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Les dimensions multiples des traités de Marie de Gournay

Marie-Thérèse Noiret

Marie-Thérèse Noiret, "Les dimensions multiples des traités de Marie de Gournay", dans Bulletin de l’Association d’études sur l’humanisme, la réforme et la renaissance, année 1996, volume 43, numéro 43, p. 65-77.

Extrait de l’article

Dans l’avis au lecteur mis en tête de l’édition de 1634 de ses œuvres complètes, Marie de Gournay insiste curieusement sur la réception négative qu’elle attend pour son livre. S’adressant au lecteur, elle lâche ces paroles dures : « Sentant que ton humeur est poinctilleuse en chois d’Escrits, et la mienne en chois de lecteurs ; j’ay creu qu’on ne nous pouvoit mieux accorder qu’en nous séparant. N’est- ce pas charité d’escarter l’un de l’autre deux esprits scabreux, avant qu’ils passent aux riottes ? » (première page, non numérotée, de l’« Advis au Lecteur »). Un peu plus loin elle explicite, avec beaucoup de lucidité, le caractère intellectuel et moralisateur de son ouvrage qui ne peut manquer de déplaire à la société dissolue et superficielle de son temps. Elle présente son recueil comme « un querelleux, un raba-joye, perpétuel raffineur de mœurs et de jugemens : qui t’espie (lecteur) de coin en coin pour te mettre en doute, tantost de ta prudhommie, tantost de ta suffisance » (ibid.). Elle le déclare encore « assez audacieux pour se promettre le même destin de sa mère : c’est à dire de plaire à tous les sages et desplaire à tous les foux » (deuxième page de l’« Advis »). A la base de la pensée gournayenne, on trouve constamment ce partage de la société en « sages » et en « fous ». Les sages constituent l’élite qui lit les Anciens pour se former le jugement ; les fous constituent la masse des autres qui opte pour l’indolence et les plaisirs. Marie de Gournay bâtit donc sa morale dans une perspective humaniste où l’éducation au contact de l’antiquité est la clé du perfectionnement de la société. Convaincue que l’homme est naturellement orienté vers des fins nobles, elle attribue les comportements déplorables qu’elle observe à la piètre formation de ses contemporains : « L’homme naissant à la suffisance comme le cheval à la course et le tygre à la cruauté, c’est la seule mauvaise nourriture qui provigne la barbarie au monde« (p. 3).

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