À l’origine d’une forme : les mémoires de Commynes
Jeanne Demers
Jeanne Demers, "A l’origine d’une forme : les mémoires de Commynes", dans Cahiers de l’Association internationale des études francaises, 1988, n° 1, p. 7-21.
Extrait de l’article
Par ses Mémoires, Philippe de Commynes posait un geste rhétorique important : il rompait avec la chronique de son époque qui hésitait entre la manière d’un Jean Froissait, soit le simple rappel des événements, le discours superlatif de l’indiciaire du style de Jean Molinet, la « vie », proche souvent de l’hagiographie comme celles de Christine de Pisan, et le roman-chronique-traité de guerre, tel le Jouvencel de Jean de Bueil. Il problématisait l’histoire au-delà de son rôle antique de magistra vitae et l’ouvrait au questionnement personnel du je/narrateur, grâce à un déroulement des faits organisés selon les besoins de ce dernier.
Du coup, il élaborait une forme encore très actuelle — la liste serait longue en effet de ceux qui, du cardinal de Retz au général de Gaulle, se sont adonnés au genre des mémoires — , et mettait en scène un type de narrateur précis : homme d’action devenu librement ou par la force des circonstances analyste du monde dans lequel il avait été plongé, pour se l’expliquer et s’expliquer lui-même à lui-même. Voilà l’étude que tentera d’amorcer la présente communication, qui se trouvera aussi, ne serait-ce qu’indirectement, inscrire les mémoires dans la série parahistorique qui comprend le « livre de raison », le « livre de retraite », le « registre-journal », « autobiographie », les « confessions », les « essais » selon Montaigne, etc.