Achille et Polyxène (1687) : l’inauguration du cycle troyen à l’Académie royale de musique
Géraldine Gaudefroy-Demombynes
Comment citer cette publication :
Gaudefroy-Demombynes, Géraldine, « Achille et Polyxène (1687) : l’inauguration du cycle troyen à l’Académie royale de musique », in M. Fartzoff et al. (éd.), Reconstruire Troie – Permanence et renaissance d’une cité emblématique, Paris, Presses universitaires de Franche-Comté, 2009, p. 331-369. Article édité en ligne sur Cour de France.fr le 1er avril 2011 (https://cour-de-france.fr/article1886.html).
Cet article contient des illustrations pour lesquelles nous n’avons pas reçu d’autorisation de diffusion.
« Hécube : C’était, dis-tu, pour épargner aux Grecs une seconde guerre,Et pour servir Agamemnon, que tu as tué mon enfant.Mais d’abord, misérable, tu sais bien que jamaisLa paix ne régnera entre Grecs et Barbares,Que c’est chose impossible ! Alors, quelle faveur convoitais-tuPour montrer tant de zèle ? » [1]
C’est la toute première fois de son histoire qu’une tragédie en musique met en scène un épisode de la guerre de Troie (et la première fois dans l’histoire de l’opéra que le mythe d’Achille et Polyxène est représenté sur scène). L’exploitation directe ou indirecte de l’épopée grecque n’est pas sans provoquer des effets visibles sur les soubassements et ressorts du genre.
L’opéra est né en Italie d’un mouvement érudit à l’aube du XVIIème siècle, moment où tout mouvement érudit se réclamait de l’Antiquité. Il s’agissait de ressusciter plutôt que d’innover, mais on sait maintenant que ranimer la tragédie antique, c’était d’abord un rêve. Les créateurs d’opéras français sauront dans une certaine mesure assez bien restituer l’esprit de la tragédie grecque (ne serait-ce que par la synthèse harmonieuse des arts, l’utilisation quasi exclusive de la mythologie grecque) en en faisant une lecture moderne, vivante et originale.
Á la fin du XVIIème siècle, les circonstances historiques et politiques défavorables (conduisant Louis XIV à ne plus s’investir ni investir dans les spectacles), la maladie puis la mort de Lully, vont amener les créateurs d’opéras à relever des défis nouveaux, en particulier par rapport à la grande concurrente et modèle, la scène dramatique. Pour relever ces défis, il faut de nouveaux outils, concepts, images, de nouvelles sources d’inspiration, ceux-ci portés par une nouvelle génération de poètes et de compositeurs. Les librettistes, souvent membres d’Académies, comme celles des Inscriptions, sont conduits naturellement à se pencher sur les textes de la littérature ancienne : ils cherchent des sujets nouveaux, les dernières traductions.
La tragédie en musique Achille et Polyxène, dont le livret est de Jean Galbert Campistron, la mise en musique de Jean-Baptiste Lully (ouverture et acte I) et Pascal Collasse (Prologue, actes II à V), ouvre la voie avec un épisode du cycle héroïque troyen, voie royale vers plus d’authenticité, de profondeur, de subtilité politique et de puissance tragique. Une force que des sources traditionnelles de l’opéra comme celles d’Ovide semblent incapables de leur fournir ; ainsi l’on voit les poètes se tourner vers des histoires et des épilogues réellement tragiques et sombres (alors que ce n’est pas forcément la règle dans la tragédie en musique) : de nombreux suicides, morts, ombres vont hanter la scène, les épisodes de sacrifice vont devenir omniprésents pendant de longues années.
Cette rupture dans l’opéra pourrait notamment refléter l’assombrissement dont est frappé le règne de Louis XIV, fragilisé par de nombreuses guerres avec les puissances d’Europe. Campistron a travaillé en effet sur l’histoire du roi Achille, très grand héros grec certes mais touché par l’athè -l’aveuglement envoyé par les dieux- et l’ubris -dont la colère et l’orgueil, faiblesses qui le conduiront, très jeune, à sa perte. Dans son livret, il insistera clairement dans le Prologue sur la désertion du grand mécène et commanditaire que fut Louis XIV, qui délaisse en effet définitivement l’opéra [2] (hors le concert), de manière générale les arts profanes.
Après avoir ébloui sa cour grâce à une vision somptueuse, merveilleuse de son règne (d’où la référence à Ovide, qui entraîne le spectateur avant tout dans l’univers des songes et des illusions), le roi de France inspire des visions plus réalistes, plus politiques, plus portées vers la vertu et la représentation de héros et rois soumis aux faiblesses humaines. [3]
Comment l’initiation du cycle troyen sur la scène de l’opéra français a-t-elle été menée et dans quelle mesure le choix de l’épopée grecque fonde-t-il une approche plus mature sinon nouvelle du genre de la tragédie en musique ? Au delà de la revalorisation d’un duo de créateurs injustement considéré (Campistron [4] comme Collasse ont été longtemps stigmatisés et leur talent mis en doute), nous mettrons en évidence les profondeurs politique, métaphorique, littéraire, dramaturgique du livret, dont la qualité générale est le produit d’un travail aussi savant qu’inspiré.
Après avoir rappelé les particularités historiques de l’opéra et quelques caractères marquants du livret, nous observerons sur la scène lyrique un basculement significatif en faveur du cycle troyen. Puis, afin de dénouer l’écheveau des références littéraires (directes ou indirectes) qui ont pu imprégner la composition du livret (sans toutefois assécher ce qui fait le mystère de la création poétique) nous relèverons de l’Antiquité au XVIIème siècle les textes des auteurs qui ont sacrifié au mythe d’Achille et de Polyxène. Ainsi nous pourrons dire dans quelle mesure nos créateurs ont donné une vision plus ou moins fidèle, authentique, mais en tous cas saisissante d’un épisode de la guerre de Troie.
1687 : une date historique pour la tragédie en musique
Achille et Polyxène est l’opus ultimum de Jean-Baptiste Lully (1632-1687), italien d’origine mais ayant parfaitement intégré et développé le génie musical français. Il avait déjà travaillé avec le dramaturge et académicien Jean Galbert Campistron (Toulouse 1656- Toulouse 1723), secrétaire du Duc de Vendôme, sur la pastorale donnée au château d’Anet Acis et Galathée (1687). Lully est alors Surintendant de la musique de la chambre du roi, il a donc les pleins pouvoirs sur la musique profane à la cour comme à la ville, puisqu’il dirige aussi l’Académie royale de musique. Il est arrivé au sommet de sa gloire, mais bientôt la disgrâce royale et la maladie vont s’abattre sur lui [5].
À la mort de Lully en mars 1687, c’est son disciple et secrétaire Pascal Collasse (Reims 22 janv. 1649 – Versailles 17 juill. 1709) qui termine son opéra. Maître de musique de la Chambre et de la Chapelle du roi, poste dû certainement à Lully, Collasse a toujours été victime d’une humiliante et très injuste doxa. Déjà à l’époque, ses détracteurs avaient décidé de lui faire payer cher la protection dont Baptiste l’avait honoré. Puis musicographes et musicologues ont véhiculé l’image d’un compositeur plagiaire, donc secondaire. Bien que formé à la musique de Lully, il fait preuve en réalité d’une approche très personnelle du genre, comme en témoigne son opéra Thétis et Pélée en 1689, l’un des plus grands triomphes du répertoire, joué à l’Académie royale de musique jusqu’en 1765 [6].
Il est intéressant d’observer que Collasse a travaillé deux fois sur le même thème, puisqu’il a composé la musique de Polyxène et Pyrrhus (1706, livret de Jean-Louis-Ignace de La Serre), révélant peut-être une volonté d’approfondir ce thème de Polyxène, la plus jeune princesse troyenne [7].
Créé le 7 novembre 1687 [8] avec des décors et costumes de Bérain, l’opéra Achille et Polyxène paraît avoir remporté plutôt un succès auprès du public d’après certaines sources [9]. Les meilleurs « acteurs » de l’Académie participaient à cette création. L’opéra a été repris une seule fois le 11 octobre 1712 avec un nouveau prologue entre Encelade et la Félicité. A la création en 1687, les ballets étaient réglés par Messieurs Lestang (Ier, IVème actes) et Pécourt (Prologue, IIème, IIIème actes), chorégraphes des danses. L’opéra a eu le très rare privilège d’être représenté à Hambourg en 1692 [10].
Le librettiste Campistron marque l’histoire du livret français en trouvant notamment un compromis intéressant entre d’une part la recherche de quelques effets merveilleux propres à l’opéra français, notamment la représentation sur scène de deux déesses primordiales de l’Iliade et de l’Enéide, Junon et Vénus, munies de leur pouvoir et d’autre part les effets dramatiques de la tragédie classique racinienne (évitant la représentation de la violence, et privilégiant l’intimité tragique), ainsi que de la tragédie antique, comme en témoignent par exemple les choeurs de Grecs et de Troyens, très présents, dans des scènes de nature plus spectaculaire. L’ensemble forme donc un bon matériau pour le compositeur.
Par ailleurs, ce livret est aussi intéressant car il témoigne très clairement du processus poétique qui fait que, de l’épopée à la tragédie et de la tragédie au livret, ces passages impliquent toujours des concentrations, des compressions dramatiques. Dans l’Iliade d’Homère, entre la mort de Patrocle (Chant XVI) et la victoire d’Achille contre Hector (Chant XXIII), il y a sept chants... Dans le livret, en un acte et deux scènes (I,1-II,2), Patrocle informe Achille de sa décision de combattre, part au combat, meurt sous les coups d’Hector, puis Achille plein de vengeance s’en va tuer Hector. Le même jour, le héros demande Polyxène en mariage !
Enfin Campistron n’oublie pas de s’arrêter sur l’image fondatrice et emblématique de l’Iliade : la colère d’Achille. Elle a pour origine l’outrage d’Agamemnon qui l’a privé de Briséis et la mort de son cher compagnon-amant Patrocle. Lully renforcera musicalement cette colère et ce désir de vengeance, où l’expression de la douleur du héros passe au second plan.
Prédilection pour le cycle troyen dans l’Opéra français à partir de 1687
Achille et Polyxène est donc le premier opéra de l’histoire de la musique [11] sur ce mythe, assez souvent traité depuis l’Antiquité dans les arts plastiques ainsi que dans la littérature. Il témoigne d’un changement de cap essentiel dans le choix des thèmes proposés sur la scène de l’Académie royale de musique.
Depuis la représentation de leur premier opéra commun, la tragédie en musique Cadmus et Hermione (1673), Quinault et Lully s’étaient nourris largement des Métamorphoses d’Ovide, à l’image du roi et des artistes qui avaient créé ce microcosme mythologique qu’est le château et les jardins de Versailles. Sur l’ensemble de leur production (sans compter les ballets, pastorales, pastorales héroïques) c’est ce poète latin à l’évidence qui domine, poète qui laissa une vision parfois déformée voire fantaisiste de la donnée grecque et dont l’oeuvre fait l’objet particulièrement au XVIIème siècle de multiples traductions. Les Métamorphoses convenaient à l’origine parfaitement au projet esthétique de premier plan que représentait la création d’un opéra français : un opéra mythologique et donc merveilleux [12], intégrant de la manière la plus rationnelle possible la musique et la danse.
