Dédicace de l’Oraison funèbre et Tombeau de Marie-Élisabeth de France (1572-1578)
Jacqueline Vons (éd.)
Comment citer ce document :
Vons, Jacqueline (éd.), Dédicace de l’Oraison funèbre et Tombeau de Marie-Élisabeth de France (1572-1578). Documents édités en ligne sur Cour de France.fr le 3 mai 2010 (https://cour-de-france.fr/article1417.html) dans le cadre du projet de recherche "La médecine à la cour de France".
Introduction
Les deux textes ci-dessous- la lettre de dédicace à Marguerite de Valois, datée du 16 avril 1578, et les neuf strophes du Tombeau qui clôt le mince volume-, sont extraits de l’Oraison funebre de treshaute et vertueuse princesse Marie Isabeau de France fille de Treshaut et Treschrestien Roy Charles IX, amateur de toute vertu, et protecteur de la Foy. Prononcee en l’Eglise Nostre-dame en Paris le 11 d’avril mil cinq cens septante huict, par A. Sorbin, dict de Saincte Foy, Predicateur du Roy, publiée à Lyon, chez Benoît Rigaud en 1578.
Ces textes sont proposés en complément de l’article publié sur Cour de France.fr Vie et mort de Marie-Élisabeth de France (1572-1578), fille de Charles IX et Elisabeth d’Autriche.
Comme toutes les pièces de circonstance, l’Oraison funèbre de Marie-Isabelle fut publiée rapidement après avoir été prononcée. L’érudition du prédicateur s’y déploie sur plus de quatorze pages, mais les références précises à la petite princesse y sont rares, sinon pour louer les qualités et les vertus dont Dieu l’avait dotée et déplorer leur perte dans un « pauvre » royaume déjà si éprouvé [1]. Si aucune indication n’est donnée sur les causes ou les circonstances de la mort, le prédicateur se console néanmoins par une série de topoi et de lieux communs, de digressions philosophiques propres à élever l’esprit de ses fidèles, et rappelle des exemples de vertu passée en paraphrasant Plutarque : « ainsi vaut-il mieux quitter cette vie mortelle en bas aage, que d’attendre que l’yvrongnerie des grandeurs, vanitez et plaisirs, nous precipitent en une infinité d’inconvenients et mal-heurs. Et (comme dist le mesme escrivant à sa femme, et la consolant sur la mort de sa jeune fille) vaut mieux mourir jeune vertueux et net des taches que nostre ame contracte avec ce corps mortel que aagé et vicieux » [2].
1. Lettre à Marguerite [3]
A treshaulte et Illustre princesse Marguerite de France, Sœur et Fille de Roys, Royne de Navarre, A. Sorbin, dict de Saincte-Foy, desire salut avec heureux accroissement en toute vertu.
Je n’eus jamais, ny auray faulte de bonne volonté, de vous faire paroistre, combien je vous honore, Madame, comme celle que je desire estre non moins perle et union de faict que de nom, Dieu vous ayant extraicte du tige de tant de Roys treschrestiens, et conservee en nos derniers temps, comme un des gages precieux de nostre nation. Mais n’ayant, pour encores, autre moyen de vous faire paroistre mon humble et toutefois ardente affection, que je conceu lors qu’en vos jeunes ans je vous vy si ardente en la foy, que mesmes il ne vous faschoit d’estre soucieuse du salut de vos domestiques, s’il y en avoit d’esbranlez : Et que mesmes quand Dieu m’auroit donné des tresors et pierres precieuses, voire des plus rares de l’Orient, je n’oseroy si hardiment vous en offrir, que des labeurs, tant soient petits, de ma main, d’autant que comme disoit Lysander, ce ne sont toujours ornemens à honneur, ains quelques fois à blasme : veu que les vicieuses en abusent, comme les vertueuses en savent user. Et que suyvant le dire de Crates, cela est ornement qui orne : et cela orne qui rend la femme plus honorable. A ceste cause j’ay pensé que ma petitesse, et le peu de ma suffisance, m’empescheroient ou destourneroient vostre haultesse de recevoir gracieusement ce mien petit present. Aussi est-ce acte de magnanimité et bonté Royale, disoit Artaxerxes, de ne prendre moins en gré les petits presens, que d’en donner de grands.
Et bien que ce petit don, en ce qui depend de mon industrie, soit de peu de valeur et estime, si est-ce qu’il est encores digne d’estre bien venu pour la grandeur et excellence du subjet. Que si l’enseignement de Socrates est recevable, disant estre bienseant et convenable à une femme, quand elle tient son miroir en main, de dire ainsi en elle mesme, si elle est laide, Que sera-ce de moy si je deviens encores vicieuse ? (adjoustant la laideur de l’ame à celle du corps) et si elle est belle, Que cera-ce au pris si je demeure sage et honneste ? Pour autant que la sage et honneste estant louee pour ses vertus plus que pour sa beauté, la belle et vertueuse est doublement à louer, et pour la vertu en general, et en particulier encores, pour savoir si bien se comporter en sa beauté : je ne puis faillir (à ceste cause) à veoir ceste mienne petite Oraison, bien et favorablement receuë de vous, pour estre un miroir propre et aux plus vertueuses, et aux plus vicieuses, et aux plus belles, et aux plus laides. Aux vertueuses, à fin qu’elles sachent quelle gloire c’est de bien mourir, et avec honorable reputation, en quelque aage que ce soit qu’on meure. d’autant que la mort n’est à estimer mauvaise, qui a esté precedee d’une bonne vie, dist le bon Père S. Augustin : et que bien souvent Dieu appelle les jeunes vertueux pour recompenser leur pieté et vertu : ainsi que les anciens profanes ont estimé des deux freres Argiens, Cleobis et Biton, payez de telle recompense, pour avoir trainé la coche de leur mere Prestresse de Juno. Le mesme nous enseigne l’escriture d’Enoc. Aux vicieuses, à fin que d’icy elles apprennent à rectifier et corriger leurs vices : Aux laides pour apprendre à réparer par vertu, ce qui semble manquer et défaillir en nature : Aux belles, à ce qu’elles taschent à si bien vivre, qu’elles ne facent chose indecente à leur beauté, et qui destruise par mauvaises actions le loz digne d’une ame logee en un corps beau, et où nature a produit le meilleur de ses actions.
