15 avr. 2022, Mulhouse : Langues et diplomaties (XVe siècle à nos jours)
Colloque international, 7-9 décembre 2022, Mulhouse
Latin, français puis anglais, le principe d’une lingua franca semble indissociable de la pratique diplomatique. Pour autant, quel que soit son usage, la diplomatie, à l’échelle européenne comme mondiale, demeure fondamentalement plurilingue, comme l’ont (dé)montré les travaux de ces vingt dernières années. L’existence même de la diplomatie repose sur la communication verbale et non verbale, écrite comme orale, entre plusieurs entités (États, acteurs non étatiques ou non souverains, organisations non gouvernementales, institutions infra- ou supranationales, villes libres, etc.) aux pratiques et usages linguistiques propres. L’établissement d’une communication repose donc sur la recherche, à défaut d’une langue commune, d’un langage commun qu’il soit symbolique, cérémoniel, curial ou politique. À ce titre, il s’agit pour les acteurs de la pratique diplomatique de témoigner moins de leur maîtrise d’une langue que de celle des enjeux sous-jacents au dialogue noué en mobilisant des codes verbaux partagés. La recherche d’une langue commune ne relève ainsi pas seulement d’une neutralité ou d’une bilatéralité linguistique mais également d’une capacité à transmettre par et dans la langue un message politique. En contexte d’intenses négociations comme les congrès de paix, la détermination d’une ou plusieurs langues, pour les discussions comme pour les traités, donne lieu à de véritables jeux de pouvoirs. Dans certaines situations, qu’elles soient volontairement ou non créées par les acteurs diplomatiques (intérêts politiques discordants, absence de culture politique commune, modalités distinctes de sociabilité, etc.), aucune langue communément maîtrisée par les parties n’émerge, rendant obligatoire l’usage de la traduction qui peut tout autant faciliter, entraver, mettre à distance que pervertir ce dialogue pourtant essentiel à la pratique diplomatique – on connait le potentiel de malentendus politiques engendrés par la traduction d’un « ainsi que » dans les accords de Locarno (1925) tandis que la traduction non littérale des propositions originales par les médiateurs pontificaux à Münster (1648) et Nimègue (1678) a contribué à la construction d’un « langage de la paix » conciliant les différends entre les deux parties.
À l’image de la traduction, cet usage éminemment politique des langues, le contrôle exercé par la diplomatie sur le choix, l’usage et même la maîtrise des langues lui confèrent une réelle importance dans la pratique quotidienne de la diplomatie par-delà la question symbolique. Entre audiences, entretiens, correspondances et collectes d’informations, les agents diplomatiques et autres acteurs des relations internationales sont amenés, parfois indistinctement, à mobiliser plusieurs langues, posant autant la question de leur formation initiale, des facteurs linguistiques pouvant entraver l’exercice diplomatique, que des raisons présidant au choix de chaque langue : simple commodité, habitude culturelle, obligation politique. À ce titre, une généalogie des usages linguistiques au sein des représentations permanentes permettrait d’identifier des négociations anciennes quant au choix d’une langue ou, à l’inverse, un consensus immédiat faute d’enjeu symbolique. Par ce biais, il serait possible d’interroger la part d’acquis, de revendiqué et de potentiellement conflictuel dans les usages linguistiques en contexte diplomatique mais également de mesurer l’évolution des pratiques linguistiques en tenant compte de facteurs contextuels et structurels. Ainsi, à l’époque moderne, alors que les enjeux politiques sont particulièrement forts dans des Cours où, pourtant, les principales langues sont maîtrisées par une large partie de la société européenne, les Cours plus périphériques offrent de réels enjeux linguistiques (langues peu communes, multilinguisme au sein des administrations) avant même les enjeux politiques (affirmation de la souveraineté et/ou d’une place dans le concert européen). Pour autant, l’uniformisation progressive des pratiques linguistiques diplomatiques à partir du XVIIIe siècle et à l’inverse la professionnalisation des agents diplomatiques conduisant à une meilleure maîtrise linguistique, rééquilibre progressivement les enjeux mais surtout insuffle de nouvelles pratiques tant linguistiques que diplomatiques. Les relations entre les puissantes compagnies de commerce européennes d’un côté et les acteurs non européens de l’autre ont rendu nécessaire une professionnalisation avant la lettre, la formation de secrétaires, traducteurs et interprètes dont le rôle de go-betweens et cultural brokers dépassait largement les enjeux de la médiation linguistique.
Par cette approche volontairement englobante tant sur le plan de la chronologie que de l’espace, il s’agira de mettre en valeur les stratégies d’adaptation (apprentissage d’une nouvelle langue, traduction, choix de ses interlocuteurs, etc.) pour mettre en œuvre une pratique diplomatique (collecte d’informations, audiences, correspondances) mais surtout pour construire, défendre ou imposer une certaine conception, politique, sociale et culturelle, de celle-ci et de son exercice.
