Accueil / Actualités / Événements / Appels à communication / 12 avr. 2024, Namur : Les lieux de l’acte. (...)

12 avr. 2024, Namur : Les lieux de l’acte. Analyses spatiales et spatiographiques des sources diplomatiques

Le réseau Diplo21 (https://diplo21.hypotheses.org/) organise des rencontres scientifiques visant à offrir un espace de dialogue et de débat indépendant des traditions historiographiques nationales à de jeunes chercheur·ses consacrant leurs travaux à la diplomatique et aux pratiques de l’écrit de l’Europe médiévale. Le premier thème retenu est celui des « Lieux de l’acte ». Il s’agira notamment de montrer que la diplomatique participe au spatial turn pris par les sciences humaines et sociales depuis les années 1970-1980.

Trois axes de recherche sont proposés. Il s’agira d’abord de s’intéresser aux logiques spatiales de l’élaboration des actes, en s’intéressant à la géographie des chancelleries, bureaux d’écriture ou greffe, mais aussi en analysant les dates de lieu des chartes, et ce qu’elles peuvent révéler des négociations entre les autorités et les bénéficiaires des actes, ainsi qu’en interrogeant l’existence d’un « marché de l’acte » (axe n° 1). L’attention pourra aussi porter sur la manière dont les sources diplomatiques permettent de révéler les perceptions que leurs rédacteurs ou leurs bénéficiaires se faisaient de l’espace, par l’étude des confronts, par celle du vocabulaire spatial, voire territorial, ou encore par celle des éventuelles logiques topographiques guidant en leur sein l’ordre des biens, droits et revenus (axe n° 2). Enfin, les participant·es seront invités à considérer les actes eux-mêmes comme des lieux et à interroger la place des symboles graphiques vis-à-vis du texte, la manière dont celle-ci est rendue ou négligée lors de la copie des actes notamment dans les cartulaires et les moyens actuels à leur disposition pour modéliser l’espace des chartes (axe n° 3).

Axe n° 1 : Spatialiser le processus d’élaboration des actes
a) Un tel sujet pose d’abord la question, assez classique en diplomatique, des lieux où les actes, chartes et diplômes, publics ou privés, furent élaborés : chancelleries, bureaux d’écriture et greffes. L’intérêt porte alors sur le personnel qui y travaillait, sur l’organisation et le fonctionnement de ces institutions, sur les formulaires qui s’y appliquaient et sur la manière dont ils évoluaient. La question de la rédaction par les bénéficiaires amène à considérer d’autres lieux et, en particulier, les scriptoria des monastères et collégiales. Les participant·es sont invité·es à prendre en considération la géographie de ces lieux d’élaboration des actes, à l’échelle d’un royaume mais aussi à celle bien plus locale. Se pose également la question de la circulation des formules et formulaires entre institutions, d’un lieu d’élaboration de l’acte à un autre. L’analyse des réseaux et les possibilités offertes par les humanités numériques et, en particulier, par les systèmes d’information géographique permettent de renouveler le questionnement.

