18 oct. 2019, Paris : Conjugalités et extraconjugalités à la cour de France (Moyen Âge – XIXe siècle)
Ce colloque, organisé par Cour de France.fr, a pour but d’examiner l’impact de la vie de cour sur le mariage et la vie conjugale. Le terme « conjugalité » est alors défini le plus largement possible afin d’en saisir toutes les réalités : l’acte de mariage et ses modalités (choix du conjoint, cérémonie, alliances), le statut marital confronté à la vie de cour et à ses contraintes (célibat, mariage, veuvage), la vie conjugale entendue comme atout ou frein à l’avancement social, l’extraconjugalité, les sexualités autres et l’adultère (connu ou caché, favorisé ou non par la rencontre à la cour, donnant naissance à des faveurs potentielles).
L’historiographie, bien que riche concernant la sphère aulique, peine généralement à traiter ensemble la cour et le mariage (avec ses marges) car elle se focalise essentiellement sur l’un ou l’autre de ces deux points. En outre, les travaux étudient généralement le mariage en tant qu’acte de naissance d’une alliance, mais n’explorent pas les aspects concrets de la vie conjugale (échanges entre les époux, contraintes imposées par la vie de cour ou au contraire atout représenté par le couple pour accéder aux honneurs du système de cour…). C’est pourquoi le présent colloque se propose de combler cette lacune. Pour tenter d’articuler les questionnements propres aux deux sujets et y apporter un éclairage nouveau, plusieurs approches seront mobilisées : l’histoire de la famille, l’anthropologie historique, l’économie, mais aussi l’étude des réseaux, du couple et des rapports de pouvoir. Le milieu curial sera alors considéré comme un observatoire de la vie conjugale, de ses contraintes et de ses marges.
Comment les acteurs s’approprient-ils cet environnement et se saisissent-ils des opportunités qui s’y présentent pour mener à bien vie de couple et reproduction sociale ?
Pour viser au mieux à l’exhaustivité, l’on essaiera de considérer les acteurs de la cour dans leur ensemble, plutôt que de se focaliser sur la famille royale.
Axes de recherche envisagés
Les propositions de contribution pourront s’inscrire dans un ou plusieurs des trois axes de recherche suivants.
L’acte de mariage : se marier à la cour
Le mariage au sens strict est l’union de deux individus ; il a des retentissements juridiques et sociaux qu’il ne faut pas négliger. En effet, il est l’alliance de deux sphères – masculine et féminine –, de deux familles, de deux parentèles, de deux patrimoines, dans un cadre religieux déterminé (celui du mariage chrétien, pour la cour de France). Par conséquent, l’acte de mariage, pour être compris dans son intégralité, ne doit pas être résumé à l’union des deux fiancés, mais envisagé depuis les négociations qui l’ont précédé, jusqu’à la rédaction du contrat de mariage contenant les dispositions matérielles et juridiques. De plus, le moment du mariage en lui-même mérite que l’on s’y arrête en détail afin de connaître les habitudes et attitudes des courtisans lors de l’organisation des festivités qui entourent la conclusion de l’alliance. Cette thématique peut alors être décomposée en deux questionnements complémentaires.
Premièrement, il s’agira d’observer comment la cour peut devenir un marché matrimonial mobilisé par ceux qui la composent. Ceci aura pour but d’examiner les logiques qui sous-tendent le choix des conjoints : formation des alliances, construction de parentèles, intégration de réseaux, recherche de mariages financièrement favorables… Cette réflexion pourra fournir l’occasion de suivre des itinéraires individuels ou familiaux et de déterminer certaines stratégies matrimoniales au sein de groupes sociaux divers (haute aristocratie, noblesse de robe, officiers domestiques). Pourrait également, à cette occasion, être étudiée la manière dont les négociations matrimoniales sont perçues par les contemporains et représentées dans la fiction dramatique. En outre, il sera possible d’envisager la fréquentation des résidences royales par les officiers et officières des Maisons comme point de départ favorable à la formation d’alliances, voire de dynasties d’officiers. Peut-on parler d’une endogamie ou homogamie curiale ? Enfin, le poids de la volonté royale pourra être également considéré afin d’observer dans quelle mesure le pouvoir exerce un contrôle sur les alliances matrimoniales. Ainsi, par l’analyse de cas particuliers, pourront se dégager des logiques générales qui nous renseignent sur la façon dont les souverains ont souhaité favoriser ou affaiblir certaines familles, créer des clientèles, récompenser des serviteurs fidèles, maintenir un ordre ferme dans les hiérarchies sociales (en évitant par exemple les mariages exogamiques, entre familles de la robe et familles de la noblesse ancienne…). C’est finalement toute la question du complexe « État-famille » – la structuration conjointe des lignages et du pouvoir – qui pourra être interrogée.