Parallèlement, les contributeurs seront invités à mettre en regard la structuration et spécialisation progressive de la diplomatie européenne avec l’évolution des pratiques linguistiques afin notamment de déterminer les phénomènes d’interpénétration et de co-construction entre les pratiques diplomatiques et linguistiques sous un angle à la fois culturel (apprentissage et connaissance des langues, sociabilité européenne, etc.), institutionnel (formation et professionnalisation des agents, bureaux des interprètes, etc.) et politique (souverainetés nationales, concert européen, etc.).
Enfin, il s’agira d’interroger le rapport entretenu par les agents diplomatiques eux-mêmes à ces langues, tour à tour nécessité, outil et contrainte. Un travail pourra notamment être mené sur les évocations par les agents de leurs propres pratiques (et éventuellement de leurs homologues). Souvent peu mentionnées, au même titre que nombre de pratiques quotidiennes de la diplomatie, elles participent de l’implicite de toute pratique reposant sur une communication verbale. Sans sur-interpréter la présence ou l’absence de telles mentions, celles-ci n’en demeurent pas moins l’expression directe de la pratique diplomatique qu’il s’agisse de reconnaître (ou déguiser) des obstacles linguistiques, d’en solliciter la résolution ou de retranscrire par écrit, plus ou moins fidèlement, un échange oral dont les conditions linguistiques constituent un élément essentiel à l’appréhension de la qualité et fiabilité de l’échange mené par l’agent.
Seront bienvenues des contributions s’inspirant de ces questionnements sur l’une des trois périodes historiques (Moyen Âge, temps modernes, période contemporaine), des études transpériodes et/ou interdisciplinaires, ouvrant des perspectives sur le droit international, la science politique, la linguistique, la sociologie ou les études interculturelles.
Les langues du colloque seront le français et l’anglais. Les propositions (rédigées dans l’une des deux langues, 2.000 caractères maximum, espaces compris, et un CV court) sont à envoyer avant le 15 avril 2022 à colloque.langues-diplomatie chez gmail.comet seront évaluées par le comité scientifique. Les auteurs des propositions retenues seront informés avant le 15 juin 2022. Une prise en charge des frais de déplacement et d’hébergement est prévue.
Bibliographie indicative :
– Aspects of Multilingualism in European Language History, dir. K. Braunmüller et G. Ferraresi, J. Benjamins, 2003.
– L. Badel, Diplomaties européennes, XIXe-XXIe siècle, Presses de Sciences Po, 2021.
– Les cours comme lieux de rencontre et d’élaboration des langues vernaculaires à la Renaissance (1480-1620), dir. J. Balsan et A.L. Bleurer, Droz, 2016.
– Cultural translation in early modern Europe, dir. P. Burke et R. Po-Chia Hsia, Cambridge University Press, 2007.
– I. Dasque, Les Diplomates de la République (1871-1914), Sorbonne Université Presses, 2020.
– Le diplomate au travail : Entscheidungsprozesse, Information und Kommunikation im Umkreis des Westfälischen Friedenskongresses, dir. R. Babel, Oldenbourg, 2005.
– Écrivains et diplomates. L’invention d’une tradition, XIXe-XXIe siècles, dir. L. Badel, G. Ferragu, S. Jeannesson et R. Meltz, Armand Colin, 2012.
– Frieden übersetzen in der Vormoderne. Translationleistungen in Diplomatie, Medien und Wissenschaft, dir. H. Duchhardt et M. Espenhorst, Vandenhoeck & Ruprecht, 2012.
– Les langues de la négociation. Approches historiennes, dir. D. Couto et S. Péquignot, Presses Universitaires de Rennes, 2017.
– S. Lusignan, La langue des rois au Moyen Âge. Le français en France et en Angleterre, PUF, 2004.
– Verständigung und Diplomatie auf dem Westfälischen Friedenskongress. Historische und sprachwissenschaftliche Zugänge, dir. A. Gerstenberg, Böhlau, 2013.
– F. Waquet, Le latin ou l’empire d’un signe (XVIe-XXe siècle), Albin Michel, 1998.
– Zwischen Babel und Pfingsten. Sprachdifferenzen und Gesprächverständigung in der Vormoderne (8.-16. Jahrhundert), dir. P. von Moos, Lit, 2008.
Comité d’organisation
– Guido Braun, professeur d’histoire moderne, Université de Haute-Alsace
– Camille Desenclos, maîtresse de conférences en histoire moderne, Université de Picardie Jules Verne
– Renaud Meltz, professeur d’histoire contemporaine, Université de Haute-Alsace
Comité scientifique
– Lucien Bély, professeur d’histoire moderne, Sorbonne Université
– Dejanirah Couto, maîtresse de conférence HDR en histoire du monde portugais, EPHE
– Isabelle Dasque, maîtresse de conférences en histoire contemporaine, Sorbonne Université
– Stanislas Jeannesson, professeur d’histoire contemporaine, Université de Nantes
– Isabella Lazzarini, professeure d’histoire médiévale, Università degli Studi del Molise
– Virginie Martin, maîtresse de conférences en histoire moderne, Université Paris 1 Panthéon Sorbonne
– Stéphane Péquignot, directeur d’études, EPHE
– Vladislav Rjéoutski, chercheur en histoire moderne, Institut historique allemand de Moscou