b) Les eschatocoles des chartes comportent parfois des « dates de lieu » (Actum Atrebati, Datum apud Pruvinum…). Celles-ci ont souvent été utilisées par les historien·nes pour retracer les itinéraires des rois et des princes, ce qui a permis de mieux comprendre leurs pratiques de gouvernement et d’administration, tant à l’époque carolingienne qu’à la fin du Moyen Âge[1]. La formulation de ces dates de lieu a déjà fait l’objet d’études, qui se sont intéressées à leurs variations, chronologiques et régionales[2]. Les diplomatistes se sont aussi déjà demandé s’il s’agissait de noter le lieu de l’approbation royale ou princière des actions juridiques ou bien le lieu de rédaction ou de remise des documents – ce fut l’objet d’un débat entre Ferdinand Lot et Léon Levillain. Plus récemment, Jean Dufour a émis l’hypothèse d’une différence entre « l’approbation royale donnée à l’acte juridique (actum) et la délivrance de l’acte écrit (datum)[3] ». Les dates de lieu, plus ou moins développées et précises, gardent la mémoire des localités et, à l’intérieur de celles-ci, des bâtiments ou des endroits bien spécifiques dans lesquels les actions juridiques se sont déroulées et ont été mises par écrit ou dans lesquels les chartes ont été données à leurs bénéficiaires. Ces dates de lieux témoignent, dès lors, des logiques spatiales ayant conditionné l’élaboration des chartes et, en particulier, des logiques propres aux bénéficiaires qui choisirent de venir en tel lieu plutôt qu’en tel autre pour solliciter la rédaction des documents ou pour se les faire remettre[4]. Tout en tenant compte de la dimension symbolique du choix de certains lieux, il importe aussi de prendre en compte d’autres raisons, plus prosaïques, dont certaines sont spatiales ou circonstancielles : la fréquence ou la rareté du séjour d’un roi ou d’un prince dans tel lieu, l’origine géographique des bénéficiaires, l’implantation de leur temporel, l’urgence ou non de leur petitio, la nature de l’acte demandé…

D’autres parties du discours diplomatique (exposé, dispositif, mentions hors teneur…) peuvent par ailleurs contenir des informations sur les lieux dans lesquels les transactions ont été négociées ou conclues, les actes rédigés puis remis à leurs bénéficiaires, au cours on non d’une cérémonie diplomatique. Les chartes-notices offrent même parfois des récits, qui mettent en avant des lieux et renseignent sur le « parcours de l’acte », des premières négociations entre les parties à la remise de la charte.

c) Certaines transactions sont mises par écrit devant un notaire public ou un tabellion. Le recours à ces professionnels de l’écrit amène à s’interroger sur l’existence d’un « marché de l’acte au Moyen Âge » et à réfléchir à son organisation spatiale : en 1395, par exemple, les habitants de Bar-sur-Aube préférèrent aller à la Ferté-sur-Aube, localité sise à une vingtaine de kilomètres, pour faire rédiger un contrat, parce qu’ils trouvaient que le tabellion de leur ville était trop cher[5]. Là encore, il s’agit de mesurer comment les analyses de réseaux et le traitement des informations par les SIG permettent de renouveler la compréhension de ces « marchés de l’acte », présents et structurés à plusieurs échelles.

Axe n° 2 : Les sources diplomatiques et la (re)construction de l’espace
a) Dans les actes de la pratique, les scribes et notaires doivent souvent décrire des terres et d’autres biens immobiliers. Il leur faut alors savoir « mesurer les terres[6] » et avoir « le sens des limites[7] ». L’étude des confronts peut ainsi être menée, d’autant qu’elle peut être renouvelée par l’apport des humanités numériques. Le traitement informatisé des confronts a d’ailleurs déjà été abordé par les spécialistes des cadastres urbains médiévaux[8]. En plus de l’étude de ces formules et de leur vocabulaire technique, il s’agit d’appréhender comment les sources diplomatiques participent à la construction de l’espace et témoignent de la perception de celui-ci, de sa mise en ordre, voire même de sa reconstruction en fonction de l’intérêt des autorités ou des bénéficiaires.

b) L’ordre des biens, droits et revenus dans les privilèges ou chartes récapitulatives et confirmatives du temporel des églises, de même que le classement des actes dans certains cartulaires peuvent répondre à des logiques topographiques (par diocèses, archidiaconés, granges, villes…) et correspondre à un « espace vécu[9] » (itinéraires de perception de cens ou de visites épiscopales…) ou bien à une « géographie mentale[10] » propre à chaque rédacteur, cartulariste ou institution[11].