Deuxièmement, les contributions pourront montrer quelles sont les modalités pratiques de l’acte de mariage à la cour. Dans la continuité de la réflexion sur le choix du conjoint et les politiques matrimoniales, une place doit donc être accordée aux projets de mariage réalisés ou avortés, décrits par les contemporains. Dans ces conditions, l’étude des contrats de mariage et de leur établissement sera particulièrement recherchée car elle constitue un apport important à l’histoire du mariage à la cour. Dans une perspective d’histoire socio-économique, ce sont les montants et la composition des dots qui devront interpeller, autant que l’observation de la liste des témoins au contrat de mariage qui permet de comprendre l’inscription sociale des familles et individus considérés. Enfin, se marier à la cour impose une certaine matérialité sur laquelle les contributions pourront se pencher. Selon les sources et documents disponibles, l’examen d’exemples individuels ou bien l’observation de situations en série pourront donner à voir certaines réalités des festivités entourant le mariage : composition de la fête, repas, menus, coût, acteurs mobilisés (par exemple pour célébrer la cérémonie)… Autant d’éléments à confronter pour s’interroger sur une spécificité des noces organisées à la cour.
Vie conjugale et vie de cour
S’intéresser aux conjugalités à la cour de France invite à croiser continuellement deux domaines de recherche : l’histoire du couple et l’histoire de la cour. Par conséquent, les propositions qui chercheront à comprendre les interactions nées de cette étude inédite seront valorisées. Elles pourront répondre aux questionnements suivants : quelles sont les répercussions des impératifs de la vie de cour sur le statut marital ? Comment les individus peuvent-ils user du mariage pour « faire leur cour » ?
Premièrement, nous souhaitons envisager la question au prisme particulier des contraintes curiales qui pèsent sur les couples. Les contributions qui étudieront les impératifs liés à l’exercice d’une charge sont alors particulièrement recherchées, si elles mettent en relation ces impératifs avec la vie conjugale et son déroulement quotidien (fréquentation, éloignement, éducation des enfants…). De la même façon, les voyages de la cour pourront être analysés comme autant de freins à la vie commune des conjoints.
Deuxièmement, dans un mouvement réflexif inverse, il sera intéressant de placer au cœur des questionnements l’atout que représente la conjugalité sur l’échiquier curial. Par exemple, le fait d’être marié à un officier ou à une officière de la Couronne ouvre parfois les portes de la résidence royale, offrant alors l’opportunité d’être logé aux côtés du conjoint et auprès de la famille royale. De la même façon, les contributions pourront observer comment les honneurs curiaux peuvent être partagés par les maris et les femmes, les épouses d’officiers obtenant par exemple certaines distinctions par ricochet. En adoptant un regard multiscalaire sur l’échelle sociale, nous ouvrons la possibilité d’analyser tous les bénéfices que retirent les époux ou épouses d’officiers et serviteurs : logement à la cour, honneurs, invitation aux voyages de la cour, pensions, élargissement des clientèles...
Extraconjugalités : célibat, sexualités, adultère, veuvage
Ce troisième axe de recherche vise à saisir les limites de la conjugalité, les exceptions et les marges de la vie maritale. Le terme « extraconjugalité » prendra en compte toute situation sociale en dehors des liens du mariage et pourra être décliné en trois volets principaux.
Nous proposons tout d’abord d’examiner le cas des célibataires, c’est-à-dire de ceux et celles qui évoluent en contexte aulique sans avoir été mariés. Une première question à ce sujet porte sur l’articulation entre détention d’un office et situation maritale : certaines charges imposent par exemple d’être célibataire, comme celles de fille d’honneur, tandis que d’autres, à l’inverse, supposent une certaine expérience en matière matrimoniale (songeons aux dames d’honneur ou aux gouvernantes). En outre, l’on peut se demander s’il est possible de vivre à la cour tout en restant seul ; les charges réservées aux jeunes sont, par exemple, un moyen utile pour trouver un conjoint. Ces différents points permettront plus généralement de s’interroger sur les notions de choix et de contrainte.
