Entre l’art courtois, l’Italie, et le Hausbuchmeister : le ’Cabinet de curiosités du Pouvoir des femmes’ dans le ’Livre du Coeur d’amour épris’ de René d’Anjou
Christian Heck
Heck Christian, « Entre l’art courtois, l’Italie, et le Hausbuchmeister : le ’Cabinet de curiosités du Pouvoir des femmes’ dans le ’Livre du Coeur d’amour épris’ de René d’Anjou », Monuments et mémoires de la Fondation Eugène Piot, tome 95, 2016, p. 5-45.
Extrait de l’article
Dans la littérature allégorique d’inspiration amoureuse de la fin du Moyen Âge, le Livre du Coeur d’amour épris, rédigé par le roi René d’Anjou en 1457, se signale par sa veine mélancolique et désenchantée, car même s’il s’agit d’une quête passionnée, la fin du récit est marquée par l’échec et le renoncement, cette «tristesse du coeur » bien définie par Michel Zink. Au moment où le Coeur a enfin rejoint Douce Merci, objet de son amour, l’armée de Danger mène victorieusement la bataille finale ; Douce Merci doit regagner sa prison, et le Coeur, vaincu, finit ses jours en prières à l’hôpital d’Amour. Le tragique ne domine cependant pas tous les épisodes, et le début de la visite du Coeur, de Désir et de Largesse, au château de Plaisance, résidence du dieu d’Amour, est marqué par la description de six séries d’objets suspendus à la voûte du portail, et à première vue énigmatiques. Bel Accueil, qui a reçu les trois compagnons à l’entrée du château, leur explique que ces objets témoignent de six épisodes, d’origines très différentes, d’amoureux célèbres et rusés, mais qui ont été vaincus par l’habileté des femmes, ainsi Aristote chevauché par Phyllis, ou Virgile suspendu dans son panier, pour ne citer que deux d’entre eux. À la fin du long commentaire donné par Bel Accueil, celui-ci se met à rire, imité par les trois visiteurs4. Nous sommes bien en présence du Pouvoir des femmes, ou des Weiberlisten – termes que je repréciserai plus loin –, thème présent dans la littérature comme dans l’iconographie, et qui traite sur le mode de l’humour et de l’ironie la manière dont la femme, jouant sur le sentiment amoureux, sait faire basculer dans la plus totale soumission, et très souvent ridiculiser, des hommes éminemment virils et parmi les plus hardis.