Marseille : la rue Impériale
Claude Jasmin, Denise Jasmin
Claude Jasmin et Denise Jasmin, "Marseille : la rue Impériale", dans Revue de l’Art, année 1994, volume 106, numéro 106, p. 11-22.
Extrait de l’article
« Marseille est une grande, une énorme ville ; deux cent cinquante mille habitants ; on dit qu’elle en aura cinq cent mille lorsque le canal de Suez sera achevé », écrivait Hippolyte Taine en 1863. « Elle croît tous les jours, on bâtit, on perce partout, on abat des pans de collines, on fait de nouveaux ports ; je l’ai vue il y a quatre ans, c’est à ne pas la reconnaître. Même changement qu’à Paris : maisons monumentales, sculptées, toutes neuves et splendides, à sept étages, beaucoup plus vastes et magnifiques qu’à Paris ; je n’en ai vu de pareilles qu’à Londres ». Voilà pour la puissance, la richesse et la splendeur ; lorsque les Carnets de voyage décrivent la misère, ils ne trouvent encore qu’une comparaison anglaise : « Une vingtaine de rues en pente sur une sorte de montagne escarpée, avec des ruisseaux bourbeux qui gargouillent, et vingt mauvais lieux par rue. Une acre odeur concentrée d’immondices entassées monte ; des lueurs étranges tombent dans la noirceur de la ruelle encaissée. (...) Je n’ai rien vu de pis, sauf certaines rues de Liverpool ». La vieille ville est ainsi décrite dans tous les livres de voyage, toutes les études, tous les rapports. La rue Impériale (aujourd’hui de la République) la sectionne et prend l’apparence de l’artère principale d’une ville à naître et du luxe qu’étalait le récent prolongement de la Canebière, dit encore rue Noailles. Dans ces années soixante, Marseille « est la plus florissante et la plus magnifique des villes latines ».
L’ère des grands travaux commence à Marseille autour de 1840. On dépensa pour elle, avant 1848, quelque cent millions en Canal de Marseille, chemin de fer d’Avignon, port de la Joliette. Le mouvement reprit après la pause des crises de 1847 à 1852, mais en 1855 de plus immenses entreprises sont lancées, cathédrale, dock, ports, ville de la Joliette à Arène. Sur elles se fondent les réalisations rapides des années soixante. La rue Impériale en est la plus importante. Il faut revenir aux formes que prit ce « trait d’union » entre le centre et ce nouvel ensemble de 1855 à 1860 : cette rue voulut autant réunir que relier.