11 mars - 12 mars 2022, Paris : La chapelle consulaire (XVIe-premier XIXe siècle)
Le récent intérêt marqué pour la fonction consulaire depuis la fin du Moyen Âge jusqu’à la période contemporaine, n’épuise pas – loin s’en faut – l’étude de cette figure essentielle des échanges marchands, diplomatiques et culturels, dont l’activité se déploie à l’échelle aussi bien locale que transnationale. Parmi les pistes demeurées encore relativement inexplorées, la question confessionnelle invite à envisager les effets politiques, sociaux et économiques des problématiques religieuses sur le monde des consulats et des « nations » établis à l’étranger. La question du lieu de culte acquiert à partir de l’époque moderne une importance stratégique, dont cette rencontre entend esquisser les contours et explorer les contradictions depuis l’observatoire privilégié que constitue la chapelle consulaire.
Le récent intérêt marqué pour les enjeux commerciaux, politiques et juridiques de la fonction consulaire depuis la fin du Moyen Âge jusqu’à la période contemporaine, n’épuise pas – loin s’en faut – l’étude de cette figure essentielle des échanges marchands, diplomatiques et culturels, dont l’activité se déploie à l’échelle aussi bien locale que transnationale[1]. Parmi les pistes demeurées encore relativement inexplorées il y a la question confessionnelle. Elle invite à envisager les effets politiques, sociaux et économiques des problématiques religieuses sur le monde des consulats et des « nations » établis à l’étranger.
La célébration de leur culte souvent minoritaire dans les sociétés d’accueil figure parmi les missions de nombreux consuls, qu’ils soient catholiques, protestants, orthodoxes ou musulmans. C’est a fortiori le cas dans des configurations où, comme pour la France en Méditerranée orientale à l’époque moderne, la protection des coreligionnaires installés localement soutient des prétentions d’extension de la souveraineté et d’affirmation géostratégique à l’échelle régionale[2]. On devine sans peine la part d’instrumentalisation politique et de stratégie d’ascension sociale dans l’exercice de telles prérogatives : ainsi de cet Hagi Demetrio Marcacchi, « agent de la République d’Alger » à Livourne en 1762, dont l’activisme pour obtenir l’ouverture d’un cimetière musulman dans le port toscan lui permet de se présenter comme le représentant de l’ensemble des puissances musulmanes commerçant avec le grand-duché[3].
Par-delà la diversité des intérêts personnels ou étatiques ainsi mis en jeu, la question du lieu de culte acquiert à partir de l’époque moderne une importance stratégique, dont cette rencontre entend esquisser les contours et explorer les contradictions depuis l’observatoire privilégié que constitue la chapelle consulaire. Tour à tour lieu privé et espace public, celle-ci abrite à l’origine les célébrations du culte pour le seul usage du consul. Si elle est généralement distincte du lieu dévolu à la célébration du culte par les membres de la « nation », elle se trouve parfois servir d’église « nationale ». En 1667, le Traicté des consulz de la nation françoise aux paÿs estrangers établit ainsi que l’« un des principaux devoirs d’un consul dans les pays où l’exercice de la religion catholique apostolique et romaine n’est pas libre, est d’avoir une chapelle chez luy, et d’y faire dire la messe pour les marchandz françois catholiques romains qui se trouvent sur les lieux[4] ». Cette configuration n’est pas propre à la situation des « nations » chrétiennes en terre d’islam : ainsi à Marseille où, à défaut d’autoriser les Grecs orthodoxes à disposer de leur propre église, les autorités locales leur permettent tacitement en 1821 d’assister au culte célébré dans la chapelle privée du consul ottoman, lui-même grec et orthodoxe[5]. Bien entendu, cet usage de la chapelle consulaire reflète plus largement la position du culte majoritaire dans le pays représenté : c’est par exemple le cas à Tunis durant la Révolution française, lorsqu’au grand dam du consul de France (Devoize), l’« agent général et envoyé extraordinaire près des Puissances Barbaresques » (Herculais) interdit aux catholiques l’accès à la chapelle du fondouk des Français, qu’il destine désormais à accueillir les assemblées et les fêtes[6].
De fait, la chronologie envisagée invite à considérer les effets, parmi les « nations étrangères » et dans leurs relations avec les sociétés locales, de différents processus considérés comme caractéristiques de l’histoire religieuse des époques moderne et contemporaine : « réformes » protestantes et « contre-réforme » catholique, bien sûr[7], mais également « confessionnalisation », « nationalisation » des cultes ou « sécularisation ». À chaque fois, la chapelle consulaire se retrouve au cœur d’enjeux confessionnels et politiques qui, s’ils excèdent largement ses murs étroits, contribuent à façonner son existence, voire sa morphologie même[8].