Très tôt, les poètes, et Quinault en premier lieu, éprouvèrent les « défauts » de ce modèle littéraire : absence d’action véritablement dramatique, pas de dimension tragique des émotions humaines. C’est la raison pour laquelle Quinault, dès son deuxième opus, releva le défi qui consiste à confronter la tragédie en musique à l’un des grands sujets grecs : ce sera son Alceste (1674) d’après Euripide, livret mis en musique par Lully, finalement unique incursion à l’époque dans la littérature grecque, devant la frilosité, semble-t-il, du public. Louis Ladvocat, amateur éclairé d’opéras, dans sa correspondance avec le grand théoricien l’abbé Jean-Baptiste Dubos, écrit explicitement à ce dernier dès janvier 1695 : « (...) les sujets des Métamorphoses ne font pas de bons opéras. » [13]
Ainsi la jeune génération, incarnée par le protégé de Racine, Campistron, se tourne franchement vers des sources plus « plastiques », telles que les oeuvres épiques ou surtout dramatiques, plus facilement transposables sur une scène lyrique. Sans toutefois se priver des références ovidiennes, de nombreux librettistes diversifient leurs sources d’inspiration, en se tournant spécialement vers le cycle Troyen et son périmètre (avant, pendant et après la guerre) et donc vers des sources grecques ou des sources latines traitant de ce cycle troyen (via des pièces classiques françaises le plus souvent comme nous le verrons plus loin). On observe que c’est précisément lors de cette deuxième période que les premières références à l’Enéide de Virgile apparaissent - le poète s’inspirant d’ailleurs d’un nostos grec pour concevoir son oeuvre-. On trouve donc une vraie cohérence dans la volonté des créateurs d’opéra de choisir l’épopée grecque pour modèle, après avoir choisi les célèbres romans épiques chrétiens et merveilleux de la Renaissance (l’Orlando furioso de l’Arioste et la Gerusalemme liberata du Tasse) [14], qui sont parmi les dernières sources d’inspiration du duo Quinault / Lully.
On a dit que l’envie de ressusciter les chefs-d’oeuvre des Anciens avait été à l’origine des premiers opéras. Giacomo Badoaro et Claudio Monteverdi furent les premiers et parmi les seuls créateurs italiens à porter sur la scène lyrique un épisode de l’épopée d’Homère à travers le chef-d’oeuvre Il Ritorno d’Ulisse in Patria (Chants XIII à XXIII) en 1640.
En France, la connaissance et l’intérêt grandissants pour les sources grecques (le plus souvent sous forme de traductions françaises) des poètes lyriques semble donner un nouveau souffle à la tragédie en musique. Rappelons que dans les milieux les plus érudits, c’est précisément dans la deuxième moitié du XVIIème siècle que l’on renoue avec Homère, le poète grec alimentant notamment des discussions entre Mme Dacier [15] et l’abbé Terrasson.
Sur la scène de l’Académie royale de musique, la place accordée à la guerre de Troie et aux histoires entourant Troie est très significative. Dans la période 1687-1733, sur 61 tragédies en musique représentées sur ce théâtre, on relève pas moins de 21 opéras [16] inspirés par cette veine héroïque, la période la plus intense se situant entre 1700 et 1717. L’inspiration littéraire se porte sur Homère ou les post-homériques, sur les tragiques grecs (Eschyle, Sophocle, Euripide), sur Virgile, ainsi que sur les dramaturges des XVIIème et XVIIIème siècles s’inspirant eux-mêmes de ces auteurs antiques. Voici par ordre chronologique le sujet de ces 21 opéras [17] :
Achille et Polyxène, Campistron, Lully, Collasse, création le 7 novembre 1687
Enée et Lavinie, Bernard le Bouvier de Fontenelle, Collasse, 16 décembre 1690
Didon, Mme de Saintonge, Henry Desmarest, 11 septembre 1693
Circé, Mme de Saintonge, Desmarest, 1er octobre 1694
Hésione, Antoine Danchet, André Campra, 21 décembre 1700
Ulysse, Henry Guichard, Jean- François Rebel, 21 janvier 1703
Iphigénie en Tauride, Duché de Vancy, H. Desmarest, opéra terminé par A. Danchet et A. Campra, 6 mai 1704
Télémaque [18], fragments, arrangés par Danchet et Campra, 11 novembre 1704
Philomèle, Pierre Charles Roy, Louis de La Coste, 20 octobre 1705
Cassandre, Joseph de La Grange-Chancel, François Bouvard, Toussaint Bertin de la Doué, 22 juin 1706
Polyxène et Pyrrhus, Jean-Louis-Ignace de La Serre, Collasse, 21 octobre 1706
Hippodamie, Campra, Roy, 6 mars 1708
Diomède, La Serre, Bertin, 28 avril 1710
Idoménée, Danchet, Campra, 12 janvier 1712
Télèphe, Danchet, Campra, 28 novembre 1713
Télémaque et Calypso, abbé Simon-Joseph Pellegrin, André-Cardinal Destouches, 29 novembre 1714
Ajax, A. Mennesson, Bertin, 20 avril 1716
Camille, reine des Volsques, Danchet, Campra, 9 novembre 1717
Polydore, de La Serre, Jean-Baptiste Stück (Baptistin), 15 février 1720
Télégone, Pellegrin, Louis de La Coste, 6 novembre 1725
Pyrrhus, J. Fermelhuis, Joseph Nicolas Pancrace Royer, 26 octobre 1730
On observe que dans la période 1687-1732, le fameux couple de créateurs Danchet / Campra a particulièrement illustré le cycle troyen (six tragédies en musique), la plupart des chefs-d’oeuvre. Collasse et Desmarest ont respectivement mis en musique trois tragédies, dont l’un des plus grands succès lyriques du XVIIIème siècle, Iphigénie en Tauride.
Notons que l’histoire d’Achille continue à intéresser les auteurs de tragédie en musique, avec l’Achille et Déidamie (1735) de Danchet et Campra.
Sources littéraires faisant référence au mythe d’Achille et de Polyxène
Il existe un certain nombre de sources [19] à connaître pour comprendre comment a été effectué le tri de Campistron attelé à la composition du livret. Rappelons que les sources antiques référencées ci-dessous sont déjà connues pour la plupart depuis la Renaissance et qu’au XVIIème siècle en France commencent les grandes entreprises de traduction.
a) Antiquité
Selon Homère, dont la colère d’Achille est le sujet de l’Iliade (VIIIème siècle av. J.C.)
Achille est un demi-dieu, fils de la déesse Thétis et du mortel Pélée. Ce héros est le roi des Myrmidons et le plus grand des guerriers grecs. Après une longue colère contre Agamemnon et les Grecs, suite à la mort de son ami et cousin Patrocle, il tuera le chef des Troyens, Hector. Voici ce qu’écrit Pierre Grimal concernant ce qu’il appelle « le portrait homérique d’Achille » (qui comprend une évocation du sacrifice de Polyxène, non mentionnée chez Homère) :
« [c’est] celui d’un jeune homme très beau, aux cheveux blonds, aux yeux étincelants, à la voix puissante. Il est inaccessible à la peur. Sa passion la plus forte est la joie de combattre. Il est violent, aime par-dessus tout la gloire. Mais sa nature a des aspects plus doux, presque tendres. Musicien, il sait charmer les soucis avec la lyre et le chant. Il aime son ami Patrocle, et Briséis, avec laquelle il vivait une vie d’amour partagé. Cruel, lorsqu’il fait exécuter les prisonniers troyens, et exige, d’outre-tombe, qu’on lui sacrifie Polyxène sur son tombeau, il est hospitalier, et pleure avec Priam lorsque celui-ci vient lui réclamer le corps de son fils. […] Malgré tous ces traits humains, Achille a passé, aux yeux des philosophes hellénistiques, notamment des Stoïciens, pour le type de l’homme violent, esclave de ses passions et on l’opposait volontiers à Ulysse, le sage par excellence. On sait aussi le culte voué par Alexandre à Achille, qu’il prenait pour modèle. Tous deux moururent jeunes. » [20]
Grâce à Homère, la vie d’Achille captera durablement l’attention des poètes et des imagiers [21].
Les textes post-homériques (époque alexandrine)
Rappelons que les récits grecs des aèdes sont des poèmes oraux et que seulement certains, comme ceux de l’Iliade et l’Odyssée, soit les « poèmes homériques », furent des nostoï (« les retours ») choisis pour être notés parce que considérés comme les plus importants politiquement ou géographiquement (dans le cas de l’Odyssée, il s’agit d’un voyage parcourant toute la méditerranée).
Stésichore (VIe siècle avant JC) a compilé 28 nostoï (dont 22 retrouvés) parmi ceux qui n’ont pas été choisis, dont le cheval de Troie (qui vient, semble-t-il, d’un mythe oriental), l’épopée d’Enée après la destruction de Troie, le retour d’Agamemnon et Cassandre, Achille et Polyxène (hélas non retrouvé aujourd’hui). Les imagiers [22] et les poètes après Homère ont donc l’habitude de partir d’un nostos et de le développer, comme celui d’Achille et Polyxène qui raconte le sacrifice sur le tombeau d’Achille [23] de la plus jeune des filles de Priam et d’Hécube. Selon la version la plus courante, Achille tombe amoureux d’elle au cours d’une trêve ou lors du rachat du corps d’Hector, où elle accompagnait Priam et Andromaque. Cette légende est surtout développée à l’époque hellénistique. Le héros est sensible aux prières de Polyxène. Il la demande en mariage à son père, avec promesse de porter les armes pour défendre sa personne et son état et donc de trahir les Grecs. Priam accepte ses offres et veut sceller la paix par leur mariage. Mais Pâris souhaite la reprise des combats, afin de n’avoir pas à rendre Hélène. Apprenant par sa soeur que le point faible d’Achille est son talon, il la rend complice d’une machination : Polyxène donne rendez-vous à Achille (dans certaines sources, pour célébrer leur hyménée), sans armes, dans le temple d’Apollon Tymbréen (qui se dresse non loin des portes de Troie), dont elle est la prêtresse. Le héros se déchausse pour entrer et Pâris (guidé par Apollon, « car il fallait bien un dieu pour ôter la vie à un si grand homme » [24]), caché derrière la statue du dieu, le tue d’une flèche au talon. Pâris venge ainsi la mort de son frère [25]. La flotte grecque, ayant quitté Troie en cendres, est arrêtée par les vents contraires sur les côtes de la Chersonnèse de Thrace. L’ombre d’Achille apparaît sur son tertre funéraire et exige qu’on lui sacrifie la vierge, moyennant quoi les navires rentreront sans embûche. Polyxène est égorgée sur la tombe d’Achille par le fils du héros, Pyrrhus [26].
Dans les vieux récits, ce sacrifice répondait simplement à l’exigence d’un mort, la même qui a envoyé tant de veuves au bûcher. Il signifie ici l’heureux retour de la flotte toute entière, comme celui d’Iphigénie signifiait son heureux départ. [27] C’est en tous cas la version suivie par les poètes tragiques et notamment Euripide. Ce sacrifice avait pour but, soit de procurer une heureuse traversée aux navires achéens – et il est donc semblable à celui d’Iphigénie, destiné à rendre les vents favorables à l’armée d’Agamemnon – soit d’apaiser l’ombre d’Achille, apparue en songe à son fils pour lui ordonner cette offrande.
Voici quelques extraits de ces textes magnifiques faisant référence à ce mythe.
Dictys de Crète raconte précisément tous les épisodes dans son Histoire de la Guerre de Troie, Livre III, chapitres XX-XXIV et XXVII [28] :
« Andromaque fait alors s’agenouiller devant Achille les deux jeunes enfants d’Hector. Elle-même dans un émouvant sanglot supplie qu’on lui permette au moins de voir le cadavre de son mari. » (chapitre XXII )
« Dès qu’Achille fut rentré, Polyxène se jeta à ses genoux, et s’offrit d’elle-même pour être son esclave, s’il voulait rendre le corps de son frère. A la vue du père et de la fille, ce jeune guerrier, que la mort de Patrocle avait rendu l’ennemi le plus implacable de Priam et des Troyens, ne put retenir ses larmes. Il présente la main à Polyxène, la relève, et charge expressément Phénix de prendre soin de Priam, et de le mettre dans un état plus convenable à sa dignité.» (chapitre XXIV)
Arctinos de Milet, dans le poème épique Aithiopis, a écrit une sorte de prolongement de l’Iliade, racontant le Sac de Troie [29].
