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15 mars 2023, Cerisy-la-Salle : Seigneurs et maîtres : dominer en Normandie médiévale (XIe-XVe siècle)

Héritière du latin médiéval « dominium », la notion de domination invite à reconsidérer l’histoire de la société normande médiévale, ses sources (textuelles, iconographiques, archéologiques, numismatiques, etc.) et les relations de pouvoir qui s’y jouent. Le « dominium », dont découlent nombre de mots médiévaux, du « dominus » au « domeigne », est, selon Alain Guerreau, un « rapport social original constitué par la simultanéité et l’unité de la domination sur les hommes et sur les terres ». Si le concept n’apparaît jamais en tant que tel dans les sources écrites, il est de plus en plus employé par les historiens, dans une perspective interdisciplinaire, comme en témoigne le récent programme « Domination : formes et modalités de la gouvernementalité médiévale ». Dans la continuité de plusieurs rencontres récentes du cycle « Normandie médiévale » au Centre Culturel International de Cerisy-la-Salle (Manche), le colloque tirera lui aussi profit du dialogue avec les sciences humaines et sociales – on pense notamment aux travaux de Max Weber, Pierre Bourdieu et James Scott – pour comprendre les ressorts de la domination en Normandie. Contribuant à ces nouvelles approches, les outils récemment développés dans le champ des humanités numériques pourront être mobilisés par les communicants.

Qui détient le pouvoir ? Du règne fondamental du duc Richard II (996-1026) au recouvrement du duché par Charles VII en 1450, la Normandie a souvent changé de maître. Disputée par plusieurs dynasties jusqu’au milieu du XVe siècle – « Rollonides », Plantagenêts, Capétiens, Lancaster – conquise et occupée à plusieurs reprises, la principauté normande est aussi le théâtre de conflits internes entre ses différents composantes (princes, communautés ecclésiastiques, aristocratie, communautés d’habitants rurales et urbaines) pour le contrôle des hommes et des ressources. Dominer n’est pas le privilège de quelques-uns : hormis quelques figures habituelles du pouvoir qu’il faudra réinterroger, du roi à l’évêque et de l’abbé au comte, d’autres groupes, tels que les « coqs » de village (vavasseurs, laboureurs, etc.), le patriciat urbain (maires, négociants, etc.) et les administrateurs (prévôts, sergents, etc.) seront examinés. Leur appartenance commune aux élites ou à une aristocratie pourra également être débattue.

Il s’agit de considérer la domination autrement que comme une somme de rapports binaires (seigneur/dépendant, clerc/laïc, prince/sujets), figés (une domination chasse l’autre ou peut être contestée) et compartimentés (économique, social, politique, culturel, etc.). Son imbrication et ses effets cumulatifs, à différents échelons de la société, sont donc constitutifs de la domination : un dominant peut aussi être un dominé et plusieurs formes de domination peuvent s’exercer sur un seul individu ou un seul groupe. En effet, d’après Michel Senellart, la domination « n’a d’autre but que de se renforcer indéfiniment ».

Toutefois, la domination n’est pas un synonyme de pouvoir ou de gouvernement. Construite à hauteur d’homme, par une large gamme de relations qui s’entrecroisent dans tous les aspects de l’existence, la notion met l’accent sur la complexité du jeu des acteurs dans la société normande des XIe-XVe siècles. Sur une période de près de cinq cents ans, les changements politiques et dynastiques, les événements épidémiques ainsi que les transformations économiques et sociales de fond ont recomposé les rapports de domination. C’est pourquoi une attention particulière sera portée à leurs dynamiques, leurs rythmes et leurs réactivations épisodiques. D’autres questionnements pourront aussi être soulevés, tant du point de vue de la place des femmes dans les mécanismes de la domination que de l’évolution de certaines formes de pouvoir dans le temps, comme le périmètre de compétences des charges et offices.

Comment les dominants s’imposent-ils ? Pour construire et maintenir leur pouvoir, les dominants usent de tout un ensemble de stratégies, de discours, de relations et de techniques de gouvernement spécifiques, qu’il est nécessaire d’analyser. Si la coercition ou l’emploi de la violence viennent de prime abord à l’esprit, d’autres formes de contrôle social existent. Par exemple, la féodalité normande demeure un enjeu crucial fondée sur la relation entre un seigneur et son vassal. Le langage et les discours de la domination (titulature, monnaie, patronage littéraire, etc.) participent de même à la légitimation du pouvoir et aux mécanismes de la distinction sociale. Au-delà d’une forme de contrainte, elle s’accompagne d’une justification de l’ordre social, dont les relais et la réelle pénétration dans la société peuvent être interrogés, ce qui soulève le problème de l’association au pouvoir et du consentement des populations.

Où les dominants exercent-ils leur pouvoir ? Les intervenants sont invités à réfléchir aux instances et aux lieux de la domination. Bien que la seigneurie et la paroisse permettent le contrôle des populations, d’autres territoires peuvent être étudiés tels que les cours princières, les communes urbaines, les ateliers et les circuits judiciaires. Le fonctionnement et la gestion interne des seigneuries, notamment par la perception des redevances et des coutumes, sont aussi à envisager. Pour approfondir les travaux de Charles Homer Haskins, de Joseph Strayer et Thomas Bisson, on s’attachera, en outre, à décrire le rôle des acteurs au sein des institutions, plus que des institutions elles-mêmes. Quel est le périmètre d’action des comtes, des baillis, des vicomtes, des officiers de l’Échiquier et des prévôts ? Dans quelle mesure se superposent ou se concurrencent-ils ? En outre, la domination s’inscrit concrètement dans le paysage et la vie quotidienne par le recours à des politiques de construction, à l’aménagement des territoires ainsi qu’à des stratégies de distinction sociale. Si la place du château et des fortifications dans la société médiévale normande a fait l’objet de nombreuses recherches depuis les travaux pionniers de Michel de Boüard, le colloque souhaite tirer parti de l’apport récent des études archéologiques sur les résidences élitaires, les infrastructures seigneuriales (fours, granges dîmières, moulins, pêcheries, ponts, gués, parcs, routes, etc.), l’habitat rural et la culture matérielle.

Afin de souligner les spécificités des structures sociales normandes (dont l’originalité doit aussi être interrogée), les interventions s’inscriront dans un cadre chronologique élargi, allant du début du XIe siècle à la fin du XVe siècle, qui permettra de confronter des cas de figure et des situations variées. Si des temps forts scandent l’histoire de la Normandie entre ces deux dates, il ne faut pas non plus négliger d’autres périodes jusqu’ici moins explorées tel le règne de Philippe le Bel et de ses fils. Dans le prolongement de la réflexion sur la domination, la rencontre sera également l’occasion de soulever des questions sur des points débattus. Dominer signifie-t-il appartenir aux élites ? Les dominants forment-ils une « société politique » ? L’émergence de l’État, prégnante à partir du XIIIe siècle, favorise-t-elle de nouvelles formes de domination ?

Axes thématiques
Construire la domination. 

Il convient de penser la domination à travers le jeu des acteurs, en partant du principe qu’elle n’est pas seulement conflictuelle mais qu’elle laisse place à toute une gamme de stratégies qui passent par la coopération, l’accommodement, la compétition, la coercition et la violence, comme Dominique Barthélemy et Joseph Morsel l’ont bien souligné pour les XIe-XVe siècles. La domination met en jeu des hiérarchies complexes, du comte au chef de paroisse, que les interventions devront examiner. Y a-t-il une cohérence au groupe des dominants ? Leurs intérêts se rejoignent-ils ou s’opposent-ils, et sous quelles modalités ? À ce titre, il faut insister sur le rôle des dominés dans la construction des rapports de pouvoir. Les communications pourront mettre en lumière des groupes, des communautés ou des individus particuliers dans des études de cas développées. Il s’agit de souligner l’existence de formes entremêlées de domination. Les acteurs ecclésiastiques seront aussi pris en compte, dans la mesure où l’Église participe à l’encadrement des hommes et des terres et contribue à redéfinir les dominations, notamment après le « tournant grégorien » et sa mise en application spécifique à la Normandie.

Nouveaux maîtres, nouvelle domination.

Les intervenants sont incités à revenir sur quelques grandes figures de maîtres du duché. Si la biographie de Guillaume le Conquérant par David Bates a posé quelques réflexions en termes de domination, il reste à les élargir à l’ensemble des princes successifs qui ont régné sur la Normandie. Les moments de rupture politique entraînent souvent, sans que cela soit obligatoire, une évolution des formes de domination. Se pose donc la question des modes de gouvernement et de leur pérennité à travers les changements dynastiques. Les communications pourront porter sur les phénomènes de conquête (1106, 1144, 1204, 1417, 1450) et l’instauration de nouveaux pouvoirs, de coopération avec les élites locales et les communautés d’habitants. De plus, dominer en Normandie n’est pas un phénomène proprement normand. La domination peut venir d’ailleurs et des individus extérieurs au duché participent à l’exercice du pouvoir. Français, Anglais, Angevins, Bretons, Bourguignons (la liste n’est pas exhaustive) sont également des maîtres au sein du duché. La pertinence de la notion d’État, admise à partir du XIIIe siècle mais débattue pour la période précédente, devra être interrogée. Dans ce sens, une attention particulière sera portée aux officiers de l’administration ducale et royale.

L’archéologie de la domination.

Qu’il s’agisse de fortifications ou de résidences élitaires, la domination marque les paysages, les échanges commerciaux et les modes de vie. Comment les dominants ancrent-ils leur pouvoir au sein de territoires, à la vue des dominés ? Quels types de consommations spécifiques emploient-ils ? Y a-t-il des marqueurs archéologiques de la domination ? Des travaux récents ont mis en exergue l’importance des processus de distinction sociale et de territorialisation du pouvoir à toutes les échelles, de la paroisse à l’ensemble du duché. Par conséquent, les sources archéologiques sont essentielles pour analyser ces phénomènes. Les communications pourront notamment être consacrées à l’étude de sites, porter sur des corpus de mobilier ou adopter une démarche plus synthétique.

Questions anciennes.

Ce colloque sera aussi l’occasion de revenir à d’anciens dossiers, ouverts en leur temps par Léopold Delisle ou Lucien Musset, relatifs à de grandes questions de l’historiographie normande, aujourd’hui quelque peu délaissés. En premier lieu, la notion de féodalité devrait être interrogée pour discuter de sa pertinence, ceci afin de réévaluer le modèle normand et son degré de structuration. Est-elle un facteur essentiel qui a contribué à faire émerger une classe de dominants ? La seigneurie, en tant qu’interface entre dominants et dominés, est un autre point crucial. À qui la terre appartient-elle ? Avec quels droits ? Quels sont les statuts des hommes qui l’occupent ? Des variations géographiques des modalités et formes de la domination peuvent-elles être identifiées ? Les communicants seront encouragés à proposer des réinterprétations de débats spécifiques à l’histoire du duché, souvent controversés, si l’on pense à Guy Bois, telle la question du servage, de l’esclavage et de la relative liberté de la paysannerie normande.

Quelques problématiques transversales irrigueront enfin l’ensemble de la réflexion. Premièrement, le rapport à l’espace et la territorialisation des pouvoirs, mis en avant par les recherches de Florian Mazel, sont essentiels dans la société médiévale qui a ses propres modes d’habiter. Les intervenants pourront aussi se demander si les évolutions de la fin de la période médiévale permettent d’envisager des formes de domination où le rapport à la terre tend à s’estomper. Deuxièmement, il faudra réfléchir aux régimes documentaires de la domination. Comment les sources, considérées ici de la manière la plus large possible (textuelles, archéologiques, numismatiques, iconographiques, etc.), traduisent-elles et mettent-elles en scène la domination ? Cela amènera à prendre en compte les discours et les normes, en gardant à l’esprit leurs évolutions et leurs liens avec ses formes effectives. Les rapports de domination doivent aussi être étudiés par le biais du droit et de la justice (droit canon, coutumes, compilations, ordonnances, procès, etc.) qui constituent à la fois les instances où l’on pense la domination et le lieu de son exercice.

Modalités de contribution
Le colloque se tiendra au Centre Culturel International de Cerisy-la-Salle (Manche). Les communications de 30 minutes devront être prioritairement faites en français. Exceptionnellement l’anglais et l’italien sont acceptés, à charge du communicant de proposer un support papier ou un diaporama en français. Nous encouragerons par ailleurs ceux qui communiquent en langue française à proposer un support en anglais pour le public non francophone.

Les propositions de communication devront être soumises au plus tard le 15 juin 2023.

Elles comprendront un titre explicite, un résumé entre 1500 et 3000 signes, espaces compris (250-300 mots) et une courte présentation de l’auteur et de ses travaux. Elles doivent être envoyées à l’adresse suivante : cerisydominor at gmail.com. Les communicants retenus seront informés en octobre 2023. Nous invitons les intervenants à se saisir de dossiers spécifiques ou d’études de cas afin de proposer une réflexion sur la domination en contexte et de prendre position par rapport à cette notion. Une attention particulière devra être accordée au rôle des acteurs (individus, groupes ou communautés).

Les jeunes chercheurs sont vivement encouragés à soumettre des propositions. Une aide au financement spécifique aux doctorants et jeunes chercheurs sans poste est prévue par les organisateurs.

Organisation
Hugo Fresnel, Université de Caen Normandie, Centre Michel de Boüard – CRAHAM, UMR 6273.
Bastien Michel, Université de Caen Normandie, Centre Michel de Boüard – CRAHAM, UMR 6273.
Comité scientifique
Pierre Bauduin (Université de Caen Normandie, Centre Michel de Boüard – CRAHAM, UMR 6273) ;
Boris Bove (Université de Rouen Normandie, GHRIS, EA 3831) ;
Gaël Carré (DRAC de Normandie, SRA) ;
Anne Curry (University of Southampton, Faculty of Humanities) ;
Antoine Destemberg (Université d’Artois, CREHS, UR 4027) ;
Laurence Jean-Marie (Université de Caen Normandie, Centre Michel de Boüard – CRAHAM, UMR 6273) ;
Frédérique Lachaud (Sorbonne Université, Centre Roland Mousnier, UMR 8596) ;
Fabien Paquet (Université de Caen Normandie, Centre Michel de Boüard – CRAHAM, UMR 6273) ;
Daniel Power (Swansea University, MEMO) ;
Diane Rego (Université de Caen Normandie, Centre Michel de Boüard – CRAHAM, UMR 6273).