Donnez, vous recevrez. Les rapports entre écrivains et seigneurs à la fin du Moyen Âge à travers le don du livre et la dédicace
Caroline Prud'homme
Caroline Prud’homme, "Donnez, vous recevrez. Les rapports entre écrivains et seigneurs à la fin du Moyen Âge à travers le don du livre et la dédicace", dans Contextes, année 2009, numéro 5.
Extrait de l’article
Dans un célèbre passage du Joli buisson de Jonece (1373), Jean Froissart dresse une liste d’une trentaine de princes qui ont été généreux à son égard (vv. 221-390) ; à la demande de dame Philozophie – « Je te pri, nommes nous aumains / Les seigneurs que tu as veüs / Et dont tu as les dons eüs, / Si prenderont leur hoir exemple » –, le poète effectue une énumération de grands seigneurs et nobles dames, il indique la nature et la valeur des dons qu’il en a obtenu (« chevaus et florins sans compte », v. 275 ; « De biaus florins a rouge escaille », v. 281 ; « Une bonne cote hardie / […] de .XX. florins d’or », vv. 342-343 ; .xl. ducas l’un sus l’autre », v. 362 ; accueil chaleureux, vv. 300, 309, 316, 355, 367, entre autres). Ce que retient ici Froissart, c’est la largesse de tous ces grands personnages, ce qu’il loue en eux, c’est leur capacité à donner généreusement, avec libéralité ; « honneur, largesse et courtoisie » forment, dans les mots du chroniqueur, le noyau fondamental de l’éthique chevaleresque.
Mais la largesse s’inscrit aussi plus largement dans le système social médiéval, basé en grande partie sur le principe du don et du contre-don. Dans ce contexte, faire un don est une subtile entreprise combinant volonté et obligation, devant tenir compte du statut du donateur et du donataire, des rapports établis entre eux, des motivations du don, du contre-don espéré, etc. Bien qu’une étude socio-culturelle d’ensemble sur le phénomène du don dans la société médiévale reste encore à faire, cet article propose plus modestement l’étude d’un type de don à la fin du Moyen Âge : la présentation, par un écrivain, d’un livre à un seigneur, de sa propre initiative, et non du fait d’une commande. On tentera, dans un premier temps, une approche théorique du rôle du don dans la société médiévale, et de ce type de don du livre en particulier. Dans un second temps, on interrogera la représentation textuelle du don du livre dans quelques œuvres des XIVe et XVe siècles, à partir des éléments de sa mise en scène, de l’auto-glorification de l’auteur et de ses succès et ratés. Il s’agira ici d’un premier état de la question, puisque ce type de don du livre n’a pas encore été l’objet de travaux critiques.