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15 déc. 2023, Bordeaux : Mer et noblesses en Europe (XVIe-XXe siècle)

Ce colloque international se propose de croiser deux champs historiographiques féconds, la mer et les noblesses. Afin d’explorer les liens qui unissaient un espace géographique et naturel, la mer, et un ordre social, les noblesses, entre les XVIe et XXe siècles en Europe et dans les prolongements coloniaux, quelques pistes seront privilégiées : l’imaginaire nobiliaire et la mer (relation symbolique entre la noblesse et la mer, anoblissement par le service maritime...) ; vocation nobiliaire à servir sur mer (service militaire, mais plus largement service maritime au sein de l’État, participations de nobles dans les expéditions d’exploration, implication scientifique, rôle dans l’innovation navale...) ; noblesses et activités économiques maritimes (commerce maritime, y compris la traite négrière, spécificités des seigneuries littorales...) ; styles de vie des noblesses en bord de mer (influence de l’espace littoral sur l’architecture des châteaux et la vie nobiliaire, adaptation des châteaux et des intérieurs à l’environnement maritime, noblesses et loisirs maritimes...).

« Amas des eaux qui composent un globe avec la terre et qui la couvrent en plusieurs endroits », la mer est aussi, selon le Dictionnaire de l’Académie française dans sa première édition de 1694, un espace sur lequel s’exercent les activités humaines, de la pêche à la guerre en passant par le commerce. La Marine, en tant que composante des forces armées européennes, a focalisé une partie des regards. Ses amiraux et officiers[1], ses guerres et ses batailles[2], ses vaisseaux[3] ont retenu l’attention des historiens. Mais l’histoire maritime ne saurait se résumer à l’histoire navale. Territoire naturellement hostile à la présence des hommes, mais riche en ressources et en voies de navigation permettant de les mettre en lien, la mer a fait l’objet depuis une vingtaine d’années d’un regain d’intérêt de la part des historiens, aussi bien en France[4] qu’en Grande-Bretagne[5] ou ailleurs en Europe[6]. Ainsi, en France, le champ d’études s’est structuré notamment grâce à la création du Groupement d’Intérêt Scientifique Histoire maritime devenu GIS Histoire et Sciences de la mer (2015), et à l’existence de la Revue d’Histoire maritime. D’un territoire investi par les appétits commerciaux et conquérants des sociétés, la mer est devenue un objet d’étude à part entière. Par le biais d’une inversion des regards, elle a pu être abordée comme un observatoire des sociétés, démarche que l’on retrouve chez Alain Cabantous[7] chez Olivier Chaline[8] (2016), ou encore chez Caroline Le Mao[9] (2021).

Dans le même temps, la noblesse, perçue dans toute sa diversité, a elle aussi fait l’objet d’un renouveau historiographique dans la suite directe des nouvelles orientations de la recherche émergeant dans les années 1980. Les deux colloques tenus à l’Université Nicolas Copernic de Torun en Pologne, en 2004 et 2022 permirent de faire deux états de l’avancée de la recherche en histoire des noblesses[10]. Comme la mer, en tant qu’objet d’étude les noblesses ont fait l’objet d’une diversification des regards portés sur elles. Ainsi, plusieurs colloques internationaux ont manifesté cette extension, et cet enrichissement des manières de les aborder. Deux colloques ont récemment observé les noblesses sous l’angle de leurs mobilités, voulues ou forcées[11]. De manière plus diffuse, les élites nobiliaires font l’objet d’approches diverses, qu’il s’agisse de monographies familiales ou régionales plus ou moins thématisées[12], de synthèses[13], ou bien d’études thématiques sur les liens entre la noblesse et tel ou tel domaine[14].

Chacun de leur côté, ces champs historiographiques ont été rénovés sans pour autant jamais avoir fait l’objet d’un croisement spécifique. Si ces relations ont pu être entraperçues dans les synthèses sur l’histoire des noblesses, dans les diverses biographies des personnages les plus connus de la Marine, et sont globalement très présentes dans l’imaginaire collectif, elles sont encore le parent pauvre de l’histoire sociale. Ce colloque international se propose de remédier à cette lacune historiographique en explorant comment et sous quelles formes s’organisaient les liens qui unissaient un espace géographique et naturel, la mer, et un ordre social, les noblesses. Précisons que nous utilisons ici le terme de « noblesses » au pluriel, afin d’englober les différentes strates nobiliaires que l’on peut définir selon leurs origines et/ou leur fonction : noblesse d’épée, noblesse de robe… ; mais également selon leur niveau de fortune ou leur style de vie : noblesse aisée, noblesse pauvre, noblesse de cour, noblesse des champs… En outre, afin de prendre la mesure des transfigurations qui sont à l’œuvre, les relations mer et noblesses seront à considérer dans un cadre chronologique large du XVIe au XXe siècle, et dans un espace géographique correspondant à l’Europe et à ses prolongements coloniaux. Sans exclusive, quelques pistes pourront être privilégiées.

