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15 déc. 2024, Rennes : Voix de femmes sur la noblesse

Colloque international
Institut catholique de Rennes

Organisation :
Bertrand Goujon (Université de Reims Champagne-Ardenne, CERHiC – UR 2616)
Camille Pollet (CRH – UMR 8558, CRHIA – UR 1163)
Clément de Vasselot (Institut catholique de Rennes, CESCM – UMR 7302)

Entre 1637 et 1644, la comtesse d’Aranda, Luisa de Padilla y Manrique, publie quatre ouvrages à la fois théoriques et didactiques sur la question de la noblesse. Les trois premiers sont publiés sous le nom de son confesseur, mais le dernier l’est sous le sien propre. Si le cas de cette autrice de quatre traités moralistes et théoriques sur la noblesse est, à bien des égards, exceptionnel, il n’est cependant pas isolé puisque nombre de femmes, appartenant ou non à l’aristocratie, aux époques médiévale, moderne et contemporaine, à travers différents types d’écrits et grâce à d’autres supports d’expression, ont abordé la question et pris position dans les réflexions et les débats sur ce qu’est la noblesse ainsi que sur la façon dont ses membres devraient se conduire. Alors que l’histoire des femmes et du genre a mis en lumière les modalités de l’agentivité féminine et que la part féminine du groupe aristocratique a été bien étudiée, il convient de se demander non seulement comment ces femmes concevaient leur place au sein de ce groupe et au sein de la société dans son ensemble, mais également dans quelle mesure et selon quelles modalités elles étaient susceptibles de (ou enclines à) l’exprimer.

Se pose alors la question des débats autour du concept de noblesse, dont les acceptions sont plurielles au fil du temps et dans les différents espaces politiques européens. Entendu comme une qualité morale et comportementale censée distinguer un groupe élitaire et constituant la pierre angulaire de « l’idée de noblesse » (Philippe Contamine), il a aussi été très progressivement et partiellement encadré sur le plan juridique à partir des xive et xve siècles, puis à l’époque moderne, au travers des anoblissements, des exemptions fiscales, des privilèges divers, etc. Si ces derniers sont peu à peu remis en cause, abandonnés ou abolis dans l’espace européen, la persistance de définitions juridiques et d’une « culture d’ordre » (Claude Isabelle Brelot) singulière invite à ne pas réduire la noblesse à un simple « phénomène d’opinion » (Adeline Daumard) dans l’Europe des longs xixe et xxe siècles.

L’importance donnée par de nombreux théoriciens de la noblesse à la dimension héréditaire invite naturellement à s’interroger sur la place que les femmes s’attribuaient dans le processus de transmission de la qualité ou du statut nobiliaire, l’ascendance maternelle, suffisante aux xe-xie siècles, étant progressivement battue en brèche dans une large partie de l’Europe, voire presque totalement invisibilisée en France, où seule l’hérédité masculine rend noble. Elle suppose aussi de s’intéresser aux discours féminins sur les mécanismes de transmission des biens, des titres et des offices au sein des familles nobles. Elle invite également à se pencher sur la perception que ces femmes avaient de leurs rôles, que ce soit dans l’espace public (action politique, gouvernance domaniale) ou sur le plan domestique (gestion, éducation de la nouvelle génération), en prenant en compte non seulement le poids des assignations de genre, mais aussi leurs éventuelles contestations et recompositions. Se pose en outre la question du regard des femmes d’origine non-noble sur le groupe social qu’elles intègrent par mariage ou par anoblissement, ainsi que de celui des femmes nobles ayant prononcé des vœux religieux.

L’expression des femmes sur la noblesse amène, bien sûr, à questionner leur auctorialité, la légitimité à laquelle elles prétendent sur ce sujet, l’éventuelle spécificité genrée de leurs arguments et de leurs positionnements ou, au contraire, leur reprise de points de vue et de raisonnements d’auteurs masculins – sans exclure le possible recours à des voix féminines, réelles ou fictives, par des hommes.

Les « voix » de femmes sur la noblesse renvoient à tout l’éventail des modes d’expression, depuis le traité savant jusqu’au blog. Au travers d’études de cas, de comparaisons ou de vues d’ensemble, on pourra chercher à comprendre les situations sociales dans lesquelles des femmes ont pris la plume – ou se sont saisies d’autres supports – pour prendre part à la réflexion sur la noblesse, à mesurer l’inscription de ces prises d’écriture – ou de parole – parmi les dispositifs juridiques, les mœurs et les usages du temps, ou encore à contextualiser les modalités de circulation et de publicisation de ces points de vue et à analyser leurs enjeux politiques, sociaux et genrés. On pourra mettre en lumière les dépendances envers d’autres acteurs, masculins ou féminins, de ces expressions féminines et de leur diffusion. Demeure enfin la question du public, de la réception, des usages et de la temporalité de ces points de vue féminins sur la noblesse et de leurs supports d’expression.

Ce colloque invite donc à confronter, d’une part, l’histoire des femmes, et, plus spécifiquement, celle de l’auctorialité et de l’expression féminines, sans réduire celles-ci au simple champ de l’écriture, et, d’autre part, celle de l’aristocratie et du concept de noblesse en particulier. Il s’agira de réfléchir sur tout discours féminin véhiculant des idées à propos de la noblesse, provenant d’une membre de la noblesse, d’une femme extérieure à celle-ci ou d’un personnage féminin fictif. En vue de saisir les évolutions sur le temps long et de faire émerger une réflexion comparative, il se veut transpériodique, portant sur l’espace européen de la période médiévale à l’époque contemporaine. Ce cadre temporel et géographique doit amener à dégager aussi bien les continuités que les évolutions et les spécificités chronologiques et régionales. Les contributions sont susceptibles d’aborder un large éventail de sources : traités théoriques, sources épistolaires ou diaristes, mémoires, œuvres littéraires, représentations artistiques et musicales, voire sources orales pour l’époque contemporaine, etc. Le colloque appelle donc à une approche interdisciplinaire, dans la mesure où ses thématiques peuvent être abordées tant du point de vue de l’histoire, que de la littérature, de la sociologie, de l’histoire de l’art, de la musicologie, etc.