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Arts libéraux et arts libres à Paris au XVIIIe siècle : peintres et sculpteurs entre corporation et Académie royale

Charlotte Guichard

Charlotte Guichard, "Arts libéraux et arts libres à Paris au XVIIIe siècle : peintres et sculpteurs entre corporation et Académie royale", dans Revue d’histoire moderne et contemporaine, n° 49-3, 2002/3, p. 54-68.

Extrait de l’article

Fondée en 1648 sous l’égide du peintre Charles Le Brun, et dotée de nouvelles lettres patentes par Colbert en 1663, l’Académie royale de peinture et de sculpture à Paris est une institution centrale du « système des arts » de l’Ancien Régime. L’académisation des arts du dessin joue en effet un rôle primordial dans les transformations qui affectent le champ artistique aux XVIIe et XVIIIe siècles, au premier rang desquels la naissance du statut de l’artiste. Mais ce dernier est souvent analysé à l’aune d’un modèle finaliste qui intègre la fondation de l’Académie royale dans le grand mouvement linéaire et nécessaire d’émancipation de l’artiste, ouvert depuis la Renaissance et qui aboutit au XIXe siècle à « la figure de l’artiste marginal, excentrique, bohème – figure amorcée à la Renaissance mais de façon isolée, non paradigmatique, avec l’artiste “saturnien” ou mélancolique ».

L’ouvrage fondamental de Nathalie Heinich inscrit ainsi l’invention de l’artiste dans une double logique de distinction, anti-artisanale d’abord avec le développement de la spéculation théorique au XVIIe siècle, anti-professionnelle ensuite, avec l’exaltation du génie au XVIIIe siècle. N. Heinich fonde son travail sur l’étude lexicale et sémantique de dictionnaires et de sources littéraires et encyclopédiques, qui permettent de suivre l’évolution de la représentation de l’artiste et des beaux-arts dans les discours normatifs de l’époque, mais qui ne rendent pas compte des effets performatifs de ces derniers, ni des processus de différenciation sociale et économique à l’œuvre. En évacuant volontairement l’étude du contexte institutionnel et politique dans lequel s’enracine la construction de la figure de l’artiste, l’auteur utilise le modèle artisanal de la corporation comme repoussoir et veut montrer qu’une fois passée l’« épreuve de force » que constitue la création de l’Académie royale en 1648, le champ artistique se construit selon une opposition simple entre l’Académie et la corporation des maîtres peintres et sculpteurs. Si ce modèle bipolaire et théorique a le mérite de dessiner la configuration générale du champ artistique et d’en identifier clairement les deux institutions principales, il reproduit le discours académique normatif en opposant l’Académie, qui serait l’incarnation de la communauté artistique, et la corporation, réduite à une communauté d’artisans.

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