11-12 oct. 2018, Nancy : Paix et religion, du Moyen Âge à l’époque contemporaine
Les religions sont souvent et en particulier dans notre monde contemporain, associées à la guerre, qu’elles la suscitent ou l’entretiennent, dans la réalité ou dans l’imaginaire. Or, paradoxalement, les fondements des religions révélées appellent leurs représentants à tenir un discours de paix, même si la guerre et la violence sont bien présents dans les récits fondateurs, à l’exemple de l’Ancien Testament. Ainsi, réalité et/ou mythe, la religion appartient bien à la sphère guerrière dans des sociétés fortement marquées par le primat des cultures religieuses – notamment monothéistes – depuis le Moyen Âge. La religion a pu être facteur de divisions violentes, d’affrontements verbaux et physiques, a pu servir de prétexte à entretenir une situation de discorde et en cela devenir un véritable outil politique, aux mains de clercs comme de laïcs. Mais la religion a pu aussi être un facteur de rapprochement, de tentative d’irénisme et de paix, à même de transcender des divisions confessionnelles, politiques – voire ethniques – afin de rétablir une stabilité perdue et perçue comme idéale, que ce soit vrai ou non.
L’année 2018, la commémoration de la paix qui mit fin à la Grande Guerre, les rapprochements entre confessions, parfois sur la base d’un œcuménisme mis en pratique comme à Taizé, ou les prises de parole communes entre représentants de différentes religions au lendemain des attentats afin de préserver la paix et de conjurer la guerre, enfin les récentes polémiques sur le drapeau européen voulu comme emblème irénique mais d’inspiration mariale, tous ces éléments nous ont conduits à nous interroger sur les liens complexes que les religions, les confessions, ont entretenu et entretiennent avec la paix, au niveau des discours comme des actions concrètes du Moyen Âge à nos jours. Ce sont bien les liens complexes tissés entre la religion, les confessions et le politique dans les contextes de déstabilisation politique – quelle que soit leur échelle – que nous souhaitons ici questionner dans un cadre certes européen mais également extra-européen. Plus généralement, c’est l’idée – à infirmer, confirmer, moduler – d’une sécularisation des processus de paix qu’il convient de travailler à l’aune du regard porté sur la religion dans ses rapports à la guerre et à la pacification, le tout dans des contextes et des temporalités à mieux appréhender.
Dans cette perspective, nous voudrions inviter les participants au colloque à réfléchir selon quatre directions qui nous sont apparues essentielles :
La paix de religion ou paix politique ?
Les historiographies française et allemande ont déjà mis l’accent sur l’étude des paix de religion. La résolution de conflits à caractère confessionnel passe par le politique, dans la mesure où il ne peut y avoir d’accord fondé sur les dogmes, même si l’objectif reste bien la pacification religieuse. Si les processus de paix religieuse pour le XVIe siècle et pour partie le XVIIe siècle ont déjà été bien étudiés, il convient certainement d’examiner cette thématique du politique dans la paix religieuse sur une chronologie plus large, en amont et en aval du XVIe siècle, sans pour autant négliger ce dernier. Il conviendrait certainement pour cela de s’attacher par exemple à analyser la part même du religieux dans les « instruments de paix », soit la rhétorique employée, les logiques de résolution, le vocabulaire employé, etc. De même, il sera intéressant de mettre en perspective la place et le statut de minorité religieuse dans les processus de paix. D’autres optiques d’analyse sont bien entendu à ouvrir autour de questions simples : comment rétablir la paix entre frères ennemis quand le choix religieux est lui-même à l’origine de la guerre ? Comment passe-t-on d’un idéal de concorde sans cesse vanté à une réalité de cohabitation et comment défend-on celle-ci sur le plan religieux ? Comment le discours politique peut-il prendre le relais du discours de paix religieux ?
La paix par la religion :
Le vocable même de « guerre de religion » souligne combien la religion peut être pointée du doigt comme fauteur de trouble et de guerre. Des conflits récents montrent encore que le religieux est présenté comme un moteur du dérèglement des relations intercommunautaires, quelle que soit l’échelle envisagée. Or, la perspective peut être inversée, peut-être pour modérer l’idée énoncée mais aussi pour voir en quoi la religion peut éventuellement servir au rétablissement de la paix dans un monde en guerre pour des motifs divers et profanes. En quelle mesure la religion ou la culture religieuse, partagée consciemment ou non, peut-elle être un facteur de pacification, voire de fraternisation ? Comment le discours, la prière et la fraternisation ou la communion religieuse peuvent-elles ménager des trêves voire préparer la paix. On peut également s’interroger sur les buts réels de cette paix, éventuellement condition préalable pour déclencher une guerre contre un ennemi plus redoutable (paix entre nations chrétiennes pour l’alliance en vue d’une guerre contre l’Infidèle par exemple).
Hommes de Dieu, hommes de paix ?
La place des clergés comme négociateurs et acteurs de la paix est en partie connue en raison même du modèle romain et de la maîtrise de codes comme de réseaux humains à même d’entrouvrir parfois le chemin de la paix. La place occupée par les hommes de Dieu dans les organes de pouvoirs leur confère cependant une image ambiguë : ils sont à la fois acteurs d’une politique pouvant mener à la guerre, tout en pouvant également être des moteurs du retour à la paix. Par leurs réseaux, les informations et l’influence dont ils disposent, les hommes d’Église ou les représentants des autorités religieuses sont-ils plus à même que d’autres personnes d’œuvrer au retour à la paix ou à la préservation de celle-ci ? On s’interrogera notamment sur le clergé diplomate, sur la diplomatie de l’ombre des gens d’Église. À cet égard, il faut appréhender les évolutions liées à la place des clergés dans la diplomatie et la mise en œuvre d’une éventuelle laïcisation de son personnel, tout comme aussi la part de la religion et du religieux dans les pratiques et les codes de la mise en œuvre de la quête de la paix par la diplomatie.
Célébrer ou sanctifier la paix.
Des travaux ont déjà pu montrer l’importance de la célébration de la paix comme outil de publicité propitiatoire de la paix revenue mais aussi de distinction identitaires entre confessions. En effet, la paix revenue n’efface pas les différences mais les atténue dans une volonté commune de rétablissement d’un équilibre rompu par la guerre. À travers les cérémonies et le cérémonial de paix, il convient certainement d’étudier la part de sacralisation et de sacralité conférées à la pacification, y compris en des temps où la laïcisation de la diplomatie semble une évidence. Ainsi, la question du religieux ne s’arrête ni aux époque médiévale et moderne, ni à la pratique des serments mais doit être interrogée dans l’événement – le traité et sa célébration – tout comme dans la durée : la commémoration et le souvenir. Comment la religion peut-elle permettre de consolider la paix une fois celle-ci acquise, en solennisant la conclusion des traités, en accompagnant par le faste et le rituel des cérémonies et des images de paix ? Comment la culture religieuse imprègne-t-elle les pratiques de célébration et de commémoration de la paix, même dans une diplomatie et une société – au moins pour partie - sécularisées ?
Comité scientifique : Lucien Bély (Université Paris-Sorbonne), Xavier Boniface (Université de Picardie Jules Verne), Isabelle Brian (Université de Lorraine), Olivier Chaline (Université Paris-Sorbonne), Christophe Duhamelle (EHESS-CRH, Paris), Laurent Jalabert (Université de Lorraine), Catherine Vincent (Université Paris-Nanterre).
La manifestation se tiendra à l’Université de Lorraine, Campus Lettres et Sciences Humaines de Nancy les 11 et 12 octobre 2018.
Programme et plus d’information : site du CRULH