La mer, un espace symbolique pour les noblesses ?

Si la place que représentent l’armée et la carrière militaire sur terre dans l’imaginaire nobiliaire est bien connue et a largement été mise en évidence par plusieurs générations d’historiens, d’Hervé Drévillon[15] à Fadi El Hage[16], il n’en est pas de même pour le service sur les mers. De même, les études d’histoire nobiliaire et les monographies familiales[17] ont bien montré comment la terre, siège du château, source de la fortune occupe une position privilégiée dans les représentations sociales des noblesses. La terre est à tel point intégrée dans l’imaginaire nobiliaire qu’elle accompagne l’anoblissement : lorsque le jeune comte de La Rochefoucauld devient duc de Liancourt en 1768, c’est sa terre de Liancourt qui est érigée en duché. Ce colloque se propose donc de transposer ces études sur la relation noblesses-mer. Existe-t-il un imaginaire nobiliaire s’appuyant sur la mer en tant qu’espace symbolique ? On pourra ici se demander quelle place la mer a pu prendre dans les représentations sociales des noblesses, et si certaines familles ont pu être liées de manière consubstantielle à la mer comme de nombreuses autres l’ont été avec la terre. Dans le même élan, il serait nécessaire d’explorer les voies d’anoblissement permises par le service de la mer, ou le service de l’État sur la mer. Si les faits d’armes semblent s’imposer naturellement, qu’en est-il des lignées de négociants ? Quelles sont les porosités avec la noblesse et les anoblissements possibles ? Les réflexions pourront aussi s’orienter vers l’éducation nobiliaire. Les jeunes nobles bénéficiaient-ils, dans certains cas, d’une éducation en lien avec les espaces maritimes et les métiers de la mer ?

Servir le Roi sur mer : une vocation nobiliaire

Dans l’imaginaire collectif, la présence nobiliaire sur mer est réduite au service de la Marine militaire du Roi. Le capitaine, de bonne naissance, le dos droit sur la dunette, une lunette vissée à l’œil, telle est cette image. Si ce type de vocation est essentiel, il occulte néanmoins l’immensité des possibilités du service maritime du souverain. Ce colloque se propose d’explorer les multiplicités de ce dernier. Outre le fait militaire, servir le Roi c’est aussi participer à des missions scientifiques, à des voyages d’exploration qui ont pour objectif d’approfondir les connaissances relatives aux espaces lointains, et à terme de participer à l’expansion et à la consolidation de l’empire colonial. Quelle pouvait être la part de l’investissement nobiliaire dans ces expéditions ? Les nobles pouvaient-ils patronner une expédition d’exploration ? Ont-ils pu développer des réseaux autour de scientifiques pour le service de l’État ? Les interrogations sont nombreuses. De la même manière, il serait intéressant d’aborder le cas des innovations navales, tant en matière de construction de vaisseaux qu’en matière d’améliorations des techniques de navigation, et d’évaluer la potentielle participation de représentants du second ordre. Enfin, outre les services directement effectués sur mer, il existait une filière maritime orchestrée depuis la terre, on pense ici aux carrières de l’administration. De l’arsenal au ministère de la Marine, les nobles participaient à l’administration maritime, il s’agira de voir de quelle manière et d’estimer la présence nobiliaire dans les différents étages de cette administration. Cette rencontre devrait permettre de faire un tour d’horizon des différents types d’engagements que les noblesses pouvaient suivre pour le service de l’État sur les mers.