Hécube d’Euripide est une tragédie conçue à partir de la légende rapportée par Arctinos de Milet, qu’Euripide retouche, afin que chaque décision ait une portée qui dépasse l’individuel. La pièce figure en tête du choix bysantin, considérée par les anciens comme le drame tragique par excellence:
«Grecs qui avez détruit ma patrie, j’ai accepté de mourir. Que nul de vous ne touche mon corps. Je présenterai ma gorge, courageusement. Au nom des dieux, laissez-moi libre pour me frapper, et que libre je meure. Chez les morts, être nommée esclave, moi, une reine ? Honte sur moi ! Tandis que nos gens l’acclamaient, le roi Agamemnon dit aux jeunes gens de lâcher la vierge. (...) Ayant entendu la parole du maître, elle déchira sa robe de l’épaule au nombril, révélant ses seins et sa poitrine de statue, parfaitement belle ; puis, se mettant à genoux, elle dit, avec une fermeté inouïe : ’Voici ma poitrine, jeune roi. Si tu dois la frapper, frappe. Si c’est au cou, voici ma gorge prête.’ Lui hésitait, tant il avait regret pour cette enfant, puis il trancha de son couteau le passage du souffle et une source en jaillit. Jusqu’en mourant, elle eut souci de ne tomber qu’avec décence, cachant ce qui est interdit aux yeux des mâles. » [30]
Virgile dans l’Énéide a assuré la popularité du mythe d’Enée et en a fixé les épisodes. On trouve plusieurs références à Achille [31] mais seulement une seule à Polyxène. Le Chant II, qui est consacré au songe d’Enée, évoque notamment Achille traînant Hector dans la poussière trois fois autour des murs de la ville assiégée puis rendant son corps à Priam, contre rançon. Puis dans le Chant III Virgile évoque l’immolation de Polyxène sur le tombeau d’Achille :
« Andromaque à Enée :
Yeux baissés, elle dit, d’une voix désolée :
’O fille de Priam, vierge heureuse entre toutes !
Près du tombeau d’un Grec, sous les hauts murs de Troie,
Ton trépas t’épargna ce dur arrêt du sort
D’entrer captive au lit d’un maître, ton vainqueur.’ » (Chant III, 321)
Ovide, dans ses Métamorphoses au Chant XIII (439-481) raconte le sacrifice sur le tombeau d’Achille, en reprenant la tradition des tables iliaques :
« et, tandis qu’ils attendent une mer plus tranquille et des vents favorables, soudain la terre s’ouvre, et l’ombre du grand Achille apparaît, terrible et menaçante ; tel que le héros était pendant sa vie, lorsqu’il osa, dans sa violence, tirer l’épée contre le fier Atride. "Grecs, dit-il, vous partez, et vous oubliez Achille ! La mémoire de mes actions est ensevelie avec moi ! Qu’il n’en soit pas ainsi; et, afin que mon tombeau ne reste pas sans honneur, je demande, pour apaiser mes mânes, le sacrifice de Polyxène.(...) »
Selon plusieurs exégètes, le sens archaïque de la légende est probablement celui que Sénèque rend manifeste dans ses Troyennes, où l’ombre d’Achille exige son épouse. Euripide ne l’indique que très discrètement, par le geste de la sacrifiée qui se dévoile comme une mariée. Ce dernier a voulu que l’immolation, comme celle d’Iphigénie, eût le sens d’un rachat, que le crime fût exigé par l’intérêt commun et que le tragique résidât dans l’option imposée aux représentants de la collectivité.
b) Théâtre français du XVIème et XVIIème siècles
Six tragédies ont été composées sur le sujet avant la création de l’opéra : celle de Nicol Filleul, donnée au collège d’Harcourt en 1563, celle d’Alexandre Hardy à l’hôtel de Bourgogne en 1607, celle de Borée écrite en 1626, Achille victorieux (qui ne semble pas avoir été représentée) [32], celle d’Isaac de Benserade [33], La mort d’Achille et la dispute de ses armes [34] en 1636 à l’Hôtel de Bourgogne, celle de Thomas Corneille au théâtre de Guénégaud en 1673 et enfin celle d’Antoine de La Fosse en février 1686 à la Comédie Française (Polyxène).
C’est Benserade, futur poète des ballets de Jean-Baptiste Lully, qui trace le chemin à Campistron. La pièce de Benserade est puisée dans le XXIVe chant de l’Iliade (Hector tué par Achille) et aux livres III (l’ambassade de Priam accompagné de membres de sa famille) et IV (l’assassinat du héros au temple d’Apollon par Pâris au moment où il va épouser Polyxène) de Dictys [35]. Benserade a pu aussi être marqué par les tableaux de Peter Paul Rubens relatant la vie d’Achille dont La Mort d’Achille [36] de l’époque 1630-1635 justement. Le sujet développé par Benserade est étoffé par des scènes de discussion politique tant entre Grecs (Ulysse et Ajax) qu’entre Troyens (Hécube, Pâris et Déiphobe). Le cinquième acte représente la lutte pour les armes d’Achille finalement attribuées à Ulysse et le suicide d’Ajax [37]. Le style de Benserade, très codifié et souvent convenu (les maximes générales sont nombreuses), apparaît parfois caricatural, notamment dans certaines situations et expressions, comme celle où Pâris va jusqu’à appeler Achille son « frère » (mais peut-être est-ce avec ironie ?). Les plaintes de Priam et d’Hécube ont cependant des accents intenses, de caractère homérique. Polyxène se présente comme une jeune fille soumise aux volontés de ses parents et du héros grec. Elle apparaît néanmoins comme une âme assez complexe, mue en partie par des considérations patriotiques. On observe une concentration extrême du temps (l’unité de temps est ici respectée alors que ce n’est pas une règle dans les livrets), par la volonté de réduire les évènements se déroulant dans l’épopée. L’action repose surtout sur l’évocation de songes, d’ombres, d’augures, de présages, de prédictions, Briséide et l’écuyer d’Achille passant beaucoup de temps à mettre en garde Achille, mais en vain.
Dans son « Epistre Au Roy » de 1636, Benserade héroïse Louis XIII en le comparant à Achille [38] et fait donc le portrait d’un chef militaire victorieux, héros protecteur de l’Etat et de ses sujets (contre l’Espagne, ici stigmatisée). Ce langage hyperbolique se retrouvera dans les ballets de cour et les prologues d’opéras, comme ici en 1687 où c’est le fils, Louis XIV, qu’on célèbre à travers la figure, en réalité assez ambiguë, d’Achille.
La tragédie de Thomas Corneille, d’une structure racinienne, simplifie les données de Benserade et réduit à quatre les principaux personnages mais elle complique la situation psychologique en inventant l’amour de Pyrrhus, fils d’Achille, pour Polyxène, faisant ainsi du fils le rival de son père [39].
Le succès de ce thème traité à des périodes différentes prouve la plasticité particulière de ce mythe. Les poètes ont pu adapter cette fable antique à des contextes divers et en faire à chaque fois une relecture. Le mythe semble donc avoir été assez perméable aux différents courants de pensée. Voyons maintenant comment vont s’ordonner les sources et les influences, les variations, autour de ce « mythe créateur ».
Traitement des sources littéraires, en particulier théâtrales
a) « Doublets » et variations autour d’une tragédie classique
Sur le plan esthétique, Catherine Kintzler [40] a bien insisté sur le fait que la tragédie en musique était un miroir plus ou moins déformant de la tragédie classique. Des règles s’appliquent (nécessité, propriété, vraisemblance), selon une opération de transposition et d’inversion, ceci dans un monde merveilleux, mais « rationnel ». Ce qui nous intéresse ici c’est le fonctionnement de l’inspiration poétique du librettiste, la nature et la qualité de ses choix poétiques et dramatiques ; à cette époque, quels sont les textes qui l’influencent le plus dans sa création et comment les traite-t-il ? De quelle manière se manifeste l’attirance du théâtre lyrique pour le théâtre dramatique ?
On sait que le phénomène du « doublet » (deux dramaturges écrivant une pièce sur le même sujet) au XVIIème siècle était très courant et même institutionnalisé : plusieurs tragédies de Racine ont connu la concurrence de tragédies de Corneille (Tite et Bérénice), ou de Pradon (Phèdre). Il existe aussi un « phénomène doublet » sur le plan tragédie classique / tragédie en musique. En effet, la tragédie classique présente des sujets théâtralisés, « prêts à l’emploi », secours dramatiques précieux. Quinault, dramaturge, aurait pu adapter lui-même systématiquement certaines de ses tragédies, mais il avait à l’époque d’autres perspectives en tête et surtout c’est le roi qui choisissait en définitive, après proposition par Quinault de plusieurs sujets, procédure bien encadrée par la « Petite Académie » [41]. Pourtant, même avant 1686, des poètes comme Thomas Corneille commencent à mettre en musique des sujets déjà traités au théâtre : ceux de Psyché et de Bellérophon s’inspirent de pièces de Pierre Corneille, Molière et Quinault lui-même. Thomas Corneille encore reprend pour son dernier livret Médée (mise en musique par M.-A . Charpentier et représentée fin 1693), le sujet de la première tragédie de son frère (Médée, 1635). Campistron et d’autres vont lui emboîter le pas. Plus tard, l’abbé Pellegrin transformera, réinventera ses anciennes tragédies en livrets, comme pour Orion (1728), mise en musique par Louis de la Coste. On doit donc toujours étudier le rapport d’imitatio (littéraire, esthétique) entre le livret et les tragédies classiques (pré-classiques ou même baroques) représentées quelques années voire des dizaines d’années avant, afin de savoir dans quelle mesure elles sont prises pour modèle.
Ce face à face semble avoir été fructueux et motivant pour les auteurs : en observant ces « doublets lyriques » on s’aperçoit que parmi eux se trouve une belle proportion de réussites voire de chefs-d’oeuvre. On remarque également que ces oeuvres dramatique et lyrique conçues sur des sujets communs sont souvent inspirées du cycle troyen. Ainsi, la tragédie en musique, en s’essayant sur le même terrain thématique que la dramatique, veut prouver qu’elle peut être digne du Théâtre français et même qu’elle peut rivaliser avec lui.
On a déjà vu que le mythe de Polyxène avait eu une certaine postérité sur la scène dramatique ; il en est de même sur la scène lyrique puisqu’on ne compte pas moins de quatre opéras (en comptant un opéra postérieur à notre période, celui de Joliveau et Dauvergne, Polyxène, en 1763), évoquant chacun des époques différentes ou effectuant une adaptation singulière de l’histoire d’Achille et de Polyxène. Observons aussi que ce choix de thèmes semble s’inscrire dans une dynamique créatrice autour de figures féminines de premier plan, comme Armide, Didon, Médée, Circé, Iphigénie, Sémiramis, Phèdre ou Callirhoé.
La tragédie classique contemporaine semble donc occuper une position centrale, mais sans être l’unique référence du poète.
b) Le modèle dramatique au centre d’un réseau poétique complexe
Le livret d’Achille et Polyxène a été écrit sous une double égide, antique et contemporaine ; références directes ou simples réminiscences, elles jouent toutes leur rôle dans la recomposition poétique, mais évidemment à des degrés divers. C’est pourquoi, pour comprendre les ressorts d’un livret, il faut toujours le replacer dans le réseau poétique qui l’accompagne, dont il s’alimente, mais aussi qu’il peut parfois désavouer. Certains choix, comme le respect volontaire des unités -alors que ce n’est pas la règle dans la tragédie lyrique – montrent que Campistron a le souci de se rapprocher de la lettre du grand modèle ; l’unité de temps est même exaltée (comme ce sera entre autres le cas dans la Didon de Madame de Saintonge, livret mis en musique par Henry Desmarest en 1693) :
« Junon, à Briséis : Avant la fin du jour tes yeux seront témoins / De l’effet de ma promesse. » (Achille et Pol., III, 7)
La règle de la bienséance s’applique aussi dans le livret. La violence en tant que telle est quasiment toujours évitée. Les morts masculines (Patrocle, Hector, Achille) se font hors scène... alors que même dans le modèle dramatique classique de référence, La mort d’Achille et la dispute de ses armes de Benserade, la représentation du héros blessé, agonisant puis mort se développe sur pas moins de quatre scènes ! (cf. Tableau n° 1 : « Les sources littéraires directes de Campistron et comparaison») Dans le livret, pas de batailles sanglantes comme dans l’Iliade, pas de représentation du corps d’Hector traîné par Achille, ni même de récitatif racontant la mort du héros troyen. Le choix d’une variation autour de la mort de Polyxène évite le sort cruel de la sacrifiée par autrui, alors que c’est à l’origine la version de référence. Campistron se prive de scènes spectaculaires pour être au plus près des principes de la tragédie classique. A tel point que le merveilleux en tant que tel est finalement assez réduit ici, avec seulement deux scènes de divertissement : Vénus et ses plaisirs (I, 4) et scène infernale provoquée par Junon (III, 7). À la place des scènes habituelles consacrées à des personnages merveilleux, les peuples troyens et grecs sont très présents (quatre divertissements), à l’image du choeur antique. Les références directes sont puisées dans les quatre premiers actes de La mort d’Achille. Par exemple, Achille dans la tragédie comme dans le livret occupe une position clairement centrale dans l’intrigue (Cf. Tableau n° 2 : « Schéma des relations entre les personnages et présence ». Le personnage de Polyxène dans le livret est un avatar de celui de la tragédie, assez soumis aux volontés de son père et d’Achille. Dans la tragédie, Polyxène se voyait successivement exhortée par son père de s’unir à Achille pour sceller la paix après la mort d’Hector, puis après la mort de Troïle son autre frère, exhortée par une Hécube vengeresse à ne plus l’aimer et à le tuer. Achille révèlera d’abord son amour aux parents de Polyxène avant une entrevue seul avec elle... Dans le livret, Achille sollicite son confident Arcas de la manière suivante :
« C’est toy que j’ay choisis pour l’aller demander / Cours à Troye, il est temps de soulager ma peine. » (A. et Pol., III, 1)
Achille et Polyxène ne seront réunis (et même pas seul à seul) qu’à la scène 2 de l’acte V du livret, en compagnie d’Arcas, de Priam, des Grecs et des Troyens.
