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Valeur et réputation de la collection. Les éloges d’« amateur » à Paris dans la seconde moitié du XVIIIe siècle

Charlotte Guichard

Charlotte Guichard, "Valeur et réputation de la collection. Les éloges d’« amateur » à Paris dans la seconde moitié du XVIIIe siècle", dans Hypothèses, année 2003, numéro 1, p. 33-43.

Extrait de l’article

Difficile à saisir avant le XVIe siècle, la collection comme « forme-sens » historique, liée aux espaces du cabinet et de la galerie, connaît son premier âge d’or aux XVIIe et aux XVIIIe siècles. Celui-ci se mesure notamment à la multiplication des ventes publiques, et les catalogues de vente sont un observatoire privilégié pour comprendre les mutations du marché de l’art au XVIIIe siècle. On peut les lire comme des indices pour une histoire du goût, mais aussi comme un genre formel spécifique dont les innovations témoignent des nouveaux usages sociaux de l’art. Dans cette perspective, Krzysztof Pomian a ainsi montré l’apparition du jugement d’attribution au détriment de la seule appréciation esthétique et dégagé l’émergence de la figure du marchand-expert, en se fondant sur les évolutions formelles des catalogues de vente.

On s’est peu penché, en revanche, sur les éloges des amateurs qui introduisent les catalogues de vente. Ceux-ci forment pourtant un corpus à part entière, un discours jamais étudié pour lui-même, où se négocient la réputation de l’amateur et la valeur de sa collection. Écrits par des marchands de tableaux, les éloges d’amateurs contribuent à consacrer des réputations individuelles, mais ils restent largement inscrits dans la logique économique et mercantile du catalogue de vente. Rédigé lors des ventes publiques de collection, le catalogue de vente a en effet pour particularité de soumettre les objets à une évaluation collective et publique, à la différence d’autres transactions où les prix sont fixés et où les objets ont un coût. En ce sens, les catalogues de vente jouent un rôle central dans l’élaboration et la fixation de la valeur économique et symbolique de la collection ; et les éloges des amateurs contribuent à établir un consensus sur la valeur des œuvres en vente. Il s’agit alors de comprendre comment l’éloge fonctionne comme discours, doté à la fois d’un dispositif rhétorique et d’une efficacité économique.

J’essaierai d’abord de montrer comment les éloges rendent publics la réputation individuelle, affirment la distinction des collectionneurs et construisent, dans le langage du goût, la figure sociale de l’« amateur ». Ensuite, je m’efforcerai de mesurer l’importance de la réputation dans la formation de la valeur économique de la collection, dans un contexte où celle-ci n’est pas fixée : l’éloge construit de la réputation, parce que c’est elle qui permet de garantir la valeur des œuvres en vente, grâce au prestige social qu’elle donne à l’objet, et grâce à la confiance qu’elle installe sur les œuvres. Enfin, je réfléchirai sur le rôle que jouent les éloges dans l’affirmation de l’identité collective des amateurs : écrits, lus et manipulés lors des ventes publiques, à un moment où la communauté des amateurs se réunit concrètement, les éloges ne permettent-ils pas à celle-ci de se construire, et de se représenter dans ce discours sur l’« amateur » ?

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