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1er nov. 2023, Rome : Les miroirs de la pourpre. Les écrits relatifs à l’ethos et aux devoirs des cardinaux (XIe-XXe siècle)

Le 22 décembre 2014, le pape François prononçait un discours devant les cardinaux qui a eu un grand retentissement notamment dans le Sacré Collège. Il y énumérait les quinze maladies qui guettent le corps de la Curie romaine (le fonctionnarisme, la médisance, l’indifférence aux autres, l’accumulation, etc.) et qui seraient particulièrement susceptibles de toucher les sénateurs de l’Église. Un an plus tard, il constatait, dans un second discours, que certaines de ces maladies s’étaient manifestées au cours de l’année écoulée et il énonçait douze remèdes ou « antibiotiques » capables à ses yeux de les prévenir ou de les guérir.
Malgré la forte volonté réformatrice qui anime alors le pape François et qu’il revendique d’ailleurs explicitement, ces deux discours s’inscrivent dans une tradition séculaire de l’Église. Cette dernière s’interroge, au moins depuis le XIe siècle, sur le comportement que devraient adopter les membres du Sacré Collège : que doit faire un cardinal, que ne doit-il pas faire et, plus profondément, qu’est-ce qu’un cardinal et que n’est-il pas ?
Les réponses à apporter à ces questions sont d’autant moins évidentes que l’existence des cardinaux est relativement récente à l’échelle du temps ecclésial et que leur raison d’être – au contraire de celle du pape, des évêques ou des prêtres – ne repose pas, au moins dans ses premiers temps, sur une justification d’ordre évangélique. C’est seulement au Moyen Âge central que les titulaires de la pourpre prennent une importance croissante dans la hiérarchie de l’Église, en particulier lorsque la bulle In nomine Domini de 1059 confie la mission aux cardinaux-évêques d’élire les souverains pontifes. Ce rôle est élargi à l’occasion de l’élection d’Innocent II, en 1130, aux cardinaux-prêtres et aux cardinaux-diacres. Le statut de la dignité cardinalice n’est défini que très progressivement, notamment au travers des règles fixées pour le conclave lors du troisième concile de Latran (1179) et du deuxième concile de Lyon (1274). Les porporati acquièrent par ce biais une nouvelle dimension ecclésiologique et politique. La nécessité de légitimer ces évolutions et de donner un cadre normatif à leur action apparaît alors comme indispensable. De nombreux écrits tentent donc, dès le Moyen Âge central, de dresser un canevas général sur lequel inscrire les fonctions et les missions des cardinaux, en évolution constante, et de justifier leur position au sein de l’Église. Les auteurs et la nature de ces écrits sont fort divers : les décrets conciliaires, les lettres pontificales, les recueils de droit canonique ou la correspondance des prélats peuvent être évoqués à titre d’exemple.