Le personnage d’Achille dans la tragédie est proche de celui de l’Iliade : il ne redoute pas la mort, est courageux et orgueilleux. Mais cette passion violente [42] et soudaine pour Polyxène (qu’il semble n’entrevoir qu’à peine derrière un voile, c’est donc sa voix qu’il entend) semble être un écho à cette notion cartésienne bien connue de « l’aliénation de l’âme » analysée dans le Traité des passions : malgré les signes évidents de danger, il reste jusqu’au bout aveuglé par son amour, jusqu’à ce qu’il comprenne que la princesse a été complice de son assassinat. Mais la lecture peut être double et plus en faveur de l’amour, surtout dans le livret, qui a retenu et développé une figure magnifiée d’Achille. A l’acte I (scène 5) du livret, on le voit invoquer les Mânes de Patrocle et crier vengeance contre Hector, mais très vite, touché par l’amour, le héros se métamorphose devant nous : de vindicatif, orgueilleux, guerrier impitoyable, il devient amoureux fidèle, cherchant la paix, le repos... c’est d’ailleurs ce qu’il obtiendra finalement. Le librettiste a sûrement été marqué par cette volonté de Benserade d’entretenir un fort contraste entre les discours très vindicatifs et guerriers des Grecs (dont surtout Ulysse qui s’oppose violemment à Achille, notamment dans l’acte III, scène 1) dans lesquels domine le mot « vengeance » et celui d’Achille qui ne parle plus que d’arrêt des combats et de paix. Campistron a été certainement sensible à cette belle figure de héros humain et sensible à la souffrance des hommes générée par la guerre. Dans les deux oeuvres, Achille cristallise donc un espoir de paix entre les deux peuples, marquant le retour du bonheur, l’arrêt des massacres perpétrés pour une histoire de lit. Hélas, cet espoir sera de courte durée, car la passion de la guerre, la haine semblent plus fortes dans le coeur des humains. Le livret va d’ailleurs jusqu’à mettre en scène le personnage de la Haine (ainsi que la Discorde, la Fureur et l’Envie), souvent évoquée par Homère, explicitant presque trop parfaitement le message. Junon, dans la scène 7 de l’acte III, fait ainsi une invocation des vices qui engendrent la guerre :
« Junon descend sur son char.
Junon : Calme tes déplaisirs, ne verse plus de larmes,/ L’hymen qui cause tes allarmes,/ Ne sera jamais achevé./ En vain Priam croit son pays sauvé,/ Son thrône doit tomber, & de toute sa gloire/ Il ne restera rien qu’une triste mémoire./ Je vais évoquer des enfers/ La Hayne, la Fureur, la Discorde & l’Envie,/ Leur présence sera suivie/ De cent prodiges divers./ Sortez de la nuit infernale,/ Noires Divinitez, vos antres sont ouverts.
Dans le temps que les Divinitez sortent des enfers, tout le Théâtre est obscurcy.
Briséis : L’horreur de leur séjour, se répand dans les airs !
Junon : Volez, portez par tout vôtre rage fatale,/ Versez dans tous les cœurs vôtre mortel poison,/ Chassez la paix de cette terre,/ Et faites y régner la guerre,/ La vengeance & la trahison./ Versez dans tous les cœurs vôtre mortel poison.
Junon remonte dans son char. »
Plusieurs scènes du livret (3 à 5 du IIème acte) semblent être inspirées directement de Dictys : il s’agit du rachat du corps d’Hector par son père Priam, accompagné de Polyxène et d’Andromaque. Campistron souligne clairement cet épisode si émouvant en lui consacrant trois scènes. Priam arrive au camp des Grecs avec sa plus jeune fille et la veuve d’Hector. C’est la première apparition de Troyens. Ils se préparent à supplier Achille de leur laisser le corps d’Hector. Le roi troyen exhorte ses filles à n’être que larmes et douleurs pour attendrir Achille. Campistron évoque la douleur d’un père contraint de quémander le corps de son fils et l’intimité tragique unissant le roi et les deux princesses à travers une douce plainte. La mise en musique de Collasse, par un trio recueilli, renforce cette évocation touchante qui prend sa source dans le chant XXIV de l’Iliade où Priam venait seul à la rencontre de son pire ennemi.
Il s’agit bien là du noeud de l’action : Achille voit Polyxène au moment de sa plaidoirie, il en tombe amoureux et choisit immédiatement l’amour et la paix, abandonnant la haine et la guerre, ce qui le conduira hélas à sa perte. C’est ce « gros plan », la supplication du trio, qui apparaît sur le frontispice du livret publié par Christophe Ballard dans son Recueil général des opéras représentés par l’Académie Royale de musique depuis son établissement en 1703 [43] (cf. exemple iconographique). Cette gravure à l’eau forte sur papier (12 x 6,5 cm) a été réalisée par Frantz Ertinger. On remarque que par rapport au texte de Dictys, seuls les deux enfants manquent. Cette image est bien en rapport avec le décor spécifié au début de l’acte II du livret : « Le Théâtre représente le Camp des Grecs devant Troye ; Cette superbe Ville paroît dans l’éloignement. » Au premier plan, Achille, dans un costume romain tel que l’on peut encore les observer dans les représentations de Grecs au XVIIIème siècle, notamment dans les peintures de Tiepolo (Agamemnon rendant Briséis à Achille). Les tentes sont romaines. Seul Achille est debout, le regard plein de compassion envers Priam. Le roi troyen, dans une attitude de grande déférence et humilité, s’agenouille devant le roi Grec [44], déposant sa couronne devant lui. Autre signe de soumission, Priam touche la cheville d’Achille. Dans le livret, c’est le moment où Priam lui rappelle qu’elle était sa puissance en tant que roi, bonheur aussi grand que le malheur aujourd’hui d’avoir perdu son fils ; Achille est déjà touché par la noblesse du vieux roi :
« Achille : Je sens expirer ma colère, / Je cesse de haïr mes plus grands ennemis, / Sitôt que je les vois, ou vaincus ou soûmis. »
Polyxène et Andromaque sont également à genoux, implorantes. Polyxène est sans doute au centre, la figure la plus jeune et la moins couverte, regardant Achille avec un regard plein d’espoir. Andromaque semble essuyer des pleurs dans son voile. Dans le livret, Andromaque entonne une plainte douloureuse, plaidant en épouse aimante et en mère. Elle ne peut supporter que le corps de son époux soit privé de sépulture :
«Andromaque : Je l’ay perdu cet Epoux que j’adore, / Et pour comble d’horreur, je sçay qu’il est encore / Indignement privé, par des ordres cruels, / D’un droit, que le trépas donne à tous les mortels. (…) Ce tombeau servira de temple à vôtre gloire, / Puisque tout l’avenir y verra, quelque jour, / L’histoire de nos maux, & de vôtre victoire. »
Achille est très sensible aux accents pathétiques d’Andromaque, il fait part clairement de ses émotions :
«Achille : Que ses soûpirs sont puissants ! / Que je souffre à les entendre ! »
Priam reprend sa prière en invoquant successivement la mère et le père d’Achille. Il met en parallèle l’amour pour son fils et l’amour du père d’Achille pour lui :
Priam : Souvenez-vous de vôtre Père, / Et songez quel amour il eût toûjours pour vous : / Je sentois pour mon fils une égale tendresse ; »
Malgré l’émotion d’Achille, Polyxène trouve encore Achille trop inflexible, sans doute parce que jusque-là, il n’a pas encore accepté de rendre le corps d’Hector. Polyxène, en pleurs, en une très courte plainte, rappelle l’origine divine d’Achille en le suppliant de ne point refuser ce qu’ils demandent :
«Polyxène : Sorty du sang des Dieux, imitez leur bonté, / A nos soûpirs rendez-vous favorable, / N’augmentez point l’excès de nôtre adversité / Par un refus impitoyable. »
Achille est immédiatement charmé et convaincu par Polyxène. Il accepte de rendre le corps d’Hector et va même jusqu’à promettre aux Troyens sa protection :
«Achille : Je ne vais songer désormais / Qu’à vous donner une éternelle paix. »
La dépouille d’Hector se trouve au deuxième plan. Au troisième plan, encore des tentes de Grecs, mais toujours figurées à la romaine. Puis la ville de Troie, sous des allures de ville du Moyen-âge (on observe une sorte d’église), motif pré-gravé (sorte de pochoir) que l’on rencontre dans d’autres gravures de cette époque. Ce frontispice montre donc bien qu’à l’époque il n’y a pas vraiment de préoccupation archéologique dans la production iconographique, puisque les Grecs sont représentés en Romains et la ville de Troie en ville du Moyen-âge.
On peut constater que l’imitation livret / tragédie est plutôt libre, ne serait-ce qu’en faisant le relevé des personnages qui figurent dans la tragédie de 1637 (en gras ceux qui figurent sur scène dans le livret de 1687) :
Achille ; Briséis sa Captive ; Alcimède, Escuyer d’Achille ; Priam, Roy de Troye ; Hécube, sa femme ; Polyxène, leur fille ; Pâris (hors scène dans la tragédie et le livret), Déiphobe, leurs fils ; Ajax, Ulysse, Capitaines grecs (dans le livret on trouve des Chefs grecs) ; Agamemnon, Général d’armée ; Conseil des Grecs ; Troupe de Troyens ; Un soldat Grec (dans le livret on trouve des Soldats grecs).
Dans le livret, viennent s’ajouter Patrocle, Diomède, Arcas, Andromaque et beaucoup de personnages secondaires [45]. Quant à Pâris, il est seulement évoqué dans le livret comme l’auteur du crime. Dans les deux pièces, il est comme une ombre furtive, correspondant bien à l’idée de lâche véhiculée à l’origine par l’Iliade.
Campistron prendra l’action plus haut que Corneille, avec une ambassade de Diomède vers Achille (dans l’Iliade, l’ambassadeur est Ulysse ; chez Benserade Ajax accompagne Ulysse).
N’en déplaise à Victor Hugo, Campistron fait figure ici de librettiste assez doué, autant pour la savante et heureuse alchimie poétique que pour l’inspiration fertile à donner des images appropriées à la mise en musique et à la mise en scène de l’histoire. Ce livret a en effet profité d’un riche travail autour de réseaux poétiques plus ou moins conscients. Le texte final n’est ni une transposition ni une réduction d’une pièce de théâtre ; ce texte poétique a profité d’un goût sûr pour les thèmes et les schémas antiques et classiques, ce qui donne un livret original et en même temps authentique par rapport à la donnée grecque.
