Du culte chrétien au culte de l’art : la transformation du statut de l’image (XVe-XVIIIe siècles)
Olivier Christin
Christin O., « Du culte chrétien au culte de l’art : la transformation du statut de l’image (XVe-XVIIIe siècles) », Revue d’histoire moderne et contemporaine 2002/3, no49-3, p. 176-194.
Extrait de l’article
Ce que nous appelons aujourd’hui « œuvre d’art » n’a pas toujours joui de ce statut particulier ni fait l’objet des mêmes appréciations et des mêmes jugements. Il faut, certes, prendre la mesure de l’évolution du goût, sentir pleinement l’importance des redécouvertes et des oublis artistiques, saisir le mouvement complexe de la célébration et de la dépréciation. Mais on doit aussi rappeler avec Pierre Bourdieu, Hans Belting ou Victor Stoichita, que l’invention de l’œuvre d’art, au fond récente, est le produit de la formation historique d’un agencement spécifique des relations entre « artistes », « commanditaires » ou « acheteurs », « spectateurs » et, surtout, de l’invention de lieux et de moments consacrés précisément à l’amour de l’art, à la jouissance esthétique, à l’observation à la fois passionnée et désintéressée de « l’œuvre d’art » : la galerie, le Salon, l’exposition publique, le musée, le Cabinet…
De cette transformation qui a conduit de l’imago des théologiens à « l’œuvre d’art » des collectionneurs et des connaisseurs, Hans Belting et Victor Stoichita ont donné il y a quelques années déjà une explication puissante, reprise, étendue ou nuancée par de nombreux auteurs [1]. Sur des exemples hétérogènes et dans des perspectives assez différentes, tous deux relèvent le même phénomène, invoquent les mêmes causes et proposent des chronologies très comparables, en situant le moment décisif de cette mutation du statut de l’image autour XVIe siècle. C’est alors que ce long processus conduisant à la naissance du concept moderne d’œuvre d’art s’accélère sous les effets curieusement convergents de la querelle des images et de l’émergence du collectionnisme.