Femmes peintres à leur travail : de l’autoportrait comme manifeste politique (XVIIIe-XIXe siècles)
Marie Jo Bonnet
Marie Jo Bonnet, "Femmes peintres à leur travail : de l’autoportrait comme manifeste politique (XVIIIe-XIXe siècles)", dans Revue d’histoire moderne et contemporaine, n° 49-3, 2002/3, p. 140 à 167.
Extrait de l’article
L’autoportrait du peintre à son travail est considéré généralement comme un exercice allant de soi dès qu’un peintre a conscience d’être quelque chose de plus qu’un bon artisan. Comme l’écrit Pierre Georgel : « De tous les sujets susceptibles d’être traités en peinture, le travail du peintre a toujours été le “sujet”par excellence, car l’artiste s’y projette en tant que tel dans l’acte même qui l’institue et le légitime comme artiste. »
Si les peintres hommes ont pratiqué l’autoportrait dès le début des Temps modernes, les femmes sont loin d’en avoir fait autant, surtout en France, où il faut attendre le tout début du XVIIIe siècle pour que l’académicienne Sophie Chéron réalise le sien (Musée du Louvre). Mais c’est seulement dans le dernier quart du XVIIIe siècle que les Françaises se représentent en train de peindre. Ce retard est-il lié à la différence de statut professionnel accordé aux hommes et aux femmes dans notre pays ? Tandis que la France est déchirée par les guerres de religion, en Allemagne, en Italie et aux Pays-Bas, là où les villes connaissent un vif développement artistique, les premiers autoportraits de femmes peintres à leur travail apparaissent dès le milieu du XVIe siècle (en Flandre d’abord, avec Catarina van Hemessen, puis en Italie avec Sofonisba Anguissola et Artemisia Gentileschi). Dernière question, doit-on attribuer au siècle des Lumières une influence bénéfique sur la prise de conscience par les Françaises de leur identité de femme artiste et des problèmes posés par un statut professionnel discriminatoire ?