Secteur économique et emprise territoriale : la noblesse sur la vague des activités maritimes

Après avoir réfléchi à la place de la mer dans l’imaginaire nobiliaire et à ce que représentait le service de l’État sur mer pour les noblesses, une plongée dans des formes d’investissements plus pragmatiques et prosaïques s’impose. De la même manière que les investissements industriels des noblesses européennes ont été abordés pour la période qui court de la fin du XVIIIe siècle au XXe siècle, il serait bon d’éclaircir les implications des noblesses dans les activités économiques maritimes. En France, c’est depuis le sommet de l’Etat que des politiques incitant les nobles à participer au grand commerce ont pu être instaurées, notamment par Colbert. Cette participation ne conduisant pas à la dérogeance, le second ordre était vraiment poussé à s’investir. Outre-Manche, les familles de la noblesse n’hésitèrent pas à s’investir dans les échanges commerciaux maritimes, ne se souciant pas comme en France des problèmes posés par ces pratiques par rapport aux valeurs nobiliaires traditionnelles. Une attention particulière sera donc accordée aux communications qui se proposeront d’aborder la place des noblesses dans le commerce maritime, y compris dans la traite négrière.

Dans le prolongement des questions économiques et commerciales, une attention particulière pourra être portée aux seigneurs et seigneuries des littoraux. Sur ces espaces, la mer impose une recomposition des droits seigneuriaux et conditionne les productions seigneuriales tirées des terres possédées par les nobles. C’est le cas par exemple des salines de Saintonge dont on pourrait transposer l’exemple dans les espaces septentrionaux, tout en s’interrogeant sur ces aspects ailleurs en Europe.

Noblesses de bord de mer, un style de vie ?

Par ailleurs, il conviendra de s’interroger sur le château, lieu de vie et de la sociabilité nobiliaire. La position et la forme du château accordent une grande importance à l’environnement et aux paysages, qu’en est-il sur les côtes ? L’espace littoral conditionne-t-il la forme du château ? On pense par exemple ici au cas des Malouinières qui illustrent cette adaptation de l’espace castral à un environnement bien particulier. De la même manière, dans quelle mesure les intérieurs sont-ils marqués par l’influence maritime ? Un intérêt particulier sera porté aux loisirs nobiliaires en lien avec l’espace maritime. Dès l’époque moderne, les voyageurs nobles manifestent un intérêt pour le spectacle du port, comme Sophie von La Roche de passage à Bordeaux, mais c’est bien à partir du XIXe siècle que s’exprime un engouement pour les plaisirs balnéaires qui a pu transfigurer les paysages des littoraux (constructions de villas, d’hôtels de luxe, développements de villes balnéaires) et les interactions sociales (mondanités, développement de l’entre-soi…). Il serait alors pertinent d’évaluer, à l’échelle locale ou régionale, les différentes modalités de l’implication des noblesses dans ces nouveaux aménagements touristiques, y compris un éventuel rôle dans la promotion d’un néorégionalisme architectural.

Conditions de soumission
Les propositions de communication (titre, résumé en 300 mots et CV) sont à adresser aux deux organisateurs :

Jean-Charles Daumy, jeancharlesdaumy chez hotmail.fr
Caroline Le Mao, carolinelemao chez yahoo.com
avant le 15 décembre 2023.

Le colloque se tiendra à Bordeaux en octobre 2024

Langues du colloque : français, anglais.

Les organisateurs prendront à leur charge les frais d’hébergement, de restauration, voire une partie des frais de transport, mais les participants sont encouragés à solliciter un financement auprès de leurs laboratoires.

Notes

[1] Michel Vergé-Franceschi, Les officiers généraux de la Marine royale, 1715-1774. Origines, condition, services, Paris, Librairie de l’Inde, 1990.

[2] Philippe Bonnichon, Olivier Chaline, Charles-Philippe de Vergennes, Les marines de la guerre d’Indépendance américaine (1763-1783), I- L’instrument naval, II- L’opérationnel naval, Paris, Presses de l’Université Paris-Sorbonne, 2018 ; Jonathan R. Dull, The French Navy and american Indépendance. A Study of Arms and Diplomacy, 1774-1787, Princeton, Princeton University Press, 1975.

[3] Voir par exemples, Jean Boudriot, Le vaisseau de 74 canons. Traité pratique d’art naval, Grenoble, Éditions des Quatre Seigneurs, 1973-1977, 4 volumes ; ou encore Patrick Villliers, Les Saint-Philippe et les vaisseaux de 1er rang de Louis XIII à Louis XIV, Nice, ANCRE, 2019.

[4] Pascal Griset, Caroline Le Mao, Bruno Marnot (dir.), 400 ans d’innovation navale, Paris, Nouveau Monde, 2017.

