Corrélations : les objets du décor au siècle des Lumières
Anne Perrin-Khelissa
Perrin-Khelissa, Anne, « Corrélations : les objets du décor au siècle des Lumières, Etudes sur le XVIIIe siècle », Presses de l’Université de Bruxelles, octobre 2015.
Extrait de l’article
Une antique distinction
L’historiographie de l’art contribue à forger une pensée distinctive, le plus souvent conflictuelle, entre beaux-arts et arts décoratifs. La production artisanale est reléguée au rang d’art « mineur » dans la littérature d’ascendance vasarienne, en raison d’un processus de fabrication assimilé à un geste mécanique vil. Elle se voit entachée d’un discrédit d’ordre idéologique qui sert à nourrir une conception intellectuelle de la création artistique. La participation des « grands maîtres » au secteur des arts décoratifs est présentée tantôt comme une chance de perfectionnement en matière de goût – les beaux-arts étant institués comme « modèles » pour les arts décoratifs –, tantôt comme un moyen stratégique pour consolider des carrières glorifiées par l’exercice des arts « majeurs ». Au XVIIIe siècle, alors même que la « main » des gens de métier est valorisée, l’idée d’une différenciation intentionnelle persiste. De fait, quand la distance entre ces deux régimes de production s’amenuise, au profit d’une pensée commune sur les arts du dessin amplifiée par les XIXe et XXe siècles, ce sont leurs finalités intrinsèquement opposées qui continuent de diviser arts décoratifs et beaux-arts.
Aujourd’hui encore, et depuis que la philosophie l’a érigé en théorie, l’usage utilitaire et la possession intéressée auxquels sont destinés les objets domestiques demeurent des critères qui éloignent, semble-t-il, du champ esthétique réservé à la contemplation gratuite.