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29 mai 2025, Amiens : Usages politiques de l’écrit médiéval dans la première modernité (XVe-XVIIIe siecle)

La dernière décennie a vu la multiplication d’études qui convergent vers une conclusion similaire : à partir du début du XIXe siècle, l’intérêt pour le Moyen Âge en Europe s’accompagne d’un investissement politique particulièrement important (Di Carpegna Falconieri, 2015), qui va de la promotion du nationalisme (Berger, 2023) à celle de revendications « subalternes » (Mathews, Sanders, 2021). Pourtant, comme on le sait, dès la fin du XVe siècle se manifeste une curiosité pour la période qui n’est pas nécessairement nommée « Moyen Âge » (Voss, 1977), mais qui est bien identifiée comme un passé national et « non-antique »[1]. En effet, au moment même où les premières prises de distance avec les « ténèbres gothiques » (Rabelais) se font entendre (Corbellari, 2019, 26-35), on entreprend les premiers travaux pour éclairer ces « ténèbres » et les chanter (Cigada, Slerca, Bellati, Barsi, 2003 ; Guéret-Laferté, Poulouin, 2012 ; Coulombel, 2018 ; Busca, Martina, 2019 ; Bruder, 2024 ; Geonget, Menegaldo, Uetani, 2025), travaux qui se prolongeront au XVIIe siècle (Blom, 2016) et au XVIIIe siècle (Montoya, 2013). Ce sont les enjeux politiques de ce « médiévalisme » de la première modernité, jusqu’ici peu étudiés, que ce colloque voudrait explorer.

Quelques contributions, isolées, parfois discordantes, ont déjà porté sur ces enjeux. Alors qu’en 1977, à la suite des travaux de Donald R. Kelley (1970) et de George Huppert (1973), Marc Fumaroli voyait dans les « origines de la reconnaissance historique du Moyen Âge » au XVIe siècle une manière pour les monarchies européennes de prouver leur antiquité face aux prétentions de l’Église romaine, Quentin Skinner (1978), un an plus tard, situait les travaux de Du Haillan et Pasquier dans un autre contexte politique : celui de ce qu’il nommait le « retour du constitutionnalisme » dans les années 1560, contestation des tendances absolutistes de la royauté française. Une telle différence de vues vaut aussi pour le XVIIe siècle, dans des études plus récentes : si Marine Roussillon (2022) souligne l’utilisation de la culture du Moyen Âge dans la propagande louis-quatorzienne, Sébastien Douchet (2022) met quant à lui en valeur le potentiel contestataire de l’institution littéraire des « cours d’Amour » médiévales, notamment quand elles font l’objet du travail érudit d’une famille de parlementaires écartés des responsabilités par le pouvoir absolu, les Gallaup de Chasteuil. Autrement dit, le passé national est investi, dans une période d’affirmation croissante de l’absolutisme, de valeurs politiques fortement contrastées (Autiquet, 2025), qui vont de la glorification de la figure du roi à la contestation du caractère absolu de sa volonté, en passant par la promotion de certains lignages nobiliaires (Schapira, 2020, 99-116), ou encore par l’exaltation d’une « nation » ou d’un « peuple », termes dont le sens est encore peu fixé et fait l’objet d’instrumentalisations diverses. Il s’agit en somme de comprendre « à qui profite le Moyen Âge » (Guéna et Marin, 2016). Notre colloque voudrait être un lieu de travail collectif pour repérer ces diverses valeurs politiques, et comprendre leurs interactions durant les derniers siècles de la monarchie française.

Il s’agira, pour répondre à cette question, de faire se rencontrer différentes méthodologies et disciplines. On privilégiera en particulier, dans les études « littéraires », celles qui s’appuient sur une approche matérielle de la transmission des textes médiévaux aux époques ultérieures, en cherchant à comprendre comment se constitue un corpus d’écrits médiévaux, et en s’interrogeant sur les valeurs politiques qu’il véhicule. En outre, l’on ne saurait ignorer qu’entre les XVIe et le XVIIIe siècle, l’intérêt pour les écrits médiévaux est souvent le fait de juristes de métier, plus ou moins directement investis dans la formalisation d’un droit français qui passe par la rédaction et l’harmonisation des coutumes locales, héritage d’un passé considéré comme national et immémorial. C’est pourquoi les propositions croisant la question de la transmission des textes médiévaux avec celles d’histoire du droit seront particulièrement bienvenues. Enfin, notre colloque se voudrait un lieu d’échanges entre histoire et littérature, au regard notamment de la question éminemment politique de la transmission de l’historiographie médiévale (sur la lecture de Commynes aux XVIe et XVIIe siècles, objet déjà bien travaillé : Fumaroli, 1994 ; Blanchard & Pantin, 1998 ; Dufournet, 2011 ; Piettre, 2022 ; Cazalas, 2023).

Voici quelques pistes qui, parmi d’autres, pourront être suivies par les différentes contributions du colloque :

Du manuscrit à l’imprimé : enjeux politiques de la constitution d’un corpus médiéval. Il s’agira d’interroger, au prisme politique qui est celui de ce colloque, les activités de transmission de textes médiévaux à l’âge de l’imprimerie (Montorsi, 2019). On pourra s’intéresser notamment à l’activité d’éditeurs de textes médiévaux qui ont un lien particulier avec le pouvoir royal (comme l’historiographe du roi Denis Sauvage), ainsi qu’aux premiers translateurs de l’ancien français (comme Blaise de Vigenère), et à la manière dont est justifiée, dans les discours liminaires des éditions modernes, la publication des textes médiévaux.
Propagandes médiévalistes. On pourra esquisser les jalons d’une histoire de l’utilisation, par le pouvoir royal, des ressources de la culture médiévale pour asseoir son pouvoir symbolique, particulièrement dans les temps troublés des guerres civiles de religion ou de la Fronde.
Un médiévalisme critique ? On pourra aussi s’interroger sur une valeur politique possiblement critique de l’écriture de l’histoire médiévale, qui se substitue à une histoire du temps immédiat, souvent considérée comme trop dangereuse pour l’historien (Pasquier). Le médiévalisme de la première modernité peut aussi être vu comme l’invention d’une distance qui, comme la « distance pastorale » (Giavarini, 2010), propose en réalité une réflexion sur l’actualité politique. Il n’est ainsi pas impossible d’envisager une « écriture libertine » de l’histoire médiévale dans la première modernité.
Modalités de soumission

Les propositions de communication, d’une longueur d’environ 500 mots, ainsi qu’une courte notice bio-bibliographique, sont à envoyer aux adresses suivantes :

benoit.autiquet chez u-picardie.fr
liopiettre chez hotmail.com
marine.roussillon chez sorbonne-nouvelle.fr
sebastien.douchet chez uca.fr,
avant le 30 mai 2025.

Comité scientifique

Alain Corbellari (Professeur de littérature française médiévale, Université de Lausanne)
Audrey Duru (Professeur de littérature française du XVIe siècle, Université de Picardie- Jules Verne)
Marine Roussillon (Professeur de littérature français du XVIIe siècle, Université Sorbonne-Nouvelle)
Nicolas Schapira (Professeur d’histoire moderne, Université Paris-Nanterre)
Tristan Vigliano (Professeur de littérature française du XVIe siècle, Aix-Marseille Université)
Sébastien Douchet (Professeur de littérature française médiévale, Université Clermont Auvergne)
Joel Blanchard (Professeur émérite de littérature médiévale, Université du Maine)
Colloque organisé par

B. Autiquet (UPJV)
S. Douchet (UCA)
M. Roussillon (USN)
L. Piettre (AMU)


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