Équivoque épistolaire : un usage de l’exégèse à la cour de France
Alain Brunn
Alain Brunn, "Équivoque épistolaire : un usage de l’exégèse à la cour de France", Cahiers du Centre de Recherches Historiques, n° 33 (2004).
Extrait de l’article
« La fortune, puissance de l’événement n’est donc pas un concept, une notion théorique, un principe d’explication. Principe dont la position épistémologique est de disqualifier toute explication, le terme nomme plus précisément l’impossibilité d’une "science" de l’action politiquement opportune. Au niveau de l’action, il signifie qu’il n’existe pas de règle capable de faire reconnaître l’action nécessaire. La fortune, l’événement dans son apparition, n’est pas porteur d’un "déterminisme" politique sur lequel il serait possible de s’appuyer pour agir, mais d’un possible à saisir ici maintenant par une volonté, une "virtù", pour agir de façon cohérente. La fortune nomme dans l’événement la puissance du neutre. » (Louis Marin, "Le Récit est un piège").
C’est par cette analyse que Louis Marin rend compte des « bagatelles pour meurtres » disposées par le cardinal de Retz dans ses "Mémoires". Il faut prendre la mesure d’une telle proposition. Loin de mettre en place une histoire univoque, toute entière soumise au joug de la providence divine, le politique qu’est Retz installe sur la scène de son texte – et comme la leçon de celui-ci – la « puissance du neutre », c’est-à-dire l’indifférence profonde de ce qui arrive à ses suites, la plasticité de l’événement qui n’est jamais déterminé en soi, mais toujours ouvert à des usages contradictoires. Le neutre prend alors le visage de l’équivoque, de ce qui se donne librement, dans une pleine, entière et contradictoire disponibilité.