[5] James P. Levy, The Royal Navy’s Home Fleet in World War II, New-York, Palgrave Macmillan, 2003 ; Sara Caputo, Foreign Jack Tars : The British Navy and Transnational Seafarers during the revolutionnary and napoleonic wars, Cambridge, Cambridge University Press, 2022.

[6] À titre d’exemples, pour l’Italie : Luca Lo Basso, « The Evolution of Maritime Labour in Italy in the Age of Transition, 1880-1920 », in Mediterranean seafarers in Transition Maritime. Labour, Communities, Shipping and the Challenge of Industrialization, 1850s-1920s, Leiden, Brill, 2023 ; pour le Portugal : Amelia Polonia, Seaports in the first global age. Portuguese agents, networks and interactions (1500-1800), Porto, U. Porto Ediçoes, 2016.

[7] Alain Cabantous, Les citoyens du large. Les identités maritimes en France (XVIIe-XIXe siècle), Paris, Flammarion, Aubier, 1993 ; Les mutins de la mer. Rébellions maritimes et portuaires en Europe occidentale, XVIIe-XVIIIe siècles, Paris, Les Éditions du Cerf, 2022.

[8] Olivier Chaline, La mer et la France. Quand les Bourbons voulaient dominer les océans, Paris, Flammarion, 2016.

[9] Caroline Le Mao, Fournisseurs de Marine, Bordeaux, La Geste, 2021.

[10] Jaroslaw Dumanowski, Michel Figeac (dir.), Noblesse française et noblesse polonaise. Mémoire, identité, culture, XVIe-XXe siècles, Pessac, Maison des Sciences de l’Homme d’Aquitaine, 2006 ; Jaroslaw Dumanowski, Michel Figeac (dir.), Noblesse française. Noblesse polonaise. Vingt ans après, Bordeaux, La Geste – Maison des Sciences de l’Homme d’Aquitaine, 2022.

[11] C’est le cas du colloque organisé en 2018 au Mans par Laurent Bourquin, Olivier Chaline, Michel Figeac, et Martin Wrede Noblesses en exil : les migrations nobiliaires entre la France et l’Europe (XVe-XIXe siècles), Rennes, PUR, 2021, ou encore de la rencontre organisée à Tours en 2022 par Albane Cogné, Bertrand Goujon et Éric Hassler et portant sur les noblesses transnationales en Europe (XIIIe-XXe siècle).

[12] Pour exemple, Damien Fontvieille, Le clan Bochetel. Au service de la couronne de France (XVe-XVIIe siècle), Paris, Écoles des Chartes, 2022.

[13] Voir Laurent Bourquin, La noblesse dans la France moderne (XVIe-XVIIIe siècles), Paris, Belin, 2002 ; Michel Figeac, Les noblesses en France, du XVIe au milieu du XIXe siècle, Paris, Belin, 2013.

[14] C’est le cas par exemple de la thèse de Thérence Carvalho qui montrait l’implication des noblesses dans la diffusion de la pensée physiocratique. Thérence Carvalho, La physiocratie dans l’Europe des Lumières : circulation et réception d’un modèle de réforme de l’ordre juridique et social, Paris, Mare & Martin, 2020.

[15] À titre d’exemple. Hervé Drévillon, L’impôt du sang : le métier des armes sous Louis XIV, Paris, Tallandier, 2005.

[16] À titre d’exemple. Fadi El Hage, Histoire des maréchaux de France à l’époque moderne, Paris, Nouveau Monde éditions, 2012.

[17] Voir Jean Duma, Les Bourbon-Penthièvre (1678-1793). Une nébuleuse aristocratique au XVIIIe siècle, Paris, Publications de la Sorbonne, 1995 ; ou encore Jean-François Labourdette, La maison de La Trémoille au XVIIIe siècle, Paris, Honoré Champion, 2021.

Conseil scientifique
Laurent Bourquin, Professeur d’histoire moderne, Université du Maine.
Olivier Chaline, Professeur d’histoire moderne, Sorbonne Université.
Jean-Charles Daumy, Doctorant contractuel en histoire moderne, Université Bordeaux-Montaigne.
Michel Figeac, Professeur d’histoire moderne, Université Bordeaux-Montaigne.
Caroline Le Mao, Maîtresse de conférences habilitée en histoire moderne, Université Bordeaux-Montaigne.
Anne Brogini, Professeure d’histoire moderne, Université de Nice-Côte d’Azur.