Toutefois, le genre qui semble le plus correspondre à cet emploi est sans aucun doute celui de la trattatistica qui se développe, pour le cardinal comme pour d’autres figures, à la fin du Moyen Âge et à l’Époque moderne, mais qui peut également être rapprochée de la tradition des miroirs des princes. Ces traités tentent alors d’établir un vade-mecum du bon cardinal. Le plus connu d’entre eux est le De cardinalatu de Paolo Cortesi, édité en 1510, et qui a souvent été mis en parallèle avec Le livre du courtisan de Baldassare Castiglione. De nombreuses études lui ont été consacrées, alors même que sa diffusion et ses effets ont été modestes. Cette focalisation a parfois conduit les historiens à délaisser les nombreux autres traités dédiés aux porteurs de la barrette et à sous-estimer la typologie très variée des sources ayant trait à ces questions. Outre les traités, des dialogues, des ouvrages d’histoire, de la correspondance, des articles de Presse, des biographies à caractère plus ou moins hagiographiques, des oraisons funèbres et bien d’autres types de sources s’interrogent sur l’ethos des cardinaux.
À côté de ces textes nombreux et divers, il en existe d’autres qui, au contraire, remettent en cause de manière plus ou moins virulente le cardinalat. Ces écrits se développent particulièrement dans des périodes de crises ou de remises en question de l’Église. Les critiques adressées aux membres du Sacré Collège émanent le plus souvent de l’extérieur de l’Église, celles des réformateurs protestants en donnent un exemple, mais elles peuvent aussi être formulées en son sein, comme l’illustrent certaines voix qui s’élèvent de ses rangs au moment du concile Vatican II (1962-1965).
Les cardinaux et le Sacré Collège ont fait l’objet de travaux anciens que l’historiographie est venue renouveler ces vingt dernières années. Les biographies de cardinaux ont continué d’apporter leur moisson de découvertes tandis que des études prosopographiques se sont intéressées au groupe constitué par les cardinaux. Il est ainsi possible d’observer les évolutions des cohortes cardinalices au fil des âges. Plusieurs colloques ont pris cette figure pour objet, invitant notamment à écrire une histoire des cardinaux qui ne se contenterait pas d’aborder tel ou tel aspect de leur existence, avec un accent particulier placé sur leur mécénat, mais de restituer leurs actions dans leur dimension politique et sociale.
Aborder les cardinaux et le cardinalat à partir des réflexions normatives sur leur nature et leur déontologie présente l’intérêt de participer au renouvellement historiographique en cours sur ces acteurs majeurs en déplaçant la focale sur un aspect de leur histoire méconnu et délaissé par les études. En effet, à part quelques textes de circonstance, à l’instar de celui de David S. Chambers dans le volume A Companion to Early Modern Cardinal, ou d’enquêtes ponctuelles, à commencer par celles sur le De cardinalatu de Cortesi, la réflexion théorique et normative sur les cardinaux reste à analyser. Pourtant, la mise en résonnance de ces textes permet de dégager une réflexion d’ensemble évoluant dans le temps et d’œuvrer dans la direction qu’indiquait Étienne Fouilloux, lorsqu’il appelait en 2015 à passer du « singulier au pluriel » dans un article consacré aux nouvelles approches de l’histoire des cardinaux.
Ce colloque entend donc s’intéresser aux écrits relatifs aux cardinaux et à leurs comportements sur le temps long. Une première démarche consiste à privilégier l’étude stricto sensu des traités sur le cardinalat et les cardinaux. Les approches transversales de ces textes théoriques et normatifs, constituant un genre en soi, sont à privilégier. L’objectif n’est pas de proposer une galerie de portraits d’auteurs et de textes consacrés à la pourpre, même si certains d’entre eux méritent d’être envisagés sous une nouvelle lumière, mais d’offrir une vue d’ensemble de ces textes, propre à une période, à une aire géographique ou encore à un sujet particulier.
Une seconde façon d’aborder le sujet est de s’intéresser à d’autres genres s’interrogeant sur la nature et les fonctions du cardinal. En sortant des traités du type De cardinalatu, l’enquête entend, tout d’abord, établir une typologie susceptible d’accueillir cette réflexion. Il s’agit, ensuite, d’observer les temporalités dans l’élaboration des discours sur le cardinalat. Enfin, une dimension importante de cet élargissement du questionnement tient à la prise en compte des discours critiques des cardinaux, établissant un anti-modèle, voire niant toute pertinence à la réflexion sur ce sujet.
Enfin, cette rencontre ne souhaite pas se restreindre aux questions théoriques. Elle entend discuter le rapport entre les normes et les pratiques. Il semble que bien souvent les écrits sur les cardinaux entérinent de fait des évolutions et tentent, a posteriori, de les justifier ou de les condamner. Au contraire, il faudra aussi mesurer les effets éventuels que certains textes, notamment normatifs, ont pu avoir sur le comportement des cardinaux.

Modalités pratiques :
Le colloque se tiendra à l’École française de Rome, les jeudi 23 et vendredi 24 mai 2024. Il est financé par l’École française de Rome, l’Université de Tours, le Centre d’Études Supérieures de la Renaissance, le Comité pontifical des sciences historiques et le laboratoire Droit & Sociétés Religieuses (Université Paris-Saclay).
Les communications pourront être en français, en italien ou en anglais. Les propositions de communication (max. 3000 signes espaces compris, en français, en italien ou en anglais) sont à envoyer aux organisateurs (jean.senie chez univ-tours.fr et pierre- benigne.dufouleur chez efrome.it) jusqu’au 1er novembre 2023.
Les participants bénéficieront d’un hébergement à Rome, ainsi que d’une contribution aux frais de transport.

Comité d’organisation :
 Pierre-Bénigne Dufouleur, membre de l’École française de Rome
 Jean Sénié, maître de conférences à l’Université de Tours – CESR

Comité scientifique :
Étienne Anheim, Agostino Paravicini Bagliani, Élisabeth Crouzet-Pavan, François Jankowiak, Alexander Koller, Claudia Märtl, Laura Pettinaroli, Olivier Poncet, Alain Tallon, Maria Antonietta Visceglia.