On l’aura compris, une telle enquête ne saurait se cantonner à une énumération des bouleversement contextuels dont la chapelle consulaire constituerait un témoin plus ou moins privilégié. Il apparaît en effet nécessaire de resituer ces questionnements dans leur dimension concrète et matérielle : la localisation des lieux de culte dans le tissu urbain, leur situation dans l’espace privé de la résidence consulaire, le financement des travaux et de l’entretien du culte[9], la formation et la mobilité des desservants ou encore la confection et la circulation des objets liturgiques constituent autant d’entrées possibles dans une enquête ambitieuse, qui entend interroger le fait religieux en situation de rencontre interculturelle « à distance » comme « au plus proche ».
On s’attachera ainsi à mieux qualifier un certain nombre d’enjeux décisifs de cette matérialité du bâti : ainsi de la visibilité (et donc du prestige comme de la vulnérabilité) des lieux de culte dans le tissu urbain, comme des immunités et privilèges spécifiques (régime d’exterritorialité, régime fiscal préférentiel, etc.) dont bénéficient certains de ces espaces, en lien ou non à ceux dont jouit la résidence consulaire. Parallèlement à cela, une attention particulière doit être portée aux tensions qui, au sein même des « nations », se cristallisent autour de ces espaces, de leurs usages et leur personnel. Si la proximité de la chapelle et du consulat ne va pas sans générer des tensions entre consuls et desservants[10], il faut également considérer la concurrence parfois féroce que se livrent différents ordres religieux (jésuites, capucins et observantins, parfois avec le soutien du consul voire du ministre) pour le contrôle de ces lieux de culte.
C’est l’ensemble de ces fils que cette enquête ambitionne de saisir, au service d’une histoire de la chapelle consulaire qui ne se limite pas à une simple histoire du fait religieux en situation interculturelle, mais lui redonne toute sa place dans la dynamique d’affirmation de la fonction consulaire qui se joue à l’époque moderne.
Programme
Vendredi 11 mars 2022
Site de Pierrefitte-sur-Seine
9 h 30 Accueil des participants
9 h 45 Ouverture des journées d’étude par Bruno Ricard, directeur des Archives nationales
10h 00 Introduction générale : la chapelle consulaire, un objet d’histoire par Mathieu Grenet, Institut national universitaire Champollion, Albi/IUF
10h 30 Conférence inaugurale : querelles de chapelles, rivalités religieuses et compétition consulaire dans le Levant ottoman au xviie siècle par Géraud Poumarède, université Bordeaux-Montaigne
11h 15 Discussion
11 h 45 Déjeuner
La dimension archivistique
Présidence de séance : Amable Sablon du Corail, Archives nationales
13 h 30 La chapelle consulaire dans les sources conservées au Centre des Archives diplomatiques de Nantes par Bérangère Fourquaux, Centre des Archives diplomatiques de Nantes
14 h 00 Consuls et missionnaires dans les sources archivistiques pontificales par Giuseppe Maria Croce, Archives apostoliques du Vatican
14 h 30 La chapelle diplomatique et consulaire : une approche par les textes de loi et les manuels par Jörg Ulbert, université Bretagne Sud, Lorient
15 h 00 Les chapelles consulaires dans les visites du Levant : les inspections de Gravier d’Ortières (1685-1687) et de Le Bigot de Gastines (1705-1707) par Anne Mézin, Archives nationales
15 h 30 Discussion
16 h 00 Pause
Des chapelles consulaires entre autorités religieuses et pouvoirs séculiers
Présidence de séance : Marco Schnyder, université de Fribourg
16 h 30 Sacrilège à la chapelle Saint Louis ? Tunis, 1668-1678 par Gillian Weiss, Case Western Reserve University, Cleveland, Ohio
17 h 00 La Chiesa della Madonna, ou l’église des quatre autels. Chapelles et nations marchandes dans un grand port méditerranéen (Livourne, 1590-1730) par Guillaume Calafat, université Paris I Panthéon-Sorbonne
17 h 30 Discussion
Samedi 12 mars 2022
Site de Paris, CARAN
L’expérience protestante
Présidence de séance : Claire Béchu, Archives nationales
9 h 00 Dans la chapelle du marchand : les enjeux de l’appartenance confessionnelle des protestants suisses en France (xviie-xviiie siècle) par Marco Schnyder, université de Fribourg
9 h 30 Le temple introuvable. Culte calviniste et consulat hollandais à Smyrne aux xviie-xviiie siècles par Thierry allain, université Paul-Valéry Montpellier III
10 h 00 Discussion
10 h 30 Pause
Un laboratoire consulaire : l’espace ottoman, xviie-xixe siècle
Présidence de séance : Mathieu Grenet, INU Champollion, Albi/IUF
