Ce qu’on disait de Fragonard
Pierre Rosenberg
Pierre Rosenberg, "Ce qu’on disait de Fragonard", dans Revue de l’Art, année 1987, volume 78, numéro 78, p. 86-90.
Extrait de l’article
De Fragonard, que savons-nous ? Quelques citations, toujours les mêmes — « Je peindrais avec mon cul », « Rond, replet, fringant, toujours alerte, toujours gai... » — ont forgé, depuis plus d’un siècle, l’image de l’homme, de l’artiste.
Il faut s’interroger sur les origines de ce portrait. Elles sont de trois ordres. Il y a tout d’abord les Concourt et la première génération des « découvreurs » de Fragonard, de ses défenseurs, Jules Renouvier, Charles Blanc, Frédéric Villot, Emile Bellier de La Chavignerie, Alphonse de Launay, sans oublier Théophile Thoré (W. Bûrger). Ces auteurs ont tous interrogé Théophile Fragonard. Né en 1806, l’année de la mort de son grand-père, il avait glané quelques souvenirs auprès de sa grand-mère, Marie-Anne Gérard, morte en 1823, auprès de sa tante, la belle Marguerite Gérard, disparue en 1837, auprès de son père, lui-même peintre de grand talent, Alexandre-Évariste (1780-1850). L’intérêt de son témoignage est indéniable et ne doit pas être sous-estime. Il est rare de prendre Théophile en défaut et les anecdotes qu’il rapporte sur son grand-père, même si elles nécessitent une interprétation prudente et peuvent parfois prêter à confusion, reposent presque toujours sur un fond de vérité.
A cette première source, s’en ajoute une seconde bien connue, souvent mal utilisée. Il s’agit des courtes biographies publiées dans les années qui suivirent la disparition de Fragonard. Ces textes, publiés entre 1808 et 1832, et qui mériteraient d’être intégralement réédités, ont été écrits par des témoins de sa vieillesse, des artistes-écrivains d’art. Landon, Lenoir, Le Carpentier, Gault de Saint-Germain tentaient de sauver de l’oubli un peintre qui avait connu son heure de gloire et de faire apprécier un siècle que les changements politiques et l’évolution radicale du goût semblaient avoir définitivement condamné.