Écrire l’histoire de France au service de la patrie : le projet singulier de Charles Sorel
Michèle Rosellini
Rosellini, Michèle, « Écrire l’histoire de France au service de la patrie : le projet singulier de Charles Sorel », Dix-septième siècle 1/2010 (n° 246), p. 69-95
Extrait de l’article
Tout au long de sa carrière littéraire – l’une des plus longues du siècle – Charles Sorel s’est préoccupé de l’écriture de l’histoire. De l’Advertissement sur l’histoire de la monarchie française, paru en 1628, à son dernier ouvrage, De la connoissance des bons livres, en 1671, il affirme avec une constance admirable (ou un entêtement pathologique, selon le point de vue que l’on adopte) une position singulière : il entend placer l’histoire au plus haut de la hiérarchie des genres et l’historien parmi les plus reconnus des hommes de lettres, à une époque où l’espace littéraire fait une place de plus en plus déterminante aux genres de la fiction. Le roman, concurrent direct de l’histoire par sa forme narrative, est d’emblée désigné comme l’adversaire d’une lutte sans concession. Mais alors même qu’il destine l’histoire de France au plus large public, il restreint strictement son objet aux actions du Prince et aux affaires de l’État, excluant ainsi les Vies et les « antiquités » nationales, ces genres voisins qui sont plus aptes à captiver les lecteurs de romans. Et quand, au lendemain de la Fronde, les historiens soucieux d’élargir leur audience, comme Mézeray ou Varillas, empruntent au roman et aux Mémoires l’analyse des passions, Sorel maintient fermement ses premières orientations. S’il diverge ainsi d’avec ses contemporains, c’est qu’il continue de prêter à l’histoire une utilité politique plutôt que morale. De même s’obstine-t-il à envisager le métier d’historien comme un devoir patriotique, fidèle à la déclaration solennelle qui a consacré son entrée dans la carrière : « Le souvenir de mon devoir me pousse à l’entreprise. Puis que Dieu m’a faict naistre François, il faut rendre ce service à ma patrie, de descrire ce qui s’y est passé de memorable »