11 h 00 Les chapelles consulaires françaises de l’espace insulaire égéen, xviie-xviiie siècle par Niki PaPaïliaki, chercheuse indépendante
11 h 30 La chapelle consulaire de Smyrne au xviiie siècle par Marie-Carmen Smyrnelis, Institut catholique de Paris
12 h 00 D’un lieu de culte à un lieu de mémoire : la chapelle catholique de Rodosto aux xviiie et xixe siècles, par Ferenc Tóth, Institut d’histoire du Centre de recherches en sciences humaines, Académie hongroise des sciences, Budapest
Notes
[1] Voir notamment Anne Mézin, Les consuls de France au siècle des Lumières (1715-1792), Paris, Direction des Archives et de la Documentation - Ministère des Affaires étrangères, 1997 ; Jörg Ulbert et Gérard Le Bouëdec (dir.), La fonction consulaire à l’époque moderne. L’affirmation d’une institution économique et politique (1500-1800), Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2006 ; Jörg Ulbert et Lukian Prijac (dir.), Consuls et services consulaires au xixe siècle / Consulship in the 19th Century / Die Welt der Konsulate im 19. Jahrhundert, Hambourg, DobuVerlag, 2010 ; Marcella Aglietti, Manuel Herrero Sánchez et Francisco Zamora Rodríguez (dir.), Los cónsules de extranjeros en la Edad Moderna y a principios de la Edad Contemporánea, Madrid, Ediciones Doce Calles, 2013 ; Silvia Marzagalli (dir.), Les Consuls en Méditerranée, agents d’information (xvie-xxe siècle), Paris, Classiques Garnier, 2015 ; Arnaud Bartolomei, Guillaume Calafat, Mathieu Grenet et Jörg Ulbert (dir.), De l’utilité commerciale des consuls. L’institution consulaire et les marchands dans le monde méditerranéen (xviie-xixe siècles), Rome et Madrid, École française de Rome et Casa de Velázquez, 2017 ; Fabrice Jesné (dir.), Les consuls, agents de la présence française dans le monde, xviiie-xixe siècles, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2017.
[2] Maurits H. van den Boogert, The Capitulations and the Ottoman Legal System : Qadis, Consuls, and Beratlı in the Eighteenth Century, Leyde et Boston, Brill, 2005.
[3] Calogero Piazza, « L’agente di Algeri a Livorno (1758-1765) », Annali della Facoltà di Scienze Politiche dell’Università di Cagliari, 9 (1983), pp. 475-512.
[4] Bibliothèque Nationale de France, mss. fr. 18595, Pierre Ariste, Traicté des consulz de la nation françoise aux paÿs estrangers, contenant leur origine, leurs establissements, leurs fonctions, leurs droicts, esmolumens et autres prérogatives…, 1667, p. 159.
[5] Mathieu Grenet, La Fabrique communautaire. Les Grecs à Venise, Livourne et Marseille, 1770-1840, Rome et Athènes, École française de Rome et École française d’Athènes, 2016, p. 148-149.
[6] François Arnoulet, « Les Français en Tunisie pendant la Révolution (1789-1802) », in Hédia Khadhar (dir.), La Révolution française et le monde arabo-musulman, Tunis, Alif, 1991, p. 27-59 (ici p. 46-47).
[7] Voir notamment sur ce point Stefano Villani, « L’histoire religieuse de la communauté anglaise de Livourne (xviie-xviiie siècles) », in Albrecht Burkardt (dir.), Commerce, voyage et expérience religieuse, xvie-xviiie siècles, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2007, pp. 257-274.
[8] On renverra ici, sur une période postérieure, au destin des chapelles des Case d’Italia fascistes, dont l’aménagement illustre la mobilisation de l’architecture religieuse au service de la glorification du régime ainsi que de l’esthétique « régénérée » qu’il promeut ; Caroline Pane, « Le Casa d’Italia in Francia : organizzazione, attività e rappresentazione del fascismo all’estero », Memoria e ricerca. Rivista di storia contemporanea, 41 (2012), pp. 161-180.
[9] Outre le prélèvement ponctuel de taxes sur le commerce « national » pour financer la construction ou l’aménagement des lieux de culte, on pense par exemple au fameux « droit des prêtres » qu’évoque Pierre Ariste dans son Traicté des consulz de la nation françoise…, op. cit., p. XV : « C’est le droict pour l’entretien d’un chapelain qui sert comme d’aumosnier ou curé pour le consul et la nation et faict le service de la chapelle du consul. »
[10] On pense par exemple au cas de ce pasteur protestant à Smyrne dans les années 1670, qui se plaint des banquets dominicaux auxquels se livrent le consul hollandais et des marchands catholiques dans la pièce attenante à celle où il célèbre l’office ; Thierry Allain, « Smyrne, cadre et instrument du commerce hollandais en Méditerranée aux xviie et xviiie siècles », in Élisabeth Malamut, Mohamed Ouerfelli, Gilbert Buti et Paolo Odorico (dir.), Entre deux rives. Villes en Méditerranée au Moyen Âge et à l’époque moderne, Aix-en-Provence, Presses universitaires de Provence, 2018, pp. 117-138 (ici p. 121).