Les Souvenirs de la baronne du Montet. Une autobiographie masquée
Henri Rossi
Rossi, Henri, "Les Souvenirs de la baronne du Montet. Une autobiographie masquée", dans MORTIER Roland, HASQUIN Hervé, éd, "Portraits de femmes", in Etudes sur le XVIIIe siècle, Volume XXVIII, Editions de l’Université de Bruxelles, 2000.
Extrait de l’article
Dans les nombreux mémoires, journaux et souvenirs écrits par les femmes de la
noblesse française après 1789, une contradiction interne apparaît, que l’on retrouve
dans la quasi-totalité des textes : toutes affirment honorer là une forme traditionnelle
de l’écriture aristocratique, revendiquent une discrétion de bon aloi - elles ne
parleront pas d’elles, surtout pas ! ou si peu ! - elles ne sortiront pas de ces normes
édictées par Castiglione au XVIe siècle et par Méré au XVIIe, se cantonnant dans ce que
l’auteur du Courtisan appelle « la médiocrité au sens primitif du terme » . Et surtout,
elles ne sont pas auteurs ! Elles ne reverront pas la copie, ni la forme ni le contenu !
D’ailleurs, elles ne savent pas écrire, elles n’ont obéi le plus souvent qu’aux
supplications de leur entourage pour accepter de coucher sur le papier des souvenirs
qui viennent en foule, dans une écriture « à la diable », conforme à celle pratiquée
jadis par Saint-Simon. Mais pour qui se plonge dans cet abondant « massif
mémorial », il est aisé de voir que ces principes ne résistent pas à l’entraînement
incontrôlé de la plume. C’est précisément parce qu’elles ne brident pas leur plume, au
nom du « naturel » cher à l’esthétique classique, que Madame de Boigne, Madame de
Chastenay, Madame de La Tour du Pin et tant d’autres, se laissent aller à révéler ce
que, somme toute, elles sont : des femmes nées entre 1770 et 1785, certes marquées par
le code aristocratique et mondain, mais aussi par la lecture de Richardson, de
Rousseau et de Bernardin de Saint-Pierre, des aristocrates lancées sur les routes de
l’émigration, ayant brusquement perdu des repères qu’elles pouvaient croire
inamovibles.
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