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Nature et jardins dans la pensée française du XVIIIe siècle

Jean Ehrard

Ehrard, Jean, « Nature et jardins dans la pensée française du 18e siècle », Dix-huitième siècle, vol. 45, no. 1, 2013, p. 365-377.

Extrait de l’article

Pas plus au XVIIIe siècle qu’à aucune autre époque, la Nature n’est une réalité extérieure à l’homme : c’est d’abord une idée qu’il porte dans sa tête. Une idée complexe, toujours valorisée, qui oriente et prédétermine observations et réflexions, un ensemble de présupposés mentaux et affectifs, une norme. M’interrogeant jadis sur cette ambiguïté d’une donnée mentale simultanément positive et normative, j’ai cru établir que la pensée du XVIIIe siècle français n’avait pas été gouvernée par une idée de nature, mais par trois qui se sont opposées sans réussir à s’exclure, se combinant au contraire en proportions variables, selon une ligne approximativement chronologique. D’abord une nature magique, héritée de la Renaissance italienne, via le XVIe siècle français ; on décèle en effet au siècle des Lumières de nombreuses traces ou survivances d’un naturalisme précartésien, notamment dans la littérature clandestine, souvent manuscrite, où se réfugient, jusqu’aux alentours de 1740, les audaces équivoques de la réflexion philosophique : la Nature est alors comme un réservoir de forces occultes, d’harmonies et de correspondances secrètes par lesquelles l’homme, éternel mineur, est à la fois menacé et protégé. Vient ensuite – selon une succession idéale dont il faut répéter que la réalité des textes s’écarte très souvent – la Nature-horloge des Mécanistes, héritiers de Descartes et de Malebranche, guidés par le patriarche Fontenelle, pour qui tout dans l’univers se fait par chocs et mouvements : pour ceux-là, ce que l’on appelle la Nature n’est que l’effet visible de quelques lois simples et intelligibles qui sous-tendent la diversité du monde sensible ; des lois dont la connaissance permet à l’homme, véritable roi de l’univers, de dominer celui-ci par le savoir et par l’action. Toute différente, la Nature – animal des vitalistes, née d’une dérive de la science newtonienne et des premières ambitions des nouvelles sciences de la vie, qui se définit comme une puissance créatrice, mais une puissance aveugle, poursuivant obscurément des fins inaccessibles à l’esprit humain : résurgence – par exemple chez Diderot et D’Holbach – du thème pascalien de l’homme perdu dans un univers opaque.

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