c) Enfin, les toponymes cités dans les actes peuvent être utilisés par les chercheur·ses qui veulent spatialiser des phénomènes socio-politiques ou culturels : par exemple, celles et ceux qui étudient l’émergence de « territoires[12] », « espace de projection d’une institution » (Max Weber), ecclésiastique ou laïque ; de même, il a été tenté de mettre en relation les centres de production d’actes et les édifices dits « romans[13] ». Les participant·es pourront à ce titre s’intéresser à l’évolution du vocabulaire de l’espace dans les actes et se demander si, en la matière, les sources diplomatiques présentent des spécificités vis-à-vis d’autres types de sources médiévales. À la suite d’autres chercheur·ses, les participant·es pourront enfin se demander si certaines évolutions diplomatiques ou documentaires ne traduisent pas des évolutions de la dimension spatiale du dominium et, plus largement, de la perception et de la représentation de l’espace au Moyen Âge[14].

Axe n° 3 : Les actes analysés comme des espaces
a) Les chartes médiévales sont dotées d’un certain nombre de symboles graphiques, participant à leur validation : chrismes, croix de souscriptions, monogrammes, rota, légendes chirographaires, seings manuels, etc. Ceux-ci ont attiré l’attention des chercheur·ses[15]. La peau de parchemin sur laquelle la charte est rédigée peut alors être considérée comme le lieu où ces signes sont représentés : leur taille, leur forme et l’évolution de celles-ci, mais surtout leur emplacement sur la peau de parchemin peuvent fait l’objet d’analyses et de comparaisons.

b) Lors de la réalisation de pseudo-originaux ou de cartulaires, les signes graphiques que portent les originaux peuvent être reproduits ou imités. Or, la manière dont ils le sont, avec plus ou moins de soin, avec modification ou non, ainsi que leur emplacement sur le pseudo-original ou dans le cartulaire peuvent révéler certaines des intentions des faussaires et des cartularistes[16]. Il faut aussi se poser la question des compétences nécessaires à ces copistes pour imiter des symboles graphiques plus ou moins complexes.

c) Les participant·es seront enfin invité·es à réfléchir à des représentations et modélisations graphiques de l’espace des chartes et des cartulaires. Ils pourront ainsi s’inspirer de la chorématique, mise en place par des géographes afin d’arriver à des modélisations spatiales[17], pour réfléchir à une méthode comparable qui permettrait de modéliser l’espace des sources diplomatiques et ainsi faire émerger de nouvelles typologies documentaires par l’examen de la disposition entre le texte, dont il ne faudra pas négliger la mise en forme (premières lignes en capitales ou non, éventuelles listes des témoins disposées en colonne ou en ligne, le traitement de certaines majuscules…), et les symboles graphiques ci-avant évoqués.

Modalités de soumission

L’appel s’adresse en priorité aux jeunes chercheur·ses consacrant leurs travaux à la diplomatique et aux pratiques de l’écrit de l’Europe médiévale. Les communications, d’une durée maximale de vingt-cinq minutes, seront suivies d’un temps de discussion. Les propositions de communication pourront être rédigées en allemand, anglais, français et italien. Elles feront entre 3 000 et 4 000 caractères (espaces compris) et devront préciser dans quel(s) axe(s) du présent appel elles s’inscrivent. Elles seront accompagnées d’une courte biographie indiquant affiliations et dernières publications (10-15 lignes), suivie des coordonnées des chercheur·ses. Ces documents devront être envoyés à l’adresse suivante : contact.diplo21 chez gmail.com avant le 12 avril 2024

Comité d’organisation
Hannes Engl (Aachen), Thomas Lacomme (Université de Namur, FNRS), Émilie Mineo (Université du Luxembourg), Robin Moens (RWTH Aachen University, Université de Namur), Nicolas Ruffini-Ronzani (Université de Namur, Archives de l’État) et Timothy Salemme (Université du Luxembourg), pour le réseau Diplo 21

À propos du colloque
Le colloque aura lieu les 10 et 11 octobre 2024, à l’Université de Namur. Langues acceptées pour les communications : allemand, anglais, français et italien. Prise en charge probable des frais de transport et d’hébergement des participants.