C’est, madame, l’Oraison funebre de feuë Madame Marie Elisabeth vostre niepce, de qui le bas aage ne pouvoit cacher les graces et vertus rares dont Dieu l’avoit douée, pour l’ornement (entre autres occasions) de ce pauvre Royaume : et pour eriger, entre tant de miseres et calamitez publiques, l’esperance des pauvres affligez. Et puis que Dieu nous l’a prinse, que reste-il sinon que le ruisseau retourne à sa source ? L’esperance que nous avions de vous deux, se rapporte à vous, qui estes seule demeuree entre nous d’entre tant de filles extraictes de la maison de France, decedees depuis huit ou neuf ans. Que nous reste-il apres la mort de noz Roys et Princes, que trois que vous estes (nombre de toute perfection) de la consternation ou perte desquels depend, comme d’un filet, nostre ruine ou conservation ?
Acceptez donques (Marguerite choisie de Dieu pour estre la vraye perle et union de ce Royaume, qui semble chanceller sous le faix de tant de maux, et qui par vostre moyen pourra estre encores appuyé sur l’esperance de mieux) ce mien petit labeur, au moins pour tesmoin du bon desir, que Dieu m’a donné, et espere qu’il me conservera, de vous faire treshumble, utile et agreable service, et d’aussi bon cœur, que je prie (Madame) à jamais vous tenir en sa grace, saincte protection et sauvegarde. En Paris, ce 16 d’avril 1578.
Vostre tres humble et affectionné serviteur Arnaud Sorbin, dict de saincte Foy.
2. Tombeau de Madame Marie Isabeau de France [4]
Tombeau de Madame Marie Isabeau de France, Fille du Roy Treschrestien, Tresmagnanime et Tres victorieux, Charles IX.
Arreste, passant, un petit
Et voy, sous ce tombeau petit,
Non une basse creature :
Mais bien ce que tu jugeras
Quand au vray instruit en seras,
Le miracle de la Nature.
Tu diras que c’est un vray lieu
Où reluist la grandeur de Dieu,
Mettant ceste Fille de France
En ce centre : pour, là, tenir
Ce qui semble en soy contenir
Du Monde la circonference.
C’est la fille de tous nos Roys,
(Environ de soixante trois)
Et dont la mere fut extraicte
De neuf Empereurs des Romains,
Austrichiens princes humains,
Famille en vertu tres-parfaicte.
Ce n’est pas tout : son père fut
(Pour le peu de vie qu’il eut)
Des plus accomplis de la terre :
Fust en grandeur d’entendement,
Fust en conseil, pour sagement
Chasser les troubles et la guerre.
C’estoit le prince qui souloit,
Toute et quante fois qu’il vouloit,
Parfonder les œuvres secrettes :
Et renverser heureusement,
Tant pouvoit son commandement,
Les plus furieuses tempestes.
L’Heretique creve d’ennuy,
Ayant souvenance de luy,
Et ne peut souffrir sa mémoire :
Non plus qu’icy l’homme mortel
Ne peut, du haut Dieu immortel
Souffrir, ou contempler la gloire.
Atrope, ennuiant en son cœur
La gloire de ce Roy vainqueur,
Le feit mourir en sa jeunesse :
Et pour redoubler nostre ennuy,
A mis encor, aupres de luy,
Le corps de si jeune Princesse.
Pleure donc, Passant, quant et moy,
Et m’ayde à soustenir l’esmoy
Que j’ay d’une perte si grande :
Et offre, en contemplation
De ce Roy, ta devotion,
Tes pleurs, ton encens, ton offrande.
Prie que Marie Isabeau
Obtienne quelque temps plus beau
Sur sa nation desolee,
Qui n’espere pas avoir mieux,
Si le secours ne vient des cieux,
Pour se voir un jour consolee.
Plus bien que rien.
Notes
[1] Oraison, p. 5.
[2] Ibid., p.7.
[3] Ibid. p. 3-6. Le choix de la dédicataire est justifié. Marguerite de Valois s’était liée d’amitié avec la jeune reine, et était restée en contact avec elle, même après le retour de cette dernière en Allemagne. Je renvoie à l’article Vie et mort de Marie-Élisabeth de France (1572-1578) pour les références historiques. La date placée à la fin de l’épître est postérieure à celle de la cérémonie ; le texte a donc pu être remanié entretemps, en vue de sa publication. La transcription respecte l’orthographe et la ponctuation du texte original (sauf dans le cas des i placés au début des noms devenus j pour faciliter la lecture).
[4] Ce texte rimé en octosyllabes, signé P. A. S. D. D. S. F., clôt le libelle.