faveur des serviteurs et dépendants, dans une relation de réciprocité) ; le châtelain tente là de renouer avec la dimension politique du château et assume une mission de protection du bien communal.
  • Situation des nouveaux possesseurs de châteaux à l’époque contemporaine : comment créer des réseaux de fidélité sans une mémoire de service ?

4. Représentations artistiques autour de l’imaginaire du service castral

  • Servir le château au prisme d’une scène de théâtre ou d’opéra (La Folle Journée ou le Mariage de Figaro de Beaumarchais et de Mozart) ou en littérature (Les Paysans de Balzac). Le domestique devient une figure de roman dans Un cœur simple de Flaubert ou dans Les Vestiges du jour d’Ishiguro. Quelles sont les différentes représentations des domestiques dans la littérature ? Quelles mises en récit les personnels de service donnent-ils de leurs fonctions, de leurs maîtres et maîtresses, de leur cadre de vie dans leurs écrits (mémoires, récits, chroniques ou correspondances) ?
  • Servir le château dans l’iconographie (peintures, gravures, tapisserie etc.) : quelle vision de la domesticité ces images donnent-elles, au fil du temps et dans les familles aristocratiques ou bourgeoises ? Quelles mises en scène sont repérables ? (par exemple celle des pages noirs sous la Régence).
  • Le cinéma développe aussi nombre de représentations du service au château dont certaines manifestent, vu le succès rencontré, l’appétence du public contemporain pour ces catégories de la société castrale : de Retour à Howards end de James Ivory (1992), Les Vestiges du jour de James Ivory (1993), Gosford park de Robert Altman (2001) à Entre les lignes de Eva Husson (2023), sans oublier les séries comme Maîtres et valets de Jean Marsh et Eileen Atkins (1971 à 1975) puis Heidi Thomas (2010-2012) et Downton Abbey de Julian Fellowes (2010 à 2015).

Comme chaque année, une excursion sur un site castral se déroulera le samedi après-midi.

Les propositions de communications (environ 1500 signes), accompagnées d’une brève biobibliographie de l’auteur(e) doivent être adressées au plus tard le 15 février 2024, par voie électronique, en format Word à Dominique Picco, secrétaire des Rencontres dopicco at orange.fr et Juliette Glikman, secrétaire adjointe juliette.glikman at orange.fr. Les intervenants retenus seront informés à la fin du mois de mars.
Attention, afin de répondre au calendrier de plus en plus contraint de l’édition papier, la version définitive du texte des interventions sera à remettre pour le 15 octobre 2024, date impérative.


Notes

[1Christophe MORIN, Au service du château : L’architecture des communs en Île-de-France au XVIIIe siècle, Paris, Éditions de la Sorbonne, 2008.

[2J.-F. BLONDEL, De la distribution des maisons de plaisance et de la décoration des édifices en général, Paris, 1737, tome 1, p. 120.

[3Christophe MORIN, op.cit., première partie.

[4Alexis de TOCQUEVILLE L’Ancien Régime et la Révolution, chapitre 12.