Fées et chevalerie, Observations sur le sens social d’un thème dit merveilleux
Anita Guerreau-Jalabert
Guerreau-Jalabert, Anita, "Fées et chevalerie, Observations sur le sens social d’un thème dit merveilleux", dans Actes des congrès de la Société des historiens médiévistes de l’enseignement supérieur public, 25e congrès, Orléans, 1994, Miracles , prodiges et merveilles au Moyen Age, p. 133-150.
Extrait du texte
Qu’il s’agisse de lais, de romans, d’épopées, de récits divers, tout un pan de la littérature en langue vernaculaire, dont la floraison date, en France et en français, de la seconde moitié du XIIe siècle, fait une place relativement importante à des thèmes que l’on regroupe assez commodément sous l’étiquette de « merveilleux » (notion à laquelle, il convient de le souligner, on ne peut concéder qu’une valeur descriptive, classificatrice, et en aucun cas explicative) ; par là, cette littérature savante produite d’abord pour l’aristocratie laïque se rapproche d’une part de celle, ecclésiastique, des mirabilia et des miracula, d’autre part des contes folkloriques d’apparition plus tardive.
Considéré par les spécialistes de la littérature comme une forme de transgression de frontières bien établies, le recours à ces éléments narratifs a suscité essentiellement des commentaires désobligeants ou embarrassés. Les premiers sont aussi les plus anciens ; ainsi, dans les années 1880, G. Paris n’hésitait pas à parler, à propos de cet aspect des romans arthuriens, d’« extravagance », de « complète absurdité », d’« un monde factice, à la fois dénué de vraisemblance et de variété qui n’inspire que l’ennui au lecteur » ; quelques décennies plus tard Ch. V. Langlois évoquait « les merveilles... plaquées en postiche... sur fond d’observation », pour conclure : « les romanciers du Moyen Age ne craignaient pas de parler pour ne rien dire et leur incontinence contribue beaucoup à dégoûter de les lire les gens d’aujourd’hui ».