Plus directement, le terme d’« extraconjugalité » s’applique aux personnes qui entretiennent des relations amoureuses ou charnelles en dehors des liens sacrés du mariage, qu’il s’agisse de concubinage ou d’adultère. Comment ces relations étaient-elles mobilisées et considérées à la cour ? En adoptant les perspectives de l’histoire du genre et des femmes, se révèlent des différences fondamentales selon le sexe des individus : l’adultère est surtout rejeté (et parfois même sanctionné) lorsqu’il est commis par des femmes. Le traitement de cette problématique implique également de prendre en compte d’autres dimensions propres à la vie de cour, qui peuvent modifier les pratiques et les regards portés sur l’extraconjugalité. La cour de France est souvent vue comme un espace de galanterie, voire de libertinage, où les relations hors mariage sont fréquentes et relativement tolérées. Elles sont par exemple acceptées lorsqu’elles concernent des femmes devenues maîtresses du souverain ou des hommes devenus favoris, parfois amants ; l’on doit alors s’interroger sur les possibilités qu’ouvre la faveur royale et sur la manière dont elle peut affecter les structures familiales traditionnelles. À ce stade d’analyse, c’est aussi la notion de « capacité d’action » (ou « agency ») qui peut être mise à l’épreuve.
Enfin, l’idée d’« extraconjugalité » telle que nous la considérons peut aussi s’appliquer aux veufs et aux veuves, notamment ceux des officiers. En ce sens, le colloque vise à aborder la question du deuil, dans la matérialité et dans les pratiques sociales qu’elle implique (comportements, contraintes vestimentaires...) : qu’est-ce qu’être veuf/veuve à la cour ? Un regard doit également être porté sur les effets qu’a le veuvage sur la vie curiale. Il n’est pas toujours évident de saisir les droits et les contraintes que cette situation impose, notamment de savoir si elle oblige les personnes concernées à se retirer.
Organisation
Comité d’organisation :
- Pauline Ferrier-Viaud, Sorbonne Université – Centre Roland Mousnier (UMR 8596)/IRCOM
- Flavie Leroux, EHESS - Centre de recherches historiques (UMR 8558), Centre de recherche du château de Versailles
Avec le soutien scientifique de Fanny Cosandey (directrice d’études à l’EHESS) et de Lucien Bély (professeur d’histoire moderne à Sorbonne Université)
Conseil scientifique :
– Lucien Bély, Professeur d’histoire moderne à Sorbonne Université
– Aurélie Chatenet-Calyste, Maîtresse de Conférences à l’Université Rennes 2
– Fanny Cosandey, Directrice d’études à l’EHESS
– Robert Descimon, Directeur d’études à l’EHESS
– Pauline Ferrier-Viaud, Docteure en histoire de Sorbonne Université
– Murielle Gaude-Ferragu, Maîtresse de Conférences à l’Université Paris 13
– Nicolas Le Roux, Professeur d’histoire moderne à l’Université Paris 13
– Flavie Leroux, Docteure en histoire et civilisations de l’EHESS
– Dorothea Nolde, Professeure d’histoire moderne à l’Université de Vienne
– François-Joseph Ruggiu, Professeur d’histoire moderne à Sorbonne Université/Directeur de l’Institut des Sciences Humaines et Sociales-CNRS
– Charles-Éloi Vial, archiviste-paléographe, conservateur à la BnF-Département des Manuscrits
– Agnès Walch, Professeure d’histoire moderne à l’Université d’Artois
Calendrier prévisionnel et modalités de soumission
Le colloque aura lieu au mois d’octobre 2020 à Paris.
Les propositions de communication sont à envoyer à Pauline Ferrier-Viaud et à Flavie Leroux à l’adresse conjugalites.colloque2020 chez gmail.com avant le 18 octobre 2019 au plus tard.
Les candidats recevront une réponse quant à leur participation au colloque avant le 1er décembre 2019.
Les propositions doivent inclure, en une ou deux pages maximum :
- L’identité du chercheur ou de la chercheuse (nom, prénom, adresse électronique, statut, discipline et affiliation institutionnelle)
- Le titre de la communication
- La proposition de contribution, spécifiant le contenu de la communication, la méthode employée et les sources mobilisées
- Éventuellement la thématique dans laquelle s’inscrit la proposition.
Les langues de travail du colloque seront le français et l’anglais. La majorité des échanges auront lieu en français, il est donc attendu des participants une compréhension du français leur permettant de suivre les discussions.