Nicodème travesti. La «Descente de Croix» d’ivoire du Louvre
Danièle Gaborit-Chopin
Danièle Gaborit-Chopin, "Nicodème travesti. La «Descente de Croix» d’ivoire du Louvre", dans Revue de l’Art, année 1988, volume 81, numéro 81, p. 31-46.
Extrait de l’article
L’art de la sculpture sur ivoire qui connut l’un de ses apogées à l’époque gothique, ne s’est peut-être jamais exprimé avec plus d’autorité et d’élégance que dans la création des grandes statuettes du milieu et de la seconde moitié du XIIIe siècle. La plupart de celles qui subsistent représentent des Vierges à l’Enfant, assises ou debout, ce qui n’a rien de surprenant à un moment où s’exalte l’iconographie mariale. Mais les ivoiriers du XIIIe siècle ont aussi produit des « groupes » dans lesquels plusieurs statuettes mimaient, pour le spectateur, la représentation d’une scène. Très peu de ces groupes ont été conservés, même partiellement : la Vierge à l’Enfant de Giovanni Pisano à la cathédrale de Pisé est la seule survivante d’une composition plus large dont la Vierge glorieuse (la Vierge entre deux anges) formait le centre ; il est possible de rassembler, par la pensée, le groupe de la Vierge glorieuse de l’abbaye de Saint-Denis, aujourd’hui dispersé entre le Taft Muséum de Cincinnati et le trésor de la cathédrale de Rouen; et l’on peut voir, au Louvre, les quatre statuettes du Couronnement de la Vierge que complètent deux angelots, souriant dans les nuées, du musée Mayer van den Bergh d’Anvers. Le groupe de la Descente de croix du Louvre est peut-être plus exceptionnel encore puisqu’il allie à une iconographie rare dans le domaine de Pivoirerie, une qualité de facture peu commune qui le situe au plus haut niveau de la production gothique parisienne. De plus, participant à un même ensemble, la statuette de Joseph d’Arimathie portant le Christ mort détaché de la croix, et celle de la Vierge qui s’apprête à embrasser la main de son fils, se mettent mutuellement en valeur, dégageant un subtil sentiment de noblesse et d’émotion recueillie. Cependant, malgré ses mérites, le groupe de la Descente de Croix, toujours cité avec éloges, n’a guère longuement retenu l’attention, en dehors de l’article qu’Emile Molinier lui avait consacré, en 1896, lors de son entrée dans les collections du musée.