30 mai 2024, Créteil : Contester le pouvoir, contester le savoir : discours, pratiques, représentations
Pouvoir et savoir sont indissociablement liés. Ils se nourrissent et s’engendrent mutuellement, construisant des cadres hégémoniques fluctuant selon les époques, les géographies et les cultures. La mise en cause de l’un ou de l’autre provoque une crise de légitimité et prend la forme de discours et de pratiques contestataires, souvent associés à l’émergence de contre-savoirs et de contre-pouvoirs. Le colloque du laboratoire IMAGER (Institut des mondes anglophone, germanique et roman, Université Paris-Est Créteil) entend ainsi proposer une réflexion renouvelée sur la contestation au prisme des interactions entre pouvoir et savoir. A l’instar des différentes équipes de recherche que rassemble le laboratoire, le colloque se veut résolument transdisciplinaire et souhaite mettre en avant les travaux de chercheur.euse.s en linguistique, en didactique, dans les arts et en littérature, en histoire des idées et en civilisation. Dans chacun de ces domaines, on portera une attention particulière au contexte — local, national ou global — de la contestation, mais surtout à la question des échanges et transferts culturels et à la dimension internationale de la contestation.
Dans les domaines de la linguistique et de la langue, la pratique discursive constitue un pilier de la contestation. Elle invite à s’interroger sur ses marques énonciatives, sur les procédés rhétoriques et sur le lexique mobilisé dans le cadre des discours de protestation. On pourra mettre en évidence les différences de procédés propres à chaque langue et proposer des comparaisons interlangues de ces types de discours. Si les langues permettent la création d’une communauté politico-linguistique autour d’une vision du monde partagée, une langue dominante peut également être remise en cause en tant qu’instrument de pouvoir et au nom de l’affirmation d’une identité, voire donner lieu à des processus de revitalisation linguistique (Fishman, 1991). On pourra également s’interroger sur la manière dont les « subalternes » font usage des mots pour s’adresser aux pouvoirs dominants (Spyvak, 1988). Enfin, la contestation peut passer par une remise en cause du langage « courant » dans le cadre d’une critique globale du système politique, social ou économique en place.
Dans un contexte social, écologique et éducatif en pleine transformation, de plus en plus de didacticiens des langues contestent l’homogénéisation/la dogmatisation sur le plan méthodologique, la standardisation sur le plan des évaluations et proposent de développer des pédagogies qui s’intéressent aux langues non plus uniquement en tant que systèmes lexico-syntaxiques que les élèves apprennent à maîtriser mais en tant qu’organismes complexes faisant partie intégrante du vivant (Trocmé-Fabre, 2013). De ce point de vue, on ne peut plus envisager les langues de manière exclusivement intellectuelle et cloisonnée : le vivant appelle des approches sensibles qui tiennent pleinement compte de la corporéité des apprenant.e.s, de leurs émotions, de leurs imaginaires (Duval, 2022) ainsi que de leurs répertoires langagiers déjà-là (Garcia & Wei, 2015). Pour aller plus loin dans la contestation des approches strictement disciplinaires, il semble pertinent de ne plus séparer les langues d’autres langages expressifs (musical, dansé, pictural, etc.) à la lumière du concept de « translangager » (Aden, 2017) : une manière, pour l’apprenant.e, de tisser un réseau de relations harmonieuses avec soi-même, les autres et l’environnement (Varela et al., 1993) au travers des langues qu’elle et il étudie et des langages auxquels elle et il a recours à cet effet.