En toile de fond très proche nous trouvons bien sûr la tragédie classique La mort d’Achille de Benserade, qui s’inspire surtout du post-homérique Dyctis, dont Campistron s’est aussi probablement nourri directement. En toile de fond proche évidemment l’Iliade d’Homère, plus précisément les Chants XV, XVI, XVII, XIX, XXII (la mort d’Hector), XXIV (le rachat d’Hector) ; également le Chant IV de L’Enéide de Virgile mettant en scène les douleurs et le suicide de Didon suite au départ d’Énée (auquel se substitue le « départ » d’Achille), fin qui n’existe pas dans la tragédie de Benserade [46]. En seconde main, probablement le récit d’Ovide sur Achille et Polyxène dans ses Métamorphoses. En toile de fond plus lointaine, la pièce d’Euripide, Hécube. Enfin, une pièce contemporaine, l’Andromaque de Racine (1667), a probablement inspiré Campistron pour les prières et lamentations de la plus célèbre fille de Priam (cf. Tableau n° 1 : « Les sources littéraires de Campistron et comparaison»).
Enfin Campistron nous fait part, à l’image du futur Télémaque de Fénelon, d’une vision presque touchante d’un roi idéal, se sacrifiant pour la paix, précisément à l’inverse de ce que fut le « roi de guerre » qu’était Louis XIV, tant chanté dans les opéras avant 1687.
Conclusion
Le choix du cycle troyen a réellement stimulé les créations poétique et lyrique françaises et conduit à la conception de véritables chefs-d’oeuvre dans la période entre Lully et Rameau, période autrefois si controversée. En témoignent les tragédies en musique Achille et Polyxène, Didon, Circé, Iphigénie en Tauride, Idoménée, Hippodamie ou Hésione.
Achille et Polyxène est sans nul doute l’opéra charnière de cette fin de siècle. Il fonde et en même temps inaugure une transformation en profondeur du genre initié par Lully et Quinault, via une recherche plus savante et authentique de la donnée grecque. Le résultat est un genre qui accède à sa véritable maturité tragique, avec une tendance à la noirceur et au pessimisme [47], à l’image du message insistant développé dans le livret de Campistron : chez l’humain, la guerre (la gloire) et la haine sont plus puissantes que l’amour et la paix (incarnés par le couple d’amants, Priam, les bergers et le peuple troyens). L’idée que la guerre est un fléau pour les peuples, constatation amère de l’Iliade, est parfaitement restituée par nos auteurs. L’homme revêt sa pire condition tragique : sa propension à la guerre le conduit à sa propre destruction.
Comme on peut l’observer facilement à la lecture des pages initiales de certains livrets (voir leurs « arguments » ou « Préfaces »), [48] le librettiste aime ici implicitement revendiquer son espace de liberté créatrice, mais toujours dans le souci de se fonder sur des sources précises (via le plus souvent une tragédie classique sur le même thème), comme celle de Dictys pour le rachat du corps d’Hector, l’une des scènes clés de l’opéra. À l’image de Campistron, les librettistes français apparaissent en fait comme des traducteurs plus ou moins fidèles ou érudits, mais toujours créatifs. Le résultat de ces lectures et de ces imprégnations, c’est en tous cas un nouvel objet poétique, avec ses interprétations, ses raccourcis -dont la demande en mariage, le jour même de la mort d’Hector!- et ses dilatations dramatiques comme le retour triomphal d’Achille après avoir vaincu Hector, ou la confrontation finale entre Polyxène et Briséis, le choeur des Grecs sortant épouvanté du Temple d’Apollon où a été tué Achille, scènes entièrement inventées -à l’exception du lieu, le Temple d’Apollon.
On peut dire aussi qu’Achille et Polyxène témoigne des tous premiers efforts de recherche archéologique sur le plan littéraire, même si la vision du monde grec reste plus ou moins déformée. Faute d’une connaissance suffisante des traductions des textes grecs, sans parler des textes en langue grecque -comme le dénonçait Racine [49] - les poètes, surtout italiens, ont donné une image fausse de l’Antiquité grecque. Le latin Ovide avait déjà nourri la période précédente, il demeurera longtemps encore le texte le plus accessible, le plus fascinant, donc le plus souvent traduit. Malgré la traduction de certains textes importants de la littérature grecque dès le XVIe siècle [50], ils ne semblent pas vraiment lus et pratiqués par les librettistes [51]. L’helléniste est un spécimen rare, presque autant qu’aujourd’hui. L’univers mythologique grec est donc passé le plus souvent au filtre d’Ovide (ceci jusqu’au XVIIIème siècle) renvoyant du monde grec une image superficielle, anecdotique, romanesque, comme on peut l’observer par exemple dans le livret de Francesco Buti (Orfeo, 1647, musique de Luigi Rossi). Ce qui a eu pour conséquence que le lien entre mythe et tragédie n’a pas du tout été le même à l’époque classique qu’à l’époque du Vème siècle avant J.-C. Les sujets graves, profonds, universels, métaphysiques de la tragédie grecque deviennent à l’opéra la matière d’une trame psychologique, d’où des scénarios amoureux plus proches du drame psychologique et sentimental que de la question du destin et de la question métaphysique que font surgir les mythes d’Homère à Euripide. Les Français n’échappent pas à la règle des intrigues toujours centrées sur l’amour (comme dans l’Alcide de Campistron et Marais, opéra de 1693 assez loin de l’esprit des Trachiniennes) bien que plus fidèles à l’esprit du modèle antique (surtout dans la période 1687-1733) comme en témoigne la remarquable Iphigénie en Tauride, où justement l’intrigue amoureuse n’est que très secondaire (les contemporains [52] n’avaient d’ailleurs pas manqué de le souligner).
Cette méconnaissance de la portée profonde du théâtre grec est néanmoins tempérée par le puissant attrait que représente l’Enéide de Virgile, épopée latine qui semble avoir imprimé une marque durable et profonde sur la conception des livrets français à partir de Campistron [53]. Les sources grecques, comme Homère, assez peu lues, seront ainsi passées au filtre de la littérature de l’Empire, d’où une vision « impériale » et mythifiée de la guerre de Troie, reflet de la période augustéenne. Cette transposition explique que les prétentions archéologiques soient encore assez limitées, surtout sur le plan iconographique.
Dans Achille et Polyxène et encore plus dans les opéras qui vont suivre (Enée et Lavinie en 1690, Didon en 1693, premiers livrets composés clairement à partir de chants de l’Enéide) [54] on observe de nombreux signes d’une influence profonde : sur scène apparaissent seulement deux des trois déesses primordiales de l’Iliade, Aphrodite (Vénus) et Héra (Junon) - aucune mention n’est faite à Athéna, alors que c’est une déesse guerrière !- deux déesses qui s’opposent sans cesse dans l’Enéide, Vénus soutenant son fils Énée dans sa quête et Junon faisant l’impossible pour le détourner de Rome [55]. Pour la première fois de son histoire, un livret français propose une scène de suicide féminin telle qu’elle apparaît à la fin du Chant IV de l’Enéide [56]. Didon se tuait avec le glaive d’Énée ; Polyxène se tue avec la flèche qui a tué son époux Achille. Toutes les deux ont perdu définitivement leur amant : Énée part vers le Latium, Achille vers l’Hadès. Les lamentations et les fureurs de Polyxène sont directement imitées de celles de Didon. Comme elle, Polyxène a une vision infernale de son époux défunt. Enfin, au contact de cette épopée romaine qui crée le mythe de César à travers le récit des exploits du héros troyen Enée, le livret d’opéra français affirme son caractère d’ « opéra épique » : aux épisodes merveilleux, plus discrets, se joignent des scènes de cérémonies sacrées et des réjouissances populaires [57], à une vision sentimentale et romanesque très réductrice, se substitue une vision profonde et authentique de l’humaine condition. Les librettistes français s’aident donc de Virgile pour mieux comprendre la question de « la tragédie humaine face au Destin » (accessoirement illustré par les dieux) », vestige assez concret de l’ancienne tragédie.
Géraldine Gaudefroy-Demombynes
Déléguée CNRS 2010-2011 (IRPMF, Umr 200), Maître de Conférences en musicologie à l’Université de Franche-Comté. La conférence-performance donnée le 15 mai 2007 dans le cadre de l’Institut des Sciences et Techniques de l’Antiquité (I.S.T.A.) de l’Université de Franche-Comté (France), a permis la rédaction de deux articles, celui-ci et un autre, « The Trojan War Through Achille et Polyxène (1687) : Towards a Rediscovery of a Humanist Opera » destiné à la revue Early music.
Tableau 1 - Les sources littéraires de Campistron et comparaison
Campistron, Achille et Polyxène, livret de la tragédie mise en musique par Lully et Collasse, 1687 | Benserade (B.), tragédie classique La mort d’Achille (1637) [58] Avec des rappels de l’Iliade d’Homère (H.), de l’Histoire de la Guerre de Troie de Dyctis (D.) et du Chant IV de l’Énéide de Virgile |
---|---|
Acte I : Île de Ténédos Scène 1 et 2 (monologue) : Idem Iliade, chant XV |
(H., chant XV) : Tente d’Achille. Achille outragé reste toujours à l’écart des combats. Patrocle supplie Achille de le laisser partir au combat en lui prêtant ses armes. Le héros hésite puis accepte. |
I, 3 : Île de Ténédos Ambassade auprès d’Achille. Agamemnon envoie Diomède. Achille intraitable. |
(H., chant IX) : Tente d’Achille. Ambassade auprès d’Achille. Agamemnon envoie Ulysse. Achille intraitable. |
I, 4,5 : Île de Ténédos Vénus et sa Suite charment Achille pour l’éloigner des combats (divertissement) |
H.) : Vénus protège les Troyens. |
I, 6 : Île de Ténédos Mort de Patrocle devant Troie (hors scène), annoncée à Achille par Arcas. Douleur, colère et désir de vengeance d’Achille, invocation aux mânes de Patrocle. (Hors scène, entre l’acte I et l’acte II) : Combat Achille-Hector et mort d’Hector. (de manière générale, évitement de la violence et du spectaculaire, règle de la bienséance classique) |
(H., chant XVIII) : Devant Troie. Mort de Patrocle annoncée à Achille par Antiloche. Douleur, colère et désir de vengeance d’Achille. (B.) : on apprend par Achille que Patrocle est mort et que son ombre l’appelle (I, 1), douleur et colère (I, 1, 2) (H., chant XXII) : Achille part au combat contre Hector, le tue, et traîne son corps avec son char autour de Troie. |
II, 3,4,5 : Le camp des Grecs Rachat du corps d’Hector par Priam, Andromaque et Polyxène. Supplications. Achille bienveillant et sensible aux souffrances des trois. Pas de rançon ni présents mentionnés. Achille rend les armes après la plainte de Polyxène, coup de foudre, il offre sa protection à Priam et aux Troyens et promet une éternelle paix (III, 1 : Achille prie Arcas d’aller demander Polyxène en mariage à son père) |
(H. chant XXIV) : Le camp des Grecs. Rachat du corps d’Hector par Priam seul. Supplications. Achille bienveillant et sensible à ses souffrances. Rançon. (D.) : rachat par Priam, Andromaque et Polyxène. Achille tombe amoureux de Polyxène. (B., I, 3) : rachat par Priam, Hécube et Polyxène . Supplications. Achille plutôt intraitable et plein de colère, subitement plus doux avec Polyxène (voilée, il n’entend que sa voix), coup de foudre, présents de Priam ; (II, 2) : Achille offre sa protection à Priam. Il demande directement à Priam la main de Polyxène pour sceller la paix. |
