Joanna Milstein : The Gondi. Family Strategy and Survival in Early Modern France
Matthieu Gellard
Comment citer cette publication :
Matthieu Gellard, "Joanna Milstein : The Gondi. Family Strategy and Survival in Early Modern France", Paris, Cour de France.fr, 2015 (https://cour-de-france.fr/article3638.html). Compte rendu publié le 1er janvier 2015.
Joanna Milstein, The Gondi. Family Strategy and Survival in Early Modern France, Farnham/Burlington, Ashgate, 2014, 243 pages, ISBN 978-1-4094-5473-1
La présence des Italiens en France au XVIe siècle ne va pas sans susciter de vives réactions, en particulier dans la seconde moitié du siècle pendant les guerres de Religion. Malgré ce contexte difficile, les Gondi parviennent en deux générations à s’élever jusqu’aux plus hautes sphères de la société française et du pouvoir : alors qu’Antoine Gondi s’installe à Lyon comme marchand d’épices et de soie entre 1505 et 1510, son fils aîné Albert est fait duc et pair en 1581, tandis que le second Pierre est évêque de Paris en 1568 puis cardinal en 1587. C’est cette extraordinaire ascension que présente Joanna Milstein dans un ouvrage tiré de sa thèse. Comment une famille qui n’est ni d’origine française, ni d’ascendance noble, a pu conquérir aussi vite une telle place au sommet de la hiérarchie sociale et s’y maintenir aussi longtemps, et ce alors même qu’elle fait l’objet de nombreuses attaques au même titre que tous les Italiens de l’entourage de Catherine de Médicis ? Pour répondre à cette question, l’auteure cherche à reconstituer la stratégie familiale des Gondi, soulignant combien le clan a su rester uni et agir de façon concertée. Son étude vient ainsi à compléter une historiographie certes beaucoup plus complète depuis une ou deux décennies sur la « France italienne » (J. F. Dubost), mais finalement assez pauvre sur les Gondi eux-mêmes.
Pour illustrer la vigueur des attaques dont les Italiens ont fait l’objet durant la période et le climat d’hostilité dans lequel les Gondi ont construit leur fortune, le premier chapitre présente la manière dont ils ont été perçus à l’époque, les attaques excédant de très loin les louanges. L’auteure note bien que les mémoires du temps et les pamphlets, extrêmement véhéments à l’égard des Florentins entourant la reine mère, révèlent finalement la manière dont les Français ont vécu et instrumentalisé l’immigration italienne, plus que la réalité de l’action ou de la place des Gondi (alors qu’ils ont été accusés d’en être les instigateurs, le rôle qu’ils auraient joué dans la Saint-Barthélémy reste encore à déterminer). Elle souligne en particulier que les attaques contre cette famille avaient le double avantage de réunir Catholiques et Protestants contre un ennemi commun, et d’éviter ainsi de s’en prendre directement à la monarchie.
Les trois chapitres suivants abordent les fondements de la puissance familiale. Le deuxième chapitre met ainsi en lumière les services financiers que les Gondi ont rendus à la Couronne, auprès de laquelle ils se rendent indispensables en lui apportant les fonds dont elle manque tant. C’est là, indiscutablement, la base de leur réussite. Cependant, les Gondi ne furent pas que les banquiers de la monarchie, loin de là. Le rôle politique qu’ils assument à partir de la fin des années 1560 se combine en effet à la dépendance financière dans laquelle se trouve la monarchie à leur égard et garantit la pérennité de leur réussite sociale. Le troisième chapitre s’intéresse ainsi aux missions politiques et diplomatiques que les différents membres du clan ont effectuées pour la monarchie et aux avantages matériels que la famille toute entière en a retiré. Les Gondi ont en effet su se rendre indispensables à la fois par leur capacité à assumer des fonctions d’une extrême variété, mais aussi par leur loyauté indéfectible, si précieuse alors que le roi et sa mère doivent sans cesse compter leurs alliés. Enfin, le quatrième chapitre retrace le parcours et l’action de Pierre de Gondi, mettant en avant la manière dont il a ensuite redistribué à ses parents des bénéfices et leur a ouvert des carrières dans l’Église.
Le cinquième et dernier chapitre s’intéresse aux rôles des femmes de la famille, rôle on ne peut plus précieux. Elles ont en effet permis au clan de nouer des alliances aussi bien à la cour que dans les provinces et de maintenir des liens avec l’Italie. Mais, elles ont aussi joué un rôle central dans les opérations financières de la famille, dans ses activités politiques, assuré sa place dans l’Eglise et garanti sa réputation grâce au mécénat.
En s’appuyant sur un travail d’archives complet, principalement à Paris et à Florence, et sur un tour d’horizon historiographique complet (on s’étonne tout de même de ne pas trouver dans la bibliographie certains travaux, à commencer par l’ouvrage récent de Simona Cerutti intitulé Étrangers. Étude d’une conception d’incertitude dans une société d’Ancien Régime, qui porte certes sur un espace géographique différent, mais qui aurait pu apporter des pistes méthodologiques et conceptuelles), Joanna Milstein livre une belle synthèse de la place des Gondi dans l’État royal et dans la société française durant le second XVIe siècle. La force de l’ouvrage vient à n’en pas douter du fait que l’auteure a choisi d’aborder le système familial qui a permis aux Gondi de s’installer au sommet de l’État, de l’Église et de la société plutôt que de s’en tenir à une liste des grandes figures de la famille. Cela lui permet de redonner toute leur place à des membres du clan moins connus, mais aussi et surtout d’articuler entre eux les parcours des différents membres de la famille. Même si on pourra regretter des imprécisions factuelles (sur les missions diplomatiques de Jérôme, Albert ou Pierre Gondi par exemple), ce livre sera très utile aux historiens, en particulier aux spécialistes des guerres de Religion et à ceux de l’histoire des élites.