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L’Eden oublié : le brouillage des signes dans l’Astrée
Tony Gheeraert
Tony Gheeraert, « L’Eden oublié : le brouillage des signes dans l’Astrée », Études Épistémè, 4, 2003
Extrait de l’article
Il est d’usage de considérer l’Astrée comme un roman "baroque". Le foisonnement de ses intrigues, la luxuriance de son écriture, la théâtralité, autant d’éléments qui font de cet ouvrage une œuvre particulièrement représentative de la catégorie mise à l’honneur voici près de cinquante ans par Jean Rousset. C’est également le baroquisme éventuel de ce roman que je voudrais interroger ici, mais sous un autre rapport, celui du régime de la signification, critère utilisé par Michel Foucault pour définir le baroque dans son ouvrage Les Mots et les choses. Je me demanderai en particulier si la question du signe n’est pas la racine à partir de laquelle s’organise un faisceau de thématiques que l’on a pris l’habitude de nommer "baroques", comme l’inconstance ou les jeux de l’illusion et du déguisement. Le deuxième chapitre de l’ouvrage de Michel Foucault est en effet consacré à la notion de similitude qui, au XVIe siècle, constitue la condition a priori de la connaissance – ce que l’auteur nomme une épistémè : à la Renaissance, la ressemblance est une "position de limite et de condition (ce sans quoi et en deçà de quoi on ne peut connaître)". Connaître au XVIe siècle, c’est parcourir un système de ressemblances, de marques et de signatures elles-mêmes conçues sur le mode de l’analogie. Or, l’incertitude généralisée qui caractérise l’âge baroque n’épargne pas, loin de là, cette conception sereine du signe et de son interprétation. Désormais, on ne peut plus se fier à ces ressemblances et à ces signatures, qui sont presque toujours trompeuses :
Au début du XVIIe siècle, en cette période qu’à tort ou à raison on a appelée baroque, la pensée cesse de se mouvoir dans l’élément de la ressemblance. La similitude n’est plus la forme du savoir, mais l’occasion de l’erreur, le danger auquel on s’expose quand on n’examine pas le lieu mal éclairé des confusions. [...] c’est le temps privilégié du trompe-l’œil, de l’illusion comique [...], des songes et des visions ; c’est le temps des sens trompeurs.