Acte III : le quartier d’Achille III, 3,4 : Idem Iliade, chant XIX, Agamemnon rend Briséis à Achille. |
(H., chant XIX) : La tente d’Achille. Agamemnon rend Briséis à Achille. |
III : le quartier d’Achille III, 5 : confrontation entre un Achille (malheureux et ennuyé) et Briséis jalouse. III, 6 monologue Briséis : fureurs et désir de vengeance. Invocation à Junon. |
(B., III, 2 : confrontation Achille (plutôt goujat et menteur) et Briséide jalouse, qui comprend l’infidélité du héros. Regrets de Briséide qui évoque « les fureurs de l’Enfer ». III, 3 : monologue résigné et désespéré de Briséide. |
III, 7 : le quartier d’Achille (Divertissement infernal) Invocation des Enfers par Junon : représentation des allégories de la Haine, de l’Envie, et de la Discorde, qui envoient les ravages de la guerre. | (H.) : dans de nombreux chants (ex. XVIII) : idées de la Haine, de l’Envie, et surtout de la Discorde [59] qui provoquent la guerre. |
Acte V : L’avenue et le Temple d’Apollon V, 1 (monologue),2,3 : Achille est impatient et heureux. Polyxène retrouve enfin Achille (duo), en présence d’Arcas et des Grecs, elle accepte avec un ton soumis sa demande en mariage (Grecs et Troyens unis et joyeux rendent hommage aux futurs époux). |
(B., II, 4), 1re confrontation Achille et Polyxène seuls. Grande scène de déclaration d’amour par un Achille précieux et galant, résistance de Polyxène, puis soumission. |
V, 5 : L’avenue et le Temple d’Apollon Devant les Grecs (choeur) sortant en désordre du Temple, Arcas annonce à Briséis qu’Achille est mort (hors scène), tué traîtreusement pas Pâris. |
(D., Livre IV) : Temple d’Apollon (non loin des portes de Troie), Polyxène donne rendez-vous à Achille dans le Temple dont elle est la prêtresse, le héros se déchausse et Pâris le tue traîtreusement d’une flèche au talon. (B., IV, 3) : « Le Temple d’Apollon parest », présence de « Grecs de la Suite d’Achille ». IV, 4 à 7 : Pâris tue Achille, monologue d’Achille blessé, Achille agonisant et mort sur scène. |
V, 6 : L’avenue et le Temple d’Apollon Polyxène est horrifiée de ce qu’elle a vu. Imprécations et désir de vengeance de Briséis qui maudit les Troyens. | (B., IV, 6) : Ajax : imprécations et désir de vengeance. |
V, 7 : L’avenue et le Temple d’Apollon Désespérance de Polyxène, elle voit l’Ombre de son mari Achille qui l’appelle, elle se tue de la même flèche qui l’a tué. |
Virgile, Énéide, fin du Chant IV : désespérance de Didon, elle voit l’Ombre de son mari Sichée, elle se tue avec le poignard du troyen Énée |
Tableau 2 – La tragédie en musique Achille et Polyxène : schéma
des relations entre les personnages et présence
Annexes
Annexe n° 1 : personnages du livret d’Achille et Polyxène dont danseurs
PROLOGUE
MERCURE ; MELPOMÈNE, Muse de la Tragedie. ; TERPSICHORE, [Muse de la danse] [60] ; THALIE, Muse de la Comédie ; Troupe de Génies qui suivent Melpomène* ; Troupe de Génies qui suivent Terpsichore* ; Troupe de Génies qui suivent Thalie* ; JUPITER
TRAGÉDIE
GRECS :
Achille : demi-dieu, chef des Myrmidons et roi de Thessalie, amant de Polyxène (clé d’ut 3, haute-contre) ; Arcas, confident d’Achille (ut 3, haute-contre) ; Patrocle : roi de Locride, ami d’Achille (clé de fa4, basse-taille) ; Agamemnon : roi de Mycène et d’Argos, Chef de tous les Grecs (basse-taille) ; Diomède : roi d’Etolie, chef des Argiens et des Tirynthiens (clé de fa4, basse-taille) ; Briséis : princesse prisonnière d’Achille, amoureuse d’Achille (ut 1, dessus 2) ; Un Chef Grec (clé de fa4, basse-taille) ; Troupe de Chefs et de Soldats Grecs* ; Troupe de Thessaliens*
TROYENS :
Priam : roi de Troie (clé de fa4, Basse-taille) ; Andromaque : fille de Priam, veuve d’Hector (sol 2, dessus 1) ; Polixène : fille de Priam, amante d’Achille (ut 1, dessus 2) ; Un Troyen : (clé d’ut 3, haute-contre) ; Une Troyenne (clé de sol 2, dessus 1) ; Troupe de Troyens et de Troyennes* ; Arbas [61]
DÉESSES ET DIVINITÉS :
Vénus ; Les Grâces, les Amours, & les Plaisirs qui suivent Vénus* ; Junon ; La Haine, la Discorde, la Fureur, L’Envie ; Suite de la Discorde*
Notes
[1] Euripide, Exodos d’Hécube. Traduction et édition de Marie Delcourt-Curvers, Paris, Gallimard, 1962.
[2] Le Théâtre représente un lieu propre à donner des spectacles, & qui peut convenir à la Tragédie & à la Comédie: ce lieu n’a plus la magnificence qu’il paroît avoir eû autrefois; il est même presque détruit & ruiné. On y voit Melpomène, Terpsicore & Thalie sans aucune suite. Mercure descend du Ciel. Mercure, Melpomène, Terpsicore, Thalie. Mercure : Scavantes Soeurs, arbitres de la Scène,/ Quel accident funeste a fait cesser vos jeux ?/ Je ne voy plus icy vôtre appareil pompeux,/ Et je ne reconnois qu’à peine,/ Thalie, & Melpomène ;/ Et vous, dont les charmants concerts,/ En ces lieux autrefois, raisonnoient dans les airs ;/ Quel trouble, ou quelle indifférence/ Cause aujourd’huy vôtre silence ? Melpomène : Ignorez-vous que le plus grand des Roys/ Etendant chaque jour ses conquêtes/ Et signalant son bras, par de nouveaux exploits,/ A négligé nos plus superbes fêtes ?”
[3] Cf. Françoise Bardon, Le portrait mythologique à la cour de France sous Henri IV et Louis XIII, mythologie et politique, Paris, Picard, 1974, p. 116. L’auteur précise que le père et le grand-père de Louis XIV furent très souvent « héroïsés » sous les traits des personnages suivants : Hercule, Jupiter, Apollon, Jason, Persée. Cf. par exemple Henri IV, nouveau Persée, délivrant la France-Andromède, gravure de Placard, 1594 (couverture) ; Louis XIII en Hercule-Imperator, Huret, frontispice (pl VI). Dans son ouvrage, elle ne mentionne aucune héroïsation en Achille. Ainsi nous observons que c’est au théâtre (cf. plus loin les analyses autour de La mort d’Achille de Benserade) que semblent apparaître les premières associations Louis XIII-Achille, qui se poursuivront avec Louis XIV.
[4] Le vers si célèbre de Victor Hugo sur Campistron a jeté un discrédit sévère sur l’oeuvre du pauvre Campistron : “Sur le Racine mort, le Campistron pullule !”, “Réponse à un acte d’accusation”, Les contemplations, Livre I Aurore, 7.
[5] Le 8 janvier 1687, en dirigeant son Te Deum pour célébrer la guérison de Louis XIV après son opération de la fistule, au lieu de battre la mesure avec un rouleau de papier (cf. gravures du temps), il a empoigné une haute canne, sans doute à cause de l’effectif très important, afin de se faire autant voir qu’entendre (plus de cent cinquante musiciens jouant à l’Église des Feuillants, rue St Honoré). D’après J. de La Gorce, l’accident si célèbre n’est pas un mythe : le pauvre Lully dans la chaleur de l’action se frappa durement le pied, à la suite de quoi la gangrène le prit. Quand Lully sut qu’il allait mourir, il fit venir son confesseur, qui l’exhorta à brûler l’opéra qu’il était en train d’écrire, sans quoi il ne lui donnerait pas l’absolution, « afin de montrer qu’il se repentait de tous les opéras passés ». Lully accepte d’accomplir ce sacrifice expiatoire en sa présence, brûle sa partition. C’était Achille et Polyxène, l’ouverture (Prélude) et le 1er acte. Se sentant un peu mieux, il avoua à un confident qu’il avait « fait copier au net » tous les morceaux, avant de les brûler devant son confesseur. Sans doute la dernière pirouette du baladin. Il en avait donc gardé « une seconde copie » (cf. de La Viéville, II, p. 192). « par malheur, cette plaisanterie fâcheuse fut suivie d’une rechute : il retomba dans un état pire qu’auparavant et la gangrène monta » (cité dans J. de La Gorce, Jean-Baptiste Lully, Paris, Fayard, 2002 : p. 347).
[6] Cf. Le Mercure de France, 1765.
[7] Le thème sera encore choisi par Nicolas-René Joliveau en 1763 (Polyxène), avec une musique d’Antoine Dauvergne. Le poète s’est inspiré d’Euripide.
[8] Cf. Lavallière, Ballets, Opéra (...), Paris, Cl. J.-Baptiste Bauche, 1760. Cf. J. de La Gorce, L’opéra à Paris au temps de Louis XIV, Paris, Desjonquères (p.84-86), pour le récit d’une répétition magistrale de l’oeuvre, avec description des décors, costumes, machines. C’est la première oeuvre lyrique représentée à l’Académie royale de musique après l’attribution de la direction à Jean-Nicolas de Francine, en association avec les héritiers de Lully (brevet royal du 27 juin 1687).
[9] Bibliothèque choisie, s.d., Histoire de l’Académie royale de musique depuis son établissement, 1645, jusqu’à 1709, composée et écrite par un des secrétaires de Lully (Jacques Bernard Durey de Noinville), p. 177-178, F-Po/B 230 : « La première fois qu’on joua cet opéra il s’y trouva tant de monde que ceux qui n’avaient pas envoyé retenir leurs places dès midi furent obligés de s’en retourner sans le voir. M. le Dauphin y vint de Versailles, ce qui augmenta encore la foule. Joint à cela que plusieurs y étaient attirés par la curiosité de voir si ceux qui s’en sont mêlés cette fois y réussiraient aussi bien que le fameux Baptiste. Mais chacun eut lieu d’être content, à la réserve du baron de l’Anjumet, ci-devant officier aux gardes, sur la tête de qui tomba une planche dont il pensa être tué. Cela interrompit le spectacle pendant quelque temps. Il ne faut pas s’étonner si cet opéra eut du succès dans sa nouveauté ; on y voyait tout à la fois les précieux restes de la musique de Lully qu’on venait de perdre, et le commencement d’un jeune élève qui promettait beaucoup ; outre cela le jeu des acteurs contribua fort à la réussite. Melle Rochois remplit avec son feu ordinaire le rôle de Polyxène, et ceux d’Achille et de Priam furent exécutés au mieux par Du Mény et Beaumavielle. En parlant ci-dessus de Campistron, nous avons dit les raisons qui ont empêché que cet opéra n’eût le même succès lorsqu’il a été remis ; nous ne les répéterons point ici, nous joindrons seulement la critique de cette pièce par un auteur du temps, c’est le chevalier de Saint-Gilles, lettre 3, pages 55 et suivantes de sa Muse mousquetaire. »
[10] Jean Gaudefroy-Demombynes, Les jugements allemands sur la musique française au XVIIIe siècle, Paris, Maisonneuve, 1941 : p. 89-90 ; de même que le Jason de Colasse, que Kusser arrangea au goût des auditeurs de Stuttgart en 1698. Voir note 1 : Sittard : Zur Geschichte der Musik am Wurttembergischen Hofe.
[11] L’opéra français depuis le début de sa création, a toujours cherché des sujets nouveaux par rapport à l’Opéra italien.
[12] Les thèmes historiques (Scanderberg, 1735, par Antoine Houdar de La Motte, Rebel & Francoeur), ou bibliques (Jepthé, 1732, par Pellegrin et Montéclair) font en effet figure d’exception en France dans la période analysée.
[13] Louis Ladvocat, Lettres sur l’Opéra à l’abbé Dubos, éd. J. de la Gorce, Paris, Cicero : p. 37. Lettre du 13 janvier 1695.
[14] Oeuvres qui ont inspiré Roland (1685), Armide (1686).
[15] Une Iliade a été traduite en prose et publiée en 1699 (une Odyssée neuf ans plus tard) par Mme Dacier, qui a aussi traduit l’ Hécube d’Euripide.
[16] Á cette liste il faut ajouter un opéra qui n’a pu être achevé et dont même le livret ne semble pas nous être parvenu : « Campistron fait l’opéra de Clytemnestre (note 156) et Monsieur le Grand Prieur a dit à Desmarest d’aider Lully (note 157) qui en doit faire la musique. » (Louis Ladvocat, 26 février 1695, Lettres sur l’Opéra à l’abbé Dubos, édition J. de La Gorce, Paris, Cicero, p. 45) ; note 156 : « On ignore si cet opéra fut un jour représenté » (idem, p. 103) ; note 157 : « Il s’agit de Louis Lully, fils aîné du Florentin. Comme son père, il bénéficia de la protection du duc de Vendôme et de son frère le Grand Prieur, pour lesquels il composa dès 1687 une Idylle destinée à divertir le dauphin dans leur propriété d’Anet. Très vite, il s’était fait aider dans sa tâche par des musiciens, dont le métier était probablement plus sûr : après le « maître de musique » Vignon et son frère Jean-Louis Lully décédé en 1689, il collabora avec Marin Marais à la tragédie en musique Alcide, représentée avec succès à Paris en 1693. Rien d’étonnant donc qu’on sollicitât Desmarest pour créer avec lui un nouvel ouvrage lyrique. » (idem, p. 103)
[17] Si on ouvre cette liste au concept général de poème épique et héroïque, on pourrait encore ajouter 5 tragédies lyriques composées à partir d’un poème héroïque, reprenant les sources exploitées à la fin de leur collaboration par Quinault et Lully : Tancrède, 1702 (d’après Le Tasse), Bradamante, 1707 (d’après l’Arioste), Renaud, 1722 (d’après Le Tasse), Oronthée, 1688 (d’après l’Arioste, tragédie en musique représentée hors A.R.M., le 23 août dans l’orangerie du château de Chantilly), Alcine (d’après l’Arioste). Ce qui nous fait un total de 25 tragédies lyriques inspirées par un poème héroïque sur 61.
[18] Fénelon a marqué son époque dans son roman d’initiation politique reprenant l’esprit de l’Odyssée d’Homère, Télémaque, à destination du duc de Bourgogne. Cet ouvrage a pu motiver les trois tragédies lyriques sur ce thème.
[19] Voici un récapitulatif des sources qui font référence au mythe d’Achille et Polyxène : APD., Bibl., III, 12, 5 ; Ep., V, 23 ; EUR., Troy., 622 et suiv. ; Héc., 3 et suiv. ; 107 et suiv. ; 218 et suiv. ; schol. Au v. 41 ; 388 ; HYG., Fab., 110 ; Ep. Gr. Fr. (éd. Kinkel), p. 50 ; QUINT. SM., Posthom., XIV, 210 et suiv. ; TZET., à LYC., 269 ; 323 ; OV., Mét., XIII, 439 et suiv. ; SéN., Troy. ; 168 et suiv. ; 938 et suiv. ; DICT. CR., III, 2 et suiv. ; V, 13 ; SERV., à VIRG., En., III, 322 ; VI, 57 ; PHILOSTR., Heroica, XX, 18 ; Stace : Achilléide ; Apollodore a écrit une synthèse de mythologie grecque de l’Antiquité cf. La Bibliothèque d’Apollodore. Enfin, Photios, un doxographe, a dressé les titres des cycles épiques.
[20] Cf. Pierre Grimal, Dictionnaire de la mythologie grecque et romaine, Paris, Puf, 1951.
[21] Cf. Annie Rivier, La vie d’Achille. illustrée par les vases grecs. Récits tirés de l’Iliade d’Homère et des poèmes cycliques, traduits librement, Lausanne, Payot, 1936.
[22] Cf. Limk, tables iliaques : bas-reliefs à Rome qui représentent des épisodes de la guerre de Troie.
[23] C’est ce tombeau qu’Alexandre honore au début de sa conquête de l’Orient.
[24] Cf. Connoissance de la mythologie, par demandes et par réponses ; augmentée des traits d’Histoire qui ont servi de fondements à tout son système : avec une Table servant de Dictionnaire de la Fable, Nouvelles édition, A. Commercy, Chez Denis, Imprimeur-Libraire. An VIII : « La flèche lui coupa le tendon, dont la blessure est très dangereuse. Les anatomistes appellent même ce tendon, le tendon d’Achille ».
[25] Chez d’autres auteurs, Ulysse et Diomède combattent pour le corps d’Achille qui a péri au combat (tué par la flèche d’Apollon). Achille fut ensuite honoré comme un demi-dieu. On lui éleva un temple à Sigée, on institua des fêtes en son honneur et on lui attribua même des prodiges. Observons dès maintenant qu’à l’exception du dénouement bien connu de la fable (traité plus tard par Campistron), le livret du poète (acte II-V) est très proche de ce récit.
[26] Dans les Chants Cypriens, Polyxène était blessée par Diomède et Ulysse au cours de la prise de Troie et succombait à ses blessures. Elle était enterrée par Néoptolème/ Pyrrhus. Mais, plus tard, on admit que Polyxène avait été sacrifiée sur la tombe d’Achille soit par Néoptolème, soit par les chefs grecs, à l’instigation d’Ulysse.
[27] Cf Dictionnaire des sujets mythologiques, bibliques, hagiographiques et historiques dans l’art, Paris, Brepols, 1994 et Pierre Grimal, Dictionnaire de la mythologie grecque et romaine, op. cit.
[28] Résumé du récit : L’amour d’Achille pour Polyxène.(...) Patrocle donne la mort à Sarpédon. - Il meurt dans le même combat. - Douleur d’Achille au sujet de la mort de son ami. (...) Achille fait tomber sous ses coups Hector (...) Priam, accompagné d’Andromaque et de Polyxène, se rend à ta tente d’Achille pour racheter le corps de son fils. (...) Priam reprend enfin le corps d’Hector et retourne à Troie sur son char. Chapitre XX : "Le lendemain, au point du jour, Priam, en habit de deuil, vint trouver Achille d’un air suppliant. Ce n’était plus un roi; c’était un infortuné plongé dans la plus profonde douleur, et qui ne conservait plus rien de l’éclat et de la gloire dont il avait été jadis environné. Il était accompagné d’Andromaque : cette princesse, non moins affligée que Priam et dans un état plus déplorable encore, conduisait avec elle ses deux petits enfants, Laodamas et Astyanax, connu aussi sous le nom de Scamandre : elle était venue pour joindre ses prières à celles du roi. Ce prince, accablé sous le poids du malheur et des ans, ne marchait qu’avec peine en s’appuyant sur sa fille Polyxène. Ils étaient suivis de chars remplis d’or et d’argent, et de vêtements précieux . (...) Chapitre XXI : "Cependant Priam entre accompagné de nos chefs; il se jette aux pieds d’Achille, et, tenant ses genoux embrassés, il lui adresse ce discours : « Ce n’est point à vous que j’attribue la cause de mon infortune, mais à un dieu jaloux qui, loin d’avoir pitié de ma vieillesse, a voulu la rendre plus affreuse encore par la mort de mes fils, et par les maux qui en seront la suite. Mes fils, fiers de leur jeunesse et du rang qu’ils tenaient dans l’état, n’ont cherché qu’à satisfaire leurs passions, sans scrupule sur les moyens; par cette conduite ils m’ont entraîné avec eux dans leur ruine. (...)Il ne me reste plus rien de ma fortune passée, j’ai tout perdu en perdant Hector. Mais si par mes malheurs, si par la mort de mes fils, j’ai suffisamment expié leur crime et satisfait à la vengeance des Grecs, ayez pitié de mon âge, pensez qu’il est des dieux, et daignez ouvrir votre coeur à la pitié. Ayez compassion de ces enfants ; rendez-leur, non leur père vivant. rendez-leur au moins son cadavre ! Que revienne à votre esprit le souvenir de votre propre père qui se soucie de vous et de votre sauvegarde à en perdre le sommeil ! Puissent pourtant tous ses voeux se voir exaucés et sa vieillesse se passer aussi différemment que possible de la mienne ! » Chapitre XXVII : "Priam dépose ensuite aux pieds du héros la rançon de son fils. Achille fait rentrer ce qui lui plaît des présents en or, en argent et en étoffes précieuses; ensuite, mettant à part tout ce qui reste, il l’offre à Polyxène, et rend le corps d’Hector à son père. Priam, après l’avoir reçu, soit pour témoigner sa reconnaissance au prince grec, soit pour ménager à sa fille un appui dans le cas où Troie serait détruite, se jette aux genoux du vainqueur et le conjure d’accepter Polyxène et d’en faire son épouse. Achille lui répond que dans un autre moment et dans un autre lieu, on traitera de cet article. Priam, après avoir obtenu le corps de son fils, remonta sur son char et retourna à Troie avec ceux qui l’avaient accompagné ».
[29] Résumé du récit : Mort d’Achille tué par Pâris et Apollon, enseveli par les Achéens et pleuré par les Muses ; Episodes relatifs à la prise de la ville et le pillage de celle-ci, avec Cassandre arrachée de l’autel d’Athéna, Polyxène immolée sur le tombeau d’Achille, Priam massacré sur l’autel de Zeus et Astyanax précipité du haut des remparts.
[30] Euripide, Hécube, Tragédies complètes I, édition de Marie Delcourt-Curvers, p. 428
[31] Didon, sous le charme d’Enée, lui demande de raconter son histoire : « Elle veut tout savoir sur Priam, sur Hector,/les armes qu’aux combats eut le fils de l’Aurore,/ Quels chevaux Diomède et la valeur d’Achille :/‘Mais,’ dit-elle « mon hôte, aux premiers jours remonte ;/ Dis les pièges des Grecs, vos maux, vos courses longues ;/ Car déjà six étés t’ont traîné par le monde,/ Errant de bord en bord sur la terre et sur l’onde. » (I, v.750 et suiv.)
[32] Sur les six tragédies de Borée, cinq (dont celle sur Achille) furent imprimées ensemble, in-8°, à Lyon en 1627.
[33] Benserade (n1613-m Gentilly 1691), poète et tragédien, triomphera avec Lully dans leurs ballets de cour qu’ils composeront pour le roi. Cf. le Ballet de Cassandre (1651), Le Ballet de la Nuit (1653), les Ballets des Plaisirs (1654), de Psyché (1656), d’Alcidiane (1658), des Saisons (1661), de la Naissance de Vénus (1665), ou des Muses (1666). Il mettra tout son talent à donner aux personnages de ces ballets des traits qui sont autant d’allusions malicieuses, ou méchantes (mais toujours avec finesse), contre ceux mêmes – grands seigneurs et grandes dames – qui en jouent les rôles. Reçu à l’Académie française en 1674, il participe à l’élaboration du Dictionnaire et adopte le parti des Modernes dans la querelle des Modernes et des Anciens. Alors qu’il s’est retiré de la Cour, Louis XIV lui demande de mettre en rondeaux Les Métamorphoses d’Ovide. Le poète tient la gageure, esquissant plus d’ailleurs des croquis en marge de l’oeuvre qu’il n’en donne une véritable traduction (1676), mais le livre est un échec, attirant les railleries de ses adversaires. Ses oeuvres ont été regroupées dans une édition posthume en deux volumes, Oeuvres et Ballets en 1697.
[34] Source : A Paris, Chez Anthoine de Sommaville, au Palais, dans la petite salle, à l’Escu de France, M. DC. XXXVI, avec Privilège du Roy. Avec un « Epistre Au Roy ».
[35] Cf. Benserade, « Au Lecteur », p. IV : Le sujet de cette Tragédie est assez fameux pour n’estre pas ignoré de ceux qui la liront, puisque les plus beaux gestes de celuy qui en est le Héros sont escrits d’un style si merveilleux par le divin Homère ; quelques Autheurs, comme Dires, Phrygius, & Dictys Cretensis, en parlent historiquement, & avec plus de vray-semblance, j’ay pris des uns & des autres ce que j’en ay jugé nécessaire pour l’embellisement de la chose sans en altérer la vérité.
[36] Huile sur bois, 107 x 108 cm, Princes Gate Collection, Courtauld Institute of Arts, Londres. Egalement : Briséis rendue à Achille (Detroit, inst. Of Arts) ; esquisse, Achille vainqueur d’Hector (Pau, mus. des BA) ; cartons de tapisseries : Achille tué par Pâris et Memnon (Rotterdam, mus. Boymans van Beuningen). Aussi : Dirck Van Baburen, Achille pleure la mort de Patrocle, Huile sur toile, 204 x 287 cm, 1620, Collection privée, Londres.
[37] Benserade, « Au lecteur », p. IV : Je m’asseure que l’on m’accusera d’avoir icy chocqué les loix fondamentales du Poëme Dramatique en ce que j’ajouste à la mort d’Achille, qui est mon objet, la dispute de ses armes, & la mort d’Ajax, qui semble estre une pièce détachée, mais je m’imagine que mon action n’en est pas moins une, & que cette dispute & cette mort qui pourroit ailleurs tenir lieu d’une principale action ne doit estre icy considérée qu’en qualité d’Episode & d’incident, veu qu’elle regarde principalement Achille, & qu’elle n’est pas le véritable but de ma Tragédie, bien que ce soit par où elle finit, s’il falloit toujours finir par la mort du premier Acteur, le Théâtre se verroit souvent despouillé de ses plus beaux ornemens, la mort de César ne seroit pas suivie du pitoyable spectacle de sa chemise sanglante qui fait un si merveilleux effect, & qui pousse si avant dans les coeurs la compassion, le regret, & le désir de vengeance, quand Ajax se tuë du désespoir d’estre frustré des armes d’Achille, il ne donne pas tant une marque de sa générosité qu’il laisse un tesmoignage du mérite de ce qu’il recherchoit, & par conséquent cet acte ne tend qu’à l’honneur de mon Héros. En tous cas si j’ay failly pardonne moy, & puisqu’il ne m’est pas permis d’esperer une juste loüange de la meilleure de mes productions, souffre que je tire un peu de gloire de la plus belle de mes fautes.
[38] « Le repos & la seureté que nous avons ne vient pas tant de nous comme c’est un effet de vostre agitation, & des dangers où V. M. s’expose tous les jours pour la conservation de nos vies, & de nos biens : De façon que nous ne pourrions nous dispenser de nos hommages légitimes à moins que d’ajouster l’ingratitude, la désobéïssance, & d’offencer en vostre personne le meilleur pere qu’ait jamais eu la Patrie, & le plus grand, & le plus vaillant Roy du monde. Achille que je vous offre en toute humilité le condesseroit de sa propre bouche si V. M. avoit besoin des louanges d’un moindre qu’elle ; je la supplie très-humblement qu’il en soit veu de bon oeil, & qu’elle pardonne à l’ambition de celuy qui l’ose présenter, c’est, Sire, de V. M. le très-humble, très-obéïssant ; & très-fidelle serviteur & subjet, De Bensseradde. » (p. III)
[39] Intrigue qui a pu influencer les livrets de l’Alcide (1693) de Campistron et celui de l’Idoménée (1712) de Danchet.
[40] Poétique de l’opéra français de Corneille à Rousseau, Paris, Minerve, 1992.
[41] Cf. Manuel Couvreur, Musique et Dramaturgie au service du Prince, Bruxelles, Vokar, 1992.
[42] On reste néanmoins dans une expression assez précieuse de l’amour.
[43] F-Po/ Liv C 2678 (3)
[44] Dans La mort d’Achille de Benserade (1636), Priam s’agenouille, plein d’humilité et de douleur, supplie Achille “Par vos mains que je baise” et Achille lui répond : “O Dieux, que faistes vous ! / Des Reynes, & des Roys embrasser mes genoux ! (...) je ne souffriray point que vous vous abaissiez.” (I, 3). Briséide réagit également, elle appelle même “lâche posture” celle de Priam qui s’abaisse alors qu’il est roi, à embrasser les genoux d’Achille.
[45] Un Chef Grec, Troupe de Chefs et de Soldats Grecs, un Troyen, une Troyenne, Troupe de Troyens et Troyennes, Troupe de Thessaliens, Vénus, Les Grâces, Les Amours et les Plaisirs, Junon, la Haine, la Discorde, la Fureur, l’Envie, Suite de la Discorde.
[46] Il faut aussi prendre en compte les Didon contemporaines et les très nombreuses représentations iconographiques de sa mort, comme celles de Guerchin, Rubens, Vouet, Le Brun, ainsi que toutes les gravures et illustrations des éditions de Virgile, les décorations intérieures des hôtels particuliers etc.
[47] On est maintenant loin des exploits et du sort heureux d’un autre demi-dieu, Persée, choisi en 1682 par le roi parce qu’il représente le héros parfait, accompli, équilibrant gloire et amour.
[48] Pur produit du rationalisme français, on trouve parfois en tête du livret un « Argument» ou une « Préface» du librettiste lui-même, servant notamment à justifier ses choix et ses traitements des sources littéraires, comme dans la Camille (1717) de Danchet et Campra, ou l’ Hippolyte et Aricie (1733) de l’abbé Pellegrin et Rameau.
[49] Cf . Racine, Préface d’Iphigénie en Aulide (1674), qui traite notamment de la querelle d’Alceste et des arguments de Perrault. Il démontre une connaissance insuffisante de la langue grecque. Dans ses Réflexions sur Longin, Boileau procédera de la même manière pour invalider les critiques du Parallèle des Anciens et des Modernes (à partir de 1688) de Perrault à l’encontre notamment d’Homère.
[50] En France, on observe de nombreuses traductions en Français de l’Odyssée d’Homère ; la dernière avant l’opéra Achille et Polyxène est celle de La Valterie, qui parut en 1681 (Paris, Barbin). Le plus grand succès de l’ancien Théâtre du Marais avait été d’ailleurs la Circé de Thomas Corneille, créée vingt ans auparavant mais jamais jouée depuis (voir Circé, Edition critique par Janet L. Clarke, Exeter, University of Exeter, 1989). En 1694 est créée la tragédie en musique Circé de Mme de Saintonge et Henry Desmarest. Il serait utile d’avoir un recensement de tous les textes grecs traduits en français depuis le XVIème au XVIIIème siècles.
[51] À la fin du XVIIème siècle, Louis Ladvocat, non sans ironie et même misogynie, accuse ainsi (d’après nous injustement) l’auteur du livret de Didon (1693), Mme de Saintonge : il la raille et l’attaque sur sa supposée culture livresque dans deux lettres de 1695 et 1696, adressées à ce même abbé Dubos : “J’ai vu Madame de Saintonge qui ne m’a rien dit de son fils, mais qui prétend que ses opéras sont aussi bons que ceux des deux auteurs modernes dont vous parlez. Ce n’est pas d’aujourd’hui qu’on a de l’entêtement pour ses ouvrages et le peu de justice que l’on se rend là-dessus, joint au peu d’étude et à l’ignorance du grec et du latin, ne me persuaderont pas de la préférence de ses ouvrages à celle de ces deux messieurs, et cependant, Didon a eu un succès si favorable qu’il est plus aisé aux connaisseurs de dire ce qui est régulièrement bon que d’assurer ce qui plaira le plus au parterre. ” cf. Louis Ladvocat, op. cit., lettres du 26 octobre 1695.
[52] «Le quatrième acte est le plus intéressant ; il est aussi le dominant, et celui auquel cette tragédie doit son plus grand succès. Note 1 : on avait toujours éprouvé que l’intérêt du sang était plus fort dans une tragédie, que celui de l’amour ; la raison en est assez plausible ; tous les spectateurs n’étant pas amans, au lieu qu’il n’y en a point qui ne soient pères, frères ou fils ; mais on ne croyait pas qu’il en fût de même à l’Opéra, où toutes les passions doivent être subordonnées à l’amour. Cependant l’auteur d’Iphigénie a fait rentrer dans leurs droits les sentiments de la nature, et l’amour de Pylade pour Electre a paru frivole, auprès de l’amitié d’Iphigénie pour son frère. », Histoire de l’académie royale de musique depuis son établissement, 1645, jusqu’à 1709, composée et écrite par un des secrétaires de Lully, s.d. p. 205 (F-Pn/ B230).
[53] Au théâtre, on sait que l’Enéide fut déjà la source de l’Andromaque de Racine (1667) et bien avant, des Didons de Jodelle, Hardy, Scudéry. cf. Didon à la scène, Scudéry, Didon (1637), Boisrobert, La Vraye Didon, ou la Didon chaste (1643), ed. Christian Delmas, Toulouse, Société de Littératures Classiques, 1992. Cet ouvrage démontre parfaitement la puissance de l’influence virgilienne en Europe depuis le XVIème siècle. Les nombreuses traductions de l’Enéide renforcent la connaissance et l’intérêt des poètes pour ce texte. Mme de Saintonge a pu bénéficier de la toute dernière traduction du Chant IV en 1693 : il s’agit des Amours d’Enée et de Didon, ou le Quatrième Livre de l’Enéide traduit en vers français,par le traducteur célèbre Claude Nicole (Paris, Charles de Sercy, 1693, 2 tomes). L’achevé d’imprimer de cet ouvrage est du 30 décembre 1684 (sic) mais la date à la page de titre est de 1693.
[54] Enée et Lavinie, 1690 (Fontenelle, Collasse), Didon , 1693 (Mme de Saintonge, Desmarest). Dans Circé (1694) Mme de Saintonge, à travers un dénouement « incendiaire » suite à la fuite d’Ulysse, fera encore clairement référence au Chant IV de Virgile, précisément au bûcher préparé par Didon pour consumer les reliques d’Enée et son propre coeur. Virgile encore reste l’auteur favori du grand librettiste Antoine Danchet, associé à de nombreux opéras de Campra (pour Camille notamment, d’après plusieurs Chant de l’Enéide).
[55] Dans la Didon (1693) de Mme de Saintonge, la librettiste fait plusieurs fois référence à Junon et à Vénus, cette dernière apparaissant d’ailleurs sur scène.
[56] L’attraction est tellement forte que le librettiste, pour cette première adaptation du mythe, n’a même pas choisi la version de référence, pourtant bien connue, celle qui voit Polyxène sacrifiée sur la tombe d’Achille, mais l’issue du Chant IV de Virgile.
[57] Tous les opéras se référant au cycle troyen ont une tendance marquée à mettre au premier plan des « peuples » (choeurs d’action ou/et de divertissement). Ici, dans Achille et Polyxène, les peuples Grecs et Troyens forment les divertissements des actes II et V pour les Grecs, IV et V pour les Troyens. En 1690, Fontenelle est le premier à avoir écrit un livret directement inspiré de l’Enéide avec Enée et Lavinie (musique de Collasse). En 1693 dans la Didon de Mme de Saintonge et Henry Desmarest, les « peuples de Carthage » reviennent deux fois sur scène, actes I et IV, ce qui est exceptionnel, car habituellement, les personnages du divertissement changent à chaque acte. Cf. Géraldine Gaudefroy-Demombynes, « Didon (1693) et autres tragédies en musique de Desmarest : du tragique à la parodie », Colloque international, Henry Desmarest (1661-1741) : Exils d’un musicien dans l’Europe du Grand Siècle, textes réunis par Jean Duron et Yves Ferraton, Liège, Mardaga, 2004 ; avec Jean Duron : édition critique de Didon (1693), éd. Musica Gallica et CMBV et cf. Thèse de doctorat Essai sur la tragédie lyrique : l’Exemple de Didon (1693), sous la direction de Jean Duron et Michelle Biget, Tours, 1998.
[58] La tragédie de Benserade publiée en 1637 ne mentionne pas de décors pour les actes, sauf pour la fin de
l’acte V : « Le Temple d’Apollon parest ».
[59] En référence à la fameuse « pomme de discorde », cf. l’épisode du «Jugement de Pâris ».
[60] Le livret indique par erreur « Terpsicore, Muse de la Musique ».
[61] Personnage mentionné dans le livret de 1687 (éd. Ballard) à la scène 3 de l’acte V. Il n’a pas de réplique mais on peut émettre l’hypothèse suivante : si l’on se fonde sur la réplique de Priam qui est reprise en duo par Achille et Polyxène « Ne perdons plus de précieux moments,/ Allons sur les Autels consacrer les sermens/ D’une paix éternelle,/(... )», le théâtre représentait sans doute pendant toute la scène 3 qui est assez longue un Prêtre, précisément Arbas, qui accomplissait ou préparaient les rites du futur mariage sur l’Autel.