Philandrier et le texte de Vitruve
Frédérique Lemerle
Frédérique Lemerle, "Philandrier et le texte de Vitruve", dans Mélange de l’école française de Rome, année 1994, volume 106, numéro 106-2, p. 517-529.
Extrait de l’article
«Je ne sçaurois assez louer cet Interprète, qui est le premier, pour ne pas dire le seul, qui a fait que l’on pouvoit lire Vitruve. Il faloit un homme d’une aussi profonde érudition, & d’une aussi grande étendue de sçavoir qu’étoit Philander, pour donner quelque lumière à cet Auteur, dont le style est si peu Latin & si obscur, dont le texte est si corrompu, & dont les figures sont perdues». Un tel jugement de François Blondel, souvent critique envers les hommes de la Renaissance, atteste le rôle éminent qu’a joué Guillaume Philandrïer dans la compréhension du texte vitruvien. Pourtant, le personnage comme son œuvre restent aujourd’hui singulièrement méconnus.
Qui fut ce Philandrier dont Rabelais revendique l’amitié et dont Philippe Galle joignit le portrait à ceux des plus grands érudits de son temps? Né à Châtillon-sur-Seine en 1505, il reçut la formation humaniste traditionnelle à son époque. Secrétaire de l’évêque de Rodez, Georges d’Armagnac, il accompagna en Italie son protecteur, nommé par François Ier ambassadeur auprès de la Sérénissime (1536-1539), puis à Rome, auprès de Paul III (1540-1545/6). Il resta en contact permanent avec les milieux humanistes français (Budé) et surtout italiens. Son initiation architecturale se fit à Venise : il devint le disciple de Serlio au moment où ce dernier publiait les Regole generali d’architettura ou Quarto Libro (1537). À Rome, à la cour de Paul III, Philandrier rencontra non seulement les plus grands architectes et artistes du temps (Michel-Ange, Sangallo le Jeune) mais il fréquenta les membres les plus éminents de l’ intelligentsia romaine, entre autres Angelo Colocci et surtout Marcello Cervini. Proche collaborateur de Paul III, puis de son successeur Jules III, avant de devenir lui-même pape sous le nom de Marcel II, Cervini était un grand érudit, passionné d’alchimie, de médecine mais aussi d’architecture. C’est vraisemblablement par l’intermédiaire de ce personnage remarquable que le Français fut admis à l’Accademia della Virtù, dont Cervini était lui-même membre. Cette académie, fondée par Claudio Tolomei au cours de l’hiver 1540-1541 se proposait de développer l’étude et la publication des antiquités romaines, et projetait notamment une édition commentée de Vitruve. Le projet n’aboutit pas : les membres de l’académie romaine n’avaient étudié que les sept premiers livres du traité antique lorsque Philandrier publia en 1544 ses Annotationes sur les dix livres du De architectura de Vitruve (In decem libros M. Vitruvii Pollionis de Architectura Annotationes). Si Philandrier tira sans aucun doute parti des recherches de l’académie vitruvienne, il serait toutefois injuste d’en faire seulement son porte-parole.