La contestation est au cœur des pratiques littéraires et artistiques (chanson, théâtre, cinéma, arts plastiques…) : les artistes se nourrissent de la transgression en même temps qu’elles et ils l’alimentent et lui donnent une signification. Si les différentes modalités de représentation de la contestation feront l’objet d’une attention particulière, on peut à l’inverse s’interroger sur l’influence des mouvements de contestation sur la littérature et les arts. De nombreuses mobilisations contestataires comme le pacifisme, le féminisme ou l’altermondialisme constituent de véritables laboratoires culturels. Elles sont des terreaux fertiles pour l’éclosion ou le renouvellement de pratiques artistiques remettant en cause les paradigmes établis. Ces « contre-cultures » configurent ainsi de nouveaux espaces politiques où se jouent des rapports de domination et de soumission, de contestation et d’opposition : on pense par exemple aux musées, devenus des scènes de performances féministes ou écologistes. L’art de rue, les performances artistiques autorisées ou non par l’État offrent des possibilités de subversion, de critique et remise en cause de politiques publiques nationales ou supranationales. On pourra explorer la diversité des liens qui unissent art et contestation, c’est-à-dire l’ensemble des similitudes, des passages ou des reconversions qui s’opèrent entre le champ artistique et les mobilisations collectives, avec une attention toute particulière aux remises en cause des hiérarchies de savoir. Quel rapport entretiennent les artistes au savoir et comment les pratiques artistiques peuvent-elles être utilisées, voire détournées, à des fins militantes ? (Balasinski et Mathieu, 2006)
En civilisation, on pourra se concentrer sur les formes d’actions collectives construites en opposition au savoir/pouvoir dominants. Si, dès Platon, le savoir est la condition même d’un pouvoir bon et juste, il est aussi créateur de normes et de cadres. On pourra s’interroger sur la construction politique de ces normes, et comment elles peuvent justifier la répression, l’ostracisation ou la violence contre des groupes sociaux minorisés (discours religieux, médicaux, coloniaux, patriarcaux etc.). On étudiera donc tout particulièrement les mouvements sociaux et politiques qui contestent les savoirs dominants, se les réapproprient, les déconstruisent et créent de nouveaux cadres théoriques pour mettre en œuvre de nouveaux moyens d’action (Foucault, 1993; Halperin, 2000; Butler, 2005; Grosfoguel, 2016; Dorlin, 2009). Ces multiples contestations peuvent adopter des répertoires et lieux d’expression variés : manifestations de rues, “désobéissances” en marge de la sphère publique (Mansbridge, 2013; Scott, 1992), et bien sûr usages de ces espaces de contestation du pouvoir/savoir que constituent désormais les réseaux sociaux. Alors que la contestation permet la création de pensée libre, le refus des dogmes et l’indépendance vis-à-vis d’un pouvoir (jugé abusif ou arbitraire), elle peut prendre également des formes plus négatives. Associée à un refus systématique de la complexité, les récentes contestations du savoir scientifique tendent à alimenter la défiance à l’égard de la science et le retour à une certaine forme d’obscurantisme observé ces dernières années en matière de santé publique ou de crise environnementale en particulier. L’opposition du « peuple qui travaille » aux « intellectuels qui bavardent » (Pranchère, 2020) structure le discours populiste qui rencontre un écho toujours plus grand, menant à l’extrémisme politique, au révisionnisme historique ou scientifique, voire aux théories du complot. Alors que nous sommes entrés dans une ère de la post-vérité, quelle place occupe le savoir dans les mouvements de contestation modernes ?
Modalités de soumission
Le colloque se tiendra les 14 et 15 novembre 2024 à l’Université Paris-Est Créteil.
Les propositions de communication (400 mots maximum), accompagnées d’une brève bio-bibliographie, devront être envoyées à l’adresse : contester.pouvoir.savoir2024 chez gmail.com
avant le 30 mai 2024
Elles seront soumises à l’évaluation du comité scientifique du colloque. Les décisions d’acceptation seront communiquées aux auteur.rice.s avant le 30 juin 2024.
Afin de permettre la fluidité des échanges entre les spécialistes des différentes aires linguistiques, la langue de travail du colloque sera le français.
Comité d’organisation
Virginie GAUTIER N’DAH-SEKOU, MCF en Civilisation de l’Espagne contemporaine (ndah-sekou chez u-pec.fr)
Marie-Alexandra SCHNEIDER, MCF en Études germaniques (marie-alexandra.schneider chez u-pec.fr)
Marie POTAPUSHKINA-DELFOSSE, MCF en Didactique des langues (potapushkina-delfosse chez u-pec.fr)
Antoine SERVEL, MCF en Civilisation américaine (servel chez u-pec.fr)
Comité scientifique
Nathalie BORGE, MCF en Didactique des Langues (Université Sorbonne Nouvelle)
Hélène CAMARADE, PR en Études germaniques (Université Bordeaux-Montaigne)
Angel CLEMENTE ESCOBAR, Professeur en littérature comparée (Université de Grenade - Espagne)
Jean-Daniel COLLOMB, PR en civilisation des Etats-Unis (Université Grenoble-Alpes)
Alba LARA-ALENGRIN, MCF en littérature hispano-américaine (Université Paul Valéry- Montpellier)
Bibliographie indicative
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DORLIN Elsa (dir.), Sexe, race, classe : pour une épistémologie de la domination, Paris